vendredi 5 août 2022

Very Nice ?

 

La vue du feuillage encore bien vert de blettes venant d’être arrachées au jardin – c’était avant cette canicule qui me tourna plus vers la sieste que vers l’écriture, fut-ce au sein de ce blog… - m’avait incité à me lancer dans la réalisation d’une tourte de blette. Et que l’on ne me reproche pas de faire du grand n’importe quoi en m’aventurant sur des terres qui me sont étrangères. Car si je n’ai pas la moindre goutte de sang niçois ni même provençal dans les veines, je tire ma recette du journal Nice-Matin qui l’a extraite des Carnets de cuisine du comté de Nice par Alex Benvenuto en collaboration avec le Comité Technique du label « Cuisine Nissarde ». Pas authentique, ma tourte ? Ben si, autant que l’aligot que j’ai vu jadis battu vigoureusement par un jeune chinois sous l’œil reconnaissant, mais vigilant, de la bougnate enfin déchargée de cette tâche ingrate. Comme quoi en gastronomie les origines régionales ou ethniques du cuisinier n’apportent aucune valeur ajoutée au résultat final – surtout si le gourmet dégustateur en reste dans l’ignorance… En témoigne d’ailleurs le label STG (spécialité traditionnelle garantie), pour lequel, dans leur grande sagesse, les législateurs n’ont pas intégré les hacheurs, les touilleurs, les pétrisseurs, les cuiseurs ou les démouleurs parmi les ingrédients : ainsi une Vieille Gueuze peut être brassée aussi bien par un gueux réfugié moldave que par un père noble flamand.

Je fais le faraud, mais je n’en mène pas large en préparant la pâte. En effet il s’agit d’une de ces pâtes sucrées délicates à étaler et surtout à transporter. Dans les 500 g de farine j’incorpore 2 œufs, 250 g de beurre pommade et 200 g de sucre semoule. Je n’oublie pas la pincée de sel. Je pétris délicatement, j’ajoute la cuillerée d’eau qui manquait pour le façonnage d’une boule homogène qu’une fois obtenue j’enferme dans un film transparent avant de la réserver au froid.

Je passe à la confection de la garniture. Je prélève les côtes que je blanchis rapidement avant de les transférer dans une boîte où elles attendront au réfrigérateur leur tour pour être cuisinées. Oublions-les pour aujourd’hui ! Ce sont les feuilles vertes qui m’intéressent. Je les découpe en fines lanières et les lave trois ou quatre fois jusqu’à ce que l’eau ne soit plus teintée. Je les passe à l’essoreuse à salade. Je pèse : j’ai obtenu approximativement un kilo de verdure.

Dans une grande bassine je mélange 75 g de cassonade avec 1 œuf, 25 g de parmesan râpé (je n’ai pu me procurer le sbrinz recommandé) ainsi que 30 g de raisins secs qui se gonflent d’importance sous l’ivresse du petit verre du rhum dans lequel je les ai plongés une heure auparavant. J’incorpore 80 g de pignons qui, sous l’influence des raisins, réclament leur part alcoolisée. Je noie leurs braillements sous un demi-verre d’eau-de-vie de prune. J’ose espérer que la cuillerée d’huile d’olive que je déverse évitera la gueule de bois à cette bande d’ivrognes. Surtout, mais ça, c’est pour le parfum d’anis, que j’ajoute une petite cuillerée d’arak…

Je déverse les lanières de blette bien égouttées, donne quelques tours de moulin de poivre noir et brasse le tout. Ma garniture est prête. 

tourte aux blettes
L'art et la lanière

Il me reste à découper des tranches fines dans une pomme Golden. Elles seront disposées à la surface de mon mélange.

tourte aux blettes
pomme pomme pomme

Mais le plus délicat reste à faire. Je partage ma pâte sortie du réfrigérateur en formant deux boules égales. Je les étale entre deux feuilles de papier siliconé légèrement fleurées. Avec moult précautions en m’aidant d’une spatule j’arrive à décoller la feuille supérieure. Transport vers la tourtière, brusque retournement, victoire, le disque de pâte est centré sur le moule. Nouvelle opération de séparation du papier restant, piquage et étalement de la garniture… Mes lamelles de pommes sont réparties à la surface.

Je me livre aux mêmes opérations de transfert pour le second disque de pâte que j’avais réservé au frais le temps de mener à bien la construction du soubassement et d’élever les étages. Mais là c’est pour recouvrir l’édifice. Puis, en bon artisan, je fignole les jointures. Il me faut piquer la pâte. À la fourchette ? Non, car je trouve ces alignements disgracieux. Je préfère utiliser un pique pomme de terre dont les trois pointes disposées en triangle offrent un graphisme plus harmonieux.

tourte aux blettes
Comme des pattes d'oiseau

Et zou, au four pour une quarantaine de minutes à 180 °C. Quand elle sort, cette tourte de blette a plutôt bonne allure. Je la saupoudre de sucre semoule.

tourte aux blettes
Non, pas de sucre glace !

Elle est désormais tiède et j’entreprends anxieusement de la démouler. Eh bien, mes craintes étaient injustifiées. Tout se déroule facilement, ma Nissarde vient s'allonger en douceur sur le plat aussi facilement qu’une Anglaise en promenade le ferait sur un transat.

Une enfant de la perfide Albion qui se poserait comme moi la question « Dessert or not dessert ? »

J’avoue que si nous n’avions pas eu une invitée au repas, cette tourte aux blettes aurait fait office de plat unique. Mais comme je veux mettre les petits plats dans les grands, j’ajoute au menu des grillades de porc accompagnées de haricots verts du jardin.

Les tranches de porc ont mariné dans une sauce au sirop d’érable et piment chipotle. 


Je les dépose sur le gril en fonte, chaud mais pas trop. J’effectue de nombreux retournements, donnant des coups de pinceau imbibé de la sauce à chaque fois. J’enlève la viande du gril quand sa surface est bien caramélisée, renfermant une chair encore juteuse.

Pour les légumes, j’ai plongé sept minutes les haricots violets qui en ont verdi de stupéfaction dans l’eau bouillante salée. Ils en sont sortis al dente. Ils étaient même un peu en sous cuisson, ce que je souhaitais pour qu’ils supportent le passage dans le beurre fondu.

Comme la récolte du jour de haricots était maigre, j’y ai adjoint quelques pommes de terre primeur de Noirmoutier dont la cuisson en robe des champs a pris, quant à elle une quinzaine de minutes. Elles vont rouler au fond d’une poêle dans une grosse noix de beurre demi-sel mousseux. Deux ou trois minutes pour les laisser se vautrer dans le stupre normand et sa dorure, et je leur adjoins les haricots vioverts qui semblent en éprouver une brillante satisfaction.

Il est temps que je vire tout ce petit monde de la poêle orgiaque pour les encadrer sur un sévère plat en inox par un trio dopé à la sauce américaine.

grillades de porc, haricots violets, pommes de terre de Noirmoutier
Le début des haricots

Nous nous en régalons


Enfin l'instant du dessert : je tranche la tourte de blette. 


tourte aux blettes
Aux Niçois qui mal y pensent

Les parts sont belles et de bonne tenue

Mais si mes compagnes de table m’affirment se régaler, pour ma part je prends un plaisir mitigé à cette dégustation. Serait-ce que je n’aime pas la VRAIE tourte nissarde ? Ou bien Nice-Matin aurait-il abusé de ma naïveté en ne dévoilant pas les secrets de préparation qui sont l’apanage des seuls résidants dans le countea de Nissa depuis plusieurs générations ? Dire que sur place je n’ai jamais eu l’idée de déguster ce produit afin de me créer une référence… Je m’en veux, je m’en veux, de m’être contenté de la pissaladière et du pan-bagnat ! Crétin de touriste que je fus…

 

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