En premier gloire à cet animal capable de tisser une toile de haute technologie, puis d'avoir la patience d'y assurer le guet afin de nous débarrasser de moult malfaisants. Je me suis d'ailleurs toujours demandé ce qui lui passait par la tête durant ces longues périodes consacrées à l'affut. Car après tout elle ne pouvait avoir à ses côtés la bouteille de pastis pour tuer le temps comme un vulgaire chasseur de palombe. Alors revoit-elle le corps poilu (et, quelle chance, garni de quelques œufs...) de la Musca domestica dodue qui fut son dernier repas ? Se projette-t-elle au contraire dans le futur, imaginant un gros taon agonisant en vrombissant, promesse d'un festin pantagruélique moyennant quelques dégâts facilement réparables ? Est-elle simplement concentrée, telle un sportif, genre Fabien Barthez attendant l'arrivée d'un ballon (enfin, je crois, car je ne suis pas un familier de la guerre des goals) ? Ce qui est plus probable, c'est qu'elle roupille tranquillement en attendant que le vibreur la réveille. Je n'ai jamais osé lui demander ce qu'il en était vraiment, de peur qu'elle prenne la mouche !
Mais aussi gloire à cette habitante des fonds marins qui nous procure une chair savoureuse, d'autant plus ferme et goûteuse si l'on gave ce sympathique majidé de protéines par le naufrage d'un paquebot géant, événement jubilatoire qui offre le double avantage de débarrasser des sites tels que Venise d'un polluant et de soulager les caisses de retraite.
Enfin gloire à ces araignées qui vont se nicher dans la cuisse des quadrupèdes.
L'araignée de bœuf bien sûr, un de mes steaks favoris, qui évoque pour moi le goût de mon enfance, car au gré des déménagements ma mère trouvait toujours un boucher qui lui réservait cette pièce délectable, comme cet artisan qui écrivait toujours à la craie sur l'ardoise de la devanture "Poullets de ferme", rien que pour le plaisir de répliquer à un client de passage qui lui faisait remarquer cette faute d'orthographe : " Comment, ils n'ont pas deux ailes mes poulets !". Pour les araignées, point d'ardoises, elles étaient cachées dans l'arrière boutique pour les clients favoris...
Et l'araignée de porc, ce morceau à la fois tendre et parfumé, que malheureusement le plus souvent les artisans présentent déjà baignant dans une marinade, je suppose pour une meilleure conservation mais aussi pour une présentation plus attractive, dans l'idée qu'ils se font, peut-être pas si fausse que ça, d'une ménagère timorée un peu dégoûtée par les branches plus ou moins tentaculaires engendrées par le parage, les veines de gras au milieu d'une chair un peu grisâtre... Pourtant, brutti ma buoni, comme disent les Italiens à propos de certains de leurs biscuits !
Aussi c'est avec un grand plaisir que j'ai vu arriver chez moi quelques unes de ces araignées porcines brutes de décoffrage, pardon, décuissage.
J'ai décidé de les servir avec des pommes paillasson et des navets et oignons nouveaux.
Pour débuter, j'ai peaufiné le parage des araignées et les ai partagées en morceaux sensiblement identiques.
Pour la sauce, j'ai fait réduire le jus de deux oranges avec une bonne cuillérée de balsamique blanc et une petite cuillérée de balsamique traditionnel de Modène, y ajoutant trois ou quatre grammes de fécule, une pincée de 5 épices (anis vert, fenouil, coriandre, cannelle, clou de girofle) et une autre de piment d'Espelette. Et là j'ai commis une erreur de débutant : si fort justement je n'ai pas salé avant réduction, j'ai voulu rectifier la couleur qui me semblait un peu terne en rajoutant du piment d'Espelette. Las, j'oubliais que celui que j'utilise actuellement est, pour une raison que j'ignore, grimpé beaucoup plus haut sur l'échelle de Scoville que ses frères qui restent bien souvent pas loin du niveau des pâquerettes.
Quand j'ai goûté le résultat avant de dresser, j'ai constaté que ma sauce manquait de rondeur, n'avait pas assez d'acidité, et surtout était très pimentée. D'urgence j'ai découpé quelques petits cubes de pulpe dans une tomate fraîche que fort heureusement j''avais sous la main, les ai ajoutés ainsi que deux pincées de sucre et un trait de jus de citron. Et, ô miracle, ça a fonctionné. J'oserai affirmer que la sauce était devenue plutôt bonne.
J'ai gratté deux petits navets nouveaux, enlevé la première peau de petits oignons blancs en conservant une partie de la queue, et j'ai classiquement fait glacer ces légumes dans un soupçon d'eau avec sucre, sel et beurre.
La réalisation des pommes paillasson m'a permis de liquider un petit stock de pommes de terre disparates qui une fois râpées ont fait bon ménage. Lavées, fortement essorées en tordant un torchon qui les contenait, je n'ai plus eu qu'à tasser deux blocs dans une poêle antiadhésive recouverte d'une bonne couche d'huile d'arachide parfumée par une noix de beurre, le plus difficile ensuite étant de les retourner sans dommage.
Les araignées sont passées sur la bonne vieille poêle en acier culottée depuis des lustres.
La cuisson achevée, j'ai partagé entre deux assiettes, disposé sur chacune un navet et cinq petits oignons et fait glisser un paillasson bien doré. J''ai versé la sauce dont je n'avais plus honte. Deux feuilles de roquette du jardin afin d'apporter une touche de verdure. Enfin couronner d'une touffe de piments cheveux d'ange de Tianjin s'est imposé à moi comme une évidence, peut-être à cause de mon déboire espelettien...
Et voilà...
Araignées de porc paillasson n°1
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Araignées de porc paillasson n°2 |
Nous avons pu essuyer nos lèvres barbouillées de sauce sur le paillasson...
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