jeudi 27 février 2020

Veau très...

Veau très ficelé.
Veau très blanc.
Veau très sauté sur toutes ses faces au fond d’une cocotte dans un peu d’huile d’olive et de beurre en compagnie d’un os.
Veau très content de se vautrer sur l’échalote hachée qui l’a remplacé momentanément, suivie par les pommes de terre du jardin et les tronçons de carotte qui viennent d’être blanchies cinq minutes dans l’eau bouillante salée.
Veau très trempé par le verre de sauvignon versé sur lui.
Veau très parfumé par le bouquet garni allongé à ses côtés, les gousses d’ail, les grains de poivres (Voatsoperifery, blanc de Penja et long), le clou de girofle et le tour de moulin de muscade.
Veau très surpris par une pincée de fleur de sel.
Veau très coiffé par le couvercle.
Veau très dans la moiteur pendant une trentaine de minutes.

rôti de veau, pommes de terre, carottes
Retournement à mi-étape



Veau très content d’être libéré de ses ficelles.
Veau très mécontent d’être découpé.
Veau très cuit.

rôti de veau
En route vers la table


Veau très bon quand même.

Et moi, et moi, et moi…
Vautré sur le canapé pour une bonne sieste digestive.

mardi 25 février 2020

Rien de tielle

Ça m’apprendra !
Je me suis fié à ma mémoire liée à l’improvisation, et voilà le résultat : une tielle difforme qui n’en est pas vraiment une.

tielle, Azaïs Polito
Telle est ma tielle


Pourtant la préparation de ce plat devait être le comble de la facilité, car je disposais d’une garniture toute faite. Il s’agissait d’un bocal préparé par l’excellente conserverie Azaïs Polito.



D'ailleurs, mes jours de flemme culinaire, il m’arrive de temps à autre de me régaler des Encornets farcis à la Sétoise, de la Soupe de poissons frais "petite pêche" ou des Seiches à la Provençale.
L'histoire est simple : après une déception amoureuse avec une tielle rencontrée chez mon poissonnier, et dont les rondeurs aérophagiques masquaient une constitution famélique, ma réaction fut de gaver moi-même ma tielle chérie. Comme ce n’est pas la saison de la tomate, une nourriture pour tielle du commerce devait faire l’affaire - en la choisissant de qualité. De toute évidence, ma maison sétoise devait faire l'affaire.

La veille de l’action, je sors mon bocal du placard et je vérifie dans des sources diverses la nature de la pâte qui enveloppe la garniture de cette spécialité sétoise. Il s’agit bien de pâte à pain. Je rejette d’emblée le badigeonnage au jaune d’œuf qui ne correspond en rien à l’esprit du produit, mais retient la coloration avec du Spigol et la présence d’huile d’olive.
Après ces lectures, je pense que le déroulement futur est dans ma tête. Y a plus qu'à...


Le moment est venu.

Et là j’accumule les erreurs :
> Pour la cuisson, je choisis un cercle de 18 cm de diamètre et 4,5 cm de haut. Ce n’est pas assez large - j’ai découvert le lendemain dans la recette préconisée par Azaïs Polito que je n’avais pas pensé à consulter que la quantité correspond à un moule de 28 cm - donc la couche de garniture n’est pas assez étalée. Et c’est trop haut : la pâte repliée, bien que dépassant à peine les bords, fournit un trottoir excessivement épais.
> Je n’ai pas de Spigol sous la main, je le remplace par des filaments de safran. Ça, c’est plutôt bien. Mais c’est dans de l’eau que je trempe mes filaments, une eau devenue dorée dont je badigeonne le dessus de la tielle. Grave méprise, car c'est à cette infusion flavescente et à des coups de pinceaux sans modération que devait être destinée l’huile d’olive. Et c'est dans le pétrissage de ma pâte à pain que je l'ai introduite, alors qu’elle n’a rien à y faire...
> Je ne perce le dessus que de deux coups de fourchette, ce qui n’offre pas assez d’issues. Le couvercle de pâte se soulèvera et la couche d’air empêchera le contact avec la sauce tomate. Mais comme de toute façon l’huile n’est pas là !

tielle
Avant le four


> Je cuis ma tielle dans le four à 180 °C, ce qui est insuffisant pour la pâte à pain qui se dessèche, d’autant plus que j’ai omis d’introduire un récipient empli d’eau afin de maintenir l’humidité.


Résultat, une garniture abondante, mais dont la présence d’une pléthore de pâte à pain sans moelleux.
De plus le parfum de safran est quasi inexistant, bien que j’aie ajouté l’excédent d’eau de dorure à la garniture.

tielle, pâte à pain
...aux bords cannelés, marqués de quignons (Wikipedia)


Eh oui, une nouvelle fois ma tielle adorée (et à dorer) m’a déçu !

Curieusement le reste réchauffé le lendemain était nettement meilleur, avec sa pâte ramollie et les fragrances des filaments de safran sorties des limbes où elles s’étaient cachées primitivement, je ne sais pourquoi.
Je me promets de lancer une nouvelle Opération Tielle, et pourquoi pas en en réalisant la garniture – quand les tomates prospéreront dans le jardin.

jeudi 20 février 2020

Yeti, yeti pas ?

Hélas, mes connaissances en langue basque sont quasi nulles, sinon j’aurais hésité avant de soulever la capsule qui scellait cette bouteille :

Basa Jau, cidre basque


Pourtant, c’était bien inscrit sur l’étiquette : Basa Jaun

Rien d’étonnant alors à ce que s’échappe du flacon magique un génie poilu dont la tête hirsute frôlait le plafond de ma salle à manger soudain devenue toute petite.

Basa Jaun


Ma première frayeur passée, je me suis réjoui. Le bougre n’avait pas l’air hostile, et même si j’entendais quelques grognements, je n'y ressentais rien d’inamical - pas plus que quand un Béarnais roule les r…
Youpi, j’étais l’Aladin postmoderne !!! 
Je n’avais plus qu’à gérer mes vœux.

Premier vœu :
« Ô, bienveillant Basa Jaun devenu mon serviteur, ne prends en compte mes souhaits qu’après confirmation ! »
C’est vrai qu’avec une langue qui fourche ou une impulsion non contrôlée une catastrophe est vite arrivée….
Mais macache, je vois mon yeti des Pyrénées me regarder avec des yeux ronds. Ouais, restait quand même un problème de langage.
Une solution, le mime.
Je pointe un index vers ma bouche, remue les lèvres, puis dirige ce doigt vers lui, me colle la main en conque contre l’oreille - pourvu qu’il ne s’imagine pas que je vais entonner un chant folklorique- avant de frapper le sommet de mon crâne avec la paume.
Cet homme des bois est plus rapide d’esprit qu’il n'en a l’air. Il lève les bras vers le ciel et agite la tête dans une dénégation désolée.
Je hausse mes deux mains paume en avant à hauteur de torse pour exprimer que ce n’est pas grave et que je vais me débrouiller quand même. Il a compris, il opine du chef.
Je reformule mon vœu : je dirige à nouveau mon index vers lui pour qu'il comprenne qu'il s'agit de lui, tout en me mettant à genoux et en faisant des courbettes, puis je me désigne, exhibe une poigne serrée - je m’ébahis moi-même de l’autorité qui émane de moi -, enfin effectue une rotation horizontale de l’avant-bras droit pour suggérer les recommencements avant d’en quantifier le nombre par un index et un majeur brandis.
Là je ne suis pas certain qu’il ait compris toutes les subtilités de mon discours. En revanche son axe principal, si. Je le vois froncer les sourcils, puis reproduire le début de ma gestuelle, tel un miroir 3D, en différé et les poils en plus.
Force m’est de comprendre que la situation est toute autre que je ne me l’imaginais. C’est moi qui dois concrétiser les vœux du bon (?) géant qui me paraît désormais moins sympathique.

Mais voyons déjà  ce qu’il souhaite...
Je lui fais signe que je l’écoute en portant ma senestre vers l’oreille.
Le monstre des Pyrénées me mime une escalade, puis une redescente. Ben oui, rien d’étonnant, c’est un montagnard, ça je le sais déjà. Mais il continue. De la pointe de ses deux index, il poursuit des larmes fictives qui coulent sur ses joues. Il place une main en visière comme un loup de mer qui scrute l’horizon. Il enchaîne en tanguant de droite à gauche, extrait une pincée de la salière qui se trouve sur la table à côté de lui, se la verse dans le gosier, puis refait mine de pleurer, terminant en levant les bras au ciel et en faisant non de la tête.
Je crois que j’ai pigé : il se plaint de n’avoir jamais vu l’océan. Je vais chercher une carte postale que j’ai reçue d’Audierne l’été dernier : vue de la baie des Trépassés et l’agite sous son nez.



Son visage s’illumine, c’est bien ça.
Je le vois tourner un volant imaginaire. Il n’imagine tout de même pas que je vais l’emmener au bord de la mer, manquerait plus que mes sièges ne soient envahis de poils ! Je me retiens pour ne pas lui adresser un bras d’honneur, mais quand les monstres pyrénéens disent certaines choses, les citadins les écoutent. Et ils rusent. Je pose l’index sur mon front, prends un air complice en clignant de l’œil et lui fais signe d’attendre.
Quelque temps plus tard, je reviens avec du goémon et des huîtres que je me dépêche d’ouvrir, car je sens que mon Basa Jaun s’impatiente.

Ouf, quand j’arrive avec mon plateau je vois que son visage s’illumine...




Basa Jaun et les huîtres, c’est une histoire d’amour qui commence.

samedi 15 février 2020

Quand Harissa rencontre Salvia

La boucherie arabe à cent mètres de chez moi vient de fermer définitivement.
Comme prévisible, le patron parti en retraite n'a pas de successeur. Des six bouchers qui avaient pignon sur rue dans mon quartier, il n’en reste plus qu’un désormais, et comme par hasard le plus lointain de mon domicile…

Mais gloser sur cette triste dérive, tel n’est pas mon propos.

Ce que je regrette surtout, ce sont les merguez parfumées que cet Algérien confectionnait, ses bouquets de coriandre fraîche qui me dépannaient et ses petits pots de harissa artisanale bien plus odoriférants que la pourtant honnête harissa Le Phare du Cap Bon, quant à elle trouvable en tout supermarché.
Alors, en quête d’un produit capable d’assurer la relève, j’ai acheté auprès de la maison de bonne renommée Bahadourian trois pots de sa Harissa Berbère.



Las, quand je l’ai goûtée, rien à voir selon moi avec de la harissa ! Ce produit est très fluide, et, au goût, donne l’impression d’une sauce tomate relevée, un parfum végétal de piment doux étant trop présent. Pas mauvais, mais je ne me vois pas en déposer un petit tas sur un coin de l’assiette pour en tartiner une bouchée d’agneau grillé…
J’ai donc décidé de la recycler dans des usages plus adaptés à son caractère.
Ma première tentative est de la destiner à parfumer des araignées de porc.
Pour désamorcer toute fatwa qui pourrait être lancée contre moi, je tiens à rappeler que Saint Augustin était un Berbère, même si, je le concède, il n’a pas gardé les cochons avec Saint Antoine.

Mais revenons à nos araignées…
Je les ai laissé mariner une nuit dans cette harissa.
Je fais suer des pétales d’échalote saupoudrés de sel fin au fond d’une poêle dans une cuillerée d’huile d’olive.

échalote, araignée de porc, gnochi, harissa
Après la course à l'échalote..


J’étends mes trois araignées barbouillées que j’ai partagées en deux, et je les saisis sur les deux faces.

araignée deporc, harissa
La  jalousie des barbouillées


Je laisse la harissa légèrement caraméliser, puis j’arrose d’un verre de sauvignon.
J’ajoute quatre gousses d’ail hachées finement, une cuillerée de persil ciselé et une feuille de laurier. Enfin je fais plonger sept feuilles de sauge du jardin qui viendront ajouter leur parfum.



Je laisse réduire à feu moyen.

arignées de porc, harissa
Pour avoir une réduction...


Quand le liquide a diminué de moitié, je plonge des gnocchis dans de l’eau bouillante salée.



Je les sors au bout d’une minute à l’aide d’une araignée (en inox !) pour les transférer dans le liquide restant de la poêle où ils finissent leur cuisson.
Il ne me reste plus alors qu’à éteindre le feu, donner un tour de moulin de poivre rouge, faire pleuvoir quelques gouttes d'une huile d'olive herbacée et parsemer du reste de persil ciselé.

araignée de porc, gnocchi, harissa, sauge
Araignée de porc, accord !


Les joues restées tendres et juteuses ont conféré de l’onctuosité à la sauce pimentée sans excès.
Mais surtout Harissa et Salvia ont pu constater dès leur première rencontre qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.

vendredi 14 février 2020

Nique l'amer

Sur la table, un peu plus de quatre kilos de bigarades. Quoi, qu’est-ce que ça veut dire, un peu plus ? Ben ça signifie 100 g à peu près. Toujours aussi précis ! Bon, 110 g ± 5 g, je suis désolé, ma balance ne sait pas mieux faire… Z’êtes satisfait maintenant ?



But du jeu - comme qu’on dit - : transformer ces agrumes empreints d’amertume en une suave marmelade.

Tiens, je vais me la jouer en prescripteur de recette…


MARMELADE D’ORANGES AMÈRES

Pour 4 kg de fruits.
Laver les fruits, choisis bios bien entendu.
Détacher l’écorce et la découper en lanières de 3 ou 4 millimètres que l’on entasse dans la bassine à confiture (en ce qui me concerne, ma bassine en cuivre est en train de se prélasser à la campagne, alors je me suis contenté d’un faitout en inox…). Si possible, agir en relais avec une tierce personne. Sinon prévoir une médication contre les crampes de la main

marmelade d'orangeamère
On ne manque pas de peau


Presser la chair afin d’en prélever le jus mélangé de pulpe que l’on versera sur les morceaux d’écorce.

marmelade d'orange amère
Pulpe réalité


Ne pas oublier de réserver les pépins

orange amère, bigarade
Collection de pépins


que l’on enfermera dans un nouet confectionné avec un carré de tissu taillé dans de la toile à beurre.

toile à beurre
Bon nouet, les petits !



Ajouter 2 kg de sucre cristallisé et 60 cl d’eau.
Arroser du jus d’un citron et parsemer de son zeste.
Bien brasser le tout, insérer le nouet et laisser reposer toute une nuit au frais.

marmelade d'orange amère
Bonne nuit, les petits !


Le lendemain, hacher fin un rhizome de gingembre et l’incorporer au contenu de la bassine.
Compléter de 1,5 kg de sucre et 25 cl d’eau. Bien brasser.

marmelade d'orange amère
L'ai-je bien brassée ?


Placer la bassine sur le feu et laisser cuire à feu moyen jusqu’à ce que les morceaux d’écorce deviennent translucides.
Vérifier la concentration en matière sèche soluble avec un réfractomètre, une méthode plus sûre que le trait sur la cuillère de mamie Ginette.

réfractomètre, confiture, Brix
Le Brix de la réussite


L’échelle indique 63 ° Brix. Il est temps d’arrêter la cuisson.
Il ne reste plus qu’à verser à l’aide d’un pochon la marmelade dans des bocaux ébouillantés que l’on refermera et retournera pendant quelques minutes.

marmelade d'orange amère
Dans la marmelade


L’usage d’un entonnoir adapté facilite bien les choses…

marmelade d'orange, entonnoir
Dans l'entonnoir


Au dix-septième bocal, le fond est proche. Bientôt la fin !

marmelade d'orange amère
Nouet naufragé


Et c’est ainsi que l’on se trouve détenteur de 19 beaux et excellents (j’ai goûté !) bocaux de marmelade.
Ne reste plus qu’à imprimer des étiquettes et les coller…

confiture d'oranges amères
Beau pot





mercredi 12 février 2020

Le retour d'Aster X

Il y a deux ans, quasiment jour pour jour, le règne d’Aster X avait été interrompu prématurément peu après la cérémonie du sacre par une révolution de palais.

http://sosgrisbiche.blogspot.com/2018/02/le-royaume-daster-x.html

Mais c’était sans compter sur sa ténacité : ce n’est pas qu’une oreille de cochon, c’est carrément une tête de cochon !
Eh oui, Aster demeurait bien planqué non loin de son pays natal. Il s’était fait oublier sous la protection de Saint-Christophe et d’un bocal.



Un Saint-Christophe que j’invoque volontiers quand je veux éviter de me mettre au fourneau, par paresse parfois, mais aussi pour me régaler d’une nourriture que je trouve d’autant meilleure qu’elle m’évade de mes tics culinaires mal contenus. Fameux, son pot’je vlees au genièvre ou à la bière et son waterzoï de poulet ou de poisson, succulents son pâté à l’Écume de Wimereux, son pâté de canard d’Amiens tout comme sa terrine de mouton de pré-salé aux baies d’argousiers, délectables les plus classiques poule au pot et veau Marengo

Aster attendait son heure. Et là il fait sa réapparition…
.
Mais fini désormais, le sacre en grande pompe ! Peu d’invités : seulement deux soles qui ne sont même pas venues habillées - pour plus de discrétion, elles se sont déguisées en meunières - et une certaine Agata qui a pris un bon bain chaud avant de participer à la modeste cérémonie.

sole meunière, aster maritime
Aster X et la dame d'honneur Dona Sole


Eh bien, croyez-moi si vous voulez, bien qu’aucune fuite envers les médias ne semblât possible, une nouvelle révolution de palais a mis en échec ce nouveau couronnement.
D’ici à s'imaginer que ça soit moi le traître…

J’assume.

dimanche 9 février 2020

En suivant l'haddock

Dépité par l’absence de haddock fumé dans le déroulement de mon Burns Night Supper, j’ai eu à cœur de réintroduire rapidement ce produit dans un de mes plats.
L’arrivée de quelques poireaux de la variété Bleu de Solaise récoltés dans mon jardin a fourni un prétexte à cette invitation.
Bienvenue, aiglefin !

Toutefois, il ne s’agissait pas du Smoked Haddock Fillet écossais.

smoked haddock, Ecosse
Visage pâle

Non, celui-ci n’était pas en V.O., mais en V.F. : HADDOCK CHEZ LES PEAUX-ROUGES.



Maquillé de rocou comme il était, impossible de lui redonner son premier rôle de HADDOCK  IN THE CULLENS KINK.

cullens kink
Cullen kinks


Je me suis contenté de plonger à froid ce haddock dans un tant pour tant lait/eau, puis d’arrêter la flamme quand ce mélange s’est mis à frémir.

haddock
Mi lait, mi l'eau


À côté, les poireaux blanchis dans l’eau bouillante salée se glaçaient au fond d’une poêle dans une noix de beurre et quelques gouttes de balsamique blanc.

poireau, bleu de Solaise
Tendres poireaux


Dressage on ne peut plus simple, terminé par un arrosage d’une cuillerée de beurre fondu et le dépôt d’un trio de caprons sur chaque assiette.

haddock, poireaux
Feuilletons l'haddock


Simplicité qui ne veut pas dire pour autant médiocrité, car ce simple haddock flanqué de ses poireaux offrait une alliance mer jardin qui fonctionnait plutôt bien…


vendredi 7 février 2020

Envoyé spécial

Ce jour je change de peau : de diariste culinaire je me transforme en reporter dégustateur. L’exhibitionniste se mue en voyeur…
En effet mon infante puînée fête son cinquième anniversaire.

Elle a fixé elle-même les grandes lignes du repas : il devra comprendre un coquillage, des frites, et pour le gâteau ce sera soit marron, soit pomme - ou pourquoi pas les deux.
Ce sera effectivement les deux, car le prix de mon infiltration au sein de ces agapes sera la réalisation d’une tarte florentine aux pommes selon la recette alléchante du site La cuisine de Bernard.

https://www.lacuisinedebernard.com/2011/05/la-tarte-florentine-aux-pommes.html

Pas de difficulté particulière, sauf que ne disposant pas de cercle 22x5cm, il a fallu composer avec un moule à manqué de 24x7cm. Le côté positif, c’est que la hauteur permettait un aspect plus gâteau que tarte, en revanche j’ai dû me livrer à de savants (?) calculs pour ajuster les quantités, basés en ce qui concerne la garniture sur le rapport des volumes et en ce qui concerne la pâte sur le rapport des surfaces. Ce qui a conduit à des pesées un peu plus exotiques que des 200 g, 150 g ou 125 g ainsi qu’à un certain à peu près pour la quantité d’œufs… Quant au temps de cuisson, quelques minutes seront ajoutées. Au feeling…
Toujours est-il que le soir sortait du four un beau gâteau doré apte,en dépit de sa catégorie amateur, à être confronté dans l’open du lendemain au pro dopé aux marrons.

florentine aux pommes
Pas de marrons pour ma pomme




Bon, après ce flash-back, je puis maintenant entrer dans le vif du sujet.

Quand nous arrivons sur le lieu du festin, ma fille est en pleine préparation et, surprise, elle est assistée d’un commis de huit ans d’âge : l’infante aînée.
Sur le plan de travail, une ribambelle d’assiettes sur lesquelles sont étendues des rondelles de noix de coquilles Saint-Jacques.
« Elles sont extra-fraîches, le poissonnier me les a décoquillées ce matin...»
Aucun doute, leur blancheur nacrée immaculée et leur fermeté n’autorisent aucun doute. Par-dessus, la jeune assistante est en train de disposer en étoile des pétales de mangue. Puis elle verse au centre des assiettes une cuillerée de confit d’algue sortie d’un pot.
Suivent, dans un dressage à quatre mains, les taches rosâtres d’une sauce confectionnée à partir du corail des Saint-Jacques - « J'ai ajouté du corail d'oursin et du jus de citron vert...» - et les petites coulées prélevées de l’intérieur de fruits de la passion.
Le commis a mission de parsemer d’éclats de pistache - « Oh, pas autant, il n’en restera pas pour les dernières assiettes, et puis ça n’est pas un plat de pistaches à la coquille Saint-Jacques ! ». La jeune classe a compris, elle prélève l’excès et modère ses ardeurs.
Il s’agit maintenant d’assaisonner. Ma fille se charge du sel et surtout de la noix de Tonka qu’il faut râper avec une parcimonie dont on ne saurait être assuré de la part de l’infante de service. On lui délègue néanmoins les tours de moulin de poivre blanc de Penja. On a eu raison de lui faire confiance, même si elle s’est désolée d’un petit surplus local vite évacué dû plus au moulin qu’à son pilote.
Mission réussie aux cuisines.

coquilles Saint-Jacques, mangue
L'enfance de l'art ?


Le commis peut se métamorphoser en serveuse pour disposer les assiettes devant les convives.

Force m’est de constater que cette entrée est une réussite, fraîche et parfumée sans excès afin de préserver en bouche la saveur de la noix de Saint Jacques. La pointe d’acidité du fruit de la passion et la note croquante des pistaches font merveille pour l’équilibre de ce plat.

Il est temps maintenant de passe au plat principal. J’ai une idée sur sa nature, car j’ai aperçu une masse dorée à l’intérieur du four.

boeuf Wellington
Où l'on voit un observateur mettre les pieds dans le plat


« Je parie qu’il s’agit d’un bœuf Wellington.
-Gagné ! »
J’apprends par la même occasion que ma fille a dû se battre pour obtenir une pièce sans barde, simplement ficelée, qu’elle a pu saisir sur une poêle.
Après refroidissement, ce rôti a été débarrassé de sa ficelle et emmailloté dans une pâte feuilletée – commandée chez un pâtissier - doublée d’une duxelles de girolles, trompettes-de-la-mort, champignons de Paris et échalote. « J’ai fait attention de bien la dessécher et la laisser refroidir avant de l’étendre sur la pâte ! Mais là, il y a 35 minutes que j’ai enfourné, ça doit être cuit. Pourvu que le feuilleté ne soit pas ramolli et que la viande soit restée saignante à cœur ! »
Je reconnais bien là l’anxiété de ma fille et son manque d’assurance sur ses talents culinaires. Elle devrait pourtant commencer à être rassurée par de nombreux précédents repas réussis…
Et puisque maintenant un commis dévoué est à sa disposition…
D’ailleurs j’aperçois que le Wellington a bénéficié de moult ornementations : feuilles, étoiles, comète et cœur.

boeuf Wellington
On lui a décerné des étoiles


« C’est…
-Oui, c’est bien mon assistante qui l’a décoré ! »
Le bœuf Wellington vient s’allonger sur la planche qui l’amènera jusqu’à la table.

boeuf Wellington
Planche de contact


Sur la plaque à induction mijote la sauce : de la fourme d’Ambert fondant dans de la crème fraîche. Elle sera vigoureusement poivrée à sa sortie du feu (ou plutôt des rayons…)

sauce au bleu
L'Ambert du décor

.
Un deuxième commis entre en scène : mon gendre. Il est chargé de la cuisson des frites à l’extérieur, devant la porte-fenêtre de la cuisine. Elles ont déjà été blanchies et attendaient dans des saladiers. Il s’agit de frites classiques de pommes de terre, mais aussi de panais, de patates douces et de betteraves rouges.


Quelques minutes plus tard le bœuf Wellington est découpé sur la table.



boeuf Wellington
Qui veut la tête de Wellington ?


Une tranche est déposée sur chaque assiette. À ses côtés la maîtresse de maison ajoute une cuillerée de sauce au bleu et une poignée de frites diverses. C’est le héros (la hérose ?) de la fête qui doit être contente : elles sont là, ses frites, et même en couleur.

boeuf Wellington, frites, panais, betterave rouge, patate douce
Quand Wellington a la frite


Ma fille avait bien tort de s’inquiéter : pointe de feuilleté resté pâteux, une viande parfaitement cuite, goûteuse et tendre, une duxelles sentant bon le sous-bois : que du bonheur. Je n’émettrai qu’une critique : la sauce madère traditionnelle aurait beaucoup mieux fonctionné avec cette pièce rôtie qu’une sauce au bleu, trop grasse.

Pour suivre, le plateau de fromages, attaqué modérément par des convives déjà repus. Pourtant il était sympathique avec son saint-nectaire fait à point, son cendré de Niort ceint de sa feuille de châtaignier, son jeunot de cantal et sa tome à la truffe dont la saveur de haut goût faisait pardonner la fatuité.

Mais chacun sait qu’il faudra faire honneur au gâteau d’anniversaire - auX gâteauX d’anniversaire.
Je vois qu'ils viennent d’être déposés sur le plan de travail, en attente de bougies.
J'observe mon adversaire.

gâteau au marron, mousse d'agrumes
Le marron de service


Pas de doute, il ne fait pas le poids devant moi !


gâteau au marroh et mousse d'agrume, florentine aux pommes
Poids léger contre poids lourd


Ils arrivent sur la table, la jeune infante gonfle ses joues. Elle doit reprendre son souffle plusieurs fois avant que la dernière petite flamme ne vacille et ne soit remplacée par un brin de fumée vite disparu. Bravos de l’assistance...

Les parts atterrissent dans les assiettes à dessert : marron et pomme se voisinent. D’un côté, un excellent gâteau de pâtissier, mais où le marron semble singulièrement absent, une épaisse couche d’une crème dominatrice certes aérienne mais à la note d’agrume très marquée étouffant dans la bogue toute expression de la châtaigne ; de l’autre côté un gâteau un peu pépère mais aux saveurs plus subtiles qu’il n’y paraît, et pour lequel ma petite fille peut se réjouir de la présence caracolante de son fruit préféré.

assiette de desserts, florentine aux pommes
S'en payer de bonnes tranches


Quant à moi, c’est de croquer la couverture croustillante aux amandes que j’avais mise de côté pour la bonne bouche qui constitue le point final gourmand de ce repas, tout en levant ma flûte de champagne en l’honneur de la demi-décennaire.