Ah, quel accueil ! Nous étions quatre mignonnes
limonettes de Marrakech qui avions franchi la Méditerranée pour découvrir la France.
Nous étions toutes pimpantes, fières de notre peau dorée par le soleil marocain
et ne voilà-t-il pas qu’un olibrius brandissant un instrument barbare
entreprend de nous gratter la couenne.
...alias citron bergamote |
Que pouvions-nous faire ? Nous insurger en criant « Pas un zeste ou je tire ! » alors que nous n’avions que quelques minuscules pépins à lui envoyer dans l’œil ? Non, bien sûr… Alors nous nous sommes trouvées dépouillées de notre or et de notre parfum.
Mais ce n’était pas terminé. Quelques minutes plus tard nous
étions pourfendues tel un Vicomte calvinesque. Et ce n’était qu’un prélude pour
nous vider de notre sang !
Que pouvions-nous faire ? En appeler aux défenseurs des
droits du citron, trop souvent opprimé en ce monde cruel ? De tels preux
chevaliers sont bien rares. L’homme préfère se vouer à la protection des
animaux, pourtant bien plus aptes que nous, pauvres végétaux, à ruer dans les
brancards. Sous l’œil narquois de nos frères siciliens inconscients de l’avenir
qui leur était réservé faisant la sieste sur une confortable clayette en
compagnie d’un pomelo avachi et de mandarines dures de la feuille, nous nous sommes
écrasées.
Nous nous plaignons, mais je dois avouer qu’en voyant
arriver un malheureux veau sous forme de grenadins, nous n’avons pu nous
empêcher de verser une petite larme. Nous n’avons pas vocation à nous placer
sous la bannière du parti des veaux, mais il faut bien reconnaître que si pour
notre part nous avions perdu notre peau et notre sang, nous avions néanmoins conservé
notre identité, alors que cette malheureuse bête s’offrait à notre vue que sous
la forme de deux tranches – deux amas de cellules aux contours géométriques, ni plus, ni moins.
Une poêle est arrivée. Elle fut arrosée du sang d’olives et placée
sur un cercle de flammes bleutées. Les grenadins sont venus s’y dorer, sur une
face, puis sur l’autre. Ensuite ils furent arrosés de notre sang d’agrume qui
se concentrait et devenait de plus en plus sirupeux. Pendant ce temps le malfaisant
végétocide hachait, à côté des lambeaux de peau arrachés à notre chair, des
brins de persil et de coriandre. Puis ce fut une gousse d’ail qui subit les
outrages de son couteau. Ce mélange fut versé dans la poêle dans le bain toujours
plus poisseux de notre sang. On ne sait qui parfuma l’autre, peu importe, nous
croyons plutôt à leur complicité qui transforma une addition en une multiplication.
Nous pensions que la comédie – ou plutôt le drame – allait s’arrêter
là… Mais non. Une rumeur se répandit : « Les fusilli arrivent ! ».
Eh oui, c’est ainsi que l’on est accueilli en ces lieux.
Bien échauffés après leur séjour dans des eaux
bouillonnantes, ils se sont jetés sur les grenadins, se vautrant de façon
infâme dans le suc de notre chair, se barbouillant d’herbes, se grisant de
piment,
Et ces fusilli de repousser les grenadins sur les assiettes
dans une charge sauvage…
grenadin et fusilli |
Nous n’en savons pas plus, car le couvercle de la poubelle s’est refermé sur nous. Mais une chose est certaine, la France n’est pas la terre d’accueil que nous imaginions !
Moi, je sais, ce plat était bien bon. Et je l'ai accueilli fort aimablement dans mon estomac !
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