Ce dimanche, j‘ai des invités. Alors dès le samedi je me
mets à l’ouvrage.
Le menu :
Tarte aux poireaux du jardin
Cochon roussi des îles
Beigli au pavot
Première préparation : une pâte brisée destinée à la
tarte. Elle sera boulée, mise sous film pour reposer toute une nuit au
réfrigérateur.
Quant aux poireaux, une fois nettoyés, il suffit pour
aujourd’hui de les émincer et de les faire tomber dans un peu de beurre. Ils
rejoignent au frais leur futur support, enfermés dans une boîte (de
nuit ?).
Bon, jusque-là, rien de bien sorcier. La réalisation du
dessert devrait être plus délicate, car c’est la première fois que je confectionne ces gâteaux roulés au pavot
qui régalent traditionnellement les Hongrois pendant les fêtes de Noël - à tel
point qu’ils continuent à s’en empiffrer le reste de l’année… Tout comme moi - qui me contente habituellement de les débarrasser de la cellophane sous
laquelle ils me sont vendus. L’avantage, c’est que j’ai une référence pour
savoir si mon beigli maison tient la route, l’inconvénient, c’est que ça me met
une pression supplémentaire – d’autant plus que parmi mes invités se trouve une
personne qui a séjourné plusieurs mois en Hongrie.
Je commence par la farce, qui devra refroidir avant d’être
étalée. Je porte à ébullition 250 g de sucre versés dans un quart de litre
d’eau et y plonge 300 g de graines de pavot. J’éteins le feu, et quand le
mélange est devenu tiède, je concasse à l’aide du mixer plongeant muni de son
bras à masselottes pour obtenir une sorte de crème. Je complète de 150 g
de raisins secs et du zeste d’un demi-citron.
Pour la pâte, je malaxe 400 g de farine avec 135 g
de beurre et 65 g de saindoux - hongrois, quelle chance ! J’ajoute 20 g
de levure de boulanger délayée dans un verre de lait tiède additionné de 80 g
de sucre. J’incorpore 3 jaunes d’œuf, finis de mélanger en introduisant une pincée
de sel et une pointe de vanille. Je régule en lait pour obtenir une pâte
maniable, mais encore ferme. Je laisse monter dans la chambre de pousse à 28 °C.
Une heure est passée, le pâton a pris du volume, je le
divise en deux et laisse reposer une demi-heure. J’abaisse sous la forme de
deux rectangles d’une épaisseur d’environ 2 mm que je tartine de la farce.
Quand le pavot s'étale |
Je roule la pâte avec la farce. Et obtiens deux rouleaux que je laisse lever une nouvelle heure à température ambiante.
Bien roulés ? |
Avant d’enfourner, afin d’obtenir la marbrure caractéristique à la sortie du four, je badigeonne d’un jaune d’œuf, laisse sécher et recouvre, toujours au pinceau, d’une couche de blanc d’œuf. Je pique mes rouleaux de la pointe d’une fourchette.
J’enfourne à 210 °C pour une demi-heure.
Quand je sors ma production, son aspect me semble plutôt réussi, même si la
régularité de mes deux pièces n’est pas parfaite. Quant au goût, eh bien je le
saurai demain !
Noël après l'heure |
Je me lance parallèlement dans la préparation du cochon
roussi. Le plat salé a d’ailleurs en commun avec le dessert d’être lui aussi
associé aux festivités de Noël - mais en un tout autre endroit… Simple
coïncidence non intentionnelle, mais ce rapprochement temporel associé à une
distanciation géographique qui me donne le rôle de maître du temps et de
l’espace dans ma petite cuisine francilienne ne manque pas de m’amuser.
M’amuser… Mais que quelques instants. Car quand je pars à la
recherche de mon sachet de graines à roussir, je commence par constater sa
disparition avant de me souvenir que je l’avais épuisé quelques semaines
auparavant – pour ce qui reste, je ne vais pas le mettre de côté, allez, zou,
tout dans le plat ! Et dire que tout mon projet repose sur ces graines à
roussir disparues…
Ne nous laissons pas abattre : si le grain ne meurt,
ressuscitons-le ! Je dispose de graines de fenugrec, de moutarde jaune et
de cumin. Je verse une cuillerée de chaque dans une coupelle, je touille. Je
les ai, mes graines à roussir, et je pourrai de surcroît me targuer d’utiliser
un mélange maison…
Cependant avant de leur donner le baptême du feu, il me faut tout
d’abord procéder à ma mise en place.
Je déshabille deux oignons jaunes de taille moyenne et les
hache grossièrement. Je réserve.
Je dégerme trois gousses d’ail violet. Je réserve.
Je débarrasse une botte de cives de leurs racines, de leurs
extrémités et de leur première peau flétrie. Je les tronçonne. Je réserve.
J’épluche la moitié d’un rhizome de gingembre frais et la
taille en julienne. Je réserve.
Je partage en deux quatre piments végétariens et enlève
leurs graines. Je réserve.
Je découpe un rôti d’échine de porc sans os, pesant environ 700 g, acheté à mon éleveur normand habituel, le partageant en parallélépipèdes
de 3 à 4 cm de côtés. Je sale de fleur de sel de l’île de Ré, j’arrose du
jus d’un demi-citron vert. Je réserve.
Je pose ma cocotte en fonte sur la flamme. Je verse ma
coupelle de graines à roussir que je laisse torréfier quelques minutes. Je fais
tomber une bonne cuillerée de sucre muscovado sur le fond brûlant. Il commence
à fondre et caraméliser. J'invite à s'étaler une noisette de saindoux et dispose les
morceaux d’échine côte à côte sans recouvrement afin de bien les saisir.
Surtout je ne remue pas ! Quand elles ont bien croûté, même opération sur
l’autre face…
J’ajoute l’oignon, une pincée de sel, je brasse et laisse le
jus s’évaporer.
Une bonne odeur de roussi |
Puis j’introduis les cives.
Jour de les cives |
Elles fondront quelques minutes avant que je termine avec le gingembre, le piment végétarien, l’ail écrasé au presse-ail, une feuille de laurier, un brin de thym, tous deux du jardin, et, de provenance plus lointaine, une pléthorique feuille de bois d’Inde flanquée de quatre maigrichonnes feuilles de caloupilé. Pour donner un peu de vigueur, je rehausse d’une petite cuillerée de pâte de piment bourbon rouge.
Les parfums |
Je recouvre d’eau à hauteur et laisse mijoter une quarantaine de minutes.
Mijotons ! |
Ce sera tout pour aujourd’hui.
À demain si vous le voulez bien…
DIMANCHE
Les invités vont arriver dans un couple d’heures.
Mais le plus gros est déjà fait.
Pour terminer la tarte au poireau, je confectionne une sorte de
migaine comportant un petit pot de crème, un verre de lait, trois œufs et une
cuillerée de maïzena. Je l’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de plusieurs
tours de moulin de poivre noir et un soupçon de noix de muscade râpée.
Je fonce le moule à tarte avec la pâte brisée, étale la compotée
de poireaux, recouvre de migaine et enfourne pour une trentaine de minutes à
190 °C.
Je n’aurai plus qu’à remettre à température au moment de servir si
la tarte a trop refroidi…
Comme garniture de mon cochon roussi j’ai prévu un chou portugais sauté. Ce chou offre une forte ressemblance avec les tendres pousses de choux à vaches que ma grand-mère poitevine cuisinait sous le nom de brocolis. Je prive mes choux achetés à la boutique portugaise des halles locales de l’extrémité de leurs queues, fais disparaître quelques feuilles tendance moche jaunies, lave bien avant de ciseler grossièrement, et balance ces feuillages dans une poêle où crépite une grosse noix de saindoux.
Portugais coriace |
Il me faut d’urgence improviser un plan B…
J’ai trouvé ! Je ne voulais pas du sempiternel riz-haricots
rouges, mais pourquoi pas accompagner le cochon roussi de maïs ? Il me suffit d’ouvrir une
boîte et la réchauffer. Le géant vert qui est en moi reprend du poil de la bête.
Il me reste trois piments végétariens : leurs notes de couleur ajoutées au
jaune éclatant du maïs, ça aura de la gueule sur le fond roussi, pas
vrai ?
Les invités sont là.
Juste un petit retour au four pour la tarte aux poireaux qui
arrive sur la table.
Quand le poireau poireaute |
Quoi ? Mais oui, je n’avais pas oublié d’enlever la grille destinée à l’empêcher de se ramollir pendant l’attente. Et même si la pâte semble un peu pâlichonne, elle est bien croustillante, presque feuilletée.
Poireau se cache |
Le plat de service vient de se tiédir au four éteint mais encore chaud pendant que mon cochon roussi voit sa sauce réduire dans la cocotte découverte.
Et ça ressent le roussi... |
Dans une petite casserole le maïs se réchauffe en compagnie des trois piments végétariens qui lui ajouteront leur parfum.
Y a plus qu’à dresser. À la périphérie du plat, les morceaux de
cochon arrosés de leur sauce. Au centre, le maïs avec ses piments. Je parsème
de coriandre ciselée.
Noël avant l'heure |
Eh bien, si ça sent le roussi pour le cochon, ce n’est pas le cas
pour moi !
Moi, je rougis simplement… Et ce n’est pas sous l’effet du piment dont
la force est aussi discrète que ses parfums s’exhalent sans retenue, se mêlant
harmonieusement aux fragrances des épices, des herbes, dans la rondeur du muscovado
caramélisé cassée par l’acidité du citron vert. Non, c’est simplement sous
l’avalanche des compliments. Même la présence des grains de maïs est saluée
comme l’apport d’un croquant et d’une fraîcheur offrant un parfait contrepoint
à ce qu’un plat en sauce peut avoir d’endormi dans sa molle tradition.
Le beigli
J’ose espérer que le dessert ne me fera pas tomber de mon fragile
et inespéré piédestal.
Mais non. C’est une réussite, avec sa pâte tendre mais
croustillante enfermant une farce sans excès de sucre.
Quand tout se déroule bien... |
Et pour ajouter au plaisir, le vin, un remarquable gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé issu des caves Bestheim, a fonctionné à merveille avec l’ensemble des plats, de l’entrée au dessert.
Après le café, il faudra trouver un point final à la hauteur de ce repas réussi : quoi de mieux que la subtile amertume parfumée de cette excellente liqueur qu'est l'Unicum... Un écho au beigli, en parfaite harmonie.
Et une belle couleur rousse...
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