J’ai toujours manifesté une certaine réticence, pour ne pas dire une réticence certaine, envers l’utilisation des cercles pour le dressage des assiettes.
En effet un tableau de Chardin
me met plus en appétit qu’une œuvre de Kandinsky…
Mon aventure de ce jour n’a fait que me conforter dans ce
sentiment.
Ils étaient fort engageants quand je les ai repérés sur l’étal
du poissonnier, ces maquereaux bien roides à l’œil vif et à la peau aux reflets
irisés. Je viens de les vider et de les parer. Je les ai farcis de thym, de
laurier, d’un éclat de citron jaune, d’une pincée de gros sel, de grains de
poivre blanc de Muntok, de trois baies de genièvre, finissant en obturant l’ouverture
avec une branche de persil - et avec plus ou moins de réussite. Je les parsème
de fleur de sel et les réserve jusqu’au moment où…
Mais je n’en suis pas encore là. J’ai choisi de les
accompagner d’un riz au curry. Pas n’importe quel curry, il s’agit du curry
breton, mélange qui me semble apte à être confronté à un poisson au caractère
bien trempé (par les eaux océanes) car il ajoute au parfum de curcuma (quant à
lui, c’est plutôt la couleur qu’il apporte), de coriandre, de cumin, de fenouil,
de poivre noir, de moutarde, de fenugrec et de gingembre les notes iodées d’algues
(dulse, wakamé, laitue de mer, nori).
Je cisèle un oignon blanc et une partie de sa queue verte puis
jette les morceaux obtenus au fond d’une casserole où mousse une grosse noix de
beurre en train de fondre à feu doux. Je laisse suer cette découpe assaisonnée
d’une pincée de sel en veillant bien à ce que le beurre ne noircisse pas. À côté
infuse un sachet de bouillon de volaille Ariaké dans deux verres d’eau chaude.
L’oignon est devenu translucide, j’ajoute une bonne
cuillerée de curry breton ainsi qu’un verre de riz long tradition que je
touille délicatement dans le beurre mordoré. Quand les grains sont nacrés, je les
inonde alors du bouillon de volaille, fais plonger une feuille de laurier et un
brin de persil et recouvre d’un disque de papier siliconé percé en son centre.
Je coiffe la casserole de son couvercle et enfourne à 150 °C pour une
vingtaine de minutes.
Je place la grande plaque en fonte striée sur les deux feux
désormais libérés de leurs casseroles et la mets à chauffer – pas trop cependant,
afin que les maquereaux ne soient pas agressés et d’éviter une peau carbonisée
cachant une chair crue à l’arête.
Plus qu’une dizaine de minutes avant que le riz ne soit cuit. C’est le moment de poser les maquereaux sur le gril.
Beaux, mes maquereaux, beaux ! |
Je les retournerai régulièrement pendant leur cuisson.
Eh bien ça y est, le minuteur m’a rappelé à l’ordre et je
sors la casserole du four. Je débarrasse le riz de son linceul de papier
sulfurisé, j’évacue la feuille de laurier et le brin de thym, je passe la fourchette
pour éviter tout collage intempestif – même si les grains se détachent bien – et
j’en profite pour incorporer quelques brins de ciboulette ciselés sur la planche
entre deux retournements de poisson.
Pas laid, riz beau |
Je m’empare de deux assiettes rectangulaires et commence le
dressage.
J’allonge les maquereaux. Quant au riz, c’est à l’aide d’un
cercle en inox qu’il vient se placer, en deux piles encadrant un malheureux
quartier de citron comme le feraient deux argousins pour un malfrat comparaissant
en flagrant délit.
Sur ses drôles de roulettes...
Et c’est là que le drame s’est produit.
Notre maquereau ne retient plus sa joie. Muni de ses deux
roulettes, il se sent muni d’ailes. Sa trottinette dorée l’éloigne loin de moi.
Ce n’est plus le fier arpenteur des océans qui me faisait rêver d’embruns et de
flots rugissants. Pendant que ce dernier disparaît, petit point s’évanouissant dans les
brumes lointaines, je trouve à ma table un grotesque et piteux trottinetteur d’espaces
urbains, perché sur sa monture façon moderneuneux. Et tout ça à cause d’un
cercle en inox !
Cercle du naturel disparu, je te hais !
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