mardi 30 mai 2017

Les chasses du Comte Orloff

Le comte Orloff avait une grosse envie  de viande.

chasse du Comte Zaroff
Le vilain comte


Il serait bien parti à la chasse, et il me tirait par la manche. Son projet était de se payer un des visiteurs lâchés par un quelconque accompagnateur touristique dans le parc du château royal, plutôt que de rester échoué sur les rivages de l’îlot viande des Halles.
Sur le fond, je ne lui aurais pas donné tort, mais voilà, gastronomiquement parlant, je suis peu porté vers la viande humaine.

Alors j’ai développé des trésors de diplomatie afin de le ramener à la raison, utilisant les armes les plus sournoises de la dialectique.
« Comte, vous  vénérez le Général...
-Certes, mais..
-Le Général a dit que les Français étaient des veaux.  Le fin algébriste que vous êtes ne peut nier que si  Français = veau, la proposition veau = Français est aussi vraie. Donc si  vous avez dans votre assiette du veau, vous avez du Français. Le Français, ce qui se fait de mieux, le E dans le classement EUROP ! Alors..
-Je réfuterai votre raisonnement en répliquant que les touristes ne sont pas des Français !
-Tss, tss, dans la lunette de votre carabine, vous eussiez tout juste pu identifier un Bavarois en culotte de peau sous son bitos à plume, une jeune Japonaise avec sa jupette bleu marine, son chemisier blanc et son teint jaune, un Américain crachant son chewing-gum sous l’ombre de son stenton, tiré par son épouse dont le short rose parvient avec peine à contenir le gros fessier, un Russe avec la liasse de dollars dépassant de sa poche, un jeune Roumain qui louche vers cette poche... Et encore sans certitude : le Français vagabonde aussi beaucoup dans ces sous-bois et se démarque peu du touriste tout-venant, tout comme il arrive que le touriste étranger parvienne à se donner une apparence française, croyez moi, il y en a même qui se camouflent par le truchement d'une baguette et d'un béret…
En cette époque de mondialisation, vous n’allez tout de même pas faire la fine bouche !
Croyez-moi, le veau fera l’affaire.
-Mais moi, je veux du sanguinolent…
-Qu’à cela ne tienne, on rajoutera un peu de Bacon.

Francis Bacon
Du Bacon

-Mais…
-Il n’y a pas de mais ! Tenez, comte, je serai bon prince.  Afin d’honorer votre titre, je vais ajouter un comté. Ce ne sera pas, j’en conviens, le comté d’Orloff, cependant, beau, fort comme vous l’êtes, vous allez vous l’approprier… »

Je me suis fait trancher un rôti de veau, Orloff voulait que ça barde, et bien ça a bardé.
« Et voilà, comte. N’êtes-vous pas satisfait de votre trophée, crépiné comme un nouveau-né ?
-Boff… »
Jamais content, ce comte !

Arrivé, à la maison, j’offre  un petit verre de vin blanc avec une garniture aromatique en guise d’apéro à notre proie ligotée. Elle se plaît avec la cocotte et j’entends siffloter Ah ! Le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles..
« Vous voyez, c’est un Français !
-Ben alors, pas un tout jeune ! Ce jeune veau est une vieille baderne… »
Jamais content, ce comte !
Le trophée d’Orloff est un peu parti, il est même parti au four  à 210 °C pour une dizaine de minutes.


veau Orloff
Trophée



Orloff, magnanime, propose de baisser la température à 180 °C. Il n’a pas tort.
Quarante minutes  plus tard,  nous pouvons  délivrer le trophée de ses liens.
Le comte s’empare de son Jagdmesser au manche de corne
Je ne puis m’empêcher d’ironiser :
« Heureusement que parfois ce sont des harpails que vous poursuivez. Encore que…»
Le comte me lance un regard peu amène. Et moi qui croyais la comtesse au-dessous de tout soupçon. Il est vrai que qui va à la chasse perd sa place….

En tout cas les parts sont belles.


veau Orloff
Orloff s'en paye une bonne tranche



Pour la sauce, j’ai fait cuire des spätzle. Le comte grommelle qu’il aurait préféré une kacha de sarrasin.
Jamais content, ce comte !

J’ai une grosse envie de chasser le comte Orloff …oui, de le chasser de chez moi !

dimanche 28 mai 2017

Des araignées sur le paillasson

Gloire à l'araignée !

En premier gloire à cet animal capable de tisser une toile de haute technologie, puis d'avoir la patience d'y assurer le guet afin de nous débarrasser de moult malfaisants. Je me suis d'ailleurs toujours demandé ce qui lui passait par la tête durant ces longues périodes consacrées à l'affut. Car après tout elle ne pouvait avoir à ses côtés la bouteille de pastis pour tuer le temps comme un vulgaire chasseur de palombe. Alors revoit-elle le corps poilu (et, quelle chance, garni de quelques œufs...) de la Musca domestica dodue qui fut son dernier repas ? Se projette-t-elle au contraire dans le futur, imaginant un gros taon agonisant en vrombissant, promesse d'un festin pantagruélique moyennant quelques dégâts facilement réparables ? Est-elle simplement concentrée, telle un sportif, genre Fabien Barthez attendant l'arrivée d'un ballon (enfin, je crois, car je ne suis pas un familier de la guerre des goals) ? Ce qui est plus probable, c'est qu'elle roupille tranquillement en attendant que le vibreur la réveille. Je n'ai jamais osé lui demander ce qu'il en était vraiment, de peur qu'elle prenne la mouche !


Mais aussi gloire à cette habitante des fonds marins qui nous procure une chair savoureuse, d'autant plus ferme et goûteuse si l'on gave ce sympathique majidé de protéines par le naufrage d'un paquebot géant, événement jubilatoire qui offre le double avantage de débarrasser des sites tels que Venise d'un polluant et de soulager les caisses de retraite.


Enfin gloire à ces araignées qui vont se nicher dans la cuisse des quadrupèdes.

L'araignée de bœuf bien sûr, un de mes steaks favoris, qui évoque pour moi le goût de mon enfance, car au gré des déménagements ma mère trouvait toujours un boucher qui lui réservait cette pièce délectable, comme cet artisan qui écrivait toujours à la craie sur l'ardoise de la devanture "Poullets de ferme", rien que pour le plaisir de répliquer à un client de passage qui lui faisait remarquer cette faute d'orthographe : " Comment, ils n'ont pas deux ailes mes poulets !". Pour les araignées, point d'ardoises, elles étaient cachées dans l'arrière boutique pour les clients favoris...

Et l'araignée de porc, ce morceau à la fois tendre et parfumé, que malheureusement le plus souvent les artisans présentent déjà baignant dans une marinade, je suppose pour une meilleure conservation mais aussi pour une présentation plus attractive, dans l'idée qu'ils se font, peut-être pas si fausse que ça, d'une ménagère timorée un peu dégoûtée par les branches plus ou moins tentaculaires engendrées par le parage, les veines de gras au milieu d'une chair un peu grisâtre... Pourtant, brutti ma buoni, comme disent les Italiens à propos de certains de leurs biscuits !

Aussi c'est avec un grand plaisir que j'ai vu arriver chez moi quelques unes de ces araignées porcines brutes de décoffrage, pardon, décuissage.
J'ai décidé de les servir avec des pommes paillasson et des navets et oignons nouveaux.

Pour débuter, j'ai peaufiné le parage des araignées et les ai partagées en morceaux sensiblement identiques.
Pour la sauce, j'ai fait réduire le jus de deux oranges avec une bonne cuillérée de balsamique blanc et une  petite cuillérée de balsamique traditionnel de Modène, y ajoutant trois ou quatre grammes de fécule, une pincée de 5 épices (anis vert, fenouil, coriandre, cannelle, clou de girofle) et une autre de piment d'Espelette. Et là  j'ai commis une erreur de débutant : si fort justement je n'ai pas salé avant réduction, j'ai voulu rectifier la couleur qui me semblait un peu terne en rajoutant du piment d'Espelette. Las, j'oubliais que celui que j'utilise actuellement est, pour une raison que j'ignore, grimpé beaucoup plus haut sur l'échelle de Scoville que ses frères qui restent bien souvent pas loin du niveau des pâquerettes.
Quand j'ai goûté le résultat avant de dresser, j'ai constaté que ma sauce manquait de rondeur, n'avait pas assez d'acidité, et surtout était très pimentée. D'urgence j'ai découpé quelques petits cubes de pulpe dans une tomate fraîche que fort heureusement j''avais sous la main, les ai ajoutés ainsi que deux pincées de sucre et un trait de jus de citron. Et, ô miracle, ça a fonctionné. J'oserai affirmer que la sauce était devenue plutôt bonne.
J'ai gratté deux petits navets nouveaux, enlevé la première peau de petits oignons blancs en conservant une partie de la queue, et j'ai classiquement fait glacer ces légumes dans un soupçon d'eau avec sucre, sel et beurre.
La réalisation des pommes paillasson m'a permis de liquider un petit stock de pommes de terre disparates qui une fois râpées ont fait bon ménage. Lavées, fortement essorées en tordant un torchon qui  les contenait, je n'ai plus eu qu'à tasser deux blocs dans une poêle antiadhésive recouverte d'une bonne couche d'huile d'arachide parfumée par une noix de beurre, le plus difficile ensuite étant de les retourner sans dommage.
Les araignées sont passées sur la bonne vieille poêle en acier culottée depuis des lustres.
La cuisson achevée, j'ai partagé entre deux assiettes, disposé sur chacune  un navet et cinq petits oignons et fait glisser un paillasson bien doré. J''ai versé la sauce dont je n'avais plus honte. Deux feuilles de roquette du jardin afin d'apporter une touche de verdure. Enfin couronner d'une touffe de piments cheveux d'ange de Tianjin  s'est imposé à moi comme une évidence, peut-être à cause de mon déboire espelettien...

Et voilà...



araignée de porc, navet, oignon nouveau, pommes paillasson

Araignées de porc paillasson n°1

oignons nouveaux ,navets nouveaux

Araignées de porc paillasson n°2



Nous avons pu essuyer nos lèvres barbouillées de sauce sur le paillasson...

vendredi 26 mai 2017

L'INCORPORATION, où l'on voit une omelette être réalisée sans E


Recette cuisinée à la fortune de l'Oulipot...

omelette, oeufs, sans S, Oulipo
Ceci n'est pas une omelette



Il souhaitait du nanan sans tracas, un plat bon mais prompt dans sa cuisson.

Non loin il y avait un rubicond marchand BOF façon Dutour qui lui fournit un pack garanti bio, vantant d’un ton jovial son produit : « Ils sont frais pondus nos cocos ! Frais nos cocos, frais ! ». Puis un sac où figurait un coq hautain, tyran du nichoir, vint couvrir l’achat ; la maison savait promouvoir du rural chic…


Son cabas à la main, il arriva pour midi à la maison…

Afin d’avoir un final moussu il aurait fallu d’abord qu’il clarifiât, puis qu’il montât trois blancs mis à part dans un bac.
Mais il n’a pas voulu, il a saisi un bol, il a rompu sur son bord un quatuor, chançards toujours intacts sortis du pack – un choc ayant puni un transport nonchalant par un bris fatal pour un duo d’occupants, tant pis pour lui, cuistot gourmand mais maladroit… -, il y a fait choir d’aussi luisants qu’avachis calots d’or baignant dans un blanc gluant, puis sans mollir il a battu tout ça d’un bras viril. Pour finir, du moins il croyait ça, il incorpora six noix d’un Isigny AOC au subtil parfum issu du sainfoin local.

Il alla au piano, alluma un gaz - qu'il poussa au maximum -, y plaça sa Tradition inox 24 cm, posa sur son fond un toujours plus gros bout d’Isigny qui lui parut odorant à souhait quand il passa du blond au roussi dans un jouissif chant du gras qui fond.
Il y vida son bol, maudissant son oubli : il aurait fallu qu’il assaisonnât - salant, poivrant, pourquoi pas muscadant - pour aboutir à un haut goût. Pas trop tard ! Il donna moult tours du moulin sur son futur plat avant la coagulation.
Il chassait loin du bord un magma d’un ton canari au parfum diffus qui aussitôt voulait toujours s’y blottir, flux ragoûtant dont au bout d’un instant il admit l’invasion. Combat aussi fictif qu’il fut vain ; car un rond parfait saisi au dos par la cuisson, mais miroitant d’un jus opalin sinuant par monts, par vaux, dans un sol mouvant aux confins brunis, ainsi imaginait-il l’attirant plat qu’il souhaitait voir surgir sous sa main.
Aussi la jubilation fut au bout du parcours !

Il plia un coin du rond fumant, inclina. La manipulation aboutit à un format oblong qu’il glissa sur un plat d’un blanc virginal. Il donna du brillant - un soupçon, sans abus.
Son chatoyant frichti arriva chaud, chacun admira.
« Plat sans chichis, mais bon plat » dit-il d’un air satisfait.
Satisfait, mais non fat pour autant…

mercredi 24 mai 2017

Clovis et Pompadour : le mariage


Il y a des moments où il faudrait savoir trancher...
Ainsi je me suis trouvé partagé entre une envie de linguine alle vongole et le désir de profiter de l'arrivée des pommes de terre nouvelles.
Tiraillé entre ces deux possibilités de savoureux repas, j'ai repoussé la solution de facilité qui eut été de plouffer : am, stram, gram, pic et pic et colégram ...ce sera toi !  En effet je me connais bien. Quel qu'en fût le résultat, je l'aurais contesté, ayant la ferme intention de ne pas me laisser manipuler sans réagir par le destin, tout en pensant que ce refus n'était que le volet symétrique de la soumission au bour et bour et ratatam. Pas plus avancé...
Mais voyant une pomme de terre choir du panier et  une autre sortir de son bain, nouveau Newton mâtiné d'Archimède, je me suis écrié : Eureka ! J'avais tranché le nœud gordien.

La décision était prise, j'allais réaliser des pommes de terre nouvelles avec des palourdes.


Ce fut le mariage non pas du siècle, mais des siècles :

CLOVIS ET POMPADOUR


J'ai procédé à la cérémonie. Alliance sans faille, le couple faisait bon ménage. Pas étonnant, elle était née Poisson...
Pour l'onction, point de chrême, mais une alliance d'huile d'olive et de beurre demi-sel.
En fin de cérémonie, un trait de balsamique afin de réveiller les mariés.
Voulant bien faire les choses, je leur ai fait livrer un bouquet. Hélas Intraflora fut au dessous de tout,
et la gerbe se résuma à une composition soliflore.



palourde pompadour
Mariage Clovis Pompadour




La vérité me force à dire que Clovis se monta insupportable. Pour son repas de mariage, il n'arrêta
pas de réclamer un vase de soissons. N'ayant que des mogettes sous la main, je prétextai que le vase était cassé. Il me jeta un regard mauvais en me lançant : "Je m'en souviendrai".
Enervé que j'étais, je lui jetai au visage une persillade. Il en fut bouche bée.
La jeune mariée à la chair tendre m'assura qu'elle préférait les persillades aux poissonnades.
Je n'en doutais point.


















samedi 20 mai 2017

L'abbé froid de Béthune


- I am lost ! murmura en anglais Milady, I must die.
Alors elle se releva d'elle-même, jeta autour d'elle un de ces regards clairs qui semblaient jaillir d'un oeil de flamme.
Elle ne vit rien.
Elle écouta, elle n'entendit rien.
Elle n'avait autour d'elle que des ennemis.
- Où vais-je mourir ? dit-elle.
- Sur l'autre rive, répondit le bourreau.
Alors il la fit entrer dans la barque, et, comme il allait y mettre le pied, Athos lui remit une somme d'argent.
- Tenez, dit-il, voici le prix de l'exécution ; que l'on voie bien que nous agissons en juges.
- C'est bien, dit le bourreau ; et que maintenant, à son tour, cette femme sache que je n'accomplis pas mon métier ; mais mon devoir.
Et il jeta l'argent dans la rivière.
Le bateau s'éloigna vers la rive gauche de la Lys, emportant la coupable et l'exécuteur ; tous les autres demeurèrent sur la rive droite, où ils étaient tombés à genoux.
Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac, sous le reflet d'un nuage pâle qui surplombait l'eau en ce moment.
On le vit aborder sur l'autre rive ; les personnages se dessinaient en noir sur l'horizon rougeâtre.
Milady, pendant le trajet, était parvenue à détacher la corde qui liait ses pieds : en arrivant sur le rivage, elle sauta légèrement à terre et prit la fuite.
Mais le sol était humide ; en arrivant au haut du talus, elle glissa et tomba sur ses genoux.
Une idée superstitieuse la frappa sans doute ; elle comprit que le Ciel lui refusait son secours et resta dans l'attitude où elle se trouvait, la tête inclinée et les mains jointes.
Alors on vit, de l'autre rive, le bourreau lever lentement ses deux bras, un rayon de la lune se refléta sur la lame de sa large épée, les deux bras retombèrent ; on entendit le sifflement du cimeterre et le cri de la victime puis une masse tronquée s'affaissa sous le coup.
Alors le bourreau détacha son manteau rouge, l'étendit à terre, y coucha le corps, y jeta la tête, le noua par les quatre coins, le rechargea sur son épaule et remonta dans le bateau.
Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et suspendant son fardeau au dessus de la rivière :
- Laissez passer la justice de Dieu ! cria-t-il à haute voix.
Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l'eau, qui se referma sur lui.

Dumas, Milady, mort, thon



Le téléphone sonna de tôt matin. Le commissaire Chafort eut un moment de désarroi.
Il se croyait encore dans son appartement parisien, clignait des yeux, et attendait que la silhouette de Julie, qui, elle, avait l'esprit vif dès potron-minet, se découpe dans l'embrasure de la porte de la chambre, brandissant le portable que comme d'habitude il avait oublié sur la table basse du salon.

Mais non, désormais sa femme l'avait quitté, lasse de l'attendre dans des longues soirées de solitude, dépitée du mystère qu'il entretenait sur les affaires, jalouse aussi du temps qu'il partageait avec Clara dans des planques nocturnes. Et après cette bavure stupide qu'il aurait voulu effacer de sa mémoire, il se trouvait désormais relégué au commissariat de Béthune -bienvenu chez les chtis !-, s'ennuyant dans le bureau crasseux depuis lequel il avait du mal à distinguer le beffroi de la ville, sa ville, tant les vitres étaient sales, bureau qu'il partageait avec le lieutenant Tiphaine Bouley. La veille, il venait de découvrir que cette pièce était surnommée par les flicards en uniforme la cage de Titi et Grosminet, mais il ne s'en était pas offusqué, il n'était plus à ça près, le commissaire principal déchu Chafort... Plaqué par sa meuf, trainant dans ses bagages sa fille, une ado qui jouait les rebelles, il avait l'impression d'être plongé dans un remake d'une de ces séries minables mitonnées par France Télévision. Encore heureux que le procureur ne soit pas un frère ennemi, une cousine refoulée ou le premier de la classe de l'école primaire où il avait fait les quatre-cent coups !



La sonnerie avait cessé.

Faut bien que je reprenne mes esprits, il n'y a pas le feu ! Où se cache ce fichu portable ?
Une seule solution, je l'appelle par le fixe pour repérage. Ah oui, mais quel est son numéro ? Pas de panique, je l'ai noté sur mon carnet d'adresses, mais où est donc ce carnet, ah, je m'en souviens, dans la poche interne droite de mon blouson...
Je  cours vers  le porte-manteau de l'entrée. Pas la peine, le portable sonne à nouveau. Il est dans la coupe de fruits. J'aurais du y penser, j'avais croqué une pomme hier soir en rentrant à la maison.
C'est Tiphaine qui appelle.
" Patron, il faut que vous veniez vite ! On a un meurtre sur les bras. Au couvent..."

Il ne manquait plus que ça... Le désordre dans les ordres !
Je m'habille rapidement, enfin rapidement pour moi, car le matin il me faut autant de temps pour ce faire que le soir à une effeuilleuse pour se déshabiller sur scène...

Une demi-heure plus tard je franchis le portail du couvent.

Tiphaine m'attend.
" Voici le corps. Il  a été découvert au moment des mâtines devant la porte de sa cellule.
Le médecin-légiste est déjà là, il est arrivé fissa mais il n'a rien touché afin que vous puissiez voir la scène de crime intacte"
Le fissa de Tiphaine m'énerve un peu, mais je ne relève pas.  Elle a sans doute raison, j'aimerais bien avoir encore comme elle la foi en mon métier. Tiens, la foi.. Est-ce par ce que je suis dans un couvent que ce mot me monte à la tête.
Un ricanement me tire hors de ma rêverie.
" Alors commissaire, bienvenue parmi nous, je vous présente notre nouvelle attraction locale, l'abbé froid de Béthune. Froid de chez froid. Refroidi il y a bien une douzaine d'heures au moins, regardez la lividité cadavérique. Ah, ah, je vois que cette tranche de citron vous intrigue. Mais suivez moi, il y a l'accompagnement."


citron, pacman
Citron PacMan



Je pénètre derrière lui dans la cellule de l'abbé. Presque aussi triste que mon bureau. Un châlit couvert d'une couverture écrue miteuse, une table bancale de bois blanc, deux  chaises mal équarries dont la paille s'est effritée sous le défilé de milliers de fesses sacerdotales.
Le légiste a suivi mon regard.
"Eh oui, ce n'est pas le grand luxe. Remarquez, il ne manquerait plus que ça, que les prélats se prélassent... Pourtant vous voyez..."

 Oui, j'ai vu, sur la table, une assiette contenant des rondelles entières.


citron
Assiette de tranches de citron



Mais surtout deux assiettes rectangulaires.


thon, sabayon, ginkoubai
Thon sabayon



" Hein, commissaire, ce thon est plus frais que notre client !
-  C'est bien ça qui me chiffonne.
-  Oui, à cause de la couleur de l'abbé. Bleu comme l'abbé des anges... Peut-être est-ce lié à un empoisonnement ?
-  Ah oui, avec le sang et le couteau yanagiba entre les deux épaules...
-  Bof, même chez les assassins il y a des perfectionnistes ! Bon, il faut que je vous quitte, ma maîtresse m'attend. Mais ne faîtes pas cette tête, je plaisante. Et quand la scientifique aura fini ses relevés et les photos, faîtes moi livrer les plats, j'ai un petit creux. Je plaisante. Ciao commissaire, je vous envoie les résultats bientôt."
Je lui fais un vague signe de tête. Ras le bol de ces légistes, praticiens d'une clientèle de patients pour l'éternité qui ne leur enverra jamais à la figure ce qu'ils pensent de leurs soins, et qui se croient obligés de jouer le rôle de rigolos qui noient leur angoisse de fréquenter Thanatos au quotidien sous des flots de plaisanteries stupides. Encore que je sois obligé à leur décharge de constater que les morts qu'ils côtoient ne le sont pas de leur propre fait contrairement à ceux de leurs confrères.



Nous rentrons au commissariat. Je demande au planton :
" Pas de document arrivé qui nécessite que Grosminet y pose sa griffe ? Non ? Alors dans ce cas je vais aller ronronner sur mon coussin !"
Le gardien de la paix me lance un regard effaré, soulève sa casquette et gratte sa tète à poil ras.
Tiphaine sembla accablée.
" Mais patron...
- Il n'y a pas de mais mais... Recouvre tes esprits, sinon Grosminet va te croquer, Titi !"
Je sens que je reprends du poil de la bête.
Ce bon abbé ne sera pas mort pour rien. En guise de récompense pour ce bienfait, j'ai à cœur de résoudre cette affaire et de mener le coupable au châtiment.


Deux jours plus tard arrivent les résultats du légiste. Ils viennent conforter une piste lancée parTiti, désormais au mieux avec moi car je l'ai caressée dans le sens des plumes.
" Patron, j'ai remarqué quelque chose d'étrange. Si j'ai raison, vous allez pouvoir vous friser la moustache !"
Elle me plait, cette petite, elle a le sens de l'humour...
" Voilà, patron, vous avez vous même constaté que le couteau était japonais.
- Oui, pas difficile, je me suis gavé pendant des années de sushi rue Saint-Anne, à l'époque j'étais plus samouraï que Grosminet...
-Ne broyez pas du noir, patron, ce Grosminet a des gènes de chat sauvage..."
Elle me plait de plus en plus. Je continue à marivauder.
" Haret seulement. Haret de carrière... Mais continue ton propos...
- Eh bien je me suis demandé pourquoi, contrairement aux rondelles de citron trouvées sur l'assiette posée sur la table à côté des plats, la rondelle tenue par la main crispée de la victime était entaillée. L'abbé ne voulait-il pas ainsi désigner son assassin ? Et savez-vous à quoi cette rondelle me fait penser ?
- Non, mais tu vas me le dire..
- Trouvez vous-même, monsieur le chat de race... Le Japon, le Japon vous-dis-je...
- Mais oui, on dirait un Pac-Man !
- Bravo !
- Donc une piste japonaise. Pour un peu je vous embrasserais, chère Titi.
- Ne vous privez point de cette satisfaction, cher Grosminet, la vie est courte, l'abbé est là pour vous le rappeler...
- Est-ce une avance ?
- Qui sait, on ne prête qu'aux riches. Mais voyons d'abord ce que ce bon légiste nous a découvert."

Dans la hâte de déchirer l'enveloppe, nos mains se frôlent.
" Bas les pattes, Raminagrobis. Les soldes sont finies, voyons quels marrons il nous a tirés du feu..."

Une photo s'échappe du dossier. Il s'agit de celle d'une des assiettes. Des lettres correspondent à des annotations sur un feuillet joint.



thon ginkoubai
Thon du légiste






A : Thon albacore provenance atlantique, traces de métaux lourds, la teneur en histamine implique une grande fraîcheur. La coupe démontre une cuisson rapide laissant l'intérieur bleu (au sens culinaire du terme) . Sur la surface, l'analyse met en exergue les mélanoïdines et les dérivés hétérocycliques correspondant à la réaction de Maillard au sein d'une couche d'huile d'olive d'origine libanaise n'ayant pas atteint son point de fumée.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

B : Cette fraction du plat correspond à une émulsion de jaunes d'œufs avec un liquide affermie par réchauffement appelée sabayon dans les milieux de la cuisine. Si le microscope électronique a permis de vérifier rapidement que les œufs étaient d'origine bio et ne contenaient aucun élément toxique (un approfondissement concernant la race de la poule n'a pas été jugé nécessaire dans le cadre de l'enquête), en revanche la nature du liquide utilisé a été plus difficile à déterminer. En l'état actuel, nous savons seulement qu'il contenait de l'alcool, du piment et de la prune. Mais nous n'avons pas la certitude qu'il n'y a que de la prune...
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

C : La nature végétale des particules recouvrant la pomme de terre et une partie de la surface de l'assiette nous a conduit à consulter un botaniste.. Celui-ci nous a indiqué qu'il s'agissait d'algue rouge de la famille des Ulvaceae séchée et vendue au Japon sous le nom de Ao Nori. Devant notre étonnement confrontés que nous étions à une couleur verte, le spécialiste a évacué l'hypothèse du daltonisme nippon et nous a fourni l'explication convaincante de la disparition de la molécule assurant la coloration durant le processus de séchage.
En raison de la provenance, le produit  fut soumis à des tests de radioactivité. Les rayonnements mesurés sont contenus dans une fourchette acceptable.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

D : La pomme de terre contient des traces de nitrate.
Sa surface est recouverte d'une couche de beurre dont la composition laisse penser qu'il s'agit de beurre demi-sel d'Isigny mêlée à des cellules d'amidon
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

E : Les carottes sont d'origine bio, sans traces quantifiables de produits phytosanitaires.
Leur surface est recouverte d'une couche brillante dont l'analyse démontre la présence d'un beurre identique à celui trouvé sur la pomme de terre et de sucre (de betterave) dont une partie fut transformée en caramel après évaporation de l'eau.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

F : Le liquide répandu à la surface de l'assiette à côté des carottes a été analysé lui aussi afin de lever toute incertitude. Il est composé simplement de beurre, sirop léger de sucre et exsudats de carotte.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.

: Il convenait de lever tout doute sur la nature de la mouture qui parsemait la partie droite de l'assiette. Une inspection au microscope électronique a démontré qu'il s'agissait de poivre noir de Kâmpôt broyé.
Aucun élément susceptible d'avoir provoqué une violente réaction toxique n'a été découvert.


Un autre feuillet attribue la mort à la perforation par arme blanche avec plaie en séton. Il faut dire que nous nous en doutions un peu... Plus étrange, la préparation des plats est postérieure d'une douzaine d'heures à l'assassinat.





" Alors, patron, la filière japonaise se précise !
- Ouais, mais pour les motivations nous n'avançons guère. As-tu fait des recherches sur le passé de l'abbé ?
- J'ai fouillé, mais rien côté Japon. Quelque chose d'amusant cependant : les généalogistes ont découvert il y a quelques années qu'il était le descendant du célèbre bourreau de Béthune, mais non, pas le catcheur, ô esprit primaire et masculin, mais l'ancien, celui dont parle Alexandre Dumas. On raconte que ça lui aurait fait un choc, et que c'est pour expier les péchés de son ancêtre qu'il serait entré dans les ordres.
-  En attendant, faisons du concret : une enquête de voisinage pour savoir si des nippons ni mauvais n'ont pas été vus dans les parages."
Je baisse la tète, honteux de m'être livré à une plaisanterie de garçon-légiste..


Le lendemain, nous avons une piste : un japonais et une japonaise avaient été signalés près du couvent, et même, mieux, nous connaissons l'hôtel-garni qui les héberge. L'hôtel Sans-Soucis, ça ne s'invente pas... Pourquoi pas Sans-Sushis !
Pourvu qu'ils n'aient pas décampé.


Nous grimpons l'escalier quatre à quatre, Titi se prend les pieds dans le tapis et s'étale.
" Titi, tes vols planés ne sont pas dignes d'un oiseau. Je suis certain que tu ne serais pas capable d'échapper aux griffes d'un Grosminet...
- Eh bien qu'il essaye, mais pour le moment ce sont nos Nippons qui risquent de s'échapper et d'être aux Japonais absents.."
Finalement je n'aurais pas dû avoir honte, elle aussi donne dans la blague d'autopsieur...





Pistolet à la main, nous faisons irruption dans la chambre du garni. Deux jeunes gens sont assis, un garçon et une fille. Ils n'ont pas l'air bien hostiles. Nous baissons le canon de nos armes.

Le garçon prend la parole dans un français parfait.
" Nous somme frère et sœur... Si nous parlons si bien votre langue, c'est par tradition familiale.
En effet un de nos ancêtres était venu de France il y a près de quatre siècles. C'était un missionnaire jésuite."
Je l'interromps.
" Venons en au fait, je ne suis pas ici en tant qu'historien. Avouez vous tous deux cet assassinat ?
- Non seulement nous l'avouons, mais nous le revendiquons. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un meurtre, mais d'une juste vengeance. Et pour en connaître les motifs il vous faudra bien faire un retour dans le passé.
Notre aïeul jésuite était le fils caché de Milady de Winter et du frère du bourreau de Béthune.
Eh oui, ils s'aimaient vraiment, et ils auraient pu vivre une vie heureuse si la jalousie du bourreau n'avait détruit leur vie  par des accusations infâmes. Non le frère du monstre à la cape rouge ne s'est pas pendu, il fut assassiné par celui-ci en dépit des liens du sang.
Heureusement ce fils fut recueilli par des bons pères qui lui donnèrent une excellente éducation. Fuyant les terres souillées par tant de crimes, il partit évangéliser l'Empire du Soleil. Et là, comme son géniteur, il s'éprit malgré ses vœux d'une jeune fille locale.
Il n'avait pas de frère monstrueux pour détruire leur avenir. Ils eurent un fils et...
...et maintenant nous  sommes là."
Il se tourne vers sa sœur qui comprend que désormais c'est à elle de parler.
Elle nous regarde fixement et déclare d'un ton détaché semblant venir de l'au-delà.:
" Savez-vous qu'il existe au Japon une femme-démon, Hannya, qui s'incarne sur terre pour exercer les vengeances.
Je suis Hannya, je suis venue venger Milady."
Pendant qu'elle parle, je balaye la pièce du regard. Dans un coin, j'aperçois un flacon aux reflets mordorés


Ginkoubai, Hannya, liqueur, prune, piment
Ginkoubai Hannya

.
"Oui, c'est ma boisson quotidienne, ma source de vigueur qui renforce ma détermination. Mon portrait figure sur une face, je suis belle n'est-ce pas ?
Maintenant faites de moi ce que vous voulez, j'ai accompli ma mission."

L'affaire est pratiquement résolue. Toutefois je ne comprends toujours pas les heures écoulées entre l'assassinat et la découverte d'un repas presque encore tiède quand nous sommes arrivés.
Tiphaine a décelé mon désarroi, me fait un clin d'œil et me souffle dans l'oreille :
" Pour les plats, vous devriez les cuisiner..."
Mais ce n'est pas la peine, le frère a repris la parole.
" Nous sommes passés le soir, dans la cellule il y avait une tranche de thon cru sur la table et l'abbé s'apprêtait à l'arroser du jus d'une tranche de citron. Quelle ironie du sort que cette parodie minable de notre sashimi... !  Ma sœur s'est jetée sur lui, a planté le couteau dans son dos. Pendant qu'il agonisait, nous sommes regardés. Quelle merveilleuse idée ! Nous allions festoyer à ses côtés, la tranche de thon trouverai une meilleure destinée. Ma sœur a mis en application les cours de cuisine française qu'elle est en train de suivre. Après avoir préparé nos deux assiettes dans cet hôtel, nous sommes revenus au couvent..."
Sa sœur se met à ricaner.
" Je suis fière de mon sabayon Hannya. J'y ai mis les deux-tiers d'un flacon comme celui que vous voyez là-bas. Cette liqueur de prune qui cache  en son sein un piment vengeur. Nous avons failli nous régaler..."
C'est à mon tour de chuchoter dans l'oreille de Tiphaine :
" Et dire que je pensais que la vengeance est un plat qui se mange froid..."
Le frère prend le relais.
" Malheureusement nous avons entendu du bruit. Faute de place dans l'étroite cellule, nous avions mis le corps dehors, devant la porte. Il allait être découvert. Nous nous sommes enfuis.. quel dommage, nous aurions pu faire un si savoureux festin !"

Je ne puis m'empêcher de rétorquer :
" Mais il n'a pas été perdu pour tout le monde. Le légiste s'est régalé..."
Je me tourne vers les fliquettes qui nous accompagnent.
" Allez, mes souris, Grosminet vous demande d'embarquer Mademoiselle et Monsieur !"


Dans la voiture qui nous conduit toute sirène dehors -il faut bien faire joujou de temps à autre- au commissariat, je me tourne vers ma collaboratrice.
" Et si nous allions fêter cette victoire dans un restaurant japonais ?
- Restaurant oui, mais pas japonais. Un restaurant gascon.
- Pourquoi gascon ?
- Mais en l'honneur du malheureux époux de Milady...
- Bon, d'accord mon Titi, tu sais quelle spécialité  locale j'aimerais déguster. Non ? Eh bien c'est un petit oiseau que l'on savoure enfoui sous un drap, non, pardon, une serviette..."








mardi 16 mai 2017

Chili con carne mafiosi

Tony était satisfait de son voyage en Sicile. Ses affaires allaient pouvoir connaître un nouvel essor.
Souriant, il taquinait sa femme Carmela.
"Devine ce que je cache derrière mon dos!
- Je ne sais pas, qu'est-ce  qu'on peut rapporter d'Italie, de belles chaussures pour moi peut-être ?
-Ce que tu peux être sotte, j'ai déjà une filière pour en avoir gratos le top du top ici, je ne vais pas me  les coltiner sur 5000 miles. Non, c'est bien mieux..."
Tony brandit sous le nez de Carmela un gros bouquet.
"De l'origan sauvage, le parfum de la terre de nos ancêtres, c'est merveilleux."
Il entrouvrit son attaché-case, en sortit une boîte :
"J'ai même pensé à ramener de bonnes tomates poussées sur les flancs du Vésuve, hein, qu'est-ce que tu en dis ? Allez, prépare moi un bon repas avec ça pour fêter mon retour !"
Mais son épouse était déjà en train de grimper l'escalier, et il entendit claquer la porte de la chambre.
"Je suis mal tombé, elle a encore ses humeurs. Bof, je cuisinerai moi même, au moins ce sera bon !"

Tout d'abord, il faut que je passe à la boucherie.
Personne, quelle bande de fainéants, heureusement j'ai la clé. Tiens, un beau morceau de bidoche qui traîne, j'en fais mon affaire.


chili con carne
Viande pour le chili con carne



Carmina, j'en suis certain, elle aurait passé tout ça au hachoir, mais moi je vais jouer du couteau, ça sera meilleur et ça me rappellera le bon vieux temps.


chili con carne
Viande hachée au couteau



C'est pas tout ça, il est tard, j'ai même attrapé une suée, y-a pas à dire, j'ai pris un coup de vieux ! Toujours pas là, les tenanciers, faudra que je leur passe un savon. J'embarque le bac avec mon hachis, je referme la boutique, et fissa à la maison...


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Où Carmina a-t-elle bien pu planquer les oignons ? C'est bien elle, pas fichue de cacher correctement un Glock 25, mais pour rendre une denrée introuvable, elle s'y entend !
Ah voila,  j'ai eu raison de chercher dans le lieu le plus improbable.
Et c'est reparti. Je sors du tiroir mon bowie favori, et vas-y que je te tranche.
Deux beaux oignons d'abord.

chili con carne
Hachage oignons


Puis trois gousses d'ail. Pas la peine que je donne dans la finesse, ça va mijoter longtemps et fondre...

oignon, ail, chili con carne
Oignons et aulx



Je vais ensuite cueillir les piments.

Les piments végétariens d'abord, pour le parfum.


piments
Piments végétariens

Les piments habaneros chocolats ensuite, pour la force...


piments
Piments habaneros chocolats


Ils se retrouvent côte à côte avant le grand plongeon. Tiens, ça me rappelle quelque chose..
Pas forcément un bon souvenir, mais le devoir d'un chef doit passer avant les sentiments....


chili con carne, piments
Piments



Je sors la cocotte que Carmina  a achetée lors de son escapade à Paris - au fait, elle ne m'a pas rapporté  une chevalière de chez Cartier, même pas une cravate Dior, je le lui ressortirai pour mettre les pendules à l'heure !- , au fond du récipient je pose sur la cuillérée d'huile d'olive, tiens, une noix de saindoux.

J'allume le feu, la graisse est bien chaude, commence à fumer...
"Qu'est-ce qui pue comme ça ?"
Ce grognement, c'était Meadow qui passait en coup de vent. Heureusement elle est déjà loin. Ah la jeunesse actuelle ! Il faudra que je te reprenne en main, ma fifille..

La viande est en train de dorer, j'ajoute l'ail.


chili con carne
Viande finissant de dorer et ail 

Suit l'oignon, et quand il est bien fondu, je verse un grand verre de bouillon de bœuf et le contenu de ma boîte de tomates de l'Etna, j'ajoute une tige d'origan extraite de mon bouquet sicilien, ainsi que deux brins de thym, une feuille de laurier et une petite branche de romarin.



chili con carne
Début de cuisson du chili con carne

Quelques minutes plus tard, c'est le tour des piments d'entrer en scène avec du cumin moulu et des graines de coriandre écrasées au mortier avec du poivre blanc de Panja et du gros sel
Je pousse la cocotte sur un coin de la plaque coup de feu avec la flamme au minimum.
Je pose le couvercle et laisse mijoter doucement.
Avant de partir à la boucherie -ah, il va falloir que j'aille trouver ces saligauds pour causer du pays à propos de leur abandon de poste....- j'ai mis à tremper des haricots rouges.


haricots rouges, chili con carne
Trempage des haricots rouges

Je les égoutte, les verse dans une casserole, les recouvre d'eau sur deux fois leur hauteur, parfume d'un oignon clouté, d'une branche de sauge, d'une gousse d'ail., d'une extrémité d'origan - il faut rentabiliser cet achat !- . Carmina a laissé traîner -ce qui sert rarement est tout aussi rarement rangé- une boîte de baies de cannelier. J'en fais tomber quelques unes dans l'eau qui commence à frémir, leur parfum devrait fournir un lien avec celui tout aussi exotique et chaleureux du plat.

Je place la casserole à côté de la cocotte sur la plaque, et couvre.


haricots, chili con carne
Cuisson des haricots rouges





J'entame une vague sieste en regardant les canards qui volent au dessus de l'eau paisible qui miroite au soleil. Elle dure une heure.



Je m'en vais voir l'état de mes cuissons.
Côté haricots, tout poursuit son cours, les grains commencent à être bien replets.
Côté plat, la sauce a déjà bien réduit.


chili con carne
Chili con carne à mi-cuisson



Je tranche une tomate fraîche en six quartiers -j'en connais bien qui mériteraient le même traitement- que je dispose à la surface du plat.


chili con carne
Introduction de la tomate fraiche

Quand je referme le couvercle, j'entends derrière moi un "Y en a marre, ras la casquette !".
C'est Anthony, il est déjà dehors, je ne saurai jamais de quoi il s'agit. Boff, à son âge j'étais comme lui..



Il me reste encore une bonne heure à patienter. Je la chronomètre à l'aide d'un cigare....



Zut, je m'étais endormi sur la chaise longue. Mon cigare est tombé de mes lèvres. Est-ce pour cette raison que j'ai rêvé que j'étais en enfer ? Enfin, ça me fera quelque chose à raconter à ma psy. Au prix que je la paye, il faut bien que je lui donne du grain à moudre...

J'ouvre les récipients comme elle ouvre ma boîte crânienne - eh, c'est une métaphore, ce n'est pas parce que je me donne un air ignare que je le suis!

Le plat est arrivé à la bonne consistance.


chili con carne
Chili con carne mafiosi


Les haricots rouges sont bien cuits, fondants et cependant pas en bouillie.


haricots rouges, chili con carne
Haricots Garibaldi


J'appelle Carmela :

"Le repas est servi. Chili con carne à la sicilienne et ses haricots Garibaldi !"


Elle retrouve le sourire.
"Je n'ai pas épousé un homme bon, mais c'est un bon cuisinier. C'est déjà ça..."


À ce moment on sonne à la porte. C'est un des bouchers. Il est tout affolé.
"Patron, on s'est absenté un moment du laboratoire pour prendre un...
- Oui, je sais, d'ailleurs il faudra qu'on en cause !
- Mais c'est pas tout, y a un os...
- Dans une boucherie, rien d'étonnant..
- Ne rigolez pas patron, c'est grave. On avait laissé un morceau de viande sur la table. Il a disparu ! Et c'était un morceau de Bobby Siffredi, vous savez, le Bobby du Bronks, celui qui vous gênait, que l'on était en train de découper, d'ailleurs il était coriace. La bidoche doit être maintenant dans un labo du FBI. Avec l'ADN du monsieur, on est foutu, patron !" 






dimanche 14 mai 2017

Goûteuse et confite



Dans la gueule d'une casserole, ma pince avait laissé tomber la morue.
Elle était goûteuse et confite.
Je ne jurerai point que l'on ne m'y reprendra plus...  


Dans cette casserole, il y a de l'huile d'olive à profusion, deux gousses d'ail, une feuille de laurier, un brin de thym, un brin de marjolaine, deux baies cassées de poivre long timiz dont j'ai pensé que les touches de fumée et de résineux feraient merveille avec le poisson. Cuisson à basse température, autour de 60°C, et sur le gaz ce n'est pas facile, je dois donc me transformer en Thermostatman le thermomètre à infrarouges à la main, visant, allumant, éteignant... Que n'ai-je sorti ma petite plaque à induction ! Heureusement, au bout d'une demi-heure, je peux mettre fin à ce petit jeu. Je réserve.


morue confite
Morue confite


Il est temps de passer aux garnitures printanières.

Un bel oignon doux des Cévennes tranché en deux et que je glace sous une feuille de papier siliconé avec dans l'eau une petite noix de beurre et une pincée de sucre. Après quelques minutes, il ne reste au fond du récipient que le peu d'eau nécessaire pour la remise en température. Je réserve.

Une dizaine  de morilles ensuite. Comme sur le marché il n'y avait que des morilles de Turquie, j'ai préféré voyager dans le temps, me décalant d'une année plutôt que de 2500 km. À moi les  petites ardéchoises, elles vont vivre un nouveau printemps !
Un petit bain dans un soupçon d'eau tiède, je ne vais tout de même pas les noyer, et, toutes revigorées, elles viennent se réchauffer doucement dans un trait d'huile d'olive et une cuillérée prélevée sur le jus parfumé de la cuisson de l'oignon. Je réserve.

Puis je découpe deux tranches dans le travers d'une tomate. Une pincée de sel, et je les dépose sur une poêle bien chaude ointe d'un bon trait d'huile d'olive. Au bout d'une minute, je les retourne, les parsème de quelques filaments de safran et d'une pincée de piment d'Espelette. Un clin d'œil envers la bouillabaisse qui aurait pu servir d'écrin à la morue... J'éteins le gaz. Je réserve.


morue, morilles, oignon des Cevennes
Préparations garnitures




Et enfin l'élément principal : des asperges des bois. Asperges qui n'en sont pas, ces ornithogales des Pyrénées. Leur parfum n'a rien à voir avec celui de nos fiers turions blancs, violets ou même verts.
Il est discret et tendre. Pour moi, c'est celui d'un marché de Thuir où je les voyais trôner au milieu des premières cerises de l'année...
Je me saisis de la botte de mes usurpatrices, coupe le lien, et les plonge  dans une grande casserole d'eau bouillante salée, et les sors deux minutes plus tard. pour les plonger dans de l'eau glacée. Sottise de ma part que ce déshabillage, certes il me fallait supprimer le lien d'origine dont la nature plastico-adhésive me paraissait suspect, mais il eut été préférable de ceinturer les ornithogales en une nouvelle botte afin de ne pas me trouver confronté à des pousses tête-bêche après les tourbillons de la cuisson.
Quoiqu'il en soit, mes belles plantes vertes gisent bien colorées dans la passoire.


ornithogales, asperges des bois
Asperges des bois

Il ne reste plus qu'à mettre tout  le petit monde des préparations réservées à température pendant que mes asperges de montagnes sont passées rapidement à la poêle avec une cuillérée d'huile d'olive et assaisonnées d'un soupçon de noix de muscade râpée.

Tout est prêt...
Je dresse deux assiettes, un dernier tour de moulin de poivre noir et...


morue, ornithogale, morilles, oignon doux
Morue confite, asperges des bois, morilles, oignon doux des Cévennes




À table !

J'ai bien eu raison de prélever ces deux épais pavés de la morue dessalée pour mon précédent gratin et de les conserver sous vide. Ils  sont devenus fondants et gavés de fragrances.
L'oignon de Cévennes est ce qu'est cette variété d'oignon : un délice.
Les morilles séchées d'Ardèche tiennent leur promesse : elles dégageant encore plus de parfum que des fraiches, ottomanes ou pas...
La tomate épicée joue son rôle de contrepoint.
L'asperge des bois a bien fait d'en sortir et de venir m'apporter comme un air de vacances.

Que demander de plus ?

















jeudi 11 mai 2017

Ce blog n'est pas assez cochon !

Mais oui...

Aussi, avec l'esprit racoleur qui me caractérise, je vais ajouter une photo propre à attirer les voyeurs gourmands de tous poils :



prisuttu
Prisuttu corse 24 mois


...des tranches de prisuttu de Corte dont je me suis régalé la semaine dernière.

Morue tuerie...

te salutant....bien évidemment !



morue, dauphinois
Morue à la crème


Morue à la crème préparée en fait comme un insert de morue pochée dans un gratin dauphinois...
Délectable !

Une tuerie, vous dis-je...

Où y a d'tajine, y a d'plaisir !


Confronté à de beaux pavés de cabillaud, je décide de les faire voyager : je viens de tomber dans mes lectures sur une recette de tajine de poissons, ce cabillaud ira au Maroc...



Tout d'abord, je prépare une chermoula : huile d'olive, jus de citron, persil et coriandre finement hachés, ail écrasé, cumin et gingembre en poudre, poivre, sel.
Je laisse mariner les morceaux de cabillaud taillés dans les pavés au sein de cette préparation pendant que je concocte la sauce. Dans le plat à tajine : les mêmes ingrédients que la chermoula ( à l'exception du jus de citron) avec en plus une boîte de tomates pelées, une feuille de laurier et une petite cuillérée de paprika. J'ajoute un demi-verre d'eau et place ce plat en terre sur la plaque coup de feu du fourneau  moyennement chaude. Je laisse réduire à petits bouillons durant une dizaine de minutes.


tajine poisson, cabillaud
Sauce du tajine de poisson


Je dispose les morceaux de poisson enduits de leur marinade sur cette sauce, coiffe le plat à tajine de son couvercle, et poursuit la cuisson une dizaine de minutes.
Quand le tajine se découvre (respectueusement bien sûr...) devant moi, le résultat est bien sympathique.


tajine, cabillaud
Tajine de cabillaud


Afin d'accompagner ce plat -et principalement de disposer d'une pompe à sauce-, j'ai confectionné aussi des pains marocains que j'ai fait cuire à côté sur la plancha.


pain marocain
Pain marocain

Et les convives pompaient, pompaient...


La raie sur le côté

Finalement, la raie est aussi bonne chrétienne que le Saint-Pierre. Et peut-être même plus que la Saint-Jacques qui a tendance un peu trop à se refermer sur elle-même...

Pour preuve, j'avais pratiqué un aller et retour sur des joues de raie, après avoir été l'entarteur de service



en les panant à l'anglaise à la japonaise avec de la chapelure panko. Croyez-moi si vous voulez, mais après ce mauvais traitement, elles m'ont tendu l'autre joue !

joues de raie, panko, épinards
Joues de raie, tombée d'épinards du jardin