Le batteur du Père Moulard ne tourne plus. Une étincelle, un peu de fumée : c’est l’âme de l’ustensile qui monte au Paradis. Le Père Moulard est fatigué de manier désormais l’antique fouet au manche branlant. Alors il fait venir un remplaçant, qui arrive peu après tout pimpant, rayonnant de modernitude.
Le Père Moulard doit inaugurer son nouvel instrument. Il choisit de réaliser une omelette.
Tout d’abord il va dans la cour à côté cueillir trois tiges d’estragon. Il en effeuille deux et cisèle grossièrement. La troisième servira pour la décoration.
Il émince des champignons de Paris (émigrés en Charente-Maritime) qu’il vient de brosser et pomponner en les caressant délicatement d’un linge humide. Mais oui, bien sûr, il en a enlevé auparavant la partie terreuse du pied, et il a empêché la triste oxydation par une aspersion de jus de citron. Il est consciencieux en cuisine, le Père Moulard.
Puis il jette cette découpe dans une poêle où une grosse noix de beurre a fondu et commence à mousser sur un fond d’huile d’olive. Il surveille la cuisson et ajoute un peu avant la fin le tiers des feuilles d’estragon ciselées. Il sale, éteint le feu et réserve.
Y aller avec le dos de la cuillère... |
Le Père Moulard casse six œufs dans une bassine, les assaisonne de six pincées de sel. Il donne quelques coups de râpe sur une noix de muscade au-dessus du récipient, complète par des tours de moulin de poivre noir prodigués sans lésiner.
Il sort son batteur tout neuf, admire son galbe et l’éclat de sa coque, introduit le fouet adéquat. Et vas-y que je te bats les œufs à la vitesse maximum. Le mélange mousse de plus en plus, devient crémeux. Le Père Moulard ne peut s’empêcher de songer à la malheureuse Mère Poulard se secouant les rhumatismes au rythme de la samba pour amuser la galerie. Vive le progrès !
De bons coups de fouet ! |
Il est temps d’incorporer les champignons qui ont refroidi et le reste d’estragon ciselé.
Le Père Moulard met à chauffer la poêle dans laquelle il a fait choir une bonne noix de beurre.
Le beurre réclame le contenu de la bassine. Le Père Moulard verse. Il se contente d’agiter la poêle au-dessus de la flamme. Quand de la vapeur commence à s’échapper sur les bords de l’omelette, il présume que le fond est cuit. Il place alors la poêle sous le gril du four afin de cuire à son tour le dessus en préservant le moelleux du centre.
La surface a légèrement doré. Il redépose quelques instants la poêle sur le feu afin de remettre en température. Puis il fait glisser avec un peu d’appréhension l’omelette sur un plat. À son grand soulagement, tout se passe bien !
Le Père Moulard sort à nouveau dans la cour afin de cueillir une fleur de bourrache et une fleur de nigelle aptes à égayer la surface un tantinet déserto-martienne de la préparation en se joignant à une branchounette d’estragon.
Omelette du Père Moulard |
Décoration très éphémère, car l’omelette ne tarde pas à être tranchée en deux parts que le Père Moulard dispose sur les assiettes.
Bien dans son assiette |
L’omelette du Père Moulard était fort bonne.
Satisfait de l’œuvre accomplie, le Père Moulard peut aller se distraire…
Bon, finalement, je ne suis pas certain que le Père Moulard, ça soit moi…
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