mardi 29 mai 2018

Gros poids sur la conscience et petits pois dans la casserole

J’avais fait pas mal de route pour retrouver ces rillauds angevins et ces blondes rillettes.
Je reconnaissais la patronne de cette petite charcuterie. Mes contacts avec elle avaient toujours été empreints de la froide indifférence à peine réchauffée par un minimum de courtoisie des êtres qui entendent se restreindre à de simples rapports mercantiles : je te débite mon boudin, tu me débites ta carte bleue…
Pour ma part j’aime bien agrémenter mes échanges boutiquiers d’une conversation un peu plus avenante, n’hésitant pas parfois à même la relever d’une petite touche humoristique quand l’occasion s’en offre. Je sais alors gré du sourire que l’on m’accorde, même si je ne puis pas être certain qu’il soit autre que commercial. Et je suis comblé quand derrière l’étal il y a du répondant et que je m'éloigne avec les victuailles dans le panier et le souvenir d’un plaisant dialogue dans la tête…
Malheureusement, en cette maison du Baugeois, la rigueur charcutière de l’artisan s’allie à l’austérité marchande de son épouse. Lors de mes visites précédentes, si je me suis un peu attristé de cette absence de chaleur, je ne m’en suis pas offusqué, ayant constaté que tout client en était victime. Mais cette fois-ci, un grain de sable allait enrayer cette terne routine.

« Ce rillaud vous convient ? »
Et là j’eus le malheur de répondre :
« Non, donnez-moi un plus grillé… »
Alors je vis passer sur son visage le mépris du Provincial pour le plouc Parisien, enfin celui qu’il prend pour tel et qui n’est le plus souvent en réalité qu’un de ses pairs qui s’est échappé provisoirement de ses entassements de RER ou de périphérique pour s’exhiber dans ses nouveaux oripeaux. Un léger sourire illumina enfin sa face, le premier dans notre histoire d’indifférence, un sourire derrière transparaissait un ah ah, le con…
« Grillé, mais mon pauvre Monsieur, un rillaud, ça cuit dans la graisse, ça ne peut être grillé !!!! »
Bon, c’est vrai, le mot était mal choisi, mais devais-je donc réclamer une couleur foncée indice d’une réaction de Maillard plus poussée… Ne cédant pas au pédantisme, je me contentai de lui répliquer vertement que je savais comment on réalisait un rillaud, avant d’ajouter avec perfidie :
« Il est vrai que j’ai surtout l’habitude de déguster les rillons tourangeaux, auxquels la cuisson plus poussée procure une couleur brun foncé et une surface un peu grillée, oh pardon, caramélisée. Oui, je sais, vous aller me rétorquer que c’est l’arôme Patrelle qui fournit cette coloration. Je vous le concède, parfois, oui, quand il s’agit de mauvais artisans qui pratiquent une sous-cuisson afin de moins perdre de poids… »
Le résultat de ma diatribe fut un air narquois de professionnel qui entend un néophyte parler de ce qu’il ne connaît pas… Profondément insupportable ! Les productions de son époux n’eussent pas été aussi savoureuses, j’aurais sans barguigner pris derechef mes cliques et mes claques en lui laissant sur les bras ses rillauds pâlichons.
Alors, je poursuivis lâchement mes achats par un pot de rillettes. La commerçante était redevenue la triste indifférente habituelle.
Pour un instant seulement… J’ai avisé un pâté en croûte plutôt sympathique. D’ailleurs j’avais déjà jadis goûté de produit. Il est fort bon. Mais hélas il ne restait dans la vitrine qu’une espèce de trognon, la fin de la pièce, quatre centimètres tout au plus. Une vieille épave… Pas question !
« C’est tout ce qu’il vous reste ? Il m’en faudrait plus, deux belles tranches bien épaisses.
– J’en ai un autre en réserve… »
Elle alla dans l’arrière-boutique, revint avec un pâté tout neuf. Youpi, je n’aurai pas le rogaton !
Las, elle se saisit de son couteau,s'empara du plateau où s’ennuyait le susdit rogaton, promèna la lame :
« Cette épaisseur ?
– Oh, vous n’allez tout de même pas me servir ce rogaton.
– Ben, il faut bien que je le vende !
– C’est donc à moi de vous apprendre votre métier ! Vous me coupez mes deux tranches du nouveau, je suis content, puis, après mon départ, vous déposez la tranche de l’ancien à côté du nouveau, comme si elle y avait été découpée, et vous la vendez à un client qui n’aura pas l’impression de se voir attribuer un vieux reste, sera content, et vous, vous le serez aussi. Tout le monde sera heureux…
– Je ne suis pas malhonnête !
– Votre honnêteté frise la sottise… D’ailleurs honnêteté et commerce sont-ils compatibles ? Bon, je plaisante…
– Le pâté que je viens d’amener a été fait en même temps que celui que vous ne voulez pas…
– Je confirme. Ce n’est même plus une question d’honnêteté. De la sottise pure et simple. »

Mais la psychorigide a campé sur ses positions : j’ai dû me contenter de mes deux tranches disparates…

Fin de mes achats...
Elle me tend le boîtier dans lequel est insérée ma carte bleue. Je frappe mon code.
« Il n’y a qu’un chiffre de saisi. Recommencez.
– Décidément, la machine est aussi rétive que la patronne ! »
Elle me rend ma carte sans un mot.
« Quant à moi, je sais dire merci ! » conclus-je  en rengainant mon portefeuille.
Je sors sous le regard noir de cette gâcheuse de plaisir, cet éteignoir de volupté gastronomique.
Je me suis régalé des charcuteries de cette maison le soir même.

Avec cependant un peu d’amertume : j’ai mauvaise conscience d’avoir accablé cette pauvre femme.
C’est sa nature, et le principal n’est-il pas qu’elle se mette au service d’une production de qualité.
Le fond plus que la forme…

Après ce gros poids sur ma conscience, des petits pois dans ma casserole.
Ces petits pois crissant quand ils se frottent les uns sur les autres, achetés frais cueillis par mon maraîcher poitevin, je les ai écossés, ne dédaignant pas de m’accorder le bonheur d’en détourner de temps à autre un petit grain vert tendre et le croquer en prémices du plat que je prépare. Ce plat sera on ne peut plus simple:
Je dépose une grosse noix de beurre fermier que je fais fondre en compagnie des pétales découpés dans un oignon nouveau. Quand il est bien mousseux, je verse les petits pois, les fait rouler pour les enduire de ce gras parfumé avant de verser un demi-verre d’eau. Je coiffe d’un couvercle. Une dizaine de minutes plus tard, le liquide a malgré tout presque complètement disparu. Pendant ce temps, je suis allé cueillir quelques feuilles de menthe que j’ai roulées et ciselées sur la planche. Je les jette dans la casserole, mélange. Une pincée de sel, et je n’ai plus qu’à verser dans la coupe de service.



petits pois, menthe
Du vert parmi le verre


Un mariage réussi…
 

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