mardi 9 août 2022

Le thon qu'il fallait

 

N’ayant aucune envie de transformer la cuisine en succursale des Enfers en allumant le four ou en me lançant dans de longs mijotages, je me suis tourné vers la réalisation d’un rapide plat de pâtes.

En effet dans mon placard se morfondait un sachet de spaghetti déjà entamé. Mais surtout dans le réfrigérateur il y avait ce qu’il fallait pour qu'une telle banalité se transforme en régal : un morceau de poutargue de thon rouge.

 





Tout d’abord une rapide mise en place :

-  prélever les 2/3 du morceau de poutargue, soit environ 100 g, conserver le reste pour une utilisation ultérieure

-  en découper une moitié en fines tranches et émietter l’autre moitié

-  prélever le zeste d’un citron jaune avec un zesteur, puis partager l’agrume et en exprimer le jus

-  éplucher et hacher finement quatre gousses d’ail

 

Je mets à chauffer une grande casserole d’eau. En attendant l’ébullition, j’en profite pour verser deux cuillerées d’huile d’olive au fond d’une poêle que je place sur un feu moyen. J’y fais tomber l’ail, puis les zestes de citron et les miettes de poutargue. Je verse le jus de citron et laisse réduire de moitié. Je réserve.

Bon, ça y est, l’eau est en ébullition. J’y fais tomber une poignée de gros sel, puis les 150 g de spaghetti. Il Signore Rummo m’a prescrit 11 minutes de cuisson pour ces grossi spaghetti n° 5, mais je me contenterai de 9 minutes, la cuisson se poursuivra dans la poêle que j’ai remise sur la flamme en y versant une louche d’eau de cuisson des pâtes.

Bip, bip… Je sors les spaghetti que je dépose dans la poêle où bloubloute la sauce à la poutargue en pleine réduction, dont l’amidon apporté par les pâtes va parachever la liaison. Je brasse afin que ces dernières s’imprègnent de tous les parfums et se barbouillent gentiment. Deux minutes sont passées, les spaghetti sont al dente. Je n’oublie pas deux ou trois tours de moulin de poivre noir de Wayanad aux notes fruitées.

Je m’empare d’une pince pour transférer le contenu de la poêle au sein de deux assiettes creuses. Je répartis les tranches de poutargue. Je termine en arrosant d’un filet d’huile d’olive des Baux-de-Provence – celle aux arômes de fruits noirs maturés. Enfin, dans le même élan que l’alpiniste plantant son fanion au sommet qu’il vient de conquérir de haute lutte, je dresse une feuille triomphale : le parfum du basilic s’alliera à celui de la victoire.

poutargue de thon rouge
Nid de ponte d'un thon rouge

Et, c’est vrai, victoire que cette poutargue point trop salée qui se délite savoureusement dans la bouche en exhalant de plaisantes notes iodées, que ce citron dont la présence est discrète, mais assumée, tout comme pour l’ail qui se résout à rester en arrière-plan, que ces pâtes al dente mais imprégnées de toutes ces saveurs. Le thon qu’il fallait – et juste le temps qu’il fallait pour que le cuisinier ne soit pas cuit.

 

vendredi 5 août 2022

Very Nice ?

 

La vue du feuillage encore bien vert de blettes venant d’être arrachées au jardin – c’était avant cette canicule qui me tourna plus vers la sieste que vers l’écriture, fut-ce au sein de ce blog… - m’avait incité à me lancer dans la réalisation d’une tourte de blette. Et que l’on ne me reproche pas de faire du grand n’importe quoi en m’aventurant sur des terres qui me sont étrangères. Car si je n’ai pas la moindre goutte de sang niçois ni même provençal dans les veines, je tire ma recette du journal Nice-Matin qui l’a extraite des Carnets de cuisine du comté de Nice par Alex Benvenuto en collaboration avec le Comité Technique du label « Cuisine Nissarde ». Pas authentique, ma tourte ? Ben si, autant que l’aligot que j’ai vu jadis battu vigoureusement par un jeune chinois sous l’œil reconnaissant, mais vigilant, de la bougnate enfin déchargée de cette tâche ingrate. Comme quoi en gastronomie les origines régionales ou ethniques du cuisinier n’apportent aucune valeur ajoutée au résultat final – surtout si le gourmet dégustateur en reste dans l’ignorance… En témoigne d’ailleurs le label STG (spécialité traditionnelle garantie), pour lequel, dans leur grande sagesse, les législateurs n’ont pas intégré les hacheurs, les touilleurs, les pétrisseurs, les cuiseurs ou les démouleurs parmi les ingrédients : ainsi une Vieille Gueuze peut être brassée aussi bien par un gueux réfugié moldave que par un père noble flamand.

Je fais le faraud, mais je n’en mène pas large en préparant la pâte. En effet il s’agit d’une de ces pâtes sucrées délicates à étaler et surtout à transporter. Dans les 500 g de farine j’incorpore 2 œufs, 250 g de beurre pommade et 200 g de sucre semoule. Je n’oublie pas la pincée de sel. Je pétris délicatement, j’ajoute la cuillerée d’eau qui manquait pour le façonnage d’une boule homogène qu’une fois obtenue j’enferme dans un film transparent avant de la réserver au froid.

Je passe à la confection de la garniture. Je prélève les côtes que je blanchis rapidement avant de les transférer dans une boîte où elles attendront au réfrigérateur leur tour pour être cuisinées. Oublions-les pour aujourd’hui ! Ce sont les feuilles vertes qui m’intéressent. Je les découpe en fines lanières et les lave trois ou quatre fois jusqu’à ce que l’eau ne soit plus teintée. Je les passe à l’essoreuse à salade. Je pèse : j’ai obtenu approximativement un kilo de verdure.

Dans une grande bassine je mélange 75 g de cassonade avec 1 œuf, 25 g de parmesan râpé (je n’ai pu me procurer le sbrinz recommandé) ainsi que 30 g de raisins secs qui se gonflent d’importance sous l’ivresse du petit verre du rhum dans lequel je les ai plongés une heure auparavant. J’incorpore 80 g de pignons qui, sous l’influence des raisins, réclament leur part alcoolisée. Je noie leurs braillements sous un demi-verre d’eau-de-vie de prune. J’ose espérer que la cuillerée d’huile d’olive que je déverse évitera la gueule de bois à cette bande d’ivrognes. Surtout, mais ça, c’est pour le parfum d’anis, que j’ajoute une petite cuillerée d’arak…

Je déverse les lanières de blette bien égouttées, donne quelques tours de moulin de poivre noir et brasse le tout. Ma garniture est prête. 

tourte aux blettes
L'art et la lanière

Il me reste à découper des tranches fines dans une pomme Golden. Elles seront disposées à la surface de mon mélange.

tourte aux blettes
pomme pomme pomme

Mais le plus délicat reste à faire. Je partage ma pâte sortie du réfrigérateur en formant deux boules égales. Je les étale entre deux feuilles de papier siliconé légèrement fleurées. Avec moult précautions en m’aidant d’une spatule j’arrive à décoller la feuille supérieure. Transport vers la tourtière, brusque retournement, victoire, le disque de pâte est centré sur le moule. Nouvelle opération de séparation du papier restant, piquage et étalement de la garniture… Mes lamelles de pommes sont réparties à la surface.

Je me livre aux mêmes opérations de transfert pour le second disque de pâte que j’avais réservé au frais le temps de mener à bien la construction du soubassement et d’élever les étages. Mais là c’est pour recouvrir l’édifice. Puis, en bon artisan, je fignole les jointures. Il me faut piquer la pâte. À la fourchette ? Non, car je trouve ces alignements disgracieux. Je préfère utiliser un pique pomme de terre dont les trois pointes disposées en triangle offrent un graphisme plus harmonieux.

tourte aux blettes
Comme des pattes d'oiseau

Et zou, au four pour une quarantaine de minutes à 180 °C. Quand elle sort, cette tourte de blette a plutôt bonne allure. Je la saupoudre de sucre semoule.

tourte aux blettes
Non, pas de sucre glace !

Elle est désormais tiède et j’entreprends anxieusement de la démouler. Eh bien, mes craintes étaient injustifiées. Tout se déroule facilement, ma Nissarde vient s'allonger en douceur sur le plat aussi facilement qu’une Anglaise en promenade le ferait sur un transat.

Une enfant de la perfide Albion qui se poserait comme moi la question « Dessert or not dessert ? »

J’avoue que si nous n’avions pas eu une invitée au repas, cette tourte aux blettes aurait fait office de plat unique. Mais comme je veux mettre les petits plats dans les grands, j’ajoute au menu des grillades de porc accompagnées de haricots verts du jardin.

Les tranches de porc ont mariné dans une sauce au sirop d’érable et piment chipotle. 


Je les dépose sur le gril en fonte, chaud mais pas trop. J’effectue de nombreux retournements, donnant des coups de pinceau imbibé de la sauce à chaque fois. J’enlève la viande du gril quand sa surface est bien caramélisée, renfermant une chair encore juteuse.

Pour les légumes, j’ai plongé sept minutes les haricots violets qui en ont verdi de stupéfaction dans l’eau bouillante salée. Ils en sont sortis al dente. Ils étaient même un peu en sous cuisson, ce que je souhaitais pour qu’ils supportent le passage dans le beurre fondu.

Comme la récolte du jour de haricots était maigre, j’y ai adjoint quelques pommes de terre primeur de Noirmoutier dont la cuisson en robe des champs a pris, quant à elle une quinzaine de minutes. Elles vont rouler au fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel mousseux. Deux ou trois minutes pour les laisser se vautrer dans le stupre normand et sa dorure, et je leur adjoins les haricots vioverts qui semblent en éprouver une brillante satisfaction.

Il est temps que je vire tout ce petit monde de la poêle orgiaque pour les encadrer sur un sévère plat en inox par un trio dopé à la sauce américaine.

grillades de porc, haricots violets, pommes de terre de Noirmoutier
Le début des haricots

Nous nous en régalons


Enfin l'instant du dessert : je tranche la tourte de blette. 


tourte aux blettes
Aux Niçois qui mal y pensent

Les parts sont belles et de bonne tenue

Mais si mes compagnes de table m’affirment se régaler, pour ma part je prends un plaisir mitigé à cette dégustation. Serait-ce que je n’aime pas la VRAIE tourte nissarde ? Ou bien Nice-Matin aurait-il abusé de ma naïveté en ne dévoilant pas les secrets de préparation qui sont l’apanage des seuls résidants dans le countea de Nissa depuis plusieurs générations ? Dire que sur place je n’ai jamais eu l’idée de déguster ce produit afin de me créer une référence… Je m’en veux, je m’en veux, de m’être contenté de la pissaladière et du pan-bagnat ! Crétin de touriste que je fus…

 

jeudi 28 juillet 2022

Filet en douce

  

C’est décidé, cuisson douce à la vapeur pour les deux filets de poulets du Gers achetés le matin chez le marchand de produits du Sud-Ouest des Halles de ma bonne ville.

Mais pour autant je ne souhaite pas une viande insipide. Aussi je fais mariner mes deux morceaux sous vide pendant une nuit.

Je saupoudre les filets avec générosité, recto et verso,  d’une poudre toute prête, mélange de paprika, ail, thym, romarin, piment de cayenne. Je me permets même la familiarité de les masser quelques instants avant de les déposer sur un lit d’herbes du jardin (origan, marjolaine, thym citronnelle, romarin) et d'oignon blanc finement haché. Je les recouvre ensuite du même mélange avant de les arroser d’un bon trait d’huile d’olive et du jus d’un demi-citron. Et puis pompons, pompons… À vrai dire je ne fais pas trop le Shadok, car c’est la machine qui me pompe l’air, ou plus précisément l’air enfermé dans la boîte. En effet, en ce qui me concerne, il n'y a nul besoin d'assistance mécanique pour me pomper l’air - j'en ai fait l'expérience maintes fois.

filet de poulet
Le vide n'a pas horreur de la nature


Le lendemain je sors le récipient du réfrigérateur et autorise Dame Atmosphère à réintégrer sa place, ce qu’elle attendait avec une impatience manifeste - je la sentais sous pression.

Pendant que mon poulet revient à température ambiante, je lance la cuisson durant une vingtaine de minutes d’un verre de boulgour dans le double d’eau salée en ébullition. D’autre part je fais sauter à l’huile d’olive rapidement dans une poêle une courgette du jardin taillée en paysanne. Enfin je recouvre des rondelles d’oignon blanc d’un grand verre de vinaigre de cidre additionné d’un trait de vinaigre d’alcool, une cuillerée de mélasse de grenade et une pincée de sel afin d’obtenir des pickles.

Le boulgour est cuit à point, j’y incorpore le taillage de courgette encore légèrement al dente. Je réserve.

Je vois que la vapeur sort abondamment des trous de la plaque en inox perforée. J’y verse le contenu de ma boîte, filets et herbes mélangés. Je laisse cuire une vingtaine de minutes. Je sors les filets à la pince pour les faire colorer quelques secondes sur le gril en fonte barbouillé d’huile d’olive.

Après avoir remis le boulgour en température je passe au dressage pour lequel j’ajoute quelques olives, un brin de menthe du jardin et une pincée de piment d’Espelette. J’arrose le boulgour d’un filet d’huile d’olives maturées des Baux-de-Provence aux parfums de tapenade.

filet de poulet, boulgour, pickles d'oignon
Poulet parfumé


Ouf, en dépit de la cuisson à la vapeur, l’assiette ne donne pas l’impression d’une désolante dérive vers la tyrannique diététique de l'hygiénisme ambiant… Un seul regret : que le passage sur le gril, bien que fort bref, ait légèrement desséché la chair du poulet. J’aurais dû préférer le chalumeau pour colorer. Mais je voulais des stries… Voilà ce que ça donne, quand on fait le zébreur !

 

 

 

lundi 25 juillet 2022

Amour en mer

 

Par une nuit de pleine lune, non loin de Quiberon, Siegfried Homard – que ses amis surnommaient affectueusement Zig – remarqua, cachée timidement derrière un gros rocher tapissé de goémon, Bernadette Langouste. C’était une grosse bretonne rougeaude, néanmoins il en pinça pour elle. « Mais non, elle n’est pas grosse, elle est simplement bien en chair… » la défendait-il auprès de ses copains ricaneurs.

Quelques semaines plus tard, il lui passait la bague. Il y avait fait graver les lettres CRPMEM, ce qui signifiait Câlins, Romance, Passion, Mon Éternellement Mienne.

L’union fut proclamée : Bernadette était devenue Madame B.H.L, ce qu’elle prit avec philosophie. Elle n’était pas d’un tempérament enflammé, mais, après tout, sans doute passera-t-elle des jours heureux auprès de son Zig Homard…

En quoi elle se trompait. L’erreur, ce fut de partir en voyage de noces. Les antennes du couple auraient dû pourtant les dissuader d’entreprendre un tel périple…

Quand ils arrivèrent à Versailles où ils avaient retenu chambre et couvert chez l’habitant, le voyage, pourtant sous climatisation, les avait éreintés. Surtout Monsieur Homard, moins fringant que de coutume. « Remets-toi, mon pauvre Zig, tu la reverras, ta mer ! » s’exclama sa compagne en lui caressant gentiment la queue.

langouste, homard
B.H.L. et Zig Homard

Compatissant, le maître des lieux leur proposa une séance de sauna –  parfumé aux algues, s’il vous plaît… Ils en sortirent encore un peu dans les vapes.

«  Qu’en penses-tu ma Nadette ? Quant à moi je me sens un peu partagé…

-  Moi itou…

-  Et maintenant ne souhaiterais-tu pas passer à table ?

- Oh oui, mon Zig, oui oui ! »

Ils passèrent - sur la table. Le couple fut arrosé de beurre salé fondu, breton, c’était la moindre des choses, relevé d’un trait de jus de citron. Pour leur tenir compagnie, il y avait quelques pommes de terre primeurs de l’île de Noirmoutier cuites à l’anglaise, roulées à feu moyen au fond d’une poêle dans une noix du même beurre puis parsemées de curry – curry breton bien entendu.

 

langouste, homard
En tête à tête

Voyage de noces sans retour... L’Ogre des Yvelines avait encore sévi…

jeudi 30 juin 2022

En eaux douces




Eaux douces…


Tout d’abord l’eau à 11,7 °C provenant des sources de la rivière Oron dans laquelle évoluent les truites farios de la pisciculture Charles Murgat.

Quand j’allonge mes deux magnifiques truites dans la plaque en inox, je constate que je n’ai pas grand-chose à faire, sinon les parsemer de fleur de sel et les passer dans la farine pour ma préparation meunière.

truite fario
L'oeil vif et toute ouïe

En guise d’accompagnement, je fais tomber dans une noix de beurre demi-sel un oignon rouge de Tropea découpé en petits dés et y ajoute des grosses girolles de Sologne tranchées en deux. Je parfume d’une feuille de sauge ciselée finement et d’un tour de moulin de poivre blanc de Muntok.

Sur le feu voisin réglé à flamme moyenne je dépose la poêle à poisson barbouillée d’une cuillerée d’huile d’olive et d’une noix de beurre. J’introduis au sein de mes enfarinées une pincée de gros sel et quelques grains de poivre noir de Tellichery que j’enfouis sous une feuille de menthe et une branche de persil. Je dépose les poissons que je retournerai plusieurs fois – sans difficulté, car les bêtes sont bien roides - jusqu’à ce que sous la peau croûtée une chair à la fois brillante et laiteuse ne demande qu’à se séparer de l’arête, ce qui nécessite un peu moins d’une dizaine de minutes.

Je dresse sur des assiettes chaudes, ajoutant un éclat et une demi-tranche de citron jaune.

truite fario
Une truite bien élevée

Un régal ! Pas étonnant que ce produit ait été sélectionné comme ingrédient pour un Bocuse d’Or. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir pu préparer ces farios au bleu, à peine sorties de l’épuisette…

 

 

Puis, douce elle aussi, l’eau du lac alpin où ont été pêchées les ferias que je viens d’allonger sur une planche afin d’en lever les filets.

fera du lac
Fera attristée par son sort

Une tâche bien délicate avec ces écailles si envahissantes, cette chair si fragile et ces arêtes si fines. Je m’en acquitte tant bien que mal, me promettant cependant d’acheter la fera du lac sous forme de filets le jour où l’envie me reprendra de la cuisiner.

Je choisirai la vapeur pour la cuisson de cette chair délicate que je raidis par un séjour sous le sel.

Mais auparavant je commence la garniture. Je recouvre des radis rouges équeutés d’une saumure bouillante fortement vinaigrée et parfumée de clous de girofle, de cannelle, afin d’obtenir des pickles.

Une demi-heure s’est écoulée. J’en ai profité pour écosser les petits pois récoltés le matin même au jardin. Je les mets à cuire à l’anglaise en compagnie de quelques tranches de carotte. Huit minutes me suffisent pour obtenir des légumes légèrement al dente, encore gorgés de leurs parfums. Exactement le même temps qu’il me faut pour nacrer la chair des filets étendus sur une feuille de papier siliconé et déposés dans un bac perforé placé dans l’appareil de cuisson à la vapeur.

Simultanément à ces cuissons – on ne peut plus diététiques, on le reconnaîtra – je monte un beurre blanc à partir d’échalotes grises du jardin hachées finement un verre de gros-plant, un trait de vinaigre blanc et 200 g de beurre d’Échiré, sans oublier la pincée de sel fin et le tour de moulin de poivre blanc de Penja.

Je dresse en recouvrant partiellement de ce beurre blanc dont une saucière sera posée sur la table.

fera du lac
Vapeur du lac


Cette assiette est très bonne, et offre sans doute une recette plus raffinée que celle de ma banale fario meunière. N’empêche que je m’étais davantage régalé avec cette truite ! Je me console en savourant les goûteux petits pois agrémentés d’un soupçon de sauce onctueuse, songeant qu’être bien élevé peut vous permettre de damer le pion à un sauvage, fût-il même un bon sauvage…

lundi 27 juin 2022

Dans un panier de crabes

 

Ah, la vilaine bête ! C’est qu’il m’a pincé, ce salopard de crabe vert ! Puisqu’il en est ainsi, il va voir avec ses copains du même acabit de quel gaz je me chauffe…

Ma gentillesse me perdra. J’avais voulu allonger délicatement ces Méditerranéens pour une dernière sieste. Mais non, il leur fallait me narguer en gigotant, en escaladant les parois de leur impeccable retraite, en voulant jouer les saute-murailles pour s’en échapper, bref en sonnant le branle-bas de combat.

crabes verts
Allez les Verts !

Quoi que… Finalement, considéré sous un autre angle, cette agitation, c’est plutôt sympa : chacun me présente un certificat de bonne vie (et mœurs, je ne sais pas ? ) qui me rassure sur la comestibilité. Dont acte. Allez, tout le monde sous la douche ! Puis l’on va s’égoutter au fond d’une passoire, et en vrac cette fois-ci, non mais.

 

crabes vert
Sortie de bain

J’attends quelques minutes que tout ce petit monde commence à se calmer, apaisé par la fraîcheur ambiante. Dans un but humanitaire – ou plutôt crabataire – j’attends que le petit verre d’huile d’olive que j’ai versé au fond du rondeau soit très chaud, presque fumant, avant d’y basculer le contenu de la passoire. Trois minutes plus tard, feus les crabes sont passés au rouge.

crabes verts
Ils en rougissent, les traîtres...

J’éteins la flamme et attends un refroidissement tout relatif – mes doigts s’en souviennent… - pour me consacrer à une opération fastidieuse, mais nécessaire : débarrasser chaque crabe de son octuor de petites pattounettes et son duo de mini-pinces afin d'autoriser une dégustation aisée de mes spaghetti aux crabes verts et éviter le coincement d’un dactyle ou autre propodite entre deux molaires. Eh oui, j’avais oublié de dire qu’un plat de pâtes était l’objectif final de toutes ces manœuvres… Voici, c’est chose faite : l’on sait désormais que mon entreprise crabicide ne relève nullement d’un sadisme gratuit, même si vu du côté des crustacés ça ne change pas grand-chose à leur vécu. D’autant plus que je me permets de fendre leur carapace d’un coup de ciseau qui facilitera leur dégustation et permettra à leurs entrailles de parfumer la sauce.

Je remets les crabes désormais géométrisés dans le rondeau en y ajoutant un gros oignon blanc haché et une branche de livèche. Je rallume le feu, désormais à puissance moyenne. Je laisse l’oignon compoter un couple de minutes. 

crabes verts
Plus faciles à ranger...

Je dépose une bonne cuillerée de concentré de tomate que je relève de deux gousses d’ail écrasées et d’une pincée de piment d’Espelette. À ce moment les crabes réclament du vin blanc. Je n’ai pas la cruauté de leur rétorquer « Pas de bras, pas de pinard ! » et leur verse un grand verre de sauvignon. Je laisse réduire du quart en récupérant les sucs collés au fond du rondeau décollés à l’aide d’une maryse. Je mouille ensuite à hauteur avec de l’eau du robinet, introduis un nouet enfermant les pattes et pinces concassées, et je laisse bloublouter à feu moyen jusqu’à ce que la sauce atteigne la consistance voulue, ce qui me prend une vingtaine de minutes. 

crabes verts
Nouet d'ivresse

J’extrais le nouet dont le contenu devrait désormais avoir exprimé tous ses sucs.

Il ne me reste plus qu’à rectifier l’assaisonnement par deux ou trois tours de moulin de poivre blanc de Penja et quelques pincées de fleur de sel.

Je fais glisser le contenu du rondeau dans une boîte et réserve toute une nuit au frais afin de permettre une osmose des parfums.


Le lendemain, un peu avant de passer à table, je change mon fusil d’épaule. Réflexion faite, le remplacement des spaghetti par des fusilli rendra la dégustation du plat plus facile. Je réchauffe ma sauce dans laquelle se vautrent les crabes apodes au fond d’une poêle. J’y transfère les pâtes sorties de l’eau bouillante salée à l’aide d’une araignée. Une ou deux minutes en secouant pour enrober les fusilli et les laisser s’imprégner du parfum marin : je m’empare d’une louche et répartis mes fusilli aux crabes verts entre les assiettes.

fusilli aux crabes verts
Crabes montés sur ressorts


C’était bon, nous nous sommes léché les babines et surtout les doigts. Demain, grande lessive de serviettes…

Mais je ne me suis pas fait pincer pour rien.

samedi 25 juin 2022

En fixant la ligne rouge des Vosges

 

La semaine dernière, j’ai eu les yeux fixés sur la ligne rouge des Vosges.

Une première fois avec le ponceau de côtelettes de sanglier, et quatre jours plus tard avec l’andrinople de pavés de chevreuil.

 

En ce qui concerne le sanglier, la cuisson fut on ne peut plus simple. Les côtelettes, ayant reposé une heure sur un lit de thym et d’origan, sont allées dorer rapidement sur un gril barbouillé de saindoux. Je les ai accompagnées de fèves cueillies le matin même au jardin. Je les ai fait baigner quelques secondes dans un beurre demi-sel mousseux avec trois feuilles de menthe ciselées finement avant de les répartir entre les assiettes à côté de galettes de pommes de terre (tubercules râpés mélangés avec une grosse pincée de sel, de nombreux tours de moulin de poivre noir de Sarawak et nettement moins de noix de muscade, puis pressés dans une toile à beurre pour en exprimer l’eau de végétation). Enfin une cuillerée de chipotle ketchup m’a semblé faire l’affaire en tant que condiment émoustilleur de papilles.

sanglier
Sanglier sauvage des Vosges


Mission accomplie. J’ai apprivoisé la bête sauvage.


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Il me fallait être tout aussi efficace pour dompter le chevreuil alsacien. Là encore, la cuisson fut on ne peut plus simple. Pour la bonne raison qu’il n’y en a pas eu : j’ai servi les pavés en carpaccio. Si le déclencheur fut la vue d’une recette d’Olivier Nasti, je me suis grandement éloigné de cette source. En effet point de feuilles d’oxalis à ma disposition et encore moins de bourgeons de sapin…

Sollicitant la bienveillante indulgence de ce grand chef – une qualité dont il me semble évident qu’il n’est pas dépourvu – j’oserai exposer ma version de carpaccio de chevreuil toute personnelle.

Je commence par serrer mes deux pavés de chevreuil de 150 g chacun au sein d’un film transparent. Je place ce boudin dans le congélateur.

chevreuil
Un chevreuil bien roulé

Une heure plus tard je commence la mise en place.

Pour la note d’acidité, j’ai choisi d’utiliser des groseilles du jardin, les jaunes apportant en plus une légère sucrosité. Je détache les fruits de leurs grappes et les réserve dans une coupelle J’y ajoute quelques baies de cassis dont le parfum vigoureux n’autorise une introduction qu’avec parcimonie, mais qui sauront ajouter de leur côté une légère note tanique. Quant aux baies de casseille, elles interviendront surtout par l’apport de leur taille pour le visuel.
Je tranche finement quelques radis rouges à la mandoline pour obtenir des disques quasi transparents qui de leur côté fourniront une note végétale et une légère astringence.

Je brosse deux girolles de Sologne bien fraîches dont la raideur me permet de leur faire subir le même sort – en un peu plus épais toutefois. La note forestière sera elle aussi présente.

Je peux désormais passer à la phase la plus délicate : la découpe de la viande. Après le passage au congélateur, elle est raffermie, mais pas assez toutefois pour l’utilisation de la mandoline ni même de ma rustique trancheuse. Je m’empare donc de mon meilleur couteau, et c’est a mano que je parviens à prélever des tranches d’environ deux millimètres dans les pavés de chevreuil.

Tout est prêt pour le dressage.

J’étale mes tranches de chevreuil sur des assiettes en bois – l’on admirera l’à-propos de ce choix pour ce thème sylvestre ! Je répartis les découpes de girolle, puis les rondelles de radis, et pour finir les diverses baies. Quelques feuilles de pimprenelle confèrent la touche herbacée manquante avec un subtil arôme de noisette.

J’arrose d’un filet d’huile d’olive parfumée à la truffe blanche d’Alba – une concoction que je fuirais certainement si elle ne provenait pas d’une excellente maison dont j’ai déjà pu apprécier la qualité des produits.


Des relents de sous-bois me montent aux narines pendant que je fais tomber quelques flocons de sel de Maldon.


 

chevreuil
Chevreuil sauvage des Vosges

Miracle ! Les dieux sont avec moi, Oxylus, Actéon, et même les déesses comme Artémis… Pan, dans le mille ! L’équilibre est parfait, et les jeux de saveurs ne masquent pas la présence de cette viande de chevreuil à la fois tendre et goûteuse dont la légère fragrance de gibier n’est pas le moins du monde rebutante.

Même pour quiconque craignant que j’aie franchi la ligne rouge