Le vilain comte |
Il serait bien parti à la chasse, et il me tirait par la manche. Son projet était de se payer un des visiteurs lâchés par un quelconque accompagnateur touristique dans le parc du château royal, plutôt que de rester échoué sur les rivages de l’îlot viande des Halles.
Sur le fond, je ne lui aurais pas donné tort, mais voilà, gastronomiquement parlant, je suis peu porté vers la viande humaine.
Alors j’ai développé des trésors de diplomatie afin de le ramener à la raison, utilisant les armes les plus sournoises de la dialectique.
« Comte, vous vénérez le Général...
-Certes, mais..
-Le Général a dit que les Français étaient des veaux. Le fin algébriste que vous êtes ne peut nier que si Français = veau, la proposition veau = Français est aussi vraie. Donc si vous avez dans votre assiette du veau, vous avez du Français. Le Français, ce qui se fait de mieux, le E dans le classement EUROP ! Alors..
-Je réfuterai votre raisonnement en répliquant que les touristes ne sont pas des Français !
-Tss, tss, dans la lunette de votre carabine, vous eussiez tout juste pu identifier un Bavarois en culotte de peau sous son bitos à plume, une jeune Japonaise avec sa jupette bleu marine, son chemisier blanc et son teint jaune, un Américain crachant son chewing-gum sous l’ombre de son stenton, tiré par son épouse dont le short rose parvient avec peine à contenir le gros fessier, un Russe avec la liasse de dollars dépassant de sa poche, un jeune Roumain qui louche vers cette poche... Et encore sans certitude : le Français vagabonde aussi beaucoup dans ces sous-bois et se démarque peu du touriste tout-venant, tout comme il arrive que le touriste étranger parvienne à se donner une apparence française, croyez moi, il y en a même qui se camouflent par le truchement d'une baguette et d'un béret…
En cette époque de mondialisation, vous n’allez tout de même pas faire la fine bouche !
Croyez-moi, le veau fera l’affaire.
-Mais moi, je veux du sanguinolent…
-Qu’à cela ne tienne, on rajoutera un peu de Bacon.
Du Bacon |
-Il n’y a pas de mais ! Tenez, comte, je serai bon prince. Afin d’honorer votre titre, je vais ajouter un comté. Ce ne sera pas, j’en conviens, le comté d’Orloff, cependant, beau, fort comme vous l’êtes, vous allez vous l’approprier… »
Je me suis fait trancher un rôti de veau, Orloff voulait que ça barde, et bien ça a bardé.
« Et voilà, comte. N’êtes-vous pas satisfait de votre trophée, crépiné comme un nouveau-né ?
-Boff… »
Jamais content, ce comte !
Arrivé, à la maison, j’offre un petit verre de vin blanc avec une garniture aromatique en guise d’apéro à notre proie ligotée. Elle se plaît avec la cocotte et j’entends siffloter Ah ! Le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles..
« Vous voyez, c’est un Français !
-Ben alors, pas un tout jeune ! Ce jeune veau est une vieille baderne… »
Jamais content, ce comte !
Le trophée d’Orloff est un peu parti, il est même parti au four à 210 °C pour une dizaine de minutes.
Trophée |
Orloff, magnanime, propose de baisser la température à 180 °C. Il n’a pas tort.
Quarante minutes plus tard, nous pouvons délivrer le trophée de ses liens.
Le comte s’empare de son Jagdmesser au manche de corne
Je ne puis m’empêcher d’ironiser :
« Heureusement que parfois ce sont des harpails que vous poursuivez. Encore que…»
Le comte me lance un regard peu amène. Et moi qui croyais la comtesse au-dessous de tout soupçon. Il est vrai que qui va à la chasse perd sa place….
En tout cas les parts sont belles.
Orloff s'en paye une bonne tranche |
Pour la sauce, j’ai fait cuire des spätzle. Le comte grommelle qu’il aurait préféré une kacha de sarrasin.
Jamais content, ce comte !
J’ai une grosse envie de chasser le comte Orloff …oui, de le chasser de chez moi !
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