dimanche 20 mars 2022

J’ai toujours manifesté une certaine réticence, pour ne pas dire une réticence certaine, envers l’utilisation des cercles pour le dressage des assiettes.

En effet un tableau de Chardin 


me met plus en appétit qu’une œuvre de Kandinsky

 


Mon aventure de ce jour n’a fait que me conforter dans ce sentiment.

 

Ils étaient fort engageants quand je les ai repérés sur l’étal du poissonnier, ces maquereaux bien roides à l’œil vif et à la peau aux reflets irisés. Je viens de les vider et de les parer. Je les ai farcis de thym, de laurier, d’un éclat de citron jaune, d’une pincée de gros sel, de grains de poivre blanc de Muntok, de trois baies de genièvre, finissant en obturant l’ouverture avec une branche de persil - et avec plus ou moins de réussite. Je les parsème de fleur de sel et les réserve jusqu’au moment où…

Mais je n’en suis pas encore là. J’ai choisi de les accompagner d’un riz au curry. Pas n’importe quel curry, il s’agit du curry breton, mélange qui me semble apte à être confronté à un poisson au caractère bien trempé (par les eaux océanes) car il ajoute au parfum de curcuma (quant à lui, c’est plutôt la couleur qu’il apporte), de coriandre, de cumin, de fenouil, de poivre noir, de moutarde, de fenugrec et de gingembre les notes iodées d’algues (dulse, wakamé, laitue de mer, nori).

Je cisèle un oignon blanc et une partie de sa queue verte puis jette les morceaux obtenus au fond d’une casserole où mousse une grosse noix de beurre en train de fondre à feu doux. Je laisse suer cette découpe assaisonnée d’une pincée de sel en veillant bien à ce que le beurre ne noircisse pas. À côté infuse un sachet de bouillon de volaille Ariaké dans deux verres d’eau chaude.

L’oignon est devenu translucide, j’ajoute une bonne cuillerée de curry breton ainsi qu’un verre de riz long tradition que je touille délicatement dans le beurre mordoré. Quand les grains sont nacrés, je les inonde alors du bouillon de volaille, fais plonger une feuille de laurier et un brin de persil et recouvre d’un disque de papier siliconé percé en son centre. Je coiffe la casserole de son couvercle et enfourne à 150 °C pour une vingtaine de minutes.

Je place la grande plaque en fonte striée sur les deux feux désormais libérés de leurs casseroles et la mets à chauffer – pas trop cependant, afin que les maquereaux ne soient pas agressés et d’éviter une peau carbonisée cachant une chair crue à l’arête.

Plus qu’une dizaine de minutes avant que le riz ne soit cuit. C’est le moment de poser les maquereaux sur le gril. 

maquereaux
Beaux, mes maquereaux, beaux !

Je les retournerai régulièrement pendant leur cuisson.

Eh bien ça y est, le minuteur m’a rappelé à l’ordre et je sors la casserole du four. Je débarrasse le riz de son linceul de papier sulfurisé, j’évacue la feuille de laurier et le brin de thym, je passe la fourchette pour éviter tout collage intempestif – même si les grains se détachent bien – et j’en profite pour incorporer quelques brins de ciboulette ciselés sur la planche entre deux retournements de poisson.

riz, curry breton
Pas laid, riz beau


Je m’empare de deux assiettes rectangulaires et commence le dressage.

J’allonge les maquereaux. Quant au riz, c’est à l’aide d’un cercle en inox qu’il vient se placer, en deux piles encadrant un malheureux quartier de citron comme le feraient deux argousins pour un malfrat comparaissant en flagrant délit.

 

maquereau, riz au curry breton
Sur ses drôles de roulettes...

Et c’est là que le drame s’est produit.

Notre maquereau ne retient plus sa joie. Muni de ses deux roulettes, il se sent muni d’ailes. Sa trottinette dorée l’éloigne loin de moi. Ce n’est plus le fier arpenteur des océans qui me faisait rêver d’embruns et de flots rugissants. Pendant que ce dernier disparaît, petit point s’évanouissant dans les brumes lointaines, je trouve à ma table un grotesque et piteux trottinetteur d’espaces urbains, perché sur sa monture façon moderneuneux. Et tout ça à cause d’un cercle en inox !

Cercle du naturel disparu, je te hais !

                                                              

mardi 15 mars 2022

Duck and chips

Ce n’était pas une si mauvaise idée que d’accompagner un filet de canard de chips de sarrasin…

Malheureusement j’ai tout gâché en ajoutant une persillade dont l’ail puissant a agi en arme de destruction massive annihilant toutes les autres saveurs. Autant dire que c’était un plat complètement loupé que je n’inscrirai pas à mon répertoire culinaire.

 

Encore que…


Ma version bâclée :

J’ai frotté mon filet de canard gersois  – après l’avoir paré en enlevant les débordements de gras et en scarifiant la peau en losanges – de cette sorte de rub qu’était un assemblage tout prêt pour poulet rôti comprenant paprika, ail, thym, romarin et piment de cayenne.

J’ai posé sur ma planche un petit bouquet de persil et deux gousses d’ail dégermées. Puis vas-y le couteau pour hacher menu et obtenir une persillade !

J’ai mis à réchauffer les chips dans le four à 150 °C.

J’ai parsemé mon filet de canard roussi par les épices de fleur de sel et je l’ai étendu côté peau sur le fond d’une poêle chaude. Je lui ai imposé la série de volte-face nécessaires pour une bonne cuisson avant de le transférer sur une planche pour s’y reposer quatre ou cinq minutes.

Pendant que je découpais ma pièce de viande, j’ai balancé ma persillade dans la graisse fondue, d’ailleurs peu abondante car il ne s’agissait pas d’un canard gras.

Ne me restait plus qu’à passe au dressage.

 

filet de canard, chips de sarrasin
Les sarrasins attaquent

 

Ma version future – peut-être ? :

Plutôt qu’un filet de canard, je me procure un magret.

Je le dépouille de sa peau que j’enfourne afin qu’elle se dessèche et devienne croustillante.

Je débarrasse la chair du magret de sa graisse que je mets à fondre au fond d’une poêle.

Je partage le magret en six morceaux que je parsème de quelques pincées de fleur de sel.

Je mixe ma peau de canard pour la transformer en poudre que je mélange avec du panko japonais.

Je confectionne une sauce tartare et une purée de mojettes.

Je pane à l’anglaise mes tranches de magret en les passant successivement dans la farine, le jaune d’œuf et mon panko parfumé à la peau de canard.

Je plonge ces morceaux dans la graisse fondue ayant envahi la poêle posée sur un feu moyen jusqu’à ce que toutes les faces en soient devenues croustillantes et d’un beau doré. Alors je les sors, les pose sur un papier absorbant. Les chips plongent quelques secondes dans le même bain, et vont-elles aussi se dégraisser du superflu sur une autre feuille de papier.

Je dresse façon fish and chips, l’aiglefin étant remplacé par le canard, la pâte à beignet par une panure canardisée, la purée de petits pois par une purée de mojettes et les frites par les chips au sarrasin.

Bien entendu, je n’oublie pas de poser la petite bouteille de vinaigre de malt.

 

Non, je n’oublierai pas ! Si je…

jeudi 10 mars 2022

La cervelle qui me manquait

 

On vient de m’offrir un beau cervelas pistaché concocté par une maison d’excellence lyonnaise : le charcutier traiteur crauser bello.

cervelas pistaché
Où la pistache se cache

Des recommandations étaient jointes.


Je vais les respecter scrupuleusement. Ou presque...


Je place le cervelas dans un sautoir et le recouvre d’eau froide. Pour la cuisson je sépare le fond du récipient de la petite flamme par un disque de fonte afin de m’assurer que le frémissement ne se transformera pas en ébullition.

Eh bien, ça y est, les petites bulles commencent à s’élever. Je déclenche le minuteur réglé sur les 40 minutes prescrites.

 

La cervelle des canuts a été préparée quelques heures auparavant, afin de permettre la diffusion des parfums en son sein.

J’ai laissé s’égoutter dans une passette un petit pot (200 g environ) d’un fromage blanc en faisselle. J’y ai ajouté trois cuillerées de crème fraîche épaisse. J’ai brassé ce mélange en y incorporant deux cuillerées de vin blanc sec – ouais, pas local, il s’agissait d’un sauvignon de Touraine… J’ai continué à touiller en arrosant d’une petite cuillerée de vinaigre blanc et une cuillerée de vinaigre de cidre.

J’ai haché un oignon blanc et sa queue verdoyante, ainsi qu’une échalote de taille moyenne. J’ai ciselé trois brins de persil et un petit bouquet de ciboulette du jardin. J’ai écrasé au presse-ail une gousse d’ail fumé d’Arleux. Pas très lyonnais non plus, mais c’est le seul qui se soit conservé convenablement en cette année d’intempéries… Toute cette végétation est venue apporter ses saveurs à mon mélange fromager qui se métamorphosait de plus en plus en cervelle. J’ai assaisonné d’une bonne pincée de fleur de sel et de plusieurs tours de moulin de poivre noir de Penja. Pour terminer j’ai battu vigoureusement après avoir fait couler un filet d’huile de noix – du Poitou, décidément tous les chemins mènent à Lyon.

J’avais désormais la cervelle qui me manquait. Enfin, celle des canuts…

 

Il reste 25 minutes avant que le minuteur ne sonne. Il est grand temps d’allumer le feu sous la casserole où attendent les pommes de terre (les charlottes que j’avais sous la main) plongées avec leur peau dans l’eau salée en compagnie de deux feuilles de laurier. Je confectionne une sauce pour les arroser sur les assiettes. Je monte une cuillerée de moutarde forte de Dijon à l’aide de deux cuillerées d’huile d’arachide. Je dilue avec un trait de vinaigre de cidre et trois cuillerées de vin blanc sec, toujours ce sauvignon de Touraine que j’ai utilisé pour réaliser ma cervelle des canuts. Je sale et relève d’un tour de moulin de poivre. Je complète des quelques lambeaux de persil et miettes d’échalote qui restaient sur la planche.

Le cervelas est cuit, les pommes de terre sont cuites. Je m’occupe de dépouiller et trancher le cervelas pendant que je refile sans vergogne les patates chaudes à Madame qui se charge de les éplucher avant que je les partage en deux sur la même planche que le cervelas.

Tout est prêt désormais pour passer au dressage.

Je répartis la cervelle entre deux coupelles, dispose les tanches de cervelas pistaché et les pommes de terre encore bien chaudes que j’arrose de la sauce moutardée. Un peu d’herbes décoratives, et zou, 

à table !

cervelas pistaché, cervelle des canuts

Pistaches à découvert


C’est bon comme là-bas !

Merci aux duettistes Crauser et Bello, mais surtout au généreux donateur.

 

jeudi 3 mars 2022

Les fusilli sont là

 

Ah, quel accueil ! Nous étions quatre mignonnes limonettes de Marrakech qui avions franchi la Méditerranée pour découvrir la France. Nous étions toutes pimpantes, fières de notre peau dorée par le soleil marocain et ne voilà-t-il pas qu’un olibrius brandissant un instrument barbare entreprend de nous gratter la couenne.

citron bergamote
...alias citron bergamote

Que pouvions-nous faire ? Nous insurger en criant « Pas un zeste ou je tire ! » alors que nous n’avions que quelques minuscules pépins à lui envoyer dans l’œil ? Non, bien sûr… Alors nous nous sommes trouvées dépouillées de notre or et de notre parfum.

Mais ce n’était pas terminé. Quelques minutes plus tard nous étions pourfendues tel un Vicomte calvinesque. Et ce n’était qu’un prélude pour nous vider de notre sang !

Que pouvions-nous faire ? En appeler aux défenseurs des droits du citron, trop souvent opprimé en ce monde cruel ? De tels preux chevaliers sont bien rares. L’homme préfère se vouer à la protection des animaux, pourtant bien plus aptes que nous, pauvres végétaux, à ruer dans les brancards. Sous l’œil narquois de nos frères siciliens inconscients de l’avenir qui leur était réservé faisant la sieste sur une confortable clayette en compagnie d’un pomelo avachi et de mandarines dures de la feuille, nous nous sommes écrasées.

Nous nous plaignons, mais je dois avouer qu’en voyant arriver un malheureux veau sous forme de grenadins, nous n’avons pu nous empêcher de verser une petite larme. Nous n’avons pas vocation à nous placer sous la bannière du parti des veaux, mais il faut bien reconnaître que si pour notre part nous avions perdu notre peau et notre sang, nous avions néanmoins conservé notre identité, alors que cette malheureuse bête s’offrait à notre vue que sous la forme de deux tranches – deux amas de cellules aux contours géométriques, ni plus, ni moins.

Une poêle est arrivée. Elle fut arrosée du sang d’olives et placée sur un cercle de flammes bleutées. Les grenadins sont venus s’y dorer, sur une face, puis sur l’autre. Ensuite ils furent arrosés de notre sang d’agrume qui se concentrait et devenait de plus en plus sirupeux. Pendant ce temps le malfaisant végétocide hachait, à côté des lambeaux de peau arrachés à notre chair, des brins de persil et de coriandre. Puis ce fut une gousse d’ail qui subit les outrages de son couteau. Ce mélange fut versé dans la poêle dans le bain toujours plus poisseux de notre sang. On ne sait qui parfuma l’autre, peu importe, nous croyons plutôt à leur complicité qui transforma une addition en une multiplication.

Nous pensions que la comédie – ou plutôt le drame – allait s’arrêter là… Mais non. Une rumeur se répandit : « Les fusilli arrivent ! ». Eh oui, c’est ainsi que l’on est accueilli en ces lieux.

Bien échauffés après leur séjour dans des eaux bouillonnantes, ils se sont jetés sur les grenadins, se vautrant de façon infâme dans le suc de notre chair, se barbouillant d’herbes, se grisant de piment,

Et ces fusilli de repousser les grenadins sur les assiettes dans une charge sauvage…

grenadin, citron bergamote
grenadin et fusilli


Nous n’en savons pas plus, car le couvercle de la poubelle s’est refermé sur nous. Mais une chose est certaine, la France n’est pas la terre d’accueil que nous imaginions !


Moi, je sais, ce plat était bien bon. Et je l'ai accueilli fort aimablement dans mon estomac !

jeudi 24 février 2022

Ça sent le roussi !

 

Ce dimanche, j‘ai des invités. Alors dès le samedi je me mets à l’ouvrage.

 

Le menu :

Tarte aux poireaux du jardin

Cochon roussi des îles

Beigli au pavot

 

Première préparation : une pâte brisée destinée à la tarte. Elle sera boulée, mise sous film pour reposer toute une nuit au réfrigérateur.

Quant aux poireaux, une fois nettoyés, il suffit pour aujourd’hui de les émincer et de les faire tomber dans un peu de beurre. Ils rejoignent au frais leur futur support, enfermés dans une boîte (de nuit ?).

 

Bon, jusque-là, rien de bien sorcier. La réalisation du dessert devrait être plus délicate, car c’est la première fois  que je confectionne ces gâteaux roulés au pavot qui régalent traditionnellement les Hongrois pendant les fêtes de Noël - à tel point qu’ils continuent à s’en empiffrer le reste de l’année… Tout comme moi - qui me contente habituellement de les débarrasser de la cellophane sous laquelle ils me sont vendus. L’avantage, c’est que j’ai une référence pour savoir si mon beigli maison tient la route, l’inconvénient, c’est que ça me met une pression supplémentaire – d’autant plus que parmi mes invités se trouve une personne qui a séjourné plusieurs mois en Hongrie.

Je commence par la farce, qui devra refroidir avant d’être étalée. Je porte à ébullition 250 g de sucre versés dans un quart de litre d’eau et y plonge 300 g de graines de pavot. J’éteins le feu, et quand le mélange est devenu tiède, je concasse à l’aide du mixer plongeant muni de son bras à masselottes pour obtenir une sorte de crème. Je complète de 150 g de raisins secs et du zeste d’un demi-citron.

Pour la pâte, je malaxe 400 g de farine avec 135 g de beurre et 65 g de saindoux - hongrois, quelle chance ! J’ajoute 20 g de levure de boulanger délayée dans un verre de lait tiède additionné de 80 g de sucre. J’incorpore 3 jaunes d’œuf, finis de mélanger en introduisant une pincée de sel et une pointe de vanille. Je régule en lait pour obtenir une pâte maniable, mais encore ferme. Je laisse monter dans la chambre de pousse à 28 °C.

Une heure est passée, le pâton a pris du volume, je le divise en deux et laisse reposer une demi-heure. J’abaisse sous la forme de deux rectangles d’une épaisseur d’environ 2 mm que je tartine de la farce.

beigli, roulé au pavot
Quand le pavot s'étale

Je roule la pâte avec la farce. Et obtiens deux rouleaux que je laisse lever une nouvelle heure à température ambiante.

beigli
Bien roulés ?

Avant d’enfourner, afin d’obtenir la marbrure caractéristique à la sortie du four, je badigeonne d’un jaune d’œuf, laisse sécher et recouvre, toujours au pinceau, d’une couche de blanc d’œuf. Je pique mes rouleaux de la pointe d’une fourchette.

J’enfourne à 210 °C pour une demi-heure.
Quand je sors ma production, son aspect me semble plutôt réussi, même si la régularité de mes deux pièces n’est pas parfaite. Quant au goût, eh bien je le saurai demain !

 

beigli
Noël après l'heure




Je me lance parallèlement dans la préparation du cochon roussi. Le plat salé a d’ailleurs en commun avec le dessert d’être lui aussi associé aux festivités de Noël - mais en un tout autre endroit… Simple coïncidence non intentionnelle, mais ce rapprochement temporel associé à une distanciation géographique qui me donne le rôle de maître du temps et de l’espace dans ma petite cuisine francilienne ne manque pas de m’amuser.

M’amuser… Mais que quelques instants. Car quand je pars à la recherche de mon sachet de graines à roussir, je commence par constater sa disparition avant de me souvenir que je l’avais épuisé quelques semaines auparavant – pour ce qui reste, je ne vais pas le mettre de côté, allez, zou, tout dans le plat ! Et dire que tout mon projet repose sur ces graines à roussir disparues…

Ne nous laissons pas abattre : si le grain ne meurt, ressuscitons-le ! Je dispose de graines de fenugrec, de moutarde jaune et de cumin. Je verse une cuillerée de chaque dans une coupelle, je touille. Je les ai, mes graines à roussir, et je pourrai de surcroît me targuer d’utiliser un mélange maison…

Cependant avant de leur donner le baptême du feu, il me faut tout d’abord procéder à ma mise en place.

Je déshabille deux oignons jaunes de taille moyenne et les hache grossièrement. Je réserve.

Je dégerme trois gousses d’ail violet. Je réserve.

Je débarrasse une botte de cives de leurs racines, de leurs extrémités et de leur première peau flétrie. Je les tronçonne. Je réserve.

J’épluche la moitié d’un rhizome de gingembre frais et la taille en julienne. Je réserve.

Je partage en deux quatre piments végétariens et enlève leurs graines. Je réserve.

Je découpe un rôti d’échine de porc sans os, pesant environ 700 g, acheté à mon éleveur normand habituel, le partageant en parallélépipèdes de 3 à 4 cm de côtés. Je sale de fleur de sel de l’île de Ré, j’arrose du jus d’un demi-citron vert. Je réserve.

Je pose ma cocotte en fonte sur la flamme. Je verse ma coupelle de graines à roussir que je laisse torréfier quelques minutes. Je fais tomber une bonne cuillerée de sucre muscovado sur le fond brûlant. Il commence à fondre et caraméliser. J'invite à s'étaler une noisette de saindoux et dispose les morceaux d’échine côte à côte sans recouvrement afin de bien les saisir. Surtout je ne remue pas ! Quand elles ont bien croûté, même opération sur l’autre face…

J’ajoute l’oignon, une pincée de sel, je brasse et laisse le jus s’évaporer.

cochon roussi
Une bonne odeur de roussi

Puis j’introduis les cives.

cochon roussi
Jour de les cives

Elles fondront quelques minutes avant que je termine avec le gingembre, le piment végétarien, l’ail écrasé au presse-ail, une feuille de laurier, un brin de thym, tous deux du jardin, et, de provenance plus lointaine, une pléthorique feuille de bois d’Inde flanquée de quatre maigrichonnes feuilles de caloupilé. Pour donner un peu de vigueur, je rehausse d’une petite cuillerée de pâte de piment bourbon rouge.

cochon roussi
Les parfums

Je recouvre d’eau à hauteur et laisse mijoter une quarantaine de minutes.

cochon roussi
Mijotons !


Ce sera tout pour aujourd’hui. 

À demain si vous le voulez bien



 

DIMANCHE

 

Les invités vont arriver dans un couple d’heures.

Mais le plus gros est déjà fait.

Pour terminer la tarte au poireau, je confectionne une sorte de migaine comportant un petit pot de crème, un verre de lait, trois œufs et une cuillerée de maïzena. Je l’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de plusieurs tours de moulin de poivre noir et un soupçon de noix de muscade râpée.

Je fonce le moule à tarte avec la pâte brisée, étale la compotée de poireaux, recouvre de migaine et enfourne pour une trentaine de minutes à 190 °C.

Je n’aurai plus qu’à remettre à température au moment de servir si la tarte a trop refroidi…


Comme garniture de mon cochon roussi j’ai prévu un chou portugais sauté. Ce chou offre une forte ressemblance avec les tendres pousses de choux à vaches que ma grand-mère poitevine cuisinait sous le nom de brocolis. Je prive mes choux achetés à la boutique portugaise des halles locales de l’extrémité de leurs queues, fais disparaître quelques feuilles tendance moche jaunies, lave bien avant de ciseler grossièrement, et balance ces feuillages dans une poêle où crépite une grosse noix de saindoux. 

chou portugais
Portugais coriace


Comme prévu, après quelques minutes, le contenu a bien réduit. Je goûte pour vérifier si ce légume est resté légèrement al dente comme je le souhaite. Et... Et, horreur, enfer et damnation ! Je n’ai jamais mangé quoi que ce soit d’aussi filandreux. Ça se coince entre les molaires, ça s’enroule autour des incisives, ça chatouille la glotte. Comment s’en débarrasser ? La hantise du cure-dent, l’échec d’Oral-B… Bref, impossible de servir ces cordages à des invités. Même le végan le plus acharné n’oserait prendre la défense de ce légume malfaisant, il me le cracherait au visage – enfin si sa bouche pouvait s’en dépêtrer.

Il me faut d’urgence improviser un plan B…

J’ai trouvé ! Je ne voulais pas du sempiternel riz-haricots rouges, mais pourquoi pas accompagner le cochon roussi de maïs ? Il me suffit d’ouvrir une boîte et la réchauffer. Le géant vert qui est en moi reprend du poil de la bête. Il me reste trois piments végétariens : leurs notes de couleur ajoutées au jaune éclatant du maïs, ça aura de la gueule sur le fond roussi, pas vrai ?

 

Les invités sont là.


La tarte aux poireaux 

Juste un petit retour au four pour la tarte aux poireaux qui arrive sur la table.

tarte au poireau
Quand le poireau poireaute 

Quoi ? Mais oui, je n’avais pas oublié d’enlever la grille destinée à l’empêcher de se ramollir pendant l’attente. Et même si la pâte semble un peu pâlichonne, elle est bien croustillante, presque feuilletée.

tarte aux poireaux
Poireau se cache


Le cochon roussi 

Le plat de service vient de se tiédir au four éteint mais encore chaud pendant que mon cochon roussi voit sa sauce réduire dans la cocotte découverte. 

cochon roussi
Et ça ressent le roussi...

Je conclus par un trait de citron vert et retire les feuilles aromatiques aussi inutiles désormais que gênantes pour la dégustation. 

Dans une petite casserole le maïs se réchauffe en compagnie des trois piments végétariens qui lui ajouteront leur parfum.

Y a plus qu’à dresser. À la périphérie du plat, les morceaux de cochon arrosés de leur sauce. Au centre, le maïs avec ses piments. Je parsème de coriandre ciselée.

 

cochon roussi
Noël avant l'heure

Eh bien, si ça sent le roussi pour le cochon, ce n’est pas le cas pour moi !

Moi, je rougis simplement… Et ce n’est pas sous l’effet du piment dont la force est aussi discrète que ses parfums s’exhalent sans retenue, se mêlant harmonieusement aux fragrances des épices, des herbes, dans la rondeur du muscovado caramélisé cassée par l’acidité du citron vert. Non, c’est simplement sous l’avalanche des compliments. Même la présence des grains de maïs est saluée comme l’apport d’un croquant et d’une fraîcheur offrant un parfait contrepoint à ce qu’un plat en sauce peut avoir d’endormi dans sa molle tradition.

 

Le beigli

J’ose espérer que le dessert ne me fera pas tomber de mon fragile et inespéré piédestal.

Mais non. C’est une réussite, avec sa pâte tendre mais croustillante enfermant une farce sans excès de sucre.

beigli
Quand tout se déroule bien...


Et pour ajouter au plaisir, le vin, un remarquable gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé issu des caves Bestheim, a fonctionné à merveille avec l’ensemble des plats, de l’entrée au dessert.

Après le café, il faudra trouver un point final à la hauteur de ce repas réussi : quoi de mieux que la subtile amertume parfumée de cette excellente liqueur qu'est l'Unicum... Un écho au beigli, en parfaite harmonie.

Et une belle couleur rousse...

jeudi 10 février 2022

Du navet bien sur

 

Je vide mon seau dans la bassine. Il contient un kilo de süri Ruewa, c’est-à-dire du navet salé lactofermenté.


Je recouvre d’eau fraîche les filaments d’une blancheur immaculée.

navets salés
Le navet du jour

J’épluche un oignon paille et trois gousses d’ail que je dégerme. Je partage l’oignon en deux et le pique de trois clous de girofle. Je fais fondre au fond d’une cocotte en fonte une grosse noix de saindoux J’y fais revenir sans coloration les moitiés d’oignon parsemées d’une pincée de fleur de sel, puis ajoute l’ail Je complète d’une feuille de laurier, une dizaine de baies de genièvre, une petite cuillerée de graines de coriandre, une autre de poivre blanc de Muntok et d’un tour de moulin de noix de muscade J’éteins la flamme et laisse infuser le temps de bien rincer le navet salé.


navets salés
Un bon fond

Je presse les filaments afin de les essorer, et les transfère dans la cocotte. Je remets une petite flamme et je brasse. Là, mes ancêtres alsaciens vont frémir de colère en me voyant verser un grand verre de sauvignon de Touraine. Impardonnable ? Peut-être, mais je me suis aperçu que dans mes réserves, point de riesling. J’en appelle au soutien de l’autre moitié de mes aïeux qui m’ont vu sans broncher accompagner un rillon avec de la moutarde au raifort…

Bref, il ne me reste plus concernant ce légume qu’à compléter d’eau presque à hauteur et laisser mijoter tranquillement pendant une heure et demie.

navet salé
Où l'oignon perd son clou


Mais il me faut aussi m’occuper de la charcuterie.

Le lard demi-sel vient pratiquement dans la foulée plonger dans une casserole d’eau frémissante car il nécessite une heure et quart de cuisson. Une demi-heure plus tard arrive à son côté le kassler fumé cru. Pour leur part les saucisses fumées ne séjourneront qu’une vingtaine de minutes dans le bain que je surveille du coin de l’œil pour éviter son emballement. Mais point de problème, la viande ne s’effilochera pas et la saucisse n’éclatera pas. Pas plus que les knacks qui se réchaufferont simplement à feu éteint pendant que je dresse le plat.

Sur le monticule de süri Ruewa je dispose le lard partagé en huit morceaux, le kassler découpé en six tranches et les paires de saucisses fumées. Je termine par les knacks et des pommes de terre qui ont été cuites à l'anglaise dans une petite casserole. Le plat est prêt à être apporté sur la table.

navet salé, charcuterie
Comme quoi le navet peut être chou...

Il sera dégusté accompagné de moutarde douce alsacienne.


Dans les verres, une Bière de Noël un peu ambrée fleurant bon le houblon vient rafraîchir les palais.

Une part de munster à point, puis arrive le dessert maison.

tarte au myrtilles
Tarte un peu tarte

Maison ? Enfin presque… Car la pâte feuilletée et les myrtilles proviennent de chez Picard. Seule la crème pâtissière qui tapisse le fond de la tarte a été confectionnée entre nos murs. Le résultat se révèle d’ailleurs fort décevant. Si le feuilletage est bien léger et croustillant, les myrtilles sont particulièrement insipides – rien à voir avec les petites baies un peu acidulées et parfumées dont j’ai pu jadis me régaler sur les rives du lac de Gérardmer.

Consolation le lendemain en croquant les amuse-gueules réalisés avec les chutes de pâte : des bandes recouvertes généreusement d’emmenthal râpé, surfaces parsemées de poivre rouge de Kampot pour certaines ou saupoudrées de piment d’Espelette pour d’autres avant d’être repliées en spirales façon sacristain bien replié sur lui-même. Cet enfermement a permis à l’emmenthal fondu de rester moelleux sous son enveloppe croustillante dorée. 

feuilletés à l'emmenthal
Sacrés sacristains !

Michel et Augustin, tremblez ! Je puis me passer de vos services en m’enfilant mon americano bien tassé !

lundi 7 février 2022

Sous la ligne d'Émir

 

Est venue atterrir chez moi une confiserie achetée à Dubaï, des dattes farcies de pistache enrobées d’un chocolat au lait de chamelle.

chocolat au lait de chamelle
Au lieu du thé à la menthe...

Bon, le plateau en cuivre sur lequel j’ai déposé ces douceurs orientales ne provient pas des émirats, il est marocain, mais j’ai trouvé que son graphisme arabisant s’alliait parfaitement à celui décorant la boîte et son contenu… Et l’on m’en voudra d’autant moins que l’exotisme de ce CAMEL MILK CHOCOLATE est tout relatif. En effet le lait, provenant d’un troupeau de plus de 5000 chamelles, est transformé en poudre après une traite mécanique.

chamelles, Dubaï
Chamelles de traite

Puis il est envoyé en Autriche où est confectionné le chocolat – qui revient ensuite à Dubaï pour finalisation. On est donc bien loin du Bédouin tirant le pis de sa chamelle sous le soleil couchant et savourant sa bolée mousseuse au pied de la dune rougeoyante qui domine sa tente…

Ce n’est cependant pas tous les jours que je m’enfile du lait de camelle, fut-il baladeur, et je regrette de ne pouvoir marquer le coup par un plat approprié. J’aurais bien aimé, par exemple, servir ce Chamelon Rossini qu’Alain Ducasse a mis à la carte de son restaurant Idam, situé dans le Musée d'art islamique de Doha : la chair de jeune chameau confite à basse température durant six jours est recouverte d’une tranche de foie gras nappée d’une sauce à la truffe noire et décorée de quelques lamelles de ce diamant du Périgord.

chamelon Rossini
Chamelon Rossini, restaurant Idam


Hélas, je n’ai pas de viande de chameau sous la main, même si j’ai vu qu’une boucherie des Lilas en assurait la vente – alors peut-être un jour… Pas de foie gras non plus. Ne me reste sous la main que ma dernière moitié de truffe. Je me conterai donc de préparer mes Œufs brouillés à la périgourdine habituels.

 

oeufs brouillés, truffe noire
Fin de truffe

D’ailleurs je ne suis pas certain que devant ce plat un émir aurait fait la fine bouche. En effet les œufs sont bien crémeux et la truffe, ajoutée hors du feu après cuisson, ne voit son parfum s’envoler que dans nos narines. Tant pis pour les anges, pour une fois ils seront privés de part !

Pour suivre, directement un moka d’Éthiopie servi bien serré.

Je n’aurai plus qu’à franchir la mer Rouge pour retrouver mes senteurs d’Arabie…

Pendant que je savoure un de ces chocolats des Émirats, je me prends à imaginer qu’un nouveau fromage est prêt à envahir nos rayons : La Chamelle qui rit.


Décidément, il y aura de moins en moins de mystères !