lundi 25 juillet 2022

Amour en mer

 

Par une nuit de pleine lune, non loin de Quiberon, Siegfried Homard – que ses amis surnommaient affectueusement Zig – remarqua, cachée timidement derrière un gros rocher tapissé de goémon, Bernadette Langouste. C’était une grosse bretonne rougeaude, néanmoins il en pinça pour elle. « Mais non, elle n’est pas grosse, elle est simplement bien en chair… » la défendait-il auprès de ses copains ricaneurs.

Quelques semaines plus tard, il lui passait la bague. Il y avait fait graver les lettres CRPMEM, ce qui signifiait Câlins, Romance, Passion, Mon Éternellement Mienne.

L’union fut proclamée : Bernadette était devenue Madame B.H.L, ce qu’elle prit avec philosophie. Elle n’était pas d’un tempérament enflammé, mais, après tout, sans doute passera-t-elle des jours heureux auprès de son Zig Homard…

En quoi elle se trompait. L’erreur, ce fut de partir en voyage de noces. Les antennes du couple auraient dû pourtant les dissuader d’entreprendre un tel périple…

Quand ils arrivèrent à Versailles où ils avaient retenu chambre et couvert chez l’habitant, le voyage, pourtant sous climatisation, les avait éreintés. Surtout Monsieur Homard, moins fringant que de coutume. « Remets-toi, mon pauvre Zig, tu la reverras, ta mer ! » s’exclama sa compagne en lui caressant gentiment la queue.

langouste, homard
B.H.L. et Zig Homard

Compatissant, le maître des lieux leur proposa une séance de sauna –  parfumé aux algues, s’il vous plaît… Ils en sortirent encore un peu dans les vapes.

«  Qu’en penses-tu ma Nadette ? Quant à moi je me sens un peu partagé…

-  Moi itou…

-  Et maintenant ne souhaiterais-tu pas passer à table ?

- Oh oui, mon Zig, oui oui ! »

Ils passèrent - sur la table. Le couple fut arrosé de beurre salé fondu, breton, c’était la moindre des choses, relevé d’un trait de jus de citron. Pour leur tenir compagnie, il y avait quelques pommes de terre primeurs de l’île de Noirmoutier cuites à l’anglaise, roulées à feu moyen au fond d’une poêle dans une noix du même beurre puis parsemées de curry – curry breton bien entendu.

 

langouste, homard
En tête à tête

Voyage de noces sans retour... L’Ogre des Yvelines avait encore sévi…

jeudi 30 juin 2022

En eaux douces




Eaux douces…


Tout d’abord l’eau à 11,7 °C provenant des sources de la rivière Oron dans laquelle évoluent les truites farios de la pisciculture Charles Murgat.

Quand j’allonge mes deux magnifiques truites dans la plaque en inox, je constate que je n’ai pas grand-chose à faire, sinon les parsemer de fleur de sel et les passer dans la farine pour ma préparation meunière.

truite fario
L'oeil vif et toute ouïe

En guise d’accompagnement, je fais tomber dans une noix de beurre demi-sel un oignon rouge de Tropea découpé en petits dés et y ajoute des grosses girolles de Sologne tranchées en deux. Je parfume d’une feuille de sauge ciselée finement et d’un tour de moulin de poivre blanc de Muntok.

Sur le feu voisin réglé à flamme moyenne je dépose la poêle à poisson barbouillée d’une cuillerée d’huile d’olive et d’une noix de beurre. J’introduis au sein de mes enfarinées une pincée de gros sel et quelques grains de poivre noir de Tellichery que j’enfouis sous une feuille de menthe et une branche de persil. Je dépose les poissons que je retournerai plusieurs fois – sans difficulté, car les bêtes sont bien roides - jusqu’à ce que sous la peau croûtée une chair à la fois brillante et laiteuse ne demande qu’à se séparer de l’arête, ce qui nécessite un peu moins d’une dizaine de minutes.

Je dresse sur des assiettes chaudes, ajoutant un éclat et une demi-tranche de citron jaune.

truite fario
Une truite bien élevée

Un régal ! Pas étonnant que ce produit ait été sélectionné comme ingrédient pour un Bocuse d’Or. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir pu préparer ces farios au bleu, à peine sorties de l’épuisette…

 

 

Puis, douce elle aussi, l’eau du lac alpin où ont été pêchées les ferias que je viens d’allonger sur une planche afin d’en lever les filets.

fera du lac
Fera attristée par son sort

Une tâche bien délicate avec ces écailles si envahissantes, cette chair si fragile et ces arêtes si fines. Je m’en acquitte tant bien que mal, me promettant cependant d’acheter la fera du lac sous forme de filets le jour où l’envie me reprendra de la cuisiner.

Je choisirai la vapeur pour la cuisson de cette chair délicate que je raidis par un séjour sous le sel.

Mais auparavant je commence la garniture. Je recouvre des radis rouges équeutés d’une saumure bouillante fortement vinaigrée et parfumée de clous de girofle, de cannelle, afin d’obtenir des pickles.

Une demi-heure s’est écoulée. J’en ai profité pour écosser les petits pois récoltés le matin même au jardin. Je les mets à cuire à l’anglaise en compagnie de quelques tranches de carotte. Huit minutes me suffisent pour obtenir des légumes légèrement al dente, encore gorgés de leurs parfums. Exactement le même temps qu’il me faut pour nacrer la chair des filets étendus sur une feuille de papier siliconé et déposés dans un bac perforé placé dans l’appareil de cuisson à la vapeur.

Simultanément à ces cuissons – on ne peut plus diététiques, on le reconnaîtra – je monte un beurre blanc à partir d’échalotes grises du jardin hachées finement un verre de gros-plant, un trait de vinaigre blanc et 200 g de beurre d’Échiré, sans oublier la pincée de sel fin et le tour de moulin de poivre blanc de Penja.

Je dresse en recouvrant partiellement de ce beurre blanc dont une saucière sera posée sur la table.

fera du lac
Vapeur du lac


Cette assiette est très bonne, et offre sans doute une recette plus raffinée que celle de ma banale fario meunière. N’empêche que je m’étais davantage régalé avec cette truite ! Je me console en savourant les goûteux petits pois agrémentés d’un soupçon de sauce onctueuse, songeant qu’être bien élevé peut vous permettre de damer le pion à un sauvage, fût-il même un bon sauvage…

lundi 27 juin 2022

Dans un panier de crabes

 

Ah, la vilaine bête ! C’est qu’il m’a pincé, ce salopard de crabe vert ! Puisqu’il en est ainsi, il va voir avec ses copains du même acabit de quel gaz je me chauffe…

Ma gentillesse me perdra. J’avais voulu allonger délicatement ces Méditerranéens pour une dernière sieste. Mais non, il leur fallait me narguer en gigotant, en escaladant les parois de leur impeccable retraite, en voulant jouer les saute-murailles pour s’en échapper, bref en sonnant le branle-bas de combat.

crabes verts
Allez les Verts !

Quoi que… Finalement, considéré sous un autre angle, cette agitation, c’est plutôt sympa : chacun me présente un certificat de bonne vie (et mœurs, je ne sais pas ? ) qui me rassure sur la comestibilité. Dont acte. Allez, tout le monde sous la douche ! Puis l’on va s’égoutter au fond d’une passoire, et en vrac cette fois-ci, non mais.

 

crabes vert
Sortie de bain

J’attends quelques minutes que tout ce petit monde commence à se calmer, apaisé par la fraîcheur ambiante. Dans un but humanitaire – ou plutôt crabataire – j’attends que le petit verre d’huile d’olive que j’ai versé au fond du rondeau soit très chaud, presque fumant, avant d’y basculer le contenu de la passoire. Trois minutes plus tard, feus les crabes sont passés au rouge.

crabes verts
Ils en rougissent, les traîtres...

J’éteins la flamme et attends un refroidissement tout relatif – mes doigts s’en souviennent… - pour me consacrer à une opération fastidieuse, mais nécessaire : débarrasser chaque crabe de son octuor de petites pattounettes et son duo de mini-pinces afin d'autoriser une dégustation aisée de mes spaghetti aux crabes verts et éviter le coincement d’un dactyle ou autre propodite entre deux molaires. Eh oui, j’avais oublié de dire qu’un plat de pâtes était l’objectif final de toutes ces manœuvres… Voici, c’est chose faite : l’on sait désormais que mon entreprise crabicide ne relève nullement d’un sadisme gratuit, même si vu du côté des crustacés ça ne change pas grand-chose à leur vécu. D’autant plus que je me permets de fendre leur carapace d’un coup de ciseau qui facilitera leur dégustation et permettra à leurs entrailles de parfumer la sauce.

Je remets les crabes désormais géométrisés dans le rondeau en y ajoutant un gros oignon blanc haché et une branche de livèche. Je rallume le feu, désormais à puissance moyenne. Je laisse l’oignon compoter un couple de minutes. 

crabes verts
Plus faciles à ranger...

Je dépose une bonne cuillerée de concentré de tomate que je relève de deux gousses d’ail écrasées et d’une pincée de piment d’Espelette. À ce moment les crabes réclament du vin blanc. Je n’ai pas la cruauté de leur rétorquer « Pas de bras, pas de pinard ! » et leur verse un grand verre de sauvignon. Je laisse réduire du quart en récupérant les sucs collés au fond du rondeau décollés à l’aide d’une maryse. Je mouille ensuite à hauteur avec de l’eau du robinet, introduis un nouet enfermant les pattes et pinces concassées, et je laisse bloublouter à feu moyen jusqu’à ce que la sauce atteigne la consistance voulue, ce qui me prend une vingtaine de minutes. 

crabes verts
Nouet d'ivresse

J’extrais le nouet dont le contenu devrait désormais avoir exprimé tous ses sucs.

Il ne me reste plus qu’à rectifier l’assaisonnement par deux ou trois tours de moulin de poivre blanc de Penja et quelques pincées de fleur de sel.

Je fais glisser le contenu du rondeau dans une boîte et réserve toute une nuit au frais afin de permettre une osmose des parfums.


Le lendemain, un peu avant de passer à table, je change mon fusil d’épaule. Réflexion faite, le remplacement des spaghetti par des fusilli rendra la dégustation du plat plus facile. Je réchauffe ma sauce dans laquelle se vautrent les crabes apodes au fond d’une poêle. J’y transfère les pâtes sorties de l’eau bouillante salée à l’aide d’une araignée. Une ou deux minutes en secouant pour enrober les fusilli et les laisser s’imprégner du parfum marin : je m’empare d’une louche et répartis mes fusilli aux crabes verts entre les assiettes.

fusilli aux crabes verts
Crabes montés sur ressorts


C’était bon, nous nous sommes léché les babines et surtout les doigts. Demain, grande lessive de serviettes…

Mais je ne me suis pas fait pincer pour rien.

samedi 25 juin 2022

En fixant la ligne rouge des Vosges

 

La semaine dernière, j’ai eu les yeux fixés sur la ligne rouge des Vosges.

Une première fois avec le ponceau de côtelettes de sanglier, et quatre jours plus tard avec l’andrinople de pavés de chevreuil.

 

En ce qui concerne le sanglier, la cuisson fut on ne peut plus simple. Les côtelettes, ayant reposé une heure sur un lit de thym et d’origan, sont allées dorer rapidement sur un gril barbouillé de saindoux. Je les ai accompagnées de fèves cueillies le matin même au jardin. Je les ai fait baigner quelques secondes dans un beurre demi-sel mousseux avec trois feuilles de menthe ciselées finement avant de les répartir entre les assiettes à côté de galettes de pommes de terre (tubercules râpés mélangés avec une grosse pincée de sel, de nombreux tours de moulin de poivre noir de Sarawak et nettement moins de noix de muscade, puis pressés dans une toile à beurre pour en exprimer l’eau de végétation). Enfin une cuillerée de chipotle ketchup m’a semblé faire l’affaire en tant que condiment émoustilleur de papilles.

sanglier
Sanglier sauvage des Vosges


Mission accomplie. J’ai apprivoisé la bête sauvage.


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Il me fallait être tout aussi efficace pour dompter le chevreuil alsacien. Là encore, la cuisson fut on ne peut plus simple. Pour la bonne raison qu’il n’y en a pas eu : j’ai servi les pavés en carpaccio. Si le déclencheur fut la vue d’une recette d’Olivier Nasti, je me suis grandement éloigné de cette source. En effet point de feuilles d’oxalis à ma disposition et encore moins de bourgeons de sapin…

Sollicitant la bienveillante indulgence de ce grand chef – une qualité dont il me semble évident qu’il n’est pas dépourvu – j’oserai exposer ma version de carpaccio de chevreuil toute personnelle.

Je commence par serrer mes deux pavés de chevreuil de 150 g chacun au sein d’un film transparent. Je place ce boudin dans le congélateur.

chevreuil
Un chevreuil bien roulé

Une heure plus tard je commence la mise en place.

Pour la note d’acidité, j’ai choisi d’utiliser des groseilles du jardin, les jaunes apportant en plus une légère sucrosité. Je détache les fruits de leurs grappes et les réserve dans une coupelle J’y ajoute quelques baies de cassis dont le parfum vigoureux n’autorise une introduction qu’avec parcimonie, mais qui sauront ajouter de leur côté une légère note tanique. Quant aux baies de casseille, elles interviendront surtout par l’apport de leur taille pour le visuel.
Je tranche finement quelques radis rouges à la mandoline pour obtenir des disques quasi transparents qui de leur côté fourniront une note végétale et une légère astringence.

Je brosse deux girolles de Sologne bien fraîches dont la raideur me permet de leur faire subir le même sort – en un peu plus épais toutefois. La note forestière sera elle aussi présente.

Je peux désormais passer à la phase la plus délicate : la découpe de la viande. Après le passage au congélateur, elle est raffermie, mais pas assez toutefois pour l’utilisation de la mandoline ni même de ma rustique trancheuse. Je m’empare donc de mon meilleur couteau, et c’est a mano que je parviens à prélever des tranches d’environ deux millimètres dans les pavés de chevreuil.

Tout est prêt pour le dressage.

J’étale mes tranches de chevreuil sur des assiettes en bois – l’on admirera l’à-propos de ce choix pour ce thème sylvestre ! Je répartis les découpes de girolle, puis les rondelles de radis, et pour finir les diverses baies. Quelques feuilles de pimprenelle confèrent la touche herbacée manquante avec un subtil arôme de noisette.

J’arrose d’un filet d’huile d’olive parfumée à la truffe blanche d’Alba – une concoction que je fuirais certainement si elle ne provenait pas d’une excellente maison dont j’ai déjà pu apprécier la qualité des produits.


Des relents de sous-bois me montent aux narines pendant que je fais tomber quelques flocons de sel de Maldon.


 

chevreuil
Chevreuil sauvage des Vosges

Miracle ! Les dieux sont avec moi, Oxylus, Actéon, et même les déesses comme Artémis… Pan, dans le mille ! L’équilibre est parfait, et les jeux de saveurs ne masquent pas la présence de cette viande de chevreuil à la fois tendre et goûteuse dont la légère fragrance de gibier n’est pas le moins du monde rebutante.

Même pour quiconque craignant que j’aie franchi la ligne rouge

lundi 20 juin 2022

Virée(s) à La Mouclade

Était-ce l’effet de la pleine lune miroitant sur la marée montante ? Ou bien l’arrivée du printemps avait-elle fait passer une sève nouvelle dans ces moules charentaises qui baillaient d’ennui accrochées à leur morne corde ? Toujours est-il que l’une d’elles s’exclama : « Dites, les copines, ça vous dirait de se payer une petite virée en ville ? ». Bien sûr, que ça leur disait !

«  J’ai entendu parler d’une boîte où l’on devait pouvoir s’éclater. C’est, c’est... Ah, le nom ne me revient pas.

-  Peut-être L’Éclade. Il paraît que c’est chaud, très chaud, sous les pins…

-  Non, pas celle-là, mais c’est bien un nom en ade. Je l’ai sur le bout du palpe labial...  La Bouclade ?

-  Je sais ! Il s’agit de La Mouclade. Un endroit chicos. Je suis partante ! »

Toutes étaient partantes. Aussi, un peu plus tard, c’étaient non loin d’une centaine de moules qui béaient sur la piste lustrée de La Mouclade. Elles étaient arrivées bien fraîches, elles ne l’étaient guère désormais.

Normal, elles avaient commencé par un vin des pays vendéens, histoire de se mettre en jambes. 


Elles avaient apprécié - trop apprécié… - sa note iodée qui les replongeait en enfance.

Puis elles étaient passées au pineau. 


« Il est gouleyant, pas vrai ? ». La bouteille en avait pris un sacré coup. « Ben, je veux bien le croire, on avait très soif après notre course à l’échalote, et puis pour de pauvres moules comme nous, il faut se donner du courage pour se mêler à la crème locale…».

C’est alors qu’un dealer était arrivé et leur avait glissé discrètement une poudre jaune sous le manteau…


Bien mal lui en avait pris, pour la discrétion, c’était fichu, car sa mixture les avait fait s’évader de leur monde embrumé, et elles s’étaient mises à brailler :

« Le curry de Camaret a les... »

Nous, on ne voulait pas savoir ce qu’il avait. Alors les videurs sont promptement intervenus.

Elles se sont retrouvées séparées en deux groupes dans des cellules de dégrisement serrées les unes contre les autres et baignant dans leur vomi alcoolisé…

mouclade
Le rayonnement de la moule

Me croira-t-on ? Je m’en suis régalé. Et mon assistante aussi.

Comme quoi Bernard Pivot aurait mieux fait d’inviter une moule que Bukowski…



mardi 14 juin 2022

Sur les pas de Napoléon et Garibaldi

Je ne suis pas certain que Napoléon et Garibaldi soient des références dans le domaine de la gastronomie. Ce qui n’empêche pas que la boucherie italienne Macelleria Mastra Alebardi, qui m’a fourni la pièce de fiorentina (T-Bone en français de cuisine…) que je m’apprête à cuire, de se targuer fièrement d’avoir tranché des biftecks pour ces célébrités. 

Je doute cependant que les pères fondateurs de cet honorable établissement aient pour autant eu l’occasion de tailler une bavette avec ces chefs de guerre en personne et personnellement (comme  le dirait Catarella au commissaire Montalbano), le sang des champs de bataille les attirant plus que celui des étals.

Je ne regretterai cependant pas cet achat.

Je mets à chauffer la grande poêle en acier bien culottée sur un feu moyen. J’y fais fondre une noix de beurre et dépose ma fiorentina di Barbina Franciacortina assaisonnée de fleur de sel. Je la retournerai régulièrement pendant la cuisson qui durera une quinzaine de minutes.

fiorentina
Bella fiorentina

Je dépose la pièce de viande sur une planche, la laisse reposer dix minutes sous une feuille d’alu.

Quand j’entreprends de séparer la chair de l’os, je suis stupéfait de la facilité de cette découpe. Le tranchage transversal se poursuit avec autant d’aisance. Bientôt les premiers morceaux sont prêts à se diriger vers les assiettes.

fiorentina
Pas loin de la coupe aux lèvres

Je crois bien n’avoir jamais dégusté une viande aussi proche de la perfection dans son équilibre. D’une tendreté rare – et pas seulement côté filet – elle offre cependant de la mâche. Quant au goût, s’il n’atteint pas l’intensité de celui de certaines viandes plus maturées, il remplace la force par la subtilité, avec ses notes d’herbes et de noisette avec une infime sucrosité.

Fort heureusement il reste encore de quoi faire sur la planche…

fiorentina
L'heure du T


On en oublierait presque les asperges prévues en accompagnement. 

asperges landaises
Sorties du sable

En quoi l’on aurait bien tort. Mais voilà elles sont bonnes, très bonnes même - mais pas exceptionnelles comme l’est cette admirable viande de Barbina Franciacortina.

Je me demande quand même si l'aïeul du producteur landais n'a pas proposé la botte à l'Impératrice Eugénie... Qui sait ?

vendredi 10 juin 2022

À la fraîche

 

À LA FRAÎCHE

Où l’on voit une jeune auvergnate débarquer en région parisienne et s’y compromettre avec des patates qui la font filer doux, partagée entre l’amour d’une grande saucisse tout aussi fraîche qu’elle et la lubricité d’un quatuor de vieux pansus tripous aveyronnais.

 

Tomme 1 : Qu’est-ce qu’elle a Laguiole ?


La saucisse est une payse. Farouche, elle se love (is that you need) dans son nid poêlu tapissé de saindoux crémeux. Sa peau rose tavelée d’ivoire cache un cœur que des assauts brutaux par la lame d’un boucher laguiolais ont meurtri. Triste destin ! Elle a eu à peine le temps d’apercevoir la candide carnation que l’on dévêt et de s’en éprendre derechef, et voici qu’un pervers pose la poêle sur un feu vif.

Bientôt elle se trouve hâlée comme un vieil auvergnat rubicond revenant de son buron après une saison d’estive – celui-là même qui est le père de cette immaculée perception qui a enflammé son cœur avant que le gaz ne le cuise.

saucisse fraîche, Auvergne
Une saucisse introvertie

Cette immaculée, parlons-en… Quant à elle ce sont les assauts délicats (j’suis pas une brute) d’une lame d’origine thiernoise (quid de la solidarité auvergnate ?) qui la pourfendent. Elle est jetée en pâture à des patates qui n’apprécient guère de se voir écrasées en purée, ce qui les rend d’autant plus agressives.

Allez fouette, cuisinier !

aligot
Aligot home


Le ruban tarde à venir. L’assistance hurle : « Aligot ! Aligot ! Aligot ! »

L’Auvergnate est têtue. L’Aubrac dans la résistance… Rien n’y fait. Ah, la vache ! Tant pis… Je cesse  de touiller et m’empare de la saucisse qui désormais offre la figure barbouillée d’un bougnat parisien en fin de livraison d’anthracite.


Comme je suis un sentimental, après ce naufrage j’ai réuni mes Paul et Virginie aveyronnais dans une confrontation ultime.

aligot saucisse
Comme en Aubrac ?

Comme je suis un gourmand, je m’en suis régalé - le ruban ne fait pas la flaveur…

 

 

Tomme 2 : Les quatre tripous

 

Les quatre tripous ont voyagé de conserve. Un pour tous, tous pour un !

Une petite période d’échauffement leur fera du bien avant qu’ils ne se jettent sur la blanche auvergnate.

 

tripous..et un bon bain
Tripous ceinture beige en échauffement

Qui n’est d’ailleurs plus si blanche que ça après avoir partagé la couche de patates dorées sur en tranches… Que la truffade soit !

truffade
Cachez ce saindoux que je ne saurais voir

Je laisse les tripous se jeter sur elle, ils en bavent de plaisir.

truffade, tripous
Comme là bas


Pas de raison de me sentir exclu. Mais comme je suis bien élevé, moi, je ne bave pas : je salive avant de participer.

Que la truffade est bonne ! Et si j’ai connu parfois des tripous qui ne valaient pas tripette, ce n’est pas le cas ici. Une pensée émue pour leur pansettes goûtues glissant vers ma panse…


FIN