samedi 26 mars 2022

Le blanc et le vert

 

LE BLANC

 

Les premières asperges blanches de l’année sont là.

Elles viennent des Landes, mais elles ont dû accourir ventre à terre, car leur coupe est encore bien humide, comme si elles venaient d’être arrachées de leurs sables. Leur rafraîchissement sera quasi symbolique, je me contente de leur donner sensiblement la même longueur après les avoir épluchées à l’aide d’un économe. Puis je les dépose dans un bac inox perforé afin de les cuire à la vapeur.

Au bout d’une dizaine de minutes, je vérifie la cuisson en piquant la plus grosse de la pointe d’un couteau. C’est OK !

 

asperges des Landes
Vapeur sur les Landes

Dans cet alignement à vos rangs fixe je ne voudrais voir qu’une tête. Mais j’aperçois en dixième position un pied… Où avais-je moi-même la tête en les allongeant côte à côte ? Je constate aussi que ces asperges seront treize à table. J’espère qu’elles ne sont pas superstitieuses !

Désormais, elles se trouvent sur un papier absorbant, lui-même sur un plat en inox, et toutes dans le bon sens - non mais ! 

asperges des Landes
Bien dressées ?

Elles viennent rejoindre un plat de jambon blanc de porc Prince Noir de Biscay, lui aussi provenant des Landes, dont le gras onctueux fond dans la bouche.

jambon blanc de porc Prince Noir de Biscay,
Prince à la belle cuisse


Repas à la bonne franquette, on plonge les asperges dans des petites coupelles de vinaigrette : un quart de vinaigre de cidre, une pincée de sel, trois quarts d’huile d’olives maturées des Baux de Provence aux senteurs de tapenade.



Le printemps commence bien.

 

 

LE VERT

 

Les premières asperges vertes de l’année sont là.

Elles viennent du Gers. Et bien qu’elles aient passé une journée au réfrigérateur, elles sont encore bien droites dans leurs bottes ! Je les écussonne et les partage en tronçons biseautés.

Je verse le résultat de ma découpe dans une poêle où fond une bonne noix de beurre demi-sel.

Après cinq ou six minutes à feu moyen, les asperges sont cuites, légèrement al dente.

J’avais prévu de les servir avec des filets de pigeonneau, mais malheureusement il y avait précisément une rupture de stock au moment de ce projet. Je me suis rabattu sur des andouillettes de canard au canard serait plus exact… - achetées in extremis aux halles locales. Elles sont suffisamment enrobées de graisse pour que je n’aie pas besoin d’en ajouter dans la petite poêle où je les fais dorer.

Asperges vertes et andouillettes sont cuites, c’est le moment du dressage. Pendant que je m’y attelle, je remets en température la sauce préparée quelques dizaines de minutes auparavant : un verre de porto rouge et deux cuillerées de balsamique traditionnel de Modène mis à réduire avec une pincée de piment d’Espelette et une branche de romarin du jardin. Elle est désormais sirupeuse à souhait.

Je la répartis sur les assiettes. Je complète de quelques fleurs de ce romarin cueilli deux heures auparavant.

Bonne dégustation !

 

asperges vertes, andouillettes de canard
Quand le canard fait l'andouillette au milieu des asperges

Effectivement elle fut bonne. Mais elle aurait pu être très bonne si, à la place de ces andouillettes qui ne cassent pas trois pattes à un canard, se trouvassent ces filets de pigeonneau saignants à cœur dont j'ai été frustré.

 

 

mercredi 23 mars 2022

Querelle potagère

 

On aurait pu croire que ces frères de sang (de navet) eussent été solidaires… Mais non, à peine arrivés depuis mon jardin dans ma cuisine, ils se sont disputés. Les uns disaient aux autres qu’ils étaient complètement marteaux, les autres se gaussaient de la ventripotence des uns, ce qui avait le don de les mettre en boule. J’ai eu beau intervenir manu militari, c’est-à-dire avec un épluche-légumes, rien n’y faisait, et les insultes continuaient à voler bas - au ras des plates-bandes aurais-je dit si tout ceci ne se produisait pas dans mon appartement. Même une douche froide n’a pas réussi à les calmer. Un gros oignon blanc qui avait le malheur de passer par là en subit les conséquences : il eut l’outrecuidance de prendre leur défense - des pauvres arrachés à leur terre natale, qu’il disait (ah la la, tu vas me faire pleurer) - alors dans mon agacement je l’ai tranché en deux. Il avait beau crier « Pas ma queue, pas ma queue ! » j’ai continué à passer mes nerfs sur lui en ciselant son verdoyant appendice. Pourtant, d’habitude, je suis plutôt bienveillant envers les végétaux qui passent chez moi, et si je les découpe, c’est avec délicatesse… Mais voilà, je ne supporte pas les navets bavards et prétentieux, pas plus à la cuisine qu’à la télévision, alors j’me suis laissé aller.

D’ailleurs je n’étais pas le seul à être perturbé. Un poireau, une blette, un chou, légumes craintifs s’il en est - mais on peut comprendre ces mal-aimés confrontés depuis des temps immémoriaux à l’hostilité des usagers des cantines scolaires, ouvrières ou administratives ainsi qu’à la fureur des maris découvrant la tambouille de bobonne après l’apéro entre copains – ont en premier lieu tenté de se boucher les oreilles qu’ils ont sensibles même si certains sont parfois durs de la feuille, puis, pris de panique, se sont jetés à corps perdu dans le premier abri venu : il s’agissait de diots qui sont ainsi devenus des pormoniers. Il se passe des miracles dans mon frigo. 

Navets marteaux, navets boules d’or, oignon blanc, pormoniers, il n’en fallait pas plus pour me lancer dans la réalisation d’un plat de fin d’hiver…

«  Ouais, c’est un peu juste jeune homme. Quelques patates supplémentaires seraient dans nul doute bienvenues…

-  Pommes de terre, jeune fille, pas patates, un peu de respect que diantre, sinon d’accord sur le fond. »

J’obtempérai donc et épluchai un quatuor de charlottes.

Ensuite je sortis la cocotte en fonte, l’oignis d’une noix de saindoux avant de la poser sur une flamme modérée.

J’ai allongé mes pormoniers que j’ai fait colorer légèrement. Les navets, l’oignon blanc avec sa queue ciselée et les pommes de terre leur ont succédé. J’ai arrosé de la moitié d’une bouteille de sauvignon (faute de vin de Savoie sous la main) et d’un trait de balsamique blanc. J’ai ajouté un bouquet garni, quelques baies de genièvre et grains de poivre noir de Penja, une pincée de gros sel. J’ai coiffé la cocotte de son couvercle et laissé mijoter à feu doux une quarantaine de minutes.

Quand j’ai découvert mon ustensile bleu, la cuisine embaumait déjà de senteurs sialogènes. Mais ce n’était pas encore le moment de baver. Il me fallait d’abord vérifier la bonne cuisson de la pointe d’un couteau. OK, c’était parfait et si une saucisse avait éclaté, ce n’était pas bien grave, j’ai pris son ouverture comme un sourire de bienvenue.

Deux ou trois tours de moulin de poivre rouge de Kampot, un soupçon de noix de muscade, et la cocotte pouvait passer à table et nous avec.

pormonier, navets
Pormonier, tu dors ?


J’ai garni mon assiette d’un plaisant échantillonnage que j’ai arrosé du jus réduit de cuisson plaisamment sirupeux.

pormonier, navet boule d'or, navet marteau
Entre la boule et le marteau


Eh bien, ça y était. Bavons, maintenant ! Une seconde, pas plus, le temps de plonger couteau et fourchette. Une bouchée pour mézigue, une deuxième…

Tiens l’assiette est finie. Mais pas la cocotte. Monsieur reprendra bien un second pormonier ? Mais oui, volontiers !

On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

dimanche 20 mars 2022

J’ai toujours manifesté une certaine réticence, pour ne pas dire une réticence certaine, envers l’utilisation des cercles pour le dressage des assiettes.

En effet un tableau de Chardin 


me met plus en appétit qu’une œuvre de Kandinsky

 


Mon aventure de ce jour n’a fait que me conforter dans ce sentiment.

 

Ils étaient fort engageants quand je les ai repérés sur l’étal du poissonnier, ces maquereaux bien roides à l’œil vif et à la peau aux reflets irisés. Je viens de les vider et de les parer. Je les ai farcis de thym, de laurier, d’un éclat de citron jaune, d’une pincée de gros sel, de grains de poivre blanc de Muntok, de trois baies de genièvre, finissant en obturant l’ouverture avec une branche de persil - et avec plus ou moins de réussite. Je les parsème de fleur de sel et les réserve jusqu’au moment où…

Mais je n’en suis pas encore là. J’ai choisi de les accompagner d’un riz au curry. Pas n’importe quel curry, il s’agit du curry breton, mélange qui me semble apte à être confronté à un poisson au caractère bien trempé (par les eaux océanes) car il ajoute au parfum de curcuma (quant à lui, c’est plutôt la couleur qu’il apporte), de coriandre, de cumin, de fenouil, de poivre noir, de moutarde, de fenugrec et de gingembre les notes iodées d’algues (dulse, wakamé, laitue de mer, nori).

Je cisèle un oignon blanc et une partie de sa queue verte puis jette les morceaux obtenus au fond d’une casserole où mousse une grosse noix de beurre en train de fondre à feu doux. Je laisse suer cette découpe assaisonnée d’une pincée de sel en veillant bien à ce que le beurre ne noircisse pas. À côté infuse un sachet de bouillon de volaille Ariaké dans deux verres d’eau chaude.

L’oignon est devenu translucide, j’ajoute une bonne cuillerée de curry breton ainsi qu’un verre de riz long tradition que je touille délicatement dans le beurre mordoré. Quand les grains sont nacrés, je les inonde alors du bouillon de volaille, fais plonger une feuille de laurier et un brin de persil et recouvre d’un disque de papier siliconé percé en son centre. Je coiffe la casserole de son couvercle et enfourne à 150 °C pour une vingtaine de minutes.

Je place la grande plaque en fonte striée sur les deux feux désormais libérés de leurs casseroles et la mets à chauffer – pas trop cependant, afin que les maquereaux ne soient pas agressés et d’éviter une peau carbonisée cachant une chair crue à l’arête.

Plus qu’une dizaine de minutes avant que le riz ne soit cuit. C’est le moment de poser les maquereaux sur le gril. 

maquereaux
Beaux, mes maquereaux, beaux !

Je les retournerai régulièrement pendant leur cuisson.

Eh bien ça y est, le minuteur m’a rappelé à l’ordre et je sors la casserole du four. Je débarrasse le riz de son linceul de papier sulfurisé, j’évacue la feuille de laurier et le brin de thym, je passe la fourchette pour éviter tout collage intempestif – même si les grains se détachent bien – et j’en profite pour incorporer quelques brins de ciboulette ciselés sur la planche entre deux retournements de poisson.

riz, curry breton
Pas laid, riz beau


Je m’empare de deux assiettes rectangulaires et commence le dressage.

J’allonge les maquereaux. Quant au riz, c’est à l’aide d’un cercle en inox qu’il vient se placer, en deux piles encadrant un malheureux quartier de citron comme le feraient deux argousins pour un malfrat comparaissant en flagrant délit.

 

maquereau, riz au curry breton
Sur ses drôles de roulettes...

Et c’est là que le drame s’est produit.

Notre maquereau ne retient plus sa joie. Muni de ses deux roulettes, il se sent muni d’ailes. Sa trottinette dorée l’éloigne loin de moi. Ce n’est plus le fier arpenteur des océans qui me faisait rêver d’embruns et de flots rugissants. Pendant que ce dernier disparaît, petit point s’évanouissant dans les brumes lointaines, je trouve à ma table un grotesque et piteux trottinetteur d’espaces urbains, perché sur sa monture façon moderneuneux. Et tout ça à cause d’un cercle en inox !

Cercle du naturel disparu, je te hais !

                                                              

mardi 15 mars 2022

Duck and chips

Ce n’était pas une si mauvaise idée que d’accompagner un filet de canard de chips de sarrasin…

Malheureusement j’ai tout gâché en ajoutant une persillade dont l’ail puissant a agi en arme de destruction massive annihilant toutes les autres saveurs. Autant dire que c’était un plat complètement loupé que je n’inscrirai pas à mon répertoire culinaire.

 

Encore que…


Ma version bâclée :

J’ai frotté mon filet de canard gersois  – après l’avoir paré en enlevant les débordements de gras et en scarifiant la peau en losanges – de cette sorte de rub qu’était un assemblage tout prêt pour poulet rôti comprenant paprika, ail, thym, romarin et piment de cayenne.

J’ai posé sur ma planche un petit bouquet de persil et deux gousses d’ail dégermées. Puis vas-y le couteau pour hacher menu et obtenir une persillade !

J’ai mis à réchauffer les chips dans le four à 150 °C.

J’ai parsemé mon filet de canard roussi par les épices de fleur de sel et je l’ai étendu côté peau sur le fond d’une poêle chaude. Je lui ai imposé la série de volte-face nécessaires pour une bonne cuisson avant de le transférer sur une planche pour s’y reposer quatre ou cinq minutes.

Pendant que je découpais ma pièce de viande, j’ai balancé ma persillade dans la graisse fondue, d’ailleurs peu abondante car il ne s’agissait pas d’un canard gras.

Ne me restait plus qu’à passe au dressage.

 

filet de canard, chips de sarrasin
Les sarrasins attaquent

 

Ma version future – peut-être ? :

Plutôt qu’un filet de canard, je me procure un magret.

Je le dépouille de sa peau que j’enfourne afin qu’elle se dessèche et devienne croustillante.

Je débarrasse la chair du magret de sa graisse que je mets à fondre au fond d’une poêle.

Je partage le magret en six morceaux que je parsème de quelques pincées de fleur de sel.

Je mixe ma peau de canard pour la transformer en poudre que je mélange avec du panko japonais.

Je confectionne une sauce tartare et une purée de mojettes.

Je pane à l’anglaise mes tranches de magret en les passant successivement dans la farine, le jaune d’œuf et mon panko parfumé à la peau de canard.

Je plonge ces morceaux dans la graisse fondue ayant envahi la poêle posée sur un feu moyen jusqu’à ce que toutes les faces en soient devenues croustillantes et d’un beau doré. Alors je les sors, les pose sur un papier absorbant. Les chips plongent quelques secondes dans le même bain, et vont-elles aussi se dégraisser du superflu sur une autre feuille de papier.

Je dresse façon fish and chips, l’aiglefin étant remplacé par le canard, la pâte à beignet par une panure canardisée, la purée de petits pois par une purée de mojettes et les frites par les chips au sarrasin.

Bien entendu, je n’oublie pas de poser la petite bouteille de vinaigre de malt.

 

Non, je n’oublierai pas ! Si je…

jeudi 10 mars 2022

La cervelle qui me manquait

 

On vient de m’offrir un beau cervelas pistaché concocté par une maison d’excellence lyonnaise : le charcutier traiteur crauser bello.

cervelas pistaché
Où la pistache se cache

Des recommandations étaient jointes.


Je vais les respecter scrupuleusement. Ou presque...


Je place le cervelas dans un sautoir et le recouvre d’eau froide. Pour la cuisson je sépare le fond du récipient de la petite flamme par un disque de fonte afin de m’assurer que le frémissement ne se transformera pas en ébullition.

Eh bien, ça y est, les petites bulles commencent à s’élever. Je déclenche le minuteur réglé sur les 40 minutes prescrites.

 

La cervelle des canuts a été préparée quelques heures auparavant, afin de permettre la diffusion des parfums en son sein.

J’ai laissé s’égoutter dans une passette un petit pot (200 g environ) d’un fromage blanc en faisselle. J’y ai ajouté trois cuillerées de crème fraîche épaisse. J’ai brassé ce mélange en y incorporant deux cuillerées de vin blanc sec – ouais, pas local, il s’agissait d’un sauvignon de Touraine… J’ai continué à touiller en arrosant d’une petite cuillerée de vinaigre blanc et une cuillerée de vinaigre de cidre.

J’ai haché un oignon blanc et sa queue verdoyante, ainsi qu’une échalote de taille moyenne. J’ai ciselé trois brins de persil et un petit bouquet de ciboulette du jardin. J’ai écrasé au presse-ail une gousse d’ail fumé d’Arleux. Pas très lyonnais non plus, mais c’est le seul qui se soit conservé convenablement en cette année d’intempéries… Toute cette végétation est venue apporter ses saveurs à mon mélange fromager qui se métamorphosait de plus en plus en cervelle. J’ai assaisonné d’une bonne pincée de fleur de sel et de plusieurs tours de moulin de poivre noir de Penja. Pour terminer j’ai battu vigoureusement après avoir fait couler un filet d’huile de noix – du Poitou, décidément tous les chemins mènent à Lyon.

J’avais désormais la cervelle qui me manquait. Enfin, celle des canuts…

 

Il reste 25 minutes avant que le minuteur ne sonne. Il est grand temps d’allumer le feu sous la casserole où attendent les pommes de terre (les charlottes que j’avais sous la main) plongées avec leur peau dans l’eau salée en compagnie de deux feuilles de laurier. Je confectionne une sauce pour les arroser sur les assiettes. Je monte une cuillerée de moutarde forte de Dijon à l’aide de deux cuillerées d’huile d’arachide. Je dilue avec un trait de vinaigre de cidre et trois cuillerées de vin blanc sec, toujours ce sauvignon de Touraine que j’ai utilisé pour réaliser ma cervelle des canuts. Je sale et relève d’un tour de moulin de poivre. Je complète des quelques lambeaux de persil et miettes d’échalote qui restaient sur la planche.

Le cervelas est cuit, les pommes de terre sont cuites. Je m’occupe de dépouiller et trancher le cervelas pendant que je refile sans vergogne les patates chaudes à Madame qui se charge de les éplucher avant que je les partage en deux sur la même planche que le cervelas.

Tout est prêt désormais pour passer au dressage.

Je répartis la cervelle entre deux coupelles, dispose les tanches de cervelas pistaché et les pommes de terre encore bien chaudes que j’arrose de la sauce moutardée. Un peu d’herbes décoratives, et zou, 

à table !

cervelas pistaché, cervelle des canuts

Pistaches à découvert


C’est bon comme là-bas !

Merci aux duettistes Crauser et Bello, mais surtout au généreux donateur.

 

jeudi 3 mars 2022

Les fusilli sont là

 

Ah, quel accueil ! Nous étions quatre mignonnes limonettes de Marrakech qui avions franchi la Méditerranée pour découvrir la France. Nous étions toutes pimpantes, fières de notre peau dorée par le soleil marocain et ne voilà-t-il pas qu’un olibrius brandissant un instrument barbare entreprend de nous gratter la couenne.

citron bergamote
...alias citron bergamote

Que pouvions-nous faire ? Nous insurger en criant « Pas un zeste ou je tire ! » alors que nous n’avions que quelques minuscules pépins à lui envoyer dans l’œil ? Non, bien sûr… Alors nous nous sommes trouvées dépouillées de notre or et de notre parfum.

Mais ce n’était pas terminé. Quelques minutes plus tard nous étions pourfendues tel un Vicomte calvinesque. Et ce n’était qu’un prélude pour nous vider de notre sang !

Que pouvions-nous faire ? En appeler aux défenseurs des droits du citron, trop souvent opprimé en ce monde cruel ? De tels preux chevaliers sont bien rares. L’homme préfère se vouer à la protection des animaux, pourtant bien plus aptes que nous, pauvres végétaux, à ruer dans les brancards. Sous l’œil narquois de nos frères siciliens inconscients de l’avenir qui leur était réservé faisant la sieste sur une confortable clayette en compagnie d’un pomelo avachi et de mandarines dures de la feuille, nous nous sommes écrasées.

Nous nous plaignons, mais je dois avouer qu’en voyant arriver un malheureux veau sous forme de grenadins, nous n’avons pu nous empêcher de verser une petite larme. Nous n’avons pas vocation à nous placer sous la bannière du parti des veaux, mais il faut bien reconnaître que si pour notre part nous avions perdu notre peau et notre sang, nous avions néanmoins conservé notre identité, alors que cette malheureuse bête s’offrait à notre vue que sous la forme de deux tranches – deux amas de cellules aux contours géométriques, ni plus, ni moins.

Une poêle est arrivée. Elle fut arrosée du sang d’olives et placée sur un cercle de flammes bleutées. Les grenadins sont venus s’y dorer, sur une face, puis sur l’autre. Ensuite ils furent arrosés de notre sang d’agrume qui se concentrait et devenait de plus en plus sirupeux. Pendant ce temps le malfaisant végétocide hachait, à côté des lambeaux de peau arrachés à notre chair, des brins de persil et de coriandre. Puis ce fut une gousse d’ail qui subit les outrages de son couteau. Ce mélange fut versé dans la poêle dans le bain toujours plus poisseux de notre sang. On ne sait qui parfuma l’autre, peu importe, nous croyons plutôt à leur complicité qui transforma une addition en une multiplication.

Nous pensions que la comédie – ou plutôt le drame – allait s’arrêter là… Mais non. Une rumeur se répandit : « Les fusilli arrivent ! ». Eh oui, c’est ainsi que l’on est accueilli en ces lieux.

Bien échauffés après leur séjour dans des eaux bouillonnantes, ils se sont jetés sur les grenadins, se vautrant de façon infâme dans le suc de notre chair, se barbouillant d’herbes, se grisant de piment,

Et ces fusilli de repousser les grenadins sur les assiettes dans une charge sauvage…

grenadin, citron bergamote
grenadin et fusilli


Nous n’en savons pas plus, car le couvercle de la poubelle s’est refermé sur nous. Mais une chose est certaine, la France n’est pas la terre d’accueil que nous imaginions !


Moi, je sais, ce plat était bien bon. Et je l'ai accueilli fort aimablement dans mon estomac !

jeudi 24 février 2022

Ça sent le roussi !

 

Ce dimanche, j‘ai des invités. Alors dès le samedi je me mets à l’ouvrage.

 

Le menu :

Tarte aux poireaux du jardin

Cochon roussi des îles

Beigli au pavot

 

Première préparation : une pâte brisée destinée à la tarte. Elle sera boulée, mise sous film pour reposer toute une nuit au réfrigérateur.

Quant aux poireaux, une fois nettoyés, il suffit pour aujourd’hui de les émincer et de les faire tomber dans un peu de beurre. Ils rejoignent au frais leur futur support, enfermés dans une boîte (de nuit ?).

 

Bon, jusque-là, rien de bien sorcier. La réalisation du dessert devrait être plus délicate, car c’est la première fois  que je confectionne ces gâteaux roulés au pavot qui régalent traditionnellement les Hongrois pendant les fêtes de Noël - à tel point qu’ils continuent à s’en empiffrer le reste de l’année… Tout comme moi - qui me contente habituellement de les débarrasser de la cellophane sous laquelle ils me sont vendus. L’avantage, c’est que j’ai une référence pour savoir si mon beigli maison tient la route, l’inconvénient, c’est que ça me met une pression supplémentaire – d’autant plus que parmi mes invités se trouve une personne qui a séjourné plusieurs mois en Hongrie.

Je commence par la farce, qui devra refroidir avant d’être étalée. Je porte à ébullition 250 g de sucre versés dans un quart de litre d’eau et y plonge 300 g de graines de pavot. J’éteins le feu, et quand le mélange est devenu tiède, je concasse à l’aide du mixer plongeant muni de son bras à masselottes pour obtenir une sorte de crème. Je complète de 150 g de raisins secs et du zeste d’un demi-citron.

Pour la pâte, je malaxe 400 g de farine avec 135 g de beurre et 65 g de saindoux - hongrois, quelle chance ! J’ajoute 20 g de levure de boulanger délayée dans un verre de lait tiède additionné de 80 g de sucre. J’incorpore 3 jaunes d’œuf, finis de mélanger en introduisant une pincée de sel et une pointe de vanille. Je régule en lait pour obtenir une pâte maniable, mais encore ferme. Je laisse monter dans la chambre de pousse à 28 °C.

Une heure est passée, le pâton a pris du volume, je le divise en deux et laisse reposer une demi-heure. J’abaisse sous la forme de deux rectangles d’une épaisseur d’environ 2 mm que je tartine de la farce.

beigli, roulé au pavot
Quand le pavot s'étale

Je roule la pâte avec la farce. Et obtiens deux rouleaux que je laisse lever une nouvelle heure à température ambiante.

beigli
Bien roulés ?

Avant d’enfourner, afin d’obtenir la marbrure caractéristique à la sortie du four, je badigeonne d’un jaune d’œuf, laisse sécher et recouvre, toujours au pinceau, d’une couche de blanc d’œuf. Je pique mes rouleaux de la pointe d’une fourchette.

J’enfourne à 210 °C pour une demi-heure.
Quand je sors ma production, son aspect me semble plutôt réussi, même si la régularité de mes deux pièces n’est pas parfaite. Quant au goût, eh bien je le saurai demain !

 

beigli
Noël après l'heure




Je me lance parallèlement dans la préparation du cochon roussi. Le plat salé a d’ailleurs en commun avec le dessert d’être lui aussi associé aux festivités de Noël - mais en un tout autre endroit… Simple coïncidence non intentionnelle, mais ce rapprochement temporel associé à une distanciation géographique qui me donne le rôle de maître du temps et de l’espace dans ma petite cuisine francilienne ne manque pas de m’amuser.

M’amuser… Mais que quelques instants. Car quand je pars à la recherche de mon sachet de graines à roussir, je commence par constater sa disparition avant de me souvenir que je l’avais épuisé quelques semaines auparavant – pour ce qui reste, je ne vais pas le mettre de côté, allez, zou, tout dans le plat ! Et dire que tout mon projet repose sur ces graines à roussir disparues…

Ne nous laissons pas abattre : si le grain ne meurt, ressuscitons-le ! Je dispose de graines de fenugrec, de moutarde jaune et de cumin. Je verse une cuillerée de chaque dans une coupelle, je touille. Je les ai, mes graines à roussir, et je pourrai de surcroît me targuer d’utiliser un mélange maison…

Cependant avant de leur donner le baptême du feu, il me faut tout d’abord procéder à ma mise en place.

Je déshabille deux oignons jaunes de taille moyenne et les hache grossièrement. Je réserve.

Je dégerme trois gousses d’ail violet. Je réserve.

Je débarrasse une botte de cives de leurs racines, de leurs extrémités et de leur première peau flétrie. Je les tronçonne. Je réserve.

J’épluche la moitié d’un rhizome de gingembre frais et la taille en julienne. Je réserve.

Je partage en deux quatre piments végétariens et enlève leurs graines. Je réserve.

Je découpe un rôti d’échine de porc sans os, pesant environ 700 g, acheté à mon éleveur normand habituel, le partageant en parallélépipèdes de 3 à 4 cm de côtés. Je sale de fleur de sel de l’île de Ré, j’arrose du jus d’un demi-citron vert. Je réserve.

Je pose ma cocotte en fonte sur la flamme. Je verse ma coupelle de graines à roussir que je laisse torréfier quelques minutes. Je fais tomber une bonne cuillerée de sucre muscovado sur le fond brûlant. Il commence à fondre et caraméliser. J'invite à s'étaler une noisette de saindoux et dispose les morceaux d’échine côte à côte sans recouvrement afin de bien les saisir. Surtout je ne remue pas ! Quand elles ont bien croûté, même opération sur l’autre face…

J’ajoute l’oignon, une pincée de sel, je brasse et laisse le jus s’évaporer.

cochon roussi
Une bonne odeur de roussi

Puis j’introduis les cives.

cochon roussi
Jour de les cives

Elles fondront quelques minutes avant que je termine avec le gingembre, le piment végétarien, l’ail écrasé au presse-ail, une feuille de laurier, un brin de thym, tous deux du jardin, et, de provenance plus lointaine, une pléthorique feuille de bois d’Inde flanquée de quatre maigrichonnes feuilles de caloupilé. Pour donner un peu de vigueur, je rehausse d’une petite cuillerée de pâte de piment bourbon rouge.

cochon roussi
Les parfums

Je recouvre d’eau à hauteur et laisse mijoter une quarantaine de minutes.

cochon roussi
Mijotons !


Ce sera tout pour aujourd’hui. 

À demain si vous le voulez bien



 

DIMANCHE

 

Les invités vont arriver dans un couple d’heures.

Mais le plus gros est déjà fait.

Pour terminer la tarte au poireau, je confectionne une sorte de migaine comportant un petit pot de crème, un verre de lait, trois œufs et une cuillerée de maïzena. Je l’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de plusieurs tours de moulin de poivre noir et un soupçon de noix de muscade râpée.

Je fonce le moule à tarte avec la pâte brisée, étale la compotée de poireaux, recouvre de migaine et enfourne pour une trentaine de minutes à 190 °C.

Je n’aurai plus qu’à remettre à température au moment de servir si la tarte a trop refroidi…


Comme garniture de mon cochon roussi j’ai prévu un chou portugais sauté. Ce chou offre une forte ressemblance avec les tendres pousses de choux à vaches que ma grand-mère poitevine cuisinait sous le nom de brocolis. Je prive mes choux achetés à la boutique portugaise des halles locales de l’extrémité de leurs queues, fais disparaître quelques feuilles tendance moche jaunies, lave bien avant de ciseler grossièrement, et balance ces feuillages dans une poêle où crépite une grosse noix de saindoux. 

chou portugais
Portugais coriace


Comme prévu, après quelques minutes, le contenu a bien réduit. Je goûte pour vérifier si ce légume est resté légèrement al dente comme je le souhaite. Et... Et, horreur, enfer et damnation ! Je n’ai jamais mangé quoi que ce soit d’aussi filandreux. Ça se coince entre les molaires, ça s’enroule autour des incisives, ça chatouille la glotte. Comment s’en débarrasser ? La hantise du cure-dent, l’échec d’Oral-B… Bref, impossible de servir ces cordages à des invités. Même le végan le plus acharné n’oserait prendre la défense de ce légume malfaisant, il me le cracherait au visage – enfin si sa bouche pouvait s’en dépêtrer.

Il me faut d’urgence improviser un plan B…

J’ai trouvé ! Je ne voulais pas du sempiternel riz-haricots rouges, mais pourquoi pas accompagner le cochon roussi de maïs ? Il me suffit d’ouvrir une boîte et la réchauffer. Le géant vert qui est en moi reprend du poil de la bête. Il me reste trois piments végétariens : leurs notes de couleur ajoutées au jaune éclatant du maïs, ça aura de la gueule sur le fond roussi, pas vrai ?

 

Les invités sont là.


La tarte aux poireaux 

Juste un petit retour au four pour la tarte aux poireaux qui arrive sur la table.

tarte au poireau
Quand le poireau poireaute 

Quoi ? Mais oui, je n’avais pas oublié d’enlever la grille destinée à l’empêcher de se ramollir pendant l’attente. Et même si la pâte semble un peu pâlichonne, elle est bien croustillante, presque feuilletée.

tarte aux poireaux
Poireau se cache


Le cochon roussi 

Le plat de service vient de se tiédir au four éteint mais encore chaud pendant que mon cochon roussi voit sa sauce réduire dans la cocotte découverte. 

cochon roussi
Et ça ressent le roussi...

Je conclus par un trait de citron vert et retire les feuilles aromatiques aussi inutiles désormais que gênantes pour la dégustation. 

Dans une petite casserole le maïs se réchauffe en compagnie des trois piments végétariens qui lui ajouteront leur parfum.

Y a plus qu’à dresser. À la périphérie du plat, les morceaux de cochon arrosés de leur sauce. Au centre, le maïs avec ses piments. Je parsème de coriandre ciselée.

 

cochon roussi
Noël avant l'heure

Eh bien, si ça sent le roussi pour le cochon, ce n’est pas le cas pour moi !

Moi, je rougis simplement… Et ce n’est pas sous l’effet du piment dont la force est aussi discrète que ses parfums s’exhalent sans retenue, se mêlant harmonieusement aux fragrances des épices, des herbes, dans la rondeur du muscovado caramélisé cassée par l’acidité du citron vert. Non, c’est simplement sous l’avalanche des compliments. Même la présence des grains de maïs est saluée comme l’apport d’un croquant et d’une fraîcheur offrant un parfait contrepoint à ce qu’un plat en sauce peut avoir d’endormi dans sa molle tradition.

 

Le beigli

J’ose espérer que le dessert ne me fera pas tomber de mon fragile et inespéré piédestal.

Mais non. C’est une réussite, avec sa pâte tendre mais croustillante enfermant une farce sans excès de sucre.

beigli
Quand tout se déroule bien...


Et pour ajouter au plaisir, le vin, un remarquable gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé issu des caves Bestheim, a fonctionné à merveille avec l’ensemble des plats, de l’entrée au dessert.

Après le café, il faudra trouver un point final à la hauteur de ce repas réussi : quoi de mieux que la subtile amertume parfumée de cette excellente liqueur qu'est l'Unicum... Un écho au beigli, en parfaite harmonie.

Et une belle couleur rousse...