Ah, la vilaine bête ! C’est qu’il m’a pincé, ce
salopard de crabe vert ! Puisqu’il en est ainsi, il va voir avec ses
copains du même acabit de quel gaz je me chauffe…
Ma gentillesse me perdra. J’avais voulu allonger
délicatement ces Méditerranéens pour une dernière sieste. Mais non, il leur
fallait me narguer en gigotant, en escaladant les parois de leur impeccable
retraite, en voulant jouer les saute-murailles pour s’en échapper, bref en
sonnant le branle-bas de combat.
Allez les Verts ! |
Quoi que… Finalement, considéré sous un autre angle, cette agitation, c’est plutôt sympa : chacun me présente un certificat de bonne vie (et mœurs, je ne sais pas ? ) qui me rassure sur la comestibilité. Dont acte. Allez, tout le monde sous la douche ! Puis l’on va s’égoutter au fond d’une passoire, et en vrac cette fois-ci, non mais.
Sortie de bain |
J’attends quelques minutes que tout ce petit monde commence à
se calmer, apaisé par la fraîcheur ambiante. Dans un but humanitaire – ou plutôt
crabataire – j’attends que le petit verre d’huile d’olive que j’ai versé au fond
du rondeau soit très chaud, presque fumant, avant d’y basculer le contenu de la
passoire. Trois minutes plus tard, feus les crabes sont passés au rouge.
Ils en rougissent, les traîtres... |
J’éteins la flamme et attends un refroidissement tout relatif – mes doigts s’en souviennent… - pour me consacrer à une opération fastidieuse, mais nécessaire : débarrasser chaque crabe de son octuor de petites pattounettes et son duo de mini-pinces afin d'autoriser une dégustation aisée de mes spaghetti aux crabes verts et éviter le coincement d’un dactyle ou autre propodite entre deux molaires. Eh oui, j’avais oublié de dire qu’un plat de pâtes était l’objectif final de toutes ces manœuvres… Voici, c’est chose faite : l’on sait désormais que mon entreprise crabicide ne relève nullement d’un sadisme gratuit, même si vu du côté des crustacés ça ne change pas grand-chose à leur vécu. D’autant plus que je me permets de fendre leur carapace d’un coup de ciseau qui facilitera leur dégustation et permettra à leurs entrailles de parfumer la sauce.
Je remets les crabes désormais géométrisés dans le rondeau en y ajoutant un gros oignon blanc haché et une branche de livèche. Je rallume le feu, désormais à puissance moyenne. Je laisse l’oignon compoter un couple de minutes.
Plus faciles à ranger... |
Je dépose une bonne cuillerée de concentré de tomate que je relève de deux gousses d’ail écrasées et d’une pincée de piment d’Espelette. À ce moment les crabes réclament du vin blanc. Je n’ai pas la cruauté de leur rétorquer « Pas de bras, pas de pinard ! » et leur verse un grand verre de sauvignon. Je laisse réduire du quart en récupérant les sucs collés au fond du rondeau décollés à l’aide d’une maryse. Je mouille ensuite à hauteur avec de l’eau du robinet, introduis un nouet enfermant les pattes et pinces concassées, et je laisse bloublouter à feu moyen jusqu’à ce que la sauce atteigne la consistance voulue, ce qui me prend une vingtaine de minutes.
Nouet d'ivresse |
J’extrais le nouet dont le contenu devrait désormais avoir exprimé tous ses sucs.
Il ne me reste plus qu’à rectifier l’assaisonnement par deux
ou trois tours de moulin de poivre blanc de Penja et quelques pincées de fleur
de sel.
Je fais glisser le contenu du rondeau dans une boîte et réserve toute une nuit au
frais afin de permettre une osmose des parfums.
Le lendemain, un peu avant de passer à table, je change mon fusil d’épaule. Réflexion faite, le remplacement des spaghetti par des fusilli rendra la dégustation du plat plus facile. Je réchauffe ma sauce dans laquelle se vautrent les crabes apodes au fond d’une poêle. J’y transfère les pâtes sorties de l’eau bouillante salée à l’aide d’une araignée. Une ou deux minutes en secouant pour enrober les fusilli et les laisser s’imprégner du parfum marin : je m’empare d’une louche et répartis mes fusilli aux crabes verts entre les assiettes.
Crabes montés sur ressorts |
C’était bon, nous nous sommes léché les babines et surtout les doigts. Demain, grande lessive de serviettes…
Mais je ne me suis pas fait pincer pour rien.
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