jeudi 24 février 2022

Ça sent le roussi !

 

Ce dimanche, j‘ai des invités. Alors dès le samedi je me mets à l’ouvrage.

 

Le menu :

Tarte aux poireaux du jardin

Cochon roussi des îles

Beigli au pavot

 

Première préparation : une pâte brisée destinée à la tarte. Elle sera boulée, mise sous film pour reposer toute une nuit au réfrigérateur.

Quant aux poireaux, une fois nettoyés, il suffit pour aujourd’hui de les émincer et de les faire tomber dans un peu de beurre. Ils rejoignent au frais leur futur support, enfermés dans une boîte (de nuit ?).

 

Bon, jusque-là, rien de bien sorcier. La réalisation du dessert devrait être plus délicate, car c’est la première fois  que je confectionne ces gâteaux roulés au pavot qui régalent traditionnellement les Hongrois pendant les fêtes de Noël - à tel point qu’ils continuent à s’en empiffrer le reste de l’année… Tout comme moi - qui me contente habituellement de les débarrasser de la cellophane sous laquelle ils me sont vendus. L’avantage, c’est que j’ai une référence pour savoir si mon beigli maison tient la route, l’inconvénient, c’est que ça me met une pression supplémentaire – d’autant plus que parmi mes invités se trouve une personne qui a séjourné plusieurs mois en Hongrie.

Je commence par la farce, qui devra refroidir avant d’être étalée. Je porte à ébullition 250 g de sucre versés dans un quart de litre d’eau et y plonge 300 g de graines de pavot. J’éteins le feu, et quand le mélange est devenu tiède, je concasse à l’aide du mixer plongeant muni de son bras à masselottes pour obtenir une sorte de crème. Je complète de 150 g de raisins secs et du zeste d’un demi-citron.

Pour la pâte, je malaxe 400 g de farine avec 135 g de beurre et 65 g de saindoux - hongrois, quelle chance ! J’ajoute 20 g de levure de boulanger délayée dans un verre de lait tiède additionné de 80 g de sucre. J’incorpore 3 jaunes d’œuf, finis de mélanger en introduisant une pincée de sel et une pointe de vanille. Je régule en lait pour obtenir une pâte maniable, mais encore ferme. Je laisse monter dans la chambre de pousse à 28 °C.

Une heure est passée, le pâton a pris du volume, je le divise en deux et laisse reposer une demi-heure. J’abaisse sous la forme de deux rectangles d’une épaisseur d’environ 2 mm que je tartine de la farce.

beigli, roulé au pavot
Quand le pavot s'étale

Je roule la pâte avec la farce. Et obtiens deux rouleaux que je laisse lever une nouvelle heure à température ambiante.

beigli
Bien roulés ?

Avant d’enfourner, afin d’obtenir la marbrure caractéristique à la sortie du four, je badigeonne d’un jaune d’œuf, laisse sécher et recouvre, toujours au pinceau, d’une couche de blanc d’œuf. Je pique mes rouleaux de la pointe d’une fourchette.

J’enfourne à 210 °C pour une demi-heure.
Quand je sors ma production, son aspect me semble plutôt réussi, même si la régularité de mes deux pièces n’est pas parfaite. Quant au goût, eh bien je le saurai demain !

 

beigli
Noël après l'heure




Je me lance parallèlement dans la préparation du cochon roussi. Le plat salé a d’ailleurs en commun avec le dessert d’être lui aussi associé aux festivités de Noël - mais en un tout autre endroit… Simple coïncidence non intentionnelle, mais ce rapprochement temporel associé à une distanciation géographique qui me donne le rôle de maître du temps et de l’espace dans ma petite cuisine francilienne ne manque pas de m’amuser.

M’amuser… Mais que quelques instants. Car quand je pars à la recherche de mon sachet de graines à roussir, je commence par constater sa disparition avant de me souvenir que je l’avais épuisé quelques semaines auparavant – pour ce qui reste, je ne vais pas le mettre de côté, allez, zou, tout dans le plat ! Et dire que tout mon projet repose sur ces graines à roussir disparues…

Ne nous laissons pas abattre : si le grain ne meurt, ressuscitons-le ! Je dispose de graines de fenugrec, de moutarde jaune et de cumin. Je verse une cuillerée de chaque dans une coupelle, je touille. Je les ai, mes graines à roussir, et je pourrai de surcroît me targuer d’utiliser un mélange maison…

Cependant avant de leur donner le baptême du feu, il me faut tout d’abord procéder à ma mise en place.

Je déshabille deux oignons jaunes de taille moyenne et les hache grossièrement. Je réserve.

Je dégerme trois gousses d’ail violet. Je réserve.

Je débarrasse une botte de cives de leurs racines, de leurs extrémités et de leur première peau flétrie. Je les tronçonne. Je réserve.

J’épluche la moitié d’un rhizome de gingembre frais et la taille en julienne. Je réserve.

Je partage en deux quatre piments végétariens et enlève leurs graines. Je réserve.

Je découpe un rôti d’échine de porc sans os, pesant environ 700 g, acheté à mon éleveur normand habituel, le partageant en parallélépipèdes de 3 à 4 cm de côtés. Je sale de fleur de sel de l’île de Ré, j’arrose du jus d’un demi-citron vert. Je réserve.

Je pose ma cocotte en fonte sur la flamme. Je verse ma coupelle de graines à roussir que je laisse torréfier quelques minutes. Je fais tomber une bonne cuillerée de sucre muscovado sur le fond brûlant. Il commence à fondre et caraméliser. J'invite à s'étaler une noisette de saindoux et dispose les morceaux d’échine côte à côte sans recouvrement afin de bien les saisir. Surtout je ne remue pas ! Quand elles ont bien croûté, même opération sur l’autre face…

J’ajoute l’oignon, une pincée de sel, je brasse et laisse le jus s’évaporer.

cochon roussi
Une bonne odeur de roussi

Puis j’introduis les cives.

cochon roussi
Jour de les cives

Elles fondront quelques minutes avant que je termine avec le gingembre, le piment végétarien, l’ail écrasé au presse-ail, une feuille de laurier, un brin de thym, tous deux du jardin, et, de provenance plus lointaine, une pléthorique feuille de bois d’Inde flanquée de quatre maigrichonnes feuilles de caloupilé. Pour donner un peu de vigueur, je rehausse d’une petite cuillerée de pâte de piment bourbon rouge.

cochon roussi
Les parfums

Je recouvre d’eau à hauteur et laisse mijoter une quarantaine de minutes.

cochon roussi
Mijotons !


Ce sera tout pour aujourd’hui. 

À demain si vous le voulez bien



 

DIMANCHE

 

Les invités vont arriver dans un couple d’heures.

Mais le plus gros est déjà fait.

Pour terminer la tarte au poireau, je confectionne une sorte de migaine comportant un petit pot de crème, un verre de lait, trois œufs et une cuillerée de maïzena. Je l’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de plusieurs tours de moulin de poivre noir et un soupçon de noix de muscade râpée.

Je fonce le moule à tarte avec la pâte brisée, étale la compotée de poireaux, recouvre de migaine et enfourne pour une trentaine de minutes à 190 °C.

Je n’aurai plus qu’à remettre à température au moment de servir si la tarte a trop refroidi…


Comme garniture de mon cochon roussi j’ai prévu un chou portugais sauté. Ce chou offre une forte ressemblance avec les tendres pousses de choux à vaches que ma grand-mère poitevine cuisinait sous le nom de brocolis. Je prive mes choux achetés à la boutique portugaise des halles locales de l’extrémité de leurs queues, fais disparaître quelques feuilles tendance moche jaunies, lave bien avant de ciseler grossièrement, et balance ces feuillages dans une poêle où crépite une grosse noix de saindoux. 

chou portugais
Portugais coriace


Comme prévu, après quelques minutes, le contenu a bien réduit. Je goûte pour vérifier si ce légume est resté légèrement al dente comme je le souhaite. Et... Et, horreur, enfer et damnation ! Je n’ai jamais mangé quoi que ce soit d’aussi filandreux. Ça se coince entre les molaires, ça s’enroule autour des incisives, ça chatouille la glotte. Comment s’en débarrasser ? La hantise du cure-dent, l’échec d’Oral-B… Bref, impossible de servir ces cordages à des invités. Même le végan le plus acharné n’oserait prendre la défense de ce légume malfaisant, il me le cracherait au visage – enfin si sa bouche pouvait s’en dépêtrer.

Il me faut d’urgence improviser un plan B…

J’ai trouvé ! Je ne voulais pas du sempiternel riz-haricots rouges, mais pourquoi pas accompagner le cochon roussi de maïs ? Il me suffit d’ouvrir une boîte et la réchauffer. Le géant vert qui est en moi reprend du poil de la bête. Il me reste trois piments végétariens : leurs notes de couleur ajoutées au jaune éclatant du maïs, ça aura de la gueule sur le fond roussi, pas vrai ?

 

Les invités sont là.


La tarte aux poireaux 

Juste un petit retour au four pour la tarte aux poireaux qui arrive sur la table.

tarte au poireau
Quand le poireau poireaute 

Quoi ? Mais oui, je n’avais pas oublié d’enlever la grille destinée à l’empêcher de se ramollir pendant l’attente. Et même si la pâte semble un peu pâlichonne, elle est bien croustillante, presque feuilletée.

tarte aux poireaux
Poireau se cache


Le cochon roussi 

Le plat de service vient de se tiédir au four éteint mais encore chaud pendant que mon cochon roussi voit sa sauce réduire dans la cocotte découverte. 

cochon roussi
Et ça ressent le roussi...

Je conclus par un trait de citron vert et retire les feuilles aromatiques aussi inutiles désormais que gênantes pour la dégustation. 

Dans une petite casserole le maïs se réchauffe en compagnie des trois piments végétariens qui lui ajouteront leur parfum.

Y a plus qu’à dresser. À la périphérie du plat, les morceaux de cochon arrosés de leur sauce. Au centre, le maïs avec ses piments. Je parsème de coriandre ciselée.

 

cochon roussi
Noël avant l'heure

Eh bien, si ça sent le roussi pour le cochon, ce n’est pas le cas pour moi !

Moi, je rougis simplement… Et ce n’est pas sous l’effet du piment dont la force est aussi discrète que ses parfums s’exhalent sans retenue, se mêlant harmonieusement aux fragrances des épices, des herbes, dans la rondeur du muscovado caramélisé cassée par l’acidité du citron vert. Non, c’est simplement sous l’avalanche des compliments. Même la présence des grains de maïs est saluée comme l’apport d’un croquant et d’une fraîcheur offrant un parfait contrepoint à ce qu’un plat en sauce peut avoir d’endormi dans sa molle tradition.

 

Le beigli

J’ose espérer que le dessert ne me fera pas tomber de mon fragile et inespéré piédestal.

Mais non. C’est une réussite, avec sa pâte tendre mais croustillante enfermant une farce sans excès de sucre.

beigli
Quand tout se déroule bien...


Et pour ajouter au plaisir, le vin, un remarquable gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé issu des caves Bestheim, a fonctionné à merveille avec l’ensemble des plats, de l’entrée au dessert.

Après le café, il faudra trouver un point final à la hauteur de ce repas réussi : quoi de mieux que la subtile amertume parfumée de cette excellente liqueur qu'est l'Unicum... Un écho au beigli, en parfaite harmonie.

Et une belle couleur rousse...

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