Il fut un temps pas si lointain où les halles de ma ville étaient dotées d’excellents poissonniers. Hélas, les maîtres des lieux (et par la même occasion des lieus…) ont vieilli et pris leur retraite. Ils furent remplacés par leur filiation née avec un écailleur en argent dans la menotte. De plus la plupart des vendeurs expérimentés sont partis vers des cieux meilleurs.
Alors adieu saumons de l’Adour, adieu thons rouges, adieu violets, adieu pouces-pieds, adieu assortiments de poissons de roche, adieu roussettes, adieu vivaneaux, adieu sars herbivores au goût merveilleusement iodé, adieu céteaux, adieu anguilles, adieu civelles, adieu tous ces poissons que les saisons et le hasard des pêches faisaient apparaître sur les étals.
Désormais, ce ne sont plus que cabillauds et re cabillauds, bars et saumons d’élevage, queues de lottes, thons albacores, soles calibrées, enfin tout ce que l’on peut trouver au rayon poissonnerie de n’importe quel supermarché…
Donc adieu aussi cette lamproie dont je guettais le passage au printemps afin de la préparer à la bordelaise. J’ai encore le souvenir de l'agitation compréhensible (que feriez-vous à la place de la bête si l’on entreprenait de vous inciser la queue ?) mais excessive d'une belle pièce encore plus vivace que je ne le croyais quand je l'avais pendue, accrochée à un tuyau d’arrivée d’eau, afin de la saigner pour récupérer la liaison indispensable à toute bonne sauce. Cette résistance imprévue d'une émigrée girondine avait transformé la cuisine en scène de crime…
Encore frustré cette année, j’ai décidé de ne pas être privé une fois de plus de lamproie.
Alors j’ai ouvert une boîte…
Je l’ai réchauffée avec ses morceaux de bonne tenue baignant dans une sauce onctueuse dont les capiteuses fragrances me montent aux narines.
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Lamproie idéale |
Et là, le miracle. Je dois reconnaître que cette
Lamproie à la bordelaise était encore plus savoureuse que la mienne. Je regarde la composition :
lamproie (42 %), poireaux, vin rouge, oignons, amidon, jambon de Bayonne, échalotes, sucre, sel, poivre, épices. Pas loin de ma recette, sauf que j‘utilise du lard au lieu de jambon de Bayonne. Mais je crois que c’est surtout le long confinement en vase clos qui a permis aux saveurs de se mêler en un ensemble harmonieux où la lamproie s’est approprié la douceur de l’échalote qui elle-même s’est revigorée dans le vin et dans le sang.
Et vraiment le dosage entre les divers éléments était parfait.
La maison Garde mérite bien son
Coq d’Or et sa reconnaissance par le
Collège Culinaire de France.
Il ne me faut pas gâcher cette envolée vers les sommets gastronomiques par une dégringolade vers la médiocrité. Aussi je déballe un excellent
Vieux Gris de Lille qui n’attendait qu’une telle occasion pour montrer le bout de son nez.
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Lillois en train de faire le maroilles |
Mais cette dégradation hallesque ne s’observe pas que pour les poissonniers, elle se constate aussi pour les volaillers, même si dans ce cas ce n’est pas tant en ce qui concerne la variété (après tout si je ne découvre plus en ce marché cette remarquable gallinacée qu'est la poule de Houdan, c’est en raison de sa disparition en sa cité d'origine…) que dans le professionnalisme des serveurs qui savent parfois aussi bien massacrer les produits que les neo-poissonniers au cours de découpes et de parages hasardeux.
Ainsi j’avais décidé, pour changer, de cuire le poulet du dimanche sur le gril en crapaudine plutôt qu’au four fiché sur son pal habituel.
Malheureusement j’ai eu la mauvaise idée de confier sa préparation au serveur. Je me suis trouvé avec une crapaudine inversée, c’est-à-dire avec le poulet fendu par le ventre et non par le dos. Il restait donc la colonne vertébrale et les cuisses étaient tournées vers l’extérieur au lieu de l’intérieur… Je n’irai pas jusqu’à exiger le perfectionnisme d’un enseignant tel que l’on peut le constater sur la démonstration d'une troisième méthode filmée par le
Pôle vidéo du Lycée Camille Claudel, Mantes-la-Ville, académie de Versailles :
Poulet en crapaudine
Mais tout de même…
Bref, j’ai dû faire avec. Pour assurer une meilleure cuisson à cœur, j’ai posé au-dessus du poulet la cloche en alu qui ordinairement est destinée à pouvoir coiffer mon wok.
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Sous cloche... |
Finalement, si la coloration de la cuisse était plutôt défaillante sur une partie de sa surface, la chair était parfaitement cuite et surtout très moelleuse après un séjour de 30 minutes côté peau et 20 minutes côté interne sur la plaque striée en fonte chauffée par une petite flamme et recouverte de branches de thym et de romarin.
Au four j’avais mis à cuire les pommes de terre dans le four façon suédoise avec à leur côté des découpes d’échalotes que j’ai retirées dès qu’elles ont été caramélisées.
Résultat des assiettes parfumées et agréables, relevées et décorées de quelques
pimentos del piquillo que j’avais posés sur la plaque au dernier moment.
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L'aile ou la cuisse ? |
P.S. : Je viens de visionner le reportage effectué en ces halles par TF1 dans le cadre de l’élection du meilleur marché de France. Même si de toute façon une telle hiérarchie n’a aucun sens, je retrouve dans ce petit film la même vision bisounours des métiers de bouche que celle que j’avais pu constater en regardant sur mon petit écran les plats servis à notre cher évincé Petitrenaud dans les restaurants que je connaissais pour les avoir fréquentés en tant qu’anonyme ou même habitué…
Eh oui, quand la caméra vous observe !
Je n'ignore pas le travail et l'investissement personnel que nécessite la bonne pratique de telles activités. Aussi, quand la conscience professionnelle est bien là je sourirai plutôt de la tendreté et la tendresse ajoutées en rab ainsi que des doses d'amour parsemant les plats pour faire umami-ami. En revanche je n'aurai pas la même mansuétude envers les gestionnaires papelards qui ne font mitonner que leur tiroir-caisse et ne se montrent généreux que filmés...