La vue du feuillage encore bien vert de blettes venant d’être
arrachées au jardin – c’était avant cette canicule qui me tourna plus vers
la sieste que vers l’écriture, fut-ce au sein de ce blog… - m’avait incité à me lancer dans la réalisation d’une
tourte de blette. Et que l’on ne me reproche pas de faire du grand n’importe
quoi en m’aventurant sur des terres qui me sont étrangères. Car si je n’ai pas
la moindre goutte de sang niçois ni même provençal dans les veines, je tire ma
recette du journal Nice-Matin qui l’a extraite des Carnets de cuisine du comté
de Nice par Alex Benvenuto en collaboration avec le Comité Technique du label « Cuisine
Nissarde ». Pas authentique, ma tourte ? Ben si, autant que l’aligot
que j’ai vu jadis battu vigoureusement par un jeune chinois sous l’œil reconnaissant,
mais vigilant, de la bougnate enfin déchargée de cette tâche ingrate. Comme
quoi en gastronomie les origines régionales ou ethniques du cuisinier n’apportent
aucune valeur ajoutée au résultat final – surtout si le gourmet dégustateur en
reste dans l’ignorance… En témoigne d’ailleurs le label STG (spécialité
traditionnelle garantie), pour lequel, dans leur grande sagesse, les
législateurs n’ont pas intégré les hacheurs, les touilleurs, les pétrisseurs, les
cuiseurs ou les démouleurs parmi les ingrédients : ainsi une Vieille Gueuze
peut être brassée aussi bien par un gueux réfugié moldave que par un père noble
flamand.
Je fais le faraud, mais je n’en mène pas large en préparant
la pâte. En effet il s’agit d’une de ces pâtes sucrées délicates à étaler et
surtout à transporter. Dans les 500 g de farine j’incorpore 2 œufs, 250 g
de beurre pommade et 200 g de sucre semoule. Je n’oublie pas la pincée de
sel. Je pétris délicatement, j’ajoute la cuillerée d’eau qui manquait pour le
façonnage d’une boule homogène qu’une fois obtenue j’enferme dans un film
transparent avant de la réserver au froid.
Je passe à la confection de la garniture. Je prélève les
côtes que je blanchis rapidement avant de les transférer dans une boîte où elles
attendront au réfrigérateur leur tour pour être cuisinées. Oublions-les pour
aujourd’hui ! Ce sont les feuilles vertes qui m’intéressent. Je les découpe
en fines lanières et les lave trois ou quatre fois jusqu’à ce que l’eau ne soit
plus teintée. Je les passe à l’essoreuse à salade. Je pèse : j’ai obtenu approximativement
un kilo de verdure.
Dans une grande bassine je mélange 75 g de cassonade
avec 1 œuf, 25 g de parmesan râpé (je n’ai pu me procurer le sbrinz recommandé)
ainsi que 30 g de raisins secs qui se gonflent d’importance sous l’ivresse
du petit verre du rhum dans lequel je les ai plongés une heure auparavant. J’incorpore 80 g de pignons qui, sous l’influence des raisins, réclament leur part
alcoolisée. Je noie leurs braillements sous un demi-verre d’eau-de-vie de prune.
J’ose espérer que la cuillerée d’huile d’olive que je déverse évitera la gueule
de bois à cette bande d’ivrognes. Surtout, mais ça, c’est pour le parfum d’anis,
que j’ajoute une petite cuillerée d’arak…
Je déverse les lanières de blette bien égouttées, donne
quelques tours de moulin de poivre noir et brasse le tout. Ma garniture est prête.
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L'art et la lanière |
Il me reste à découper des tranches fines dans une pomme Golden. Elles seront
disposées à la surface de mon mélange.
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pomme pomme pomme |
Mais le plus délicat reste à faire. Je partage ma pâte
sortie du réfrigérateur en formant deux boules égales. Je les étale entre deux
feuilles de papier siliconé légèrement fleurées. Avec moult précautions en m’aidant
d’une spatule j’arrive à décoller la feuille supérieure. Transport vers la
tourtière, brusque retournement, victoire, le disque de pâte est centré sur le
moule. Nouvelle opération de séparation du papier restant, piquage et étalement
de la garniture… Mes lamelles de pommes sont réparties à la surface.
Je me livre aux mêmes opérations de transfert pour le second
disque de pâte que j’avais réservé au frais le temps de mener à bien la construction
du soubassement et d’élever les étages. Mais là c’est pour recouvrir l’édifice.
Puis, en bon artisan, je fignole les jointures. Il me faut piquer la pâte. À la
fourchette ? Non, car je trouve ces alignements disgracieux. Je préfère utiliser
un pique pomme de terre dont les trois
pointes disposées en triangle offrent un graphisme plus harmonieux.
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Comme des pattes d'oiseau |
Et zou, au four pour une quarantaine de minutes à 180 °C.
Quand elle sort, cette tourte de blette a plutôt bonne allure. Je la saupoudre
de sucre semoule.
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Non, pas de sucre glace ! |
Elle est désormais tiède et j’entreprends anxieusement de la
démouler. Eh bien, mes craintes étaient injustifiées. Tout se déroule
facilement, ma Nissarde vient s'allonger en douceur sur le plat aussi
facilement qu’une Anglaise en promenade le ferait sur un transat.
Une enfant de la perfide Albion qui se poserait comme moi la
question « Dessert or not dessert ? »
J’avoue que si nous n’avions pas eu une invitée au repas,
cette tourte aux blettes aurait fait office de plat unique. Mais comme je veux mettre les petits plats dans les grands, j’ajoute
au menu des grillades de porc accompagnées de haricots verts du jardin.
Les tranches de porc ont mariné dans une sauce au sirop d’érable
et piment chipotle.
Je les dépose sur le gril en fonte, chaud mais pas trop. J’effectue
de nombreux retournements, donnant des coups de pinceau imbibé de la sauce à
chaque fois. J’enlève la viande du gril quand sa surface est bien caramélisée, renfermant
une chair encore juteuse.
Pour les légumes, j’ai plongé sept minutes les haricots
violets qui en ont verdi de stupéfaction dans l’eau bouillante salée. Ils en
sont sortis al dente. Ils étaient même un peu en sous cuisson, ce que je souhaitais
pour qu’ils supportent le passage dans le beurre fondu.
Comme la récolte du jour de haricots était maigre, j’y ai
adjoint quelques pommes de terre primeur de Noirmoutier dont la cuisson en robe
des champs a pris, quant à elle une quinzaine de minutes. Elles vont rouler au
fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel mousseux. Deux ou
trois minutes pour les laisser se vautrer dans le stupre normand et sa dorure,
et je leur adjoins les haricots vioverts qui semblent en éprouver une brillante
satisfaction.
Il est temps que je vire tout ce petit monde de la poêle
orgiaque pour les encadrer sur un sévère plat en inox par un trio dopé à la
sauce américaine.
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Le début des haricots |
Nous nous en régalons
Enfin l'instant du dessert : je tranche la tourte de blette.
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Aux Niçois qui mal y pensent |
Les parts sont belles et de bonne tenue
Mais si mes compagnes de table m’affirment se régaler, pour
ma part je prends un plaisir mitigé à cette dégustation. Serait-ce que je n’aime
pas la VRAIE tourte nissarde ? Ou bien Nice-Matin aurait-il abusé de ma
naïveté en ne dévoilant pas les secrets de préparation qui sont l’apanage
des seuls résidants dans le countea de Nissa depuis plusieurs générations ?
Dire que sur place je n’ai jamais eu l’idée de déguster ce produit afin de me
créer une référence… Je m’en veux, je m’en veux, de m’être contenté de la
pissaladière et du pan-bagnat ! Crétin de touriste que je fus…