mercredi 23 mars 2022

Querelle potagère

 

On aurait pu croire que ces frères de sang (de navet) eussent été solidaires… Mais non, à peine arrivés depuis mon jardin dans ma cuisine, ils se sont disputés. Les uns disaient aux autres qu’ils étaient complètement marteaux, les autres se gaussaient de la ventripotence des uns, ce qui avait le don de les mettre en boule. J’ai eu beau intervenir manu militari, c’est-à-dire avec un épluche-légumes, rien n’y faisait, et les insultes continuaient à voler bas - au ras des plates-bandes aurais-je dit si tout ceci ne se produisait pas dans mon appartement. Même une douche froide n’a pas réussi à les calmer. Un gros oignon blanc qui avait le malheur de passer par là en subit les conséquences : il eut l’outrecuidance de prendre leur défense - des pauvres arrachés à leur terre natale, qu’il disait (ah la la, tu vas me faire pleurer) - alors dans mon agacement je l’ai tranché en deux. Il avait beau crier « Pas ma queue, pas ma queue ! » j’ai continué à passer mes nerfs sur lui en ciselant son verdoyant appendice. Pourtant, d’habitude, je suis plutôt bienveillant envers les végétaux qui passent chez moi, et si je les découpe, c’est avec délicatesse… Mais voilà, je ne supporte pas les navets bavards et prétentieux, pas plus à la cuisine qu’à la télévision, alors j’me suis laissé aller.

D’ailleurs je n’étais pas le seul à être perturbé. Un poireau, une blette, un chou, légumes craintifs s’il en est - mais on peut comprendre ces mal-aimés confrontés depuis des temps immémoriaux à l’hostilité des usagers des cantines scolaires, ouvrières ou administratives ainsi qu’à la fureur des maris découvrant la tambouille de bobonne après l’apéro entre copains – ont en premier lieu tenté de se boucher les oreilles qu’ils ont sensibles même si certains sont parfois durs de la feuille, puis, pris de panique, se sont jetés à corps perdu dans le premier abri venu : il s’agissait de diots qui sont ainsi devenus des pormoniers. Il se passe des miracles dans mon frigo. 

Navets marteaux, navets boules d’or, oignon blanc, pormoniers, il n’en fallait pas plus pour me lancer dans la réalisation d’un plat de fin d’hiver…

«  Ouais, c’est un peu juste jeune homme. Quelques patates supplémentaires seraient dans nul doute bienvenues…

-  Pommes de terre, jeune fille, pas patates, un peu de respect que diantre, sinon d’accord sur le fond. »

J’obtempérai donc et épluchai un quatuor de charlottes.

Ensuite je sortis la cocotte en fonte, l’oignis d’une noix de saindoux avant de la poser sur une flamme modérée.

J’ai allongé mes pormoniers que j’ai fait colorer légèrement. Les navets, l’oignon blanc avec sa queue ciselée et les pommes de terre leur ont succédé. J’ai arrosé de la moitié d’une bouteille de sauvignon (faute de vin de Savoie sous la main) et d’un trait de balsamique blanc. J’ai ajouté un bouquet garni, quelques baies de genièvre et grains de poivre noir de Penja, une pincée de gros sel. J’ai coiffé la cocotte de son couvercle et laissé mijoter à feu doux une quarantaine de minutes.

Quand j’ai découvert mon ustensile bleu, la cuisine embaumait déjà de senteurs sialogènes. Mais ce n’était pas encore le moment de baver. Il me fallait d’abord vérifier la bonne cuisson de la pointe d’un couteau. OK, c’était parfait et si une saucisse avait éclaté, ce n’était pas bien grave, j’ai pris son ouverture comme un sourire de bienvenue.

Deux ou trois tours de moulin de poivre rouge de Kampot, un soupçon de noix de muscade, et la cocotte pouvait passer à table et nous avec.

pormonier, navets
Pormonier, tu dors ?


J’ai garni mon assiette d’un plaisant échantillonnage que j’ai arrosé du jus réduit de cuisson plaisamment sirupeux.

pormonier, navet boule d'or, navet marteau
Entre la boule et le marteau


Eh bien, ça y était. Bavons, maintenant ! Une seconde, pas plus, le temps de plonger couteau et fourchette. Une bouchée pour mézigue, une deuxième…

Tiens l’assiette est finie. Mais pas la cocotte. Monsieur reprendra bien un second pormonier ? Mais oui, volontiers !

On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

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