mercredi 30 octobre 2019

Bernache : baisser de rideau

Eh oui, je ne puis me remettre devant une telle table : la saison de la bernache est terminée.



bernache, châtaignes
Au diable les regrets...


Seules restent les châtaignes…
Mais aussi les fromages de chèvre achetés sur les marchés aux éleveurs, comme ceux qui composent cette assiette, sainte maure du Richelais avec sa paille, ainsi que bûche, chabichous - avec ou sans poivre - du Mirebalais, quand même moins bons qu’à la fin du printemps.


fromages de chèvre
Tirons le vainqueur à la courte paille


On les fera désormais descendre avec un bon chinon blanc : après tout, c’est une bernache qui a su atteindre l’âge adulte…

Pas parti en vrilles !

J’ai réchauffé la tarte-récup, constituée du reste de garniture et des chutes de pâte feuilletée que j’avais étendues après la confection de ma tourte vrillée au champignon.

tarte, duxelles de champignon
Où j'ai dévrillé...


Ce qui au départ n'avait été créé que dans le cadre d’un souci de bonne gestion, et dont l’aspect peu glamour n’avait rien d’enthousiasmant, s’est révélé être un pur régal. Partis à reculons pour liquider ce reste, nous l’avons terminé avec un goût de trop peu dans la bouche !

Certes, la tourte vrillée était fort bonne, mais la duxelles de champignon améliorée n’y jouait qu’un rôle de garniture. Pour cette tarte, en revanche, elle joue la vedette, le fond de pâte n’étant que la scène sur laquelle elle s’exprime.
Et ça, s’exprimer, elle le fait bien.
Une retraite au frais durant 24 heures lui a permis de s’améliorer en peaufinant les alliances et en
acquérant de la rondeur.

Pourquoi ce mélange a si bien fonctionné ? Quelques pistes me viennent à l’esprit :

-Le fait d’avoir laissé quelques tranches de champignon émincé a permis d’obtenir une caramélisation de ces îlots émergeant par endroits de la surface de la garniture.
-L’ajout des tomates déshydratées, donc de haut goût, cependant encore moelleuses, a conféré à la fois une note sucrée et une pointe d’acidité, sans oublier le bon parfum de ces fruits de jardin qui se marie bien avec celui des champignons de Paris.
-Les gouttes de Tabasco rouge déposées sans timidité ont rehaussé le mélange en titillant les papilles.
-Enfin le parmesan a assumé sa fonction d’exhausteur de saveurs, s’ajoutant au rôle de liant de la béchamel…

Un seul regret, je ne retrouverai jamais cette perfection à l’identique, car les proportions ont été définies au feeling. Mais après tout, n’ayant pas une clientèle à satisfaire, je puis me permettre une cuisine aventureuse qui autorise les joies de la découverte innatendue au prix de parfois quelques déconvenues...

lundi 28 octobre 2019

Cuisine de frigo

Il me restait des champignons de Paris – nés dans le Maine-et-Loire… - achetés pour un projet culinaire qui ne s’était pas concrétisé et qui se morfondaient au fond du frigo. Non loin, deux plaques de pâte feuilletées préparée par un traiteur, rescapées d’un trio dont le premier individu avait servi à réaliser une tarte fine en la couvrant de lamelles de pommes, se rapprochaient dangereusement de leur DLC. Quand je vis à la télévision un boulanger se lancer dans la confection d’une tourte vrillée dans son challenge d’intégration de champignons avec l’espoir que son établissement progresse vers le titre de Meilleure boulangerie de France, l’illumination m’est venue…


C’est donc décidé, je passe à l’action !
Je hache la majorité des champignons, en réservant environ un cinquième que je me contente de ciseler afin de conférer un peu de mâche. Je cisèle une grosse échalote cuisse de poulet.
Je peux me lancer dans la confection de la duxelles :
Je fais suer l’échalote dans une bonne noix de beurre, puis ajoute les champignons ainsi qu’une branche de romarin et une feuille de lauriers que je retirerai après cuisson. Les échappés de cave saumuroise puis de bac à légumes évacuent leur eau sur une flamme moyenne, puis je baisse le feu et laisse évaporer sous un couvercle légèrement entrouvert en brassant délicatement de temps en temps. Eh oui, je ne suis pas certain de maîtriser vraiment le geste auguste du sauteur de poêle ni même de sautoir (pourtant c’est étudié pour…). Quand il ne reste pratiquement plus de liquide, j’éteins et réserve, assaisonnant de fleur de sel et de poivre rouge du moulin.


duxelles, tourte vrillée
Duxelles sera toujours Duxelles


Je passe ensuite à la confection d’une béchamel épaisse dans laquelle je fais fondre du parmesan que je viens de râper. J’incorpore cette sauce à ma duxelles.


tourte vrillée
Avec l'onction de la béchamel


Je relève le mélange de gouttes de Tabasco.
Je goûte. Il me semble qu’il manque un ingrédient pour fournir un plus de vivacité à cet appareil un peu endormi avant d’en farcir ma tourte…
Une solution me vient à l’esprit. Dans un coin du frigo un sachet de tomates cerises du jardin que j’avais déshydratées et mises sous vide attend que j’en fasse bon usage. J’en prélève la moitié que je découpe grossièrement avant de l’introduire dans ma garniture.


tomates déshydratées
Eh oui, déshydratées !


Je goûte une nouvelle fois. Bingo ! La saveur et la texture sont nettement améliorées, il me suffira de rajouter une pincée de sel ainsi qu’un tour de moulin de poivre, et ce sera parfait - ou au moins presque parfait du subjectif.

Le plus délicat reste à faire : le montage.
J’étale une des plaques de pâte feuilletée et y découpe un disque avec une assiette en guise de gabarit. C’est un peu trop petit à mon gré, mais je n’ai pas de cercle plus grand sous la main et la seule plaque de cuisson dont je dispose ici est elle-même de taille restreinte. Je recouvre de ma duxelles améliorée jusqu’à 1 cm du bord. Il me reste de cet appareil, alors j’en tartinerai les chutes de pâte rassemblées et étalées pour obtenir une sorte de tarte.
Je réserve ce disque garni au frais le temps de produire son couvercle à partir du second rectangle de pâte feuilletée.
Je coiffe en ajustant bien les bords, que je scelle à l’aide des pointes d’une fourchette. Je cherche un verre suffisamment étroit pour, une fois placé au centre, me laisser assez d’espace pour après découpe obtenir des branches d’une longueur suffisante pour les torsader.
Je découpe suivant les rayons pour obtenir douze branches autour du disque central préservé sous sa cloche de verre que je retire après l’opération. Je tente un premier vrillage qui confirme ma crainte de ne pouvoir effectuer qu’une seule rotation mais surtout me montre que la chaleur ambiante – le four est en préchauffe – a rendu la pâte trop molle pour être manipulée sans risque de déchirure ou tout au moins d’élongation intempestive. Alors j’introduis ma tourte fendue mais pas encore vrillée dans le congélateur pendant quelques minutes que je mets à profit pour préparer ma tarte de récup annexe.
Je sors la tourte, c’est bien, la pâte n’est pas devenue cassante mais a pris de la tenue. En faisant vite, ça devrait pouvoir aller. Et effectivement je parviens à réaliser mes mono torsades sans encombre.
Je remets au congélateur.
C’est bon, je vois que les 180 °C sont atteints et que le témoin du thermostat n’est plus allumé Je sors la tourte vrillée de son antre glaciale, la barbouille de jaune d’œuf étendu d’eau et l’enfourne. Elle restera 25 minutes dans ce four avant d’en sortir bien dorée.


tourte vrillée, champignons
Fait comme un Râ


Je suis plutôt content du résultat, même si le jury qui accusait le candidat de manque de perfection dans la finition m’accablerait sans doute de ses sarcasmes devant mon approximation.

Mais une chose est certaine, quand, après avoir laissé tiédir, nous dégustons les pièces arrachées du moyeu central : c’est que c’est très bon.


tourte vrillée, tarte en étoile
Bien en bouchées


La garniture est encore plus savoureuse après cuisson, les flaveurs s’étant entremêlées dans un équilibre jouissif pour les papilles, et la pâte feuilletée apporte le croustillant nécessaire.

Mon valeureux frigo, bien que presque trentenaire, sait se montrer un coffre aux trésors insoupçonné. Mais il faut quand même y mettre un peu du sien…



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jeudi 24 octobre 2019

La ferme !

Fermes dans le Haut Poitou…

L’une à une trentaine de kilomètres de ma maison : un éleveur de charolaises.


Son troupeau


L’autre à une quinzaine : un éleveur de volailles.

Sa troupe


Je vais donc me lancer dans la proxivoracité par le biais du magasin de producteurs local.

Pour commencer, une côte de bœuf. Je ne suis pas très porté vers la race charolaise, en raison de son manque de caractère gustatif et la faible présence de gras. Il me semble que ses qualités bénéficient surtout aux éleveurs. Mais, pour une fois, pourquoi ne pas me donner l’occasion de tenter de réviser mon jugement ?


Côte, charolaise
Belle, mais maigre...


Pas de barbecue, le temps ne s'y prête pas. Je saisis sur les quatre faces la côte, remise à température ambiante et salée généreusement, dans la poêle striée placée sur un feu vif sans excès – ça se traumatise si facilement, ces grosses bêtes – avant de la laisser une dizaine de minutes au four à 160 °C.
Puis je la laisse reposer sur une planche, toute nue sans couverture d’alu afin d’éviter que la croûte maillardesque ne se ramollisse.


charolaise, côte de boeuf
Sur la planche


Quelques minutes plus tard, après avoir donné des tours de moulin de poivre rouge et parsemé de 99, non, pardon, qq grains de fleur de sel, je procède à la découpe.


côte de charolaise
Je coupe et je recoupe


La viande est relativement tendre, il n’y a pas trop de déchets à écarter dans le coin de l’assiette, mais c’est ce que je craignais : avec la charolaise, la chair est triste.
Mais au moins je pourrai être décoré du mérite proxi-agricole !


Un peu plus tard, mon poulet du dimanche. Pour une fois, pas pal ; tout simplement parce que mon pal est resté en ville…

Comparée à mes poulets des Landes ou du Gers achetés chez le volailler – je ne parlerai pas de ceux de Bresse qui jouent dans une autre cour – et même ceux de supermarché, la bête m’apparaît plutôt étique. Surprise, surprise, quand je la soulève de la barquette sur laquelle elle gît, je constate qu’elle a conservé son cou et sa tête. Ce serait un plus si je voulais la faire en sauce, et certains ou certaines de mes aïeux s’en seraient régalés en extrayant la cervelle et en en grignotant la crête, mais je suis parti pour un poulet rôti, alors il me faut opérer. Je garderai cependant le résultat de cette décapitation pour parfumer le jus au fond du plat qui va enrober les pommes de terre que je vais y poser. Soulagement, je sors du coffre un gésier et un foie parfaitement parés. Je passe vaguement la main à l’intérieur, ayant l’impression qu’il me manque quelque chose. Je ne trouve rien. J’oublie vite cette impression d’inachèvement et emplis d’ail, feuille de laurier, herbes, oignon blanc, poivres et noix de beurre demi-sel. Je découvrirai à la découpe que c’était le cœur qui me manquait (non pas celui à l’ouvrage, mais celui de ma volaille), démontrant ainsi que je suis un piètre palpeur et un chirurgien incompétent.
Je sale, étends le poulet dans le plat, l’entoure des pommes de terre agrémentées de deux gousses d’ail, d’une feuille de laurier et d’herbes, puis enfourne à froid. La cuisson dure une heure et quart, dont 20 minutes sur un flanc, 20 minutes sur l’autre flanc, 15 minutes sur le dos, introduction d’un verre d’eau et du gésier, 20 minutes sur le ventre, le foie n’étant posé que 8 minutes avant la fin de cuisson

Je défourne.


poulet fermier
Il m'a fait perdre la tête !


Je pose le poulet  sur une planche, et remets le plat avec ses pommes de terre au four à 190 °C le temps de découper l’animal.
Le poulet est bien goûteux, plus copieux que son apparence première ne le présageait, et la chair, particulièrement ferme – plus encore que celle de mes Label Rouge - sans être pour autant coriace prouve que ces gallinacés se sont particulièrement démenés sur leurs parcours. Un vrai poulet de ferme !
Ce poulet devrait être parfait pour une recette en sauce, et si je devais le servir une nouvelle fois rôti, je pratiquerais une précuisson dans un bouillon, ainsi que le pratiquait la patronne d’un petit restaurant périgourdin dont la remarquable cuisine me laisse encore un souvenir ému.
Les pommes de terre, fondantes à l’intérieur, se sont revêtues d’une coque craquante. Leur fécule a lié la sauce parfumée dont nous arrosons généreusement nos cuisses (enfin, celles du poulet, quoique la présence d’une serviette sur elles (enfin les nôtres, pas celles du poulet) ne soit pas une précaution inutile…).
Bref, dans ce cas, la proxivoracité paye.

Comme quoi le poulet peut se montrer plus fort que le bœuf !

lundi 21 octobre 2019

À la fête de lumas

Ils étaient une trentaine, partis du pays charentais à la fête de lumas, accompagnés par leurs lardons. Mais un peu trop imbibés de pineau, ils s’embourbèrent dans la tomate et les herbes, s’égarèrent et finirent chez moi.
Je leur offris le gîte et mes couverts (à escargots).
Ils étaient bien bons.

escargots à la charentaise, cagouilles, lumas
Lumas à la charentaise


Moralité : il faut mieux rester dans sa coquille quand il fait un vent à décorner la bête, même si c'est pour se rendre à la fête de lumas.





samedi 19 octobre 2019

Cuisine du marché

Je m’étais tellement régalé avec le farci poitevin acheté au stand de ma marchande exécrable que j’ai envie de renouveler ce plaisir. Mais elle est seule derrière son étal, enfin, pas exactement, car elle y papote avec un couple de personnes âgées vraisemblablement de la famille. Pas trop envie d’échanger avec elle, mais la gourmandise est la plus forte. Je réprime un rancunier « Je croyais que vous ne vouliez plus en faire car ça demandait trop de travail » et lui demande d’en découper une tranche. Et je m’entends ajouter, sans doute plus comme une autojustification que comme un compliment adressé à cette personne revêche qui nous a jadis escroqués : « Votre farci est le meilleur de la région, bien équilibré, sans cette dominante de chou et cet excès de viande qui gâche le goût de la plupart. ». Je vois alors son visage s’illuminer, elle est devenue une tout autre personne, fière de ce compliment sous le regard de ses proches. « Ah non, je ne mets aucun chou de ma farce, rien que des herbes avec un peu de lard gras ! ».
J’en arrive à me demander si ses comportements précédents n’étaient pas ceux d’une paysanne – car cet artisan vend les produits de son élevage, d’ailleurs l’abondance en herbes ne proviendrait-elle pas du fait qu’elles sont cultivées à la ferme… - devant le Parigot qu’elle devine en moi. Et c’est les yeux embués par l’émotion et arborant un sourire dont je l’aurais crue incapable qu’elle me tend mon achat – tarifé cette fois-ci au juste prix.
Ce bon farci sera l’apex de notre frugal repas de midi.


farci poitevin
Farci 3*



Pour le repas du soir, ce sont un ostréiculteur et un poissonnier qui m’en fourniront les ingrédients.
En premier lieu, je rachète une dizaine de ces remarquables crevettes impériales qui me semblent encore plus agitées que la fois précédente sur l’étal du vendeur. De la météo sur l’agitation des gambas ?
Puis je retourne auprès des beaux pétoncles noirs que j’ai aperçus lors de mon tour exploratoire du marché. Je m’en procure une douzaine.

Le soir, je gratte les pétoncles pour les débarrasser des petites balanes et crépidules qui se sont fixées sur leurs coquilles et les plonge dans une bassine d’eau salée afin de leur faire dégorger leur sable.


pétoncle noir
Je vous ferai rendre gorge !


Il me faudra sept transvasements successifs avant de ne plus découvrir de restes de sable au fond de la bassine.
Puis je sors la boîte contenant les crevettes impériales, et la chaleur réveille tout ce petit monde. Je me dépêche de recoiffer avant que l’une d’elles fasse un bond et aille se réfugier sous une armoire, comme ce fut le cas la dernière fois.
Je sais qu’il va falloir faire vite et bien enchaîner les figures.

Je commence par aller couper deux branches de mélisse dans la cour.
En en revenant je découvre un phasme en train de s’exposer au soleil couchant sur le mur à côté de la porte d’entrée de la cuisine.


phasme, clonopsis gallica
Un gaulois qui n'a rien d'Obelix


Je ne savais même pas que ce genre de bestioles que jusqu’à présent je n’avais fréquenté que confinées dans des terrariums, en particulier ceux de l’Opie à Guyancourt, pouvaient se rencontrer dans notre bonne région poitevine. Une recherche effectuée plus tard me montrera que ce Clonopsis gallica est discret (enfin, pas toujours…) mais bien présent en Poitou-Charentes.
Mais ça, j’en prendrai connaissance plus tard, car après une rapide séance de shooting, je dois abandonner ma vedette gauloise pour me consacrer à mon plat.
Je retire les feuilles des tiges de mélisse, les mets grossièrement en lambeaux et réserve. Je m’empare d’une cocotte, y verse un trait d’huile d’olive dans laquelle je fais tomber une noix de beurre demi-sel fermier. Je la pose sur un feu vif, et quand le beurre commence à mousser, j’ajoute les pétoncles que j’arrose du demi-verre de sauvignon qui attendait sur un coin de la table. Les coquillages commencent aussitôt à s’ouvrir, je parsème des déchirures de mélisse et me dépêche de vider par-dessus les pétoncles les crevettes impériales. Je coiffe prestement du couvercle. Il était temps, car j’entends durant quelques secondes le bruit du choc des gambas heurtant la fonte dans leurs bonds désespérés, période heureusement très brève, ce qui soulage mon âme compatissante.
Je laisse sur le feu encore quatre minutes, le temps que les pétoncles finissent de s’ouvrir et que les crevettes achèvent leur cuisson dans la vapeur du vin blanc.
Je retire du feu, décoiffe la cocotte. La cuisson me semble réussie.


pétoncles, crevettes ilpéraiales
Bravo, ma cocotte


L’ustensile de cuisson métamorphosé en plat de service va sur la table, puis son contenu petit à petit sur nos assiettes.



crevettes impériales, pétoncles
Premier service


On mangera avec les doigts, s’essuyant avec un vulgaire papier essuyant-tout, alors pourquoi pas nos paluches dégoulinantes. C’est bien bon, le parfum discret de mélisse fonctionne parfaitement avec ces fruits de mer, les pétoncles développent une petite note sucrée fort plaisante et les crevettes impériales sont cuites à point, offrant une chair encore légèrement nacrée.

Pour finir ce festin, Madame avait réalisé des œufs au lait particulièrement réussis, fermes à souhait.


oefs au lait
Dans le bain, Marie


Je lui ai demandé sa recette.
« Un litre de lait, six œufs, cent vingt grammes de sucre, puis au four à 180 °C dans un bain-marie avec l’eau déjà chaude, ça c’est important.
-Et combien de temps ?
-Ben…. Ben j’sais plus ! »
Mais chacun sait que la cuisine ménagère se fait au feeling… En tout cas, le résultat était là.


oeufs au lait
Ils sont laids,les oeufs à l'eau, ils sont beaux, les oeufs au lait








jeudi 17 octobre 2019

Sauce qui peut !

Que faire du reste de la récolte pléthorique de tomates San Marzano, sinon le transformer en sauce, car autant cette variété charnue est savoureuse sous cette forme, autant elle est décevante sous forme de salade, car d’une texture un peu farineuse guère agréable ?


tomate san marzano
Dans le catalogue...


Que faire de cette sauce, sinon de la servir avec des pâtes ?
Or au magasin de petits producteurs sis à la frontière du Haut Poitou et de la Touraine je suis tombé sur un rayon de pâtes fabriquées par un agriculteur local là partir de ses céréales. Certains paquets arboraient fièrement une étiquette : L’Attrap’Sauces.


farines semi complétes
Dans l'Epicurie


Espérant qu’il ne s’agissait pas plutôt d’un Attrap’Couillons, j’ai donc lancé illico l'Opération Marzano’s Rescue
Pour m'en donner les moyens, profitant du fait que c’était le jour du marché, j’ai acheté chez le poissonnier une douzaine de petits encornets et un sachet de moules de bouchot.


De retour à la maison, pendant que mes tomates émondées compotaient doucement sur un bon trait d’huile d’olive avec deux gousses d’ail, une feuille de laurier, des herbes aromatiques du jardin, une petite cuillerée de grains de poivre à queue, une pincée de pistils de safran, deux clous de girofle, j’ai préparé mes ingrédients marins.
J’ai débarrassé les encornets de leur peau, enlevé les entrailles et la plume, conservé les tentacules et le corps découpé grossièrement. Une fois bien lavé, j’ai réservé.
J’ai gratté les moules, enlevé le byssus. Visiblement toutes étaient bien fraîches. Je les ai mises de côté jusqu’à ce que la compotée de tomates ait bien réduit.

La sauce tomate est prête, j’ôte les branches de romarin, de thym et d’origan, je rectifie l’assaisonnement, incorpore une petite cuillerée de piment d’Espelette, le jus d’un demi-citron, et je la transvase dans une poêle. Je fais s’ouvrir les moules au fond d’une casserole avec un demi-verre de vin blanc, une gousse d’ail, une branche de romarin. Je les décortique, en préservant six pour la présentation. Le jus filtré rejoint la sauce.
Je balance les pâtes dans de l’eau bouillante salée. Les quatre minutes que dure la cuisson me suffisent pour incorporer la découpe d'encornets qui va cuire rapidement dans la sauce frémissante, ajouter les moules décortiquées et brasser le tout quelques secondes avant de sortir les pâtes que je dépose dans la poêle. Je tente de mélanger, mais l’Attrap’Sauces n’attrape pas si bien que ça, et aussi bien encornets que moules se refusent à faire surface Tant pis, ces bestioles rétives seront quand même bien présentes dans les assiettes, et l’on se chargera de les mener vers nos papilles manu militari
Faute de mieux, je rappelle la présence des fruits de mer par mon sextuor baillant, et je découpe un quartier de citron qui s’ajoute au décor en compagnie de quelques feuilles de persil.


pâtes aux fruits de mer; moules,encornets
Opération Marzano's Rescue réussie!


Que dire des attrapeuses de sauce ?
Leur compétence pour ce boulot ne semble pas évidente À leur décharge, il s’agit d’une compotée plutôt que d’une sauce onctueuse. Je suis un peu dérouté par la texture, qui n’est pas celle de mon al dente habituel. Il est vrai qu’au blé dur s’ajoute du blé tendre et qu’aucun œuf n’entre dans la composition. Mais ce qui me trouble le plus, c’est la saveur puissante que confère l’utilisation de céréales semi-complètes qui tend à écraser les autres parfums. J’en arrive à penser que ces Attrap’Sauces devraient changer leur fusil(li) d’épaule et se reconvertir en Attrap’Motte. Un bon beurre fermier, ces pâtes, et ce sera toute la saveur de la glèbe dans son assiette !

mardi 15 octobre 2019

Journal d'une forme de chanvre



sardines, vinaigre de Xérés, huile de chanvre
Batavia assaisonnée huile de chanvre et vinaigre de Xérés, sardines sablaises grillées


Vendredi, Monsieur m’a léchée d’abord avec la curiosité de la nouveauté, puis voluptueusement.
« Tu sens l’herbe fraîche et la noisette », m’a-t-il dit. Puis est arrivé le hautain Vinagre de Xeres. Notre union n’a pas manqué de sel ni du piment ajouté par un poivre aphrodisiaque.
Mais ce n’était pas fini, Batavia s’est jointe à nous. Les joues rougies par la honte elle n’arrêtait pas de seriner « Qu’est-ce qui va m’arriver ? ». J’ai préféré ne pas lui répondre, de toute façon elle est dure de la feuille.
Et tout ça sous l’œil lubrique de sardines bien échauffées…

Je n’aurais jamais dû quitter ma ferme de Mirebeau !

lundi 14 octobre 2019

Aller-retour vers le passé

Ne voilà-t-il pas qu’un verre de bernache me fait entrer dans les couloirs du temps !



Je vais au marché, et une paysanne me propose des pêches de vignes, pas de celles vendues désormais par les marchands de primeurs ou les supermarchés, non, des vraies, celles que l’on cueillait sur l’arbre entre deux rangées de ceps, un peu aigrelettes et parfaites pour calmer la soif sous le dernier soleil d’automne.


pêches de vigne
Avoir la pêche


J’en croque une, mordant dans la peau finement duveteuse, et retrouve des parfums oubliés.


Puis, de retour à la maison, je soulève le couvercle d’une vieille maie et découvre deux vieilles bouteilles d’eau-de-vie.

La première est une bouteille de mirabelle alsacienne de 1959, distillée à partir de prunes récoltées dans la famille.


eau-de-vie de 1959
Respecter l'étiquette ?


Je la sors avec l’intention d’y goûter. Puis, au moment d’enlever le bouchon, j’arrête mon geste. Quelle déception si je n’y retrouvais pas les fragrances d’antan ! Et ne serait-ce pas sacrilège de mettre fin à cette retraite de six décennies dans le noir, loin de l’agitation du monde ?
Alors depuis cet instant je suis déchiré entre ma curiosité et la peur de l’irréparable…

Pour la seconde bouteille, une eau-de-vie distillée par mon grand-père en 1963 à partir des fruits du grand jardin de sa maison à Chilly-Mazarin, où la quiétude des planches de légumes – dont les ventrus choux quintal qui lui servaient à préparer la choucroute dans le tonneau de sa fabrication – et des pruniers, cerisiers, abricotiers, n’était troublée que par le survol des Constellations venant de décoller d’Orly, je ne me suis même pas posé la question open or not open.


eau-de-vie, 1963
Gnole de banlieue


Cette pièce improbable d’une eau-de-vie banlieusarde contenant la sève d’un lieu si chargé de souvenir pour moi doit être conservée comme une relique.

samedi 12 octobre 2019

Conte de la mille et deuxième nuit

Le sultan avait convoqué son cuisinier.
« Sache que je suis las de ta façon de préparer les aubergines.
- Sa Majesté est bien sévère envers moi, j’ai vu un imam se pâmer de plaisir en les dégustant. Oserai-je rappeler que cette recette m'a été dictée par Allah durant mon sommeil. À mon réveil je savais enfin comment préparer les aubergines les meilleures du monde. Je fris les aubergines fendues en deux et scarifiées dans de l’huile d’olive. J’émonde et épépine de bonnes tomates charnues et les fais compoter en les parfumant de thym, d’origan, de romarin, d’ail, de poivre à queue, de clou de girofle, de cannelle et d’un trait de vinaigre balsamique. Je sale et rehausse de quelques gouttes de Tabasco. Puis je mets à fondre dans de l’huile d’olive les pétales obtenus en partageant un gros oignon blanc, les parsemant de fleur de sel et les colorant d’une pincée de curcuma. Je recouvre les aubergines étendues au fond d’un plat d’une couche de tomate suivie d’une couche d’oignon. J’arrose du jus d’un demi-citron et d’un trait d’huile d’olive et j’enfourne pour une trentaine de minutes à 170 °C. Il me faut bien du courage pour ne pas me jeter dessus et priver Sa Majesté du bonheur de les déguster tant l’odeur me fait saliver quand je sors le plat du four, mais je me contente de répandre quelques dernières gouttes de jus de citron et de la meilleure des huiles d’olive avant d’apporter cette merveille sur votre table, car je sais que le privilège de servir Sa Majesté est un bonheur encore plus grand !


imam bayidli
Imam bayidli


- Il n’empêche que je suis las, et que si tu ne revisites pas ta recette, tu risques de te retrouver eunuque de troisième classe et de te consacrer à présenter des plateaux de loukoums à ces dames du harem, et, crois-moi, elles ne sont pas commodes…
- Très haut, très excellent, très puissant, très magnanime et invincible prince le grand empereur des musulmans, sultan vénéré, en qui tout honneur et vertu abonde, je n’ai point d’autre souhait que de satisfaire Sa Majesté, mais comment avoir l’outrecuidance de modifier une recette ma sha Allah…
- Je l’admets volontiers, ta recette est bonne, et, vu sa source, il ne pouvait en être autrement. Mais, pour tout dire, quand je la mange je ne puis m’empêcher de penser qu’il manque quelque chose pour que mon plaisir soit complet. Je ne suis pas un de ces imams qui vivent d’amour d’Allah et d’eau fraîche. Il m’en faut plus pour me pâmer. Il me manque, oui, il me manque de la viande…
- Ô que je suis reconnaissant envers Sa Majesté de m’éclairer la voie à suivre par sa sublime parole. Mais oui, je me suis réveillé trop tôt, Allah n’avait pas fini de me dicter la recette. Je vais courir vers ma cuisine afin de me consacrer à reconstituer avec mes pauvres moyens ce qu’il n’avait pas eu le temps de me transmettre… »

C’est ainsi que le cuisinier du sultan, de retour au milieu de ses casseroles et de ses poêles, se met à cogiter.

Que vais-je donc préparer comme viande ?
Un petit tour au marché. Tiens, il y a des beaux petits filets de canette… Ça devrait faire l’affaire.
Mais quelle sauce pour les accompagner ? Je ne vais tout de même pas les servir dans le simple appareil d’une nudité qu’on vient d’arracher de son gril… Il faut rester dans des tonalités compatible avec ces aubergines « imam bayildi ».
Mon regard tombe sur un pomelo rose qui trône dans la corbeille de fruits. Parfait, cet agrume ! J’en prélève le tiers sous forme de suprêmes que je découpe en dés, et presse le restant pour en tirer le substantifique jus. Je verse le tout dans une poêle, délaye une pincée de fécule, ajoute une cuillerée de balsamique blanc, une cuillerée de sauce Worcestershire, une petite cuillerée de vergeoise brune ainsi que des grains de cardamome verte extraits de leurs capsules. Je place sur le feu et laisse réduire de moitié. J’obtiens une belle sauce sirupeuse et parfumée que je rehausse d’une pincée de piment d’Espelette.
Je pose sur le gril bien chaud les filets de canette et mène la cuisson afin d’obtenir une peau croustillante et conserver un cœur rosé.
Les aubergines ont repassé au four, je les dispose sur l’assiette, place à leur côté les filets tranchés sur une planche après les avoir laissé reposer quelques minutes. J’arrose la viande de la sauce au pomelo. Quelques feuilles de pimprenelle viennent ajouter une touche verte au milieu de ce camaïeu orangé.


imam bayidli, filets de canette, sauce au pomelo
Les parfums de l'Orient



« Je viens proposer ce produit élaboré dans la soumission aux ordres de Sa Majesté à sa bienveillante appréciation. Que Sa Majesté sache que pour la satisfaire je me suis mis en quatre, en huit, en seize, que dis-je en…
- Arrête toi avant d’arriver à la poussière et de risquer d’être victime d’un coup de balai. D’ailleurs il n’y a que le résultat qui compte »
Le sultan s’empare de sa fourchette à deux dents en or massif et de son couteau au manche d’ébène à la lame damassée.
« Voyons voir…
- Je vous souhaite bonne dégustation.
- Ne la trouble pas avec ton verbiage ! »
Le sultan porte une bouchée vers ses lèvres.
« C’est pas vrai, je viens de faire une tache de sauce sur mon calfan ! »
Le cuisinier n’en mène pas large. Mais le sourire renaît sur la face du sultan.
« Toutefois ce n’est pas grave, ce qui me chagrine, c’est que cette sauce soit sur mon linge plutôt que sur mes papilles… »
Le cuisinier reprend espoir.
« Bravo ! Tu as satisfait à mon désir. Tu deviendras eunuque de première classe et tu serviras des baklavas à ma favorite. Ainsi tu connaîtras régulièrement du changement.
- Mais, mais…
- Pfft, arrête donc d’oviniser Après tout ce sont Allah et moi qui t’avons dicté les recettes. Et puis on m’a dit grand bien d’un chef parisien, je veux l’embaucher afin de découvrir de nouvelles saveurs. Ras le çanak de la cuisine locale !!! »
Deux janissaires emmenèrent de force le pauvre cuisinier qui hurlait son désespoir et sa colère.
« Et pourtant elle n’a pas tourné, ma sauce ! Je ne veux pas être coupé ! »
Le sultan finit son assiette et sauça même avec un morceau de pain pide.
« Et maintenant, que l’on me serve mon kahvesi. Et fissa ! », s’exclama-t-il après un magnifique rot de satisfaction.

Et c’est ainsi qu’Allah est grand, pour reprendre la conclusion des chroniques d’Alexandre Vialatte…

mercredi 9 octobre 2019

D’une étonnante similitude de comportement entre palaemon serratus et zea mays everta

Quelques jours après avoir pu me procurer les remarquables gambas vivantes des marais charentais, plus exactement des crevettes impériales, j’ai découvert sur l’étal d’un poissonnier de mon proche marché de Touraine une cagette où frétillaient de belles crevettes bouquets encore pleines d’énergie. Il ne m’est pas souvent permis de rencontrer de tels produits, aussi je n’ai pas hésité à m’en procurer une grosse poignée, salivant d’avance à l’idée de m’en régaler.
De retour à la maison après les avoir transportées dans un pochon de plastique percé de quelques trous afin d’éviter l’asphyxie, je les ai transférées dans une boîte de fortune, récipient de yaourt de brebis mis à la retraite, privé provisoirement de son couvercle remplacé par un film transparent piqué par les dents d’une fourchette.



bouquets vivants
C'est le bouquet !



Quelques heures plus tard, j’ai sorti cet asile temporaire du réfrigérateur.
Le froid a un peu endormi les bêtes, mais la chaleur de la cuisine ne tarde pas à les réanimer, aussi je me dépêche de les jeter dans le sautoir où une petite noix de beurre demi-sel commence à devenir noisette.
Mais aussitôt il me faut coiffer le sautoir de son couvercle, car les crevettes sautent façon pop-corn en présence de la chaleur, beaucoup moins stoïques devant cette contrariété que le fakir moyen.


..encore que


Quelques secondes plus tard cette manifestation est réprimée, les bouquets commencent à passer au rouge, j’enlève le bouclier protecteur. Désormais c’est à moi de m’agiter le sautoir à bout de bras afin que la coloration soit uniforme. En moins de deux minutes je peux retirer du feu et verser les bouquets dans un plat.


crevettes bouquets
Bouquets pas fanés


Tout est déjà prêt pour un apéritif gourmand : l’anisette est versée dans les verres et des olives lucques attendent de se faire mordre.


lucques, crevettes
C'est l'heure de l'apéro


Ce fut bien bon, cette pause. Mais il me reste à poser dans la poêle les deux rougets que j’avais préparés auparavant : écaillés, vidés en conservant les foies que je déposerai à côté des poissons en fin de cuisson. Je les avais repérés, bien roides et l’œil encore vif, non loin des bouquets vivants.
Les rougets assaisonnés de fleur de sel sont saisis dans un mélange d’huile d’olive et de beurre durant quelques secondes sur chaque face au milieu d’herbes aromatiques que je viens de cueillir dans la cour. Puis j’enfourne six ou sept minutes à 160 °C. Un tour de moulin de poivre rouge (ça tombe bien… !) et je dépose les rougets sur les assiettes avec à côté leurs foies, les arrose du jus baignant le fond de la poêle.


rouget barbet
Rougets (de l'île ? )


À côté, rafraîchissante, une salade de tomates – toujours de notre dernière récolte…
Finalement, je n’ai pas à rougir de ce repas en déclinaison érubescente…

samedi 5 octobre 2019

Entre entrecôtes

Parcourant mon marché poitevin, je m’aperçois que mon farci poitevin préféré trône - une fois n’est pas coutume- sur l’étal de ma marchande détestée, celle qui en l’absence de ce produit se justifie en affirmant que c’est trop fatigant à faire, et quand il y en a, le vend à un prix supérieur à celui de l’étiquetage qu’elle modifie illico presto quand elle nous voit faire demi-tour pour demander des explications – « Oui, je m’étais trompée dans l’affichage… ». Heureusement son mari (le pôvre !) est là lui aussi aujourd’hui, et tous deux sont en train de servir des clients. Je prie le ciel que ce soit le mari qui en finisse le premier.
Alléluia, je suis exaucé, il ferme son tiroir-caisse et se tourne vers moi. Je puis partir sans être escroqué avec dans mon caddie une belle tranche de farci bien dosé sans excès en lard gras dont nous nous délecterons ce soir, masse d’un vert profond tachetée de blanc et dégageant moult saveurs herbacées, non seulement celle du chou comme c’est hélas presque toujours le cas pour les autres farcis.


Je poursuis vers le coin opposé des petites halles où ma côte de parthenaise préférée trône – comme toujours- l’étal de mon boucher préféré, celui qui me pare avec maestria son excellente viande. Hélas celui de ses garçons bouchers par lequel je déteste être servi officie à ses côtés… Je prie le ciel que ce soit le patron qui en finisse le premier.
Enfer et damnation, le pithécanthrope sournois se tourne vers moi. Je viens de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Einstein, Dieu joue à pile ou face… Je tâte le terrain par une requête simplissime : un morceau de saucisson à l’ail maison – celui dont nous régalons car il en émane un bon parfum d’ail frais. C’était déjà trop demander, bien entendu il tente de me refiler un vieux rogaton qui traîne dans un coin, poursuit le massacre en entaillant prématurément la belle pièce neuve que je viens d’exiger avant que je puisse lui indiquer la longueur souhaitée. Ça commence bien ! Bêtement, je poursuis avec ce malfaisant, il faut dire que mon envie carnivore est la plus forte et peut être que la présence rassurante du farci parmi mes courses m’entraînent vers une indulgence coupable, toujours est-il que je m’entends lui réclamer une entrecôte, alors qu’un stupide « C’est pour combien de personnes ? » alors que je refusais le lamentable débris prédécoupé qu’il me proposait m’avait incité naguère à m’éloigner le cabas vide.
Ne voilà-t-il pas que le même scénario se reproduit ! Ai-je vieilli ? Cette fois-ci je ne tourne pas le dos, j’insiste. D’un air excédé, il sort une pièce de viande, et avant que je puisse réagir, me tranche d’un geste plus prompt qu’habile, une fine tranche qu’il étend sur un papier pour me la brandir sous le nez. Et c’est une tranche de faux-filet ! Pour tout dire, je ne suis pas porté vers le faux-filet. Ni d’ailleurs le faux en général. Qui ne préfère l’ami au faux-ami, le jeton au faux-jeton ou même le cul au faux-cul ? Il commence à m’énerver, le bougre. « Je ne veux pas un faux- filet, je veux une entrecôte ! Je hais le faux-filet, je le hais presque autant que les départementales, je veux une entrecôte, UNE ENTRECÔTE !!! ». Je montre du doigt le magnifique train de côtes à la chair cramoisie et à la graisse d’un blanc immaculé. « Ah, non, ça, c’est pour les côtes de bœuf ! » s’indigne le louche louchébem. Et, d’un air résigné, il entame l’autre face de sa bidoche, non sans m’avoir prudemment demandé l’épaisseur que je souhaitais – on en fera peut-être un garçon boucher convenable si les petits cochons ne le mangent pas, et me présente une pièce qui ressemble vaguement à une entrecôte, en plus moche. J’en ai marre, je capitule, je m’éloigne avec dans mon caddie une viande dont j’ai la crainte de ne pas me délecter le jour prochain où je la mettrai sur le gril.


Le surlendemain, il se trouve que faisant une visite au supermarché de la petite ville voisine pour un réapprovisionnement en produits de première nécessité, je n’ai pu m’empêcher de jeter un œil sur le rayon boucherie. Vision étonnante (enfin pas tant que ça, car au gré des périodes et du turn-over du personnel on alterne le pire et le meilleur), un beau train d’entrecôte, dont un panneau m’indique qu’il provient d’une bête de race limousine élevée par un agriculteur de la Vienne dont la ferme n’est pas loin de ma villégiature. Aussitôt me passe par la tête une envie de comparatif. Cette fois-ci, ce n’est pas le collectionneur compulsif de chihuahuas nourris aux croquettes dont j’ai conservé un souvenir marquant qui assure la découpe, mais un jeunot sans doute tout frais émoulu de sa formation, dont le profil émacié pour ne pas dire anémié ne laissait en rien deviner sa profession. Rien de la caricature couperosée qui opérait au marché. Cependant il me tranche et pare l’épaisseur demandée avec aisance, et je m’éloigne tout content avec mon entrecôte, disposant désormais des éléments pour effectuer un comparatif dont je souhaite secrètement qu’il tournera en défaveur de la fausse-entrecôte.


COMPARATIF


La parthenaise

La viande apparaît sombre, presque noire par endroits, à la sortie du réfrigérateur après trois jours de stockage. Normal, elle s’est desséchée, car elle a été emballée dans un papier trop étroit – un méfait de plus. Elle n’en a pas pour autant abandonné sa bonne odeur…

PARTHENAISE






La viande est savoureuse et tendre, juteuse, avec cependant de la mâche. Elle offre relativement peu de graisse, mais beaucoup de déchets.




La limousine

La viande est bien rouge après deux jours de stockage. Quant à elle, elle se trouvait dans un sachet scellé…

LIMOUSINE
 

,


La viande est savoureuse et tendre, mais d’une texture très différente de celle de la parthenaise, plutôt fibreuse, se rapprochant de celle d’un onglet. Il y a une bonne quantité de graisse fondante et goûteuse. La quantité de déchets est assez faible.





Résultats :
Gustativement, les deux pièces offrent une satisfaction équivalente, bien qu’avec un caractère nettement différent. On peut simplement regretter pour la parthenaise une découpe mal située, qui nous a privés d’un nec plus ultra.

vendredi 4 octobre 2019

Aujourd'hui, c'est pas pal

Suite à quelques publications malencontreuses


poulet sur le pal
gambas sur les pals
 

risquant de me donner l’image d’un grand empaleur devant l’Éternel, mon conseiller de com m’a invité à une action propre à estomper ce visage pal. Aussi, peau rouge de honte, je fais acte de repentance.
Mes gambas vivantes ont en conséquence échappé à l’introduction intempestive d’un corps étranger, quitte à les priver de la fière rectitude qui leur conférait une allure quasi hiératique dans l’assiette. Cette fois-ci je me suis contenté de les balancer directement sans autre forme de procès -et encore moins de supplice- dans un bain de beurre demi-sel mousseux en compagnie de quelques tomates cerises. Elles ont pu s’y ébrouer quelques secondes à leur aise avant leur dernier sommeil.
Une fraîche persillade est venue les parsemer. J'ai même eu la délicatesse de disposer quelques fleurs…


gambas vivantes
Gambas locavores


C’est mon chargé de com qui va être content !

mercredi 2 octobre 2019

Comment faire bonne chair sans vraiment se fatiguer

J’ai aperçu sur l’étal du boucher charcutier un bac empli de chair hachée sur laquelle était fichée une étiquette : « FARCE PORC ET VEAU ». Comme j’avais ajouté dans mes bagages la dernière récolte de tomates du jardin, comme je regrette souvent de ne pas disposer de veau haché, comme je revendique le droit à la paresse - surtout quand je suis en villégiature-, je me suis empressé d’acheter une livre de cette bienvenue préparation afin de farcir les plus gros exemplaires de cœurs de bœuf.
Le maître des lieux m’a confirmé que cette chair était déjà bien assaisonnée par ses soins. Ses charcuteries et plats maison sont toujours de haut goût - ce qui n’est pas hélas toujours le cas chez tous les artisans en ces terres où les habitants me semblent avoir la papille frileuse-, aussi je lui ai fait confiance et me suis contenté de creuser les tomates et y insérer la farce telle quelle.
J’ai posé ces tomates farcies sur un lit d’herbes aromatiques cueillies dans la cour recouvert de l’abondante chair provenant des cavités, et zou, cinq gousses d’ail fraîchement récolté, une bonne pincée de sel et quelques grains de poivre ainsi qu’un clou de girofle. Je savais que beaucoup de jus en sortira, mais tant mieux, nous, on aime !
Quarante-cinq minutes au four à 180 °C, et c’était prêt.


tomates farcies
Coeurs de boeuf, chair de porc et de veau


Il ne restait plus qu’à poser les tomates sur les assiettes arrosées de quelques cuillerées de jus et tomate compotée prélevées au fond du plat.

tomates farcies
La possibilité d'une île


Pour ma part je me suis régalé. Il paraît que mes farces sont encore meilleures.
Possible, mais celle-ci m’ajoute certes le goût de la facilité mais surtout celui de la découverte. Et pas de repentirs sur ce que je n’ai pas mis ou ce que je n’aurais pas dû mettre…

mardi 1 octobre 2019

Bernache, bernique !

Je viens d’arriver sur mes terres poitevines…
Je pensais y effectuer une cure uvale. Aussi, la voiture à peine déchargée, j’ai repris le volant pour me rendre chez le caviste de la petite ville voisine afin de me procurer la bernache propre à accompagner les rillons et les rillettes de mon petit boucher charcutier favori. Mais le repas traditionnel simple mais festif saluant mon retour automnal en terre ancestrale a dû se passer du breuvage tant attendu. La bernache nouvelle n’est pas arrivée, quant à elle ! On l’attend pour les prochains jours.
J’ai dû me résoudre – sans trop de tristesse néanmoins- à déboucher une dive bouteille de chinon, qui a effectué le miracle de me faire oublier l’absente bernache.


Le surlendemain, autre déception en parcourant mon petit marché tourangeau : c’est la période des naissances ovines, et point de ces tomes goûteuses de brebis ni de ces yaourts crémeux, le berger a d’autres occupations. Un petit panneau indique que tout reprendra son cours en décembre. Mais alors c’est moi qui ne serai plus là…

Une bonne surprise cependant : un marchand de fruits de mer, dont le déclin attristant de la qualité de son offre m’avait fait abandonner une fréquentation quasi hebdomadaire pendant mes villégiatures, semble avoir repris du poil de la bête (si tant est que les huîtres aient des poils) comme en témoignent à la fois la vue de son étal et la renaissance de ces files d’attente de clients qui m’agaçaient et me rassuraient tout à la fois. Il faut encourager la bonne volonté, alors je me suis senti obligé de me lancer dans l’achat non prévu d’un petit plateau de fruits de mer.
Le soir, je me suis donc attelé à l’ouverture des huîtres, une douzaine de fines de claire et une demi-douzaine de spéciales. En les disposant sur le plat en compagnie des palourdes, des crevettes grises et bouquets d’Oléron, je ne peux m’empêcher de songer au plateau de fruits de mer servi il y a quelques jours par ma fille en entrée du repas qu’elle nous avait préparé.


plateau de fruits de mer
Amateur



plateau de fruits de mer
Pro



Je glisse sur la même pente comparative à propos du plat servi ensuite, un poulet rôti au couscous parfumé sur son lit de patates douces à la façon de Jamie Oliver.
(Un poulet farci de graines de couscous brassées avec dattes, abricots, figues, raisins, pignons de pin, amandes, menthe et persil plat grossièrement hachés, le zeste et le jus d’1 orange et d’1 citron, 2 cuillerées d’huile d’olive et imbibées par 1 verre d’eau tiède, puis badigeonné d’huile d’olive et enrobé d’épices écrasées au mortier avec du gros sel (graines de fenouil, graines de coriandre, graines de cumin, graines de cardamome, cannelle, grains de poivre noir), enfin posé sur un mélange de pommes de terre et de patates douces pour être enfourné 30 minutes à 190 °C et ensuite 1 heure à 170 °C.)



Poulet Jamie Oliver
Amatrice

Poulet Jamie Oliver
Pro



 
Ben, là, la différence n’est pas flagrante…

Quant au Tourment d’Amour qui était ma contribution à ce repas, il est difficile de trouver une référence vraiment pro, car il s’agit d’un dessert ménager, même s’il est proposé par certaines boutiques.


tourment d'amour
Amateur


tourments d'amour
Pro


 
La recette en est simple. Il s’agit d’un fond de pâte brisée recouvert d’une couche de confiture de noix de coco, éventuellement une couche supplémentaire de confiture de fruit – en général de goyave- pour finir par une pâte à génoise.
Pour ma part, bien que cette pâtisserie soit en général présentée sous forme individuelle, je l’ai réalisée en grand format à partager. Hérésie ? Pas forcément, plutôt un retour vers la genèse si j’en crois cet excellent article fort documenté :
 
 
Je me suis inspiré de la procédure décrite avec dynamisme sur le site Prez K Facile.



N’ayant pas trouvé de confiture de goyave, je l’ai remplacée par de la confiture de banane et agrumes.

tourment d'amour
Tourmenté



Pas mauvais, ce tourment, bien qu’un peu trop sucré à mon goût…
Et pour une fois qu'il y a vraiment de l'amour dans une préparation, même si ce n'est que dans  le nom !