Pour une fois ce n’est pas une côte de parthenaise qui a attiré mon regard quand je déambulais parmi les étals de mon marché dominical, mais des homards bretons vendus à un prix parfaitement raisonnable. Pendant que la marchande regardait ailleurs, j’en ai titillé un, et sa vigoureuse réaction m’a prouvé que je pouvais me lancer dans l’achat de cette brave bête.
C'est l'homard le bien-aimé |
Chose dite, chose faîte. Un peu plus loin, un éleveur de bouchots était venu aussi avec un imposant tas de belles palourdes, dont une bonne livre a atterri (ce qui les a changées de l’océan) dans mon panier. À quelques pas de là, une ostréicultrice fort avenante m’a permis d’y joindre une douzaine transformée en treizaine de vigoureuses spéciales m’attendant de pied ferme, et qui devaient me donner plus tard beaucoup de fil à retordre pour parvenir à les ouvrir.
Les éléments du plateau-repas du soir étaient désormais dans ma besace.
Et c’est un peu après, quand j’entreprends de cuire le homard en début d’après-midi que ma crétinerie se révèle.
D’habitude, je préfère griller le homard après l’avoir fendu en deux en dépit de ses cris. Là, pour le poser sur le plateau de fruits de mer, je vais le faire nager dans un court-bouillon parfumé d’échalotes, thym classique, thym citronnelle, feuilles de laurier, origan, poivre rouge de Kampot, poivre de Voatsiperifery, Tabasco dans une eau salée à 30 g par litre. N’ayant pas d’étoiles de badiane sous la main, je verse un petit verre de pastis dans la casserole.
Une casserole dont j’ai vérifié la dimension suffisante en y effectuant un simulacre à vide d’introduction de la bête…
Pendant que l’eau monte en température avec ses additifs, je sors l’animal de la zone arctique de ma cuisine où je l’ai enfermé quelques minutes afin qu’il commence à hiberner comme une vulgaire marmotte. Car j’ai décidé de le ligoter sur un bâton, en l’occurrence une cuillère en bois, et je n’ai pas envie de me livrer à un combat titanesque dont il n’est pas certain que je sorte vainqueur…
Ça y est, la bête est entravée, je viens de nouer le dernier lien. Il était temps, car retrouvant la chaleur ambiante, le homard commence à perdre son sang-froid. Visiblement, il n’apprécie qu’à moitié le bondage. Et encore ne connait-il pas la suite…
Je m’empare du vaillant crustacé chevauchant son bâton, me dirige vers la casserole où l’eau frémit à petits bouillons.
Petits bouillons et grand couillon sont face à face. En effet, penaud, je m’aperçois que la cuillère est nettement plus longue que le diamètre de la casserole.
Il me faut donc improviser un processus de cuisson.
Tout d’abord, je plonge la tête trois ou quatre minutes, la queue émergeant par force du liquide. Heureusement, je constate que rapidement le homard ne réagit plus.
Je fais faire volte-face à la cuillère et son cavalier. La queue plonge dans le bouillon. Un couvercle posé incliné rabat la vapeur vers la tête et surtout les pinces qui sont désormais au dessus de la surface bloubloutante. Je laisse dix minutes, un peu moins que la cuisson optimale, mais comme je ne vais pas pouvoir stopper tout de suite la cuisson avec de l’eau glacée…
Nouveau volte-face. Je parachève la cuisson des pinces en les laissant plongées une dizaine de minutes : elles ont déjà subi ce sort quelques minutes, mais leur paroi est épaisse, et je ne l’ai pas légèrement brisée comme je le fais quand je grille à cru…
J’interromps cette chevauchée fantastique pour jeter monture et cavalier à l’eau.Brrrr !
Je les repêche et les allonge sur une plaque avant de les séparer.
Walkyrie rouge... |
Puis j’étends le homard à plat ventre sur une planche.
Homard surfant |
Je me saisis de ma rapière, et je le pourfends en deux.
Le homard pourfendu |
Soulagement : la cuisson caudale est correcte. Pour les pinces, on vérifiera lors de la dégustation.
C’est l’heure de passer à table.
J’ai ouvert les huîtres. Je les dispose sur le pourtour d’un plateau, verse les palourdes au milieu.
Les deux moitiés de homard viennent s’allonger par-dessus.
Je débouche une bouteille de Mareuil rosé.
Servis sur un plateau... |
Ne manquent que les embruns et le bruit lancinant du ressac…
J'en arriverais à oublier combien je suis stupide.