mercredi 23 mai 2018

Yes, oui cane !

Cane… ou plutôt canette. Deux petites cuisses dodues que j’ai étendues sur un gril pour confectionner un plat locavore :

Canette d’un éleveur tourangeau (20 km)
Fèves, asperges vertes, oignons nouveaux et persil d’un maraîcher poitevin (15 km)
Beurre d’une ferme angevine (50 km)
Sauge du jardin (10 m)
Eau d’une résurgence de la Loire (25 km) – enfin, c’était ainsi il n’y a guère, je ne suis plus certain que ce soit encore vrai… - conduite jusqu’à mon robinet (2,5 m)
Sel de l’île de Ré (140 km)
Poivre rouge de Kampot (10 000 km), l’exception qui confirme la règle
Balsamique blanc (1000 km), ah ces condiments venus de loin !

Je place le grill sur un feu doux afin que la chaleur ait le temps de pénétrer la chair sans que la surface soit brûlée, doduité canettesque oblige. À mi-cuisson j’ajoute à côté des cuisses trois oignons fendus en deux qui vont subir un début de caramélisation.
J’écosse les fèves, débarrasse les graines de leur peau. Elles vont cuire doucement parsemées de quatre feuilles de sauge ciselées huit minutes dans du beurre mousseux.
Les asperges sont allongées sur une poêle à feu vif avec une noisette de beurre. Elles y resteront six minutes.


Il ne reste plus qu’à dresser, arroser la cuisse de balsamique réduit sirupeux et donner un tour de moulin de poivre…



cuisse de canette, fèves, asperges vertes
Locavore...


samedi 19 mai 2018

L'appel de la forêt

La forêt m’a fourni mon dessert.
Dans une clairière, des fraisiers m’ont offert des fraises des bois.
Et tout autour des robiniers m’ont offert des robins des bois.
Ces grappes parfumées dont les effluves embaumaient toutes les sentes sylvestres que le commun appelle fleurs d’acacia…
Muni d’un sécateur plus pratique que mon fidèle couteau de Laguiole afin d’à la fois couper et tenir l’inflorescence, j’en ai vendangé suffisamment pour satisfaire deux personnes gourmandes qui ne manquent pas à satisfaire chaque fin de printemps à ce rituel : se régaler de beignets imprégnés de fragrances florales.
Le fond du panier où ces grappes se nichaient fut recouvert de branches de genêt destinées à confectionner un fringant bouquet apte à faire entrer la vraie vie dans le salon bibliothèque tout en rendant hommage aux Plantagenets dont bon nombre sont enterrés à une quarantaine de kilomètres…

Peu après, je prélevais du panier des grappes que j’ai débarrassées de quelques pétales de genêt tombés sur elles.


beignets d'acacia
Robins de bois...


Sur le feu, une petite négresse héritée de ma mère les attendait, un croûton baignant dans l’huile remplaçant le thermomètre infrarouge que je n’avais pas sous la main.


beignets d'acacia
La négresse blonde


J’avais confectionné une pâte :
125 g de farine
1 jaune d’œuf
2 blancs d’œuf
1 cuillerée d’huile d’arachide
1 pincée de sel
10 cl d’eau

Quantités approximatives, le témoignage offert par mes œufs n’étant pas exemplaire quand on constate la variété de couleurs et surtout de tailles dans la boîte dont je les ai extraits…

pâte à beignet
Histoire d'oeufs


M’étonnant de cette fantaisie encore plus manifeste dans le plateau dont le vendeur éleveur les prélevait sur son étal du marché, le maître des poules m’a expliqué que la cause en était la race hybride qu’il avait choisie et les hasards de la génétique. Hum, bien loin de l’INRA ou de l’ITAVI… Je me suis pris à rêver de voitures hybrides sortant d’une chaîne balançant entre une tendance essence ou une tendance électricité suivant l’inspiration du robot de service.


Mais désormais je n’en étais pas là. J’avais mélangé tous les ingrédients, sauf les deux blancs d’œuf.
Et il me fallait monter ces derniers en neige, ma puissante musculature et un fouet remplaçant le batteur que je n’avais pas sous la main…

Bon, c’était chose faîte, j’incorporai précautionneusement le fruit de mes efforts : je pouvais enfin tremper les fleurs d’acacia dans la pâte à beignet et les déposer dans l’huile frémissante de ma mini-friteuse.
Quelques minutes plus tard j’avais dressé une petite colline de grappes dorées et croustillantes saupoudrées de sucre.

beignets d'acacia
Dehors, le nudiste !


Aujourd’hui, les fleurs de robinier ne sont plus qu’un souvenir gourmand. En revanche les fleurs de genêt sont toujours là. Mais elles commencent à être moins fringantes…


genêt
C'est le bouquet !


Hélas, il faut bien que genêt se passe !

vendredi 18 mai 2018

Coriace comme un agneau

Surprise en arrivant au village : le boucher avait mis la clé sous la porte pour cause de faillite. Le retour de ce commerce fut bien bref... Espérons que l'épicerie ne suivra pas cet exemple.
Direction donc en urgence vers le supermarché le plus proche pour acheter une épaule d’agneau. L’établissement se vante de distribuer des bêtes labellisées Poitou Charentes. Plutôt positif.
Las, j’ai la mauvaise idée de demander de reprendre les armes au garçon-boucher qui vient de déposer le couteau qu’il agitait avec l’énergie du désespoir dans une pièce de bœuf rétive, dans l’intention d’autant plus louable de se mettre à notre disposition que nous l’avions éconduit lors d’un premier passage exploratoire.
« Vous pourriez m’enlever la palette de cette épaule qui me semble la plus dodue du lot ? »
Retournant la pièce, ce professionnel averti me fait remarquer que cette opération fut déjà réalisée sans attendre mes directives. Penaud, je demande timidement :
« Pouvez-vous, ô maître de l’art et de lard, me rouler cette mignonne épaule et la ficeler afin d’en optimiser la cuisson ? »
Je ne suis pas certain que ce soient ces termes exacts que j’ai employés mais enfin ma requête allait bien en ce sens.
Aussitôt je vois le trancheur de bidoche se diriger d’un pas alerte vers les coulisses. Je me tourne vers ma compagne :
« Tiens, la ficelle n’est pas à portée de main, bonjour l’ergonomie ! »
Mais non, l’aplatisseur d’escalopes ouvre l’armoire où ses armes prennent les UV comme de vulgaires petites-bourgeoises préparant leur exhibition arénaire estivale et en sort une lame effilée.
Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche que mon désosseur obsessionnel pourfend ma malheureuse épaule, dégage le gros os, ce qui est bien, mais aussi celui de la souris, ce que j’apprécie moins. Et ensuite, vas-y que je taille, que j’estoque, que je disperse. J’aperçois mon bon gras être évacué manu militari.
Le chiqueteur de viande retourne dans son antre. Que lui manque-t-il ?
Horreur, malheur ! C’est une barde bien épaisse qu’il a à la main… C’en est trop, j’interviens :
« Pas de barde !!! »
Le bardeur infâme prend un air dépité, mais abandonne sa feuille blanche : il a compris que s'il persévérait, ça allait barder.
Il se saisit des os. Je crains le pire.
« Halte là ! Ne les jetez pas ! Je les veux pour ma sauce, pour moi, pas pour le chien que je n'ai pas, mais je les veux… »
Au mot chien, le visage du débiteur de saucisses s’illumine.
Tout en ficelant, ce boucher cynophile nous décrit avec amour les quatorze chihuahuas qui partagent sa vie. La larme à l’œil, il évoque la femelle mal aimée qu’il a su réconforter. Il est intarissable, l’épaule est dans notre chariot mais la courtoisie nous empêche de partir. Une cliente se présente. « Oui, je vais bientôt vous servir… », concède-t-il avec un geste de la main comme s’il chassait une mouche.
J’ose l’interrompre par une banalité.
« Avec votre profession, ils ne doivent pas manquer de viande… »
Son visage se ferme. Il me fusille du regard.
« Vous voulez les tuer ?  Certainement pas. Je leur donne de bonnes croquettes, Monsieur ! »
Il nous tourne aussitôt le dos pour aller servir la cliente. Mais, lasse d’attendre, elle est déjà partie…

C’est ainsi qu’un peu plus tard je me trouve en train de faire dorer sur un trait d’huile d’olive allié à une noix de beurre une sorte de ballon de rugby un peu dégonflé. En effet le chihuahuamaniaque a soigneusement replié les extrémités du rouleau. Une création bouchère : la courgette d’agneau, bien mieux que le melon d’agneau… En tout cas, plus originale !
Avec cependant à mes yeux un défaut : je n’ai pas pu insérer les branches de thym et de romarin que je viens de cueillir au jardin. Je me suis contenté de les glisser entre la ficelle et la chair, et je crains qu’elles ne brûlent.
Pour le moment, viande et os se laissent saisir sur toutes faces. Puis je complète d’une feuille de laurier, j’assaisonne l’épaule de sel et d’un soupçon de piment d’Espelette et ajoute des pleurotes saumuroises que je commence à faire tomber dans le plat posé sur feu moyen en faisant fondre le surplus d’une grosse noix de beurre.
J’enfourne pour une vingtaine de minutes à 170 °C.
Pendant ce temps je fais cuire au sein d’une sauteuse coiffée d’un couvercle des pommes de terre nouvelles de l’île de Ré que j’ai grattées et trois oignons nouveaux dans un gros morceau de beurre demi-sel et un verre d’eau. Je découvrirai cinq minutes avant la fin, alors qu’il ne reste pratiquement plus d’eau.
Viande et légumes sont cuits. Au fond du plat, un jus parfumé.


épaule d'agneau, pleurotes, pommes de terre nouvelles de l'¨le de Ré
Courgette d'agneau dans son jus


Il ne reste plus qu’à dresser les assiettes. Non loin dans la cour de la bourrache prospère et de la ciboulette est montée en fleurs. J’en profite pour donner un peu de couleur.


épaule d'agneau, pleurotes, pommes de terre de l'île de Ré
Sur la route fleurie...


Le plat est goûteux. En revanche le carnisaboteur a laissé tendons et autres aponévroses. Un mal de chien pour mâcher la viande. Je comprends pourquoi ses chihuahuas préfèrent les croquettes !

lundi 14 mai 2018

Au plaisir de diot

En fait, mes diots sont des pormoniers. Mais après tout ces saucisses savoyardes peuvent être définis comme des diots contenant des herbes, des épinards et poireaux en ce qui concerne celles que j'ai cuisinées. Et me voyez-vous titrant « Au plaisir de pormonier » ?
Je vous dirai quand même presque tout sur presque rien

Ces pormoniers m‘ont été apportés de Savoie par des vacanciers, et ces bonnes âmes avaient eu l’attention d’y joindre un sachet de crozets au sarrasin artisanaux qui m’ont changé des productions calibrées que j’utilise d’habitude.
Un plat de pormoniers accompagnés de crozets en gratin s’imposait donc…

Pour commencer j’ai versé un verre de 20 cl de ces pâtes dans une casserole d’eau frémissante et laissé sur le feu une douzaine de minutes. J’ai versé dans une passoire et rincé sous l’eau froide du robinet. J’ai bien égoutté et réservé.
J’ai débarrassé un oignon rouge de sa belle peau rutilante, puis je l’ai découpé en quatre, en huit, en seize afin d’obtenir des pétales que j’ai mis à colorer à feu doux dans une petite poêle sur une noix de beurre.
Pendant que l’oignon se laissait dorer, j’ai beurré un plat en céramique et y ai déversé la moitié des crozets. J’ai recouvert de lamelles d’emmental de Savoie et parsemé d’un tour de moulin de poivre noir.



crozets, sarrasin, gratin
Crozets : couche 1
Puis j’ai recouvert du reste de crozets et arrosé de 20 cl de crème liquide. J’ai terminé par une couche d’emmental râpé que j’ai relevée d’un soupçon de poivre moulu et de noix de muscade grattée.
J’ai enfourné pour un quart d’heure à 180 °C.

Les pétales d’oignon commençaient à caraméliser. Il était temps de passer à la suite. Haussant la flamme, j’ai étendu mes pormoniers et les ai fait dorer sur toutes les faces. Puis j’ai singé, laissé cuire la farine une minute ou deux avant d’arroser d’un verre de vin blanc sec, hélas non savoyard.
J’ai couvert la poêle et poursuivi la cuisson à feu moyen, vérifiant de temps à autre qu’il restait assez de liquide - bonne précaution, car il m’a fallu ajouter un bon trait de l’eau que j’avais mis en chauffe sur le feu voisin.
J’ai éteint le four quand le minuteur a sonné, et y ai laissé le gratin jusqu’à ce que les pormoniers soient bien cuits dans une sauce réduite. Bien que le vin utilisé fût blanc, le résultat était très foncé en raison de la couleur de l’oignon, à la fois d’origine et par caramélisation, et peut-être du jus des herbes…

pormoniers
Pormoniers gisants


gratin, crozets, emmental, crème
Le gratin !


En tout cas, le résultat était fort savoureux.
Qu’il me soit permis de remercier publiquement les généreux donateurs !

jeudi 10 mai 2018

Mémoires d'outre-estomac

Je vivais heureux au creux de ma gousse. J’y étais blotti avec mes cinq compagnons. Certes, notre nid était moins ouaté que celui de nos voisines les fèves, mais nous y étions bien quand même, chauffés mais pas éblouis par le soleil italien qui nous accordait la petite lueur verte qui était notre ciel.
Mais soudain, un bruit de bottes, des cris. « Ce sont les brigades rouges ! » gémit mon voisin de droite. « Ce sont les chemises noires ! » pleurnicha mon voisin de gauche. Tout au bout de la gousse le petit avorton qui s’y nichait répliqua d’une voix tremblante : « Pas du tout, c’est la mafia ! ».
« Mais non, bande de couillons, ce sont les jardiniers ! » assénai-je calmement avec le sang froid qui m’est coutumier.
N’empêche qu’il s’agissait bel et bien d’une rafle. On nous arracha de nos pieds pour nous jeter sans autre forme de procès dans des cageots. De notre rangée, nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au camion qui nous cahota vers un nouveau destin. Dans le noir, nous nous endormîmes.

Nous fûmes réveillés brutalement. On nous jetait dans un autre camion bien plus grand. Et climatisé… Le luxe ! Non loin de nous piaillaient des cipollotti freschi. Visiblement leur IGP leur montait à la tête rouge. Dans un coin, des tomates cerises de Pachino chantonnaient « J’aimerais tant revoir Syracuse », et l’une d’elles émit ce regret : « Si seulement il y avait une mandoline… ».
Un gros parmesan ricana :
« Vaudrait mieux pas…
- Ah, gros machin, lâche-nous la grappe ! »
S’il voulait se faire des amies, c’était râpé…
Des carciofi romani durs de la feuille s’enquirent « Mais qu’est-ce qu’ils disent là-bas au fond ? ».
Des fraises coincées entre des citrons siciliens et des piments forts calabrais n’en menaient pas large…
Bref, ce fut un voyage mémorable.

Quand on ouvrit les portes du camion, j’entendis parler français.
Ce langage étranger inquiéta mes voisins. Je ne savais pas trop quoi penser.
« Il y a quand même des Français qui sont des bonnes pâtes..
- Ouais, même quand ils nous traitent de macaronis...
- Ce sont quand même de grands consommateurs de pizza.
- C’est bien ce que je dis, méfiance ! »
Nous ne restâmes pas longtemps en ces halles de Rungis. J’entendis que notre destination finale était les halles de Versailles.
Nous étions sur l'étal. Je vis ma gousse saisie par des mains qui m’enfermèrent parmi d'autres dans un sac en papier qui s’ouvrit dans une cuisine ma foi fort bien équipée.

Et c’est ainsi que nous partîmes trois mille, mais par un lent abandon nous nous vîmes cinquante en arrivant au porc.
« Ciao, mon cochon ! Tu viens aussi d’Italie ?
- Que non, que non. Je m’appelle Artekia. Je suis basque, et ça veut dire ventrèche.
- Et toi, la salade, tu as l’air d’une romaine… L’es-tu ?
- Romaine, certes, mais française, de naissance et de cœur.
- Toi, la carotte, je ne demande même pas. Je suis certain que tu es française.
- Pourquoi ?
- Parce que tu en rougis de honte !
- Très drôle ! Tu crois que je vais me laisser insulter par une cossarde italienne ?
- Ne te fâche pas ! Ma devise : le pois des bons mots. Et vous, les oignons nouveaux, vous arrivez d’où ?
- Ben, on sait pas. La géographie, c’est pas notre fort… Pas trop loin, en tout cas… ».
Depuis une cagette, des petites pommes de terre toutes mignonnes me font un clin d’œil :
« Nous on sait, nous on sait, on vient de l’île de Ré.
- À la nage ?
- Mais non, il y a un pont, eh, patate ! »

Cette passionnante et instructive discussion est interrompue par l’arrivée du maître de céans.
Pas sympathique du tout, cet individu à la mine chafouine sous sa barbe de trois jours et sa moustache de Gaulois venu piller Rome… Pour ne rien arranger, il tient un couteau à la main. Dans ces cas-là, je préfère faire profil bas, mais ça ne l’empêche pas de faire main basse sur toutes les gousses qu’il jette dans une plaque en inox. Il a posé son arme, je suis soulagé. Pas pour longtemps : cet olibrius nous attaque à mains nues. Et que je te fends la cosse de mes ongles acérés, et que je te chasse les pois d’un pouce excité. Je suis évacué sans ménagements de mon logement douillet, je me trouve balancé dans une bassine au milieu d’une foule désespérée d’autres pois. J’aperçois à quelques centimètres de moi un de mes anciens voisins qui vitupère : « C’est une honte ! Il n’a pas droit de nous virer ainsi comme des malpropres. »
Je me vois obligé de l’accabler encore plus, ce compagnon de misère : mais si, il a le droit, il a acheté nos logements, et c’est le printemps, la trêve hivernale d’interdiction d’expulsion est bel et bien terminée, nous ne pouvons rien faire.
« De toute façon, il a le couteau, c’est un argument irréfutable.. »

Et ce couteau, il s’en sert.
La ventrèche est dispersée en petits lardons.
Notre amie la carotte est coupée en tronçons, la romaine est amputée de son trognon et se voit effeuillée, les oignons perdent une peau et la queue.
Je crains qu’il ne poursuive ses découpes sauvages quand il s’approche des insulaires en grommelant : « À nous les petites rhétaises ! ». Mais non, il se contente de leur gratouiller gentiment les flancs.

J’attends la suite avec anxiété.
Il pose une sauteuse évasée en cuivre sur une flamme, et, là, oh, horrible découverte, apparaît une compatriote, une bouteille gainée d’une feuille dorée sur laquelle on peut lire : Olio Extra Vergine di Oliva, 100 % Olio Italiano. Trahi par les siens !
L’affreux verse un trait de l’infâme dans la sauteuse et y jette les pauvres pommes de terre qui ne s’attendaient pas à ce traitement après les caresses. Suivent quelques minutes plus tard les lardons, la carotte pourfendue et les oignons. Il balance une grosse noix de beurre, complète d'un verre d’eau, et couvre. Quand il enlève le couvercle, il ne reste presque plus de liquide. Je sens que notre tour est venu.
Effectivement mes compagnons et moi plongeons dans une ambiance qui nous semble bien chaude, trop chaude même. Je ne sais pas si le vilain cuistot m’a entendu, toujours est-il qu’il baisse la flamme. Un peu de sel qui me picote la peau, un tour de moulin de poivre après lequel je me retiens d’éternuer afin de ne pas me faire remarquer. Le tambouilleur perverse cache ses méfaits en nous couvrant d’une couche de feuilles de salade. La situation ne serait pas aussi critique, je me réjouirais de me retrouver sous un ciel verdâtre qui me rappelle le plafond de mon ancien logis. De toute façon, ça ne dure pas : le couvercle est remis.
Un (mauvais) quart d’heure se passe. Une lumière apparaît soudain, l'atmosphère devient moins moite.
Le sadique prend une photo. Tant mieux, ce sera une preuve de ses exactions…

petits pois à la française
Piselli francesi


Tout fier, il nous exhibe sur la table de sa salle à manger. Puis une grande cuillère vient nous déposer sur une assiette. Tous ces petits pois, mes frères, en partent petit à petit sous mes yeux effarés en compagnie de nos colocs de sauteuse. C’est mon tour. Je vois s’approcher dangereusement une bouche qui grogne « hum, c’est bien bon, même s’ils viennent d’Italie… ». Je passe le cap de la moustache du crétin xénophobe, j’en profite pour la maculer sournoisement d’un jet de sauce, je franchis les lèvres, le glouton ne s’aperçoit pas que j’ai réussi à éviter ses dents, ma dernière vue est un plombage, c’est le noir, passage de l’œsophage, arrivée à l’estomac, oh la la, que c’est acide là-dedans, tiens, il a dû boire une anisette en apéro…

Adieu !


samedi 5 mai 2018

Ils sentaient bon l'échiré chaud...

Devant la pyramide de patates dont ils avaient la corvée d’épluchage, Laurel et Hardy regrettaient amèrement de s’être engagés dans la Légion.



Ils attaquèrent sans conviction la peau des tubercules, puis se lancèrent dans le concours de la plus belle spirale.
« Regarde, Laurel, elle fait au moins trois pieds de long ! »
Laurel pleurnicha, il n’arrivait pas à faire aussi bien… Hardy s’empara d’une poignée d’épluchure et la déversa sur la tête de son complice.
« Avec cette perruque tu as la tête d’un marquis français ! »
Hardy ne voyait pas que derrière lui l’adjudant-cuistot Schulz, campé sur ses jambes écartées, le toisait avec un regard ironique assaisonné d’un soupçon de perversité.
« Alors, mon kaillard, fous groyez afoir zigné bour vaire l’antouille ! Che feux foir ces badates brêtes à gouire bour miti. Et fous, l’audre antouille gui riganez pêtement, allez bludôt allumer la gouisinière.
-OK, mon adjudant
-Adjutant-chev, si ça ne fous égorche bas la queule… Et gue ça saute !!! »
L’adjudant Schulz, pardon, l’adjudant-chef, ne croyait pas si bien dire.
Deux secondes plus tard, Laurel tourna la molette de son Zippo et la cuisine du Quartier Viénot à Sidi-Bel-Abbès vola en éclats.

Laurel et Hardy s’égarèrent dans les couloirs du temps. Ils devaient réapparaître comme deux militaires du 2e Régiment de Dragons à Saumur. Si ce fut bien en cette charmante cité qu’ils se réincarnèrent, c’est en revanche dans le laboratoire de l’excellente maison Girardeau et non dans une caserne. Pire, ils avaient fait l’andouille : ils devinrent andouillettes.
Quand le préposé à l’embossage les vit, il s’inquiéta, étonné qu’un tel produit eut pu sortir de ses mains. Il s’empressa de mettre ces monstres sous vide et de les envoyer loin de Saumur avant que son patron n’ait le temps de les apercevoir. Son emploi était en jeu !
C’est ainsi que Laurel et Hardy se trouvèrent allongés sur une de mes poêles, au milieu de patates dont je n’ai pas eu à cœur de leur confier la corvée de pluches - pas plus qu’à moi d’ailleurs, les rattes sont restées dans leur peau…

andouillettes, Girardeau
C'est lui Laurel, c'est lui Hardy



Après dégustation, Girardeau ayant déjà obtenu le diplôme de l’A.A.A.A.A. (Association Amicale des Amateurs d’Andouillette Authentique), je propose d'ajouter à cette distinction son intronisation par l’E.S.C.A.P.A.D. (Élite Sociale des Connaisseurs Amateurs de Petite Andouillette Difforme) dont je me nomme Président à vie.
Car ces andouillettes étaient bien bonnes !

mercredi 2 mai 2018

Du frik, mais pas d'oseille

Frekeh, freekeh, frikeh, voire frik ? J’ai pu lire toutes ces appellations pour les grains de blé vert grillés…
Mais peu importe, je retiendrai le mot frekeh qui figure sur le sachet d’origine libanaise qui m’a permis de concocter un savoureux plat, même si le frik est plus vendeur...
Je cherchais une idée pour un menu consensuel destiné à quatre adultes et deux petites filles quand je suis tombé sur un texte qui évoquait sans trop de précision un poulet farci de frekkee (tiens, encore une autre orthographe…) mélangé avec de l’agneau haché et des noix de cajou.
Sur cette base j’ai concocté une recette dont je ne garantirai pas l’authenticité, même si son caractère moyen-oriental reste indéniable.

La veille, je confectionne la farce.
Je hache grossièrement trois gros oignons paille que je fais fondre parsemés d’une pincée de sel au fond d’une casserole dans un bon trait d’huile d’olive. J’y déverse deux verres de frekeh dont je laisse les grains s’enrober d’huile. Je les saupoudre d’une cuillerée de sept-épices libanais (coriandre, cannelle, poivre noir, poivre blanc, poivre doux de Jamaïque, noix de muscade, clou de girofle, mahlab). Comme j’aime bien le parfum du mahlab, une poudre obtenue à partir d’amandes de noyaux de cerise, je joue les Messieurs Plus en ajoutant une petite cuillerée de ce produit. Je n’oublie pas trois gousses d’ail fendues en deux, ni une feuille de laurier et deux brins de thym.
À côté j’avais mis à infuser dans un demi-litre d’eau portée à ébullition un sachet de bouillon de bœuf Ariake. Ce liquide, versé dans la casserole, fait gonfler les grains qui réclament encore du breuvage. Heureusement, prévoyant, j’avais placé sur la flamme voisine une casserole d’eau chaude qui saura en cas de besoin intervenir jusqu’à la fin de la cuisson, c’est-à-dire environ une demi-heure plus tard.
Pendant ce temps je mets à torréfier au four une poignée de noix de cajou et une poignée d’amandes émondées. Une fois sorties et refroidies, je les concasse grossièrement à l’aide du mini-préparateur et les réserve. Puis, avec le même appareil, je hache une tranche de gigot d’agneau de 300 g que j’ai découpée en dés de 2 cm de côté.
Le frekeh semble cuit sans excès, je retire laurier et thym, et j’introduis la chair d’agneau, les noix de cajou, les amandes. Je mélange sur feu doux. Je cherche non à poursuivre une cuisson, mais simplement à monter la viande à une température suffisante pour l’aseptiser et ainsi permettre une conservation sans risque jusqu’au lendemain.
Pour terminer, je goûte et rectifie l’assaisonnement en sel.

frekeh, sept-épices, farce
Une bonne farce


La préparation, transférée dans une boîte, est mise au réfrigérateur.


C’est le jour du repas.
J’ai choisi de farcir trois coquelets de bonne qualité. Chaque adulte aura son demi-coquelet, les enfants se partageront l’avant dernier. Quant au dernier, eh bien, on verra…
Je commence par tapisser l’intérieur de chaque bête d’une pincée de sel et d’une pincée de sept-épices. Puis j’introduis la farce préparée la veille. Je puis bien tasser, car je sais que désormais elle ne gonflera plus. Néanmoins, j’ai vu trop grand, il me reste de cet appareil. Bon, je réussirai bien à le recycler dans une préparation quelconque…
Je noue les coquelets pré-bridés.

J’ai sorti la plus grande de mes cocottes.
J’ai encore préparé un bouillon de bœuf, environ 75 cl que je verse en son fond avec une grosse noix de beurre, un oignon découpé en pétales, une feuille de laurier, un brin de thym, un clou de girofle, cinq baies de piment de cayenne.
Je dépose les coquelets assaisonnés sur touts leurs faces. Je dépose sur chacun une noisette de beurre. J’ajoute quelques pincées de sept-épices.

frekeh, coquelets, farce, sept-épices
Heureux comme des coquelets avec une cocotte



Je puis alors enfourner la cocotte à découvert dans le four à 190 °C pour 45 minutes Un quart d’heure avant la fin je retournerai les bêtes.
Heureuse coïncidence, le timer sonne au même moment où l’on carillonne à la porte d’entrée. Les invités sont à l’heure !
Pendant qu’ils prennent un arak (enfin, les adultes…) accompagné de quelques olives libanaises et pistaches, je finalise mon plat. Je sors les coquelets de la cocotte que je place sur feu vif afin que le jus restant au fond réduise.
Tout en surveillant ce récipient et en tournant de temps à autre afin que ça n’attache pas, je partage chaque animal en deux en même temps que sa farce. Je dispose ces hémicoquelets sur un plat, en alternance côté peau ou côté farce. Je parsème de quelques noix de cajou et amandes. J’enfourne le plat dans le four éteint mais encore chaud le temps que le jus achève sa réduction.
Quand je suis parvenu à une consistance sirupeuse, je sors le plat et je l’arrose de cette sauce.
Il ne me reste plus qu’à apporter mon œuvre aux convives…

Ventrebleu, j’allais oublier de la photographier !
Voici, c’est chose faite…

coquelets farcis, blé vert grillé
Coquelets partagés


À côté du plat je pose un contrepoint rafraîchissant : un taboulé que j’ai réalisé de tôt matin.
J’ai sorti mon couteau japonais le plus effilé afin de trancher finement sans l’écraser le persil. Persil que j’ai maudit, car tout en tiges et fines arborescences, il m’a fallu un temps fou pour en extraire les feuilles des deux bottes utilisées. Ce fut plus rapide pour effeuiller les trois tiges de menthe qui leur ont succédé sur la planche.
Malheureusement, pas de bonnes tomates du jardin en ce moment, mais des tomates cerises - pas trop catastrophiques en goût cependant - que j’ai taillées en huit avant de les incorporer en compagnie d’un oignon cébette découpé en tranches fines.
J’ai ajouté deux cuillerées de boulgour brun fin que j’avais essoré après les avoir mis à gonfler dans de l’eau. J’ai bien mélangé le tout.
Le jus d’un citron, un trait d’huile d’olive herbacé, une pincée de sel. Mon taboulé n’avait plus qu’à attendre au frais que je le dispose sur des feuilles de laitue au moment de le servir…

taboulé libanais
Et le taboulé déboula...





Les invités furent ravis de ce repas et de son étalage de frik.
Je m'en réjouis.