vendredi 22 octobre 2021

Phantom of the paradigm

 

Qui l’eut cru (ou même cuit) : un fantôme est venu se planquer dans ma blanquette.

Pourtant tout avait bien commencé : j’avais posé au fond de ma cocotte un gros oignon de Roscoff piqué de trois clous de girofle, un quarteron de petits poireaux du jardin, six carottes de même provenance et un bouquet garni enfermant entre deux lamelles de vert de poireau une feuille de laurier, une branche de thym, trois queues de persil, une pousse de livèche. Puis j’avais recouvert ces légumes avec des morceaux de veau : flanchet, noix et collier - une trilogie de textures comme pour le pot-au-feu. Le tout avait été noyé à hauteur sous de l’eau froide. Puis j’avais posé sur le feu, enfin, même pas sur le feu directement, mais sur une piastra radiente in ghisa smaltata 


qui m’avait permis de laisser la cocotte bloublouter tranquillement presque trois heures durant - durée de cuisson prescrite par le chef Simon -- sans crainte de voir un accrochage du contenu sur une flamme petite mais localisée.

Je pouvais donc vaquer à diverses autres occupations pendant que les parfums s’épanchaient, les osmoses se créaient, le collagène s’épanouissait, les lipides se dissolvaient, des courants d’une eau de plus en plus odoriférante circulaient, me contentant de soulever brièvement le couvercle la première heure écoulée pour introduire une cuillerée rase de gros sel. Je ne me doutais pas de ce qui se mijotait à l’intérieur de la prison de fonte…

 

J’éteins le brûleur sous la cocotte, je décoiffe. 

blanquette
Cocotte et veau

Et là m'apparaît la vision horrifique. Un monstre est caché au sein de l’ustensile, fantôme grimaçant qui me nargue.



Horreur !


Mais je ne me laisserai pas faire. Show must go on ! J’évacue tout le petit monde grouillant dans cette cocotte hantée. D’un côté les légumes hypercuits que je réserve pour une salade du lendemain, de l’autre la viande qui attend que je finalise la sauce et la garniture, et enfin le bouquet qui va à la poubelle, il a fait son temps et vécu ce que durent les roses les aromatiques.

Il me faut en premier lieu blanchir des champignons de Paris dans de l’eau bouillante salée complétée par une noix de beurre et le jus d’un demi-citron. 

champignons de Paris blanchis
Blancs de Paris


Je les sors au bout de cinq minutes pour les réserver dans un bac en inox. Je ne jette pas cette eau de cuisson : parfumée par les agarics urbains, elle me servira à cuire le riz basmati qui servira d’accompagnement à la blanquette.

Je mets à glacer les petits oignons que j’ai épluchés durant mon temps de loisir co-bloubloutage - si l’on peut dire, car il m’a aussi fallu parer les champignons… Pour ce faire je les place au fond d’une casserole au milieu d’un verre d’eau complété d’une pincée de sel, d’une autre de sucre et d’une noix de beurre, puis les recouvre d’un disque de papier siliconé avant de porter à ébullition. Les regards les plus aiguisés ont remarqué que mon rond est carré : il ne s’agit pas d’une quelconque négligence ou erreur de ma part ; bien au contraire, c’est dans un louable souci d’économie domestique que, plutôt que de sacrifier une grande feuille pour en tirer une surface de diamètre légèrement supérieur à celui de la casserole et de le percer en son centre, j’ai récupéré une chute d’une découpe précédente apte à recouvrir presque toute la surface, les manques sur les côtés servant alors d’issues pour la vapeur. Pas plus mal, non ? Dans une autre casserole à côté, c’est une découpe de carotte que je blanchis à l’eau salée avant de l’ajouter à la sauce - à titre surtout ornemental pour la touche de couleur, blanquette, certes, mais pimpante !

oignons glacés, carottes blanchies
Blanchis mais rouges, glacés mais chauds


Voilà, ces petits affûtiaux sont en attente dans un coin, impatients de plonger dans la bonne sauce que je suis en train de mitonner.

 

Je transvase le contenu de la cocotte à travers un chinois dans une grande casserole où j’ai réalisé un roux. Je bats vivement au fouet et laisse cuire quelques minutes. Je reverse le velouté obtenu dans la cocotte rincée de ses impuretés. Dans un bol je mets la moitié d’un petit pot de crème fraîche épaisse achetée au marché, ajoute un jaune d’œuf, et je bats au fouet avant d’y déverser une petite louchée de velouté. Je continue à fouetter, vide rapidement le bol dans la cocotte, et vas-y que je te fouette encore et encore. Il ne s’agirait pas que l’œuf coagule dans son coin ! Il le fera d’autant moins que j’ajoute les morceaux de veau qui sont désormais presque froids. Suivent carotte taillée, champignons blanchis, oignons glacés. Hum, maintenant, ce velouté crémeux n’a pas suffi à réchauffer la viande. Je replace la cocotte sur la plaque radiante et rassurante en fonte chauffée par une toute petite flamme.

blanquette
Liaison pas dangereuse

Pendant cette remise en température je balance le riz basmati dans son liquide champignonesque bouillant. Il y cuit 10 minutes, je l’égoutte et le présente dans un plat où il trônera sur la table à côté de la cocotte bleue.

Je dépose une portion de riz dans un coin de mon assiette. Je prends une louche et prélève ma part de blanquette pour la déverser dans mon assiette.

blanquette
Blanquette show


Et là…

Horreur, malheur ! Je m’aperçois que le grotesque mais terrifiant fantôme est toujours là. Pire, il me tire la langue.

Malheur !


Mais qu’ai-je donc fait pour être confronté à cette créature infernale ?

«  N’as-tu point été inspiré pour la réalisation de cette recette par un certain Simon ?

-  Certes…

-  Alors ne t’étonne pas d’être accusé de simonisme et d’en subir les conséquences.

-  Mais lesquelles ?

- Tu as suivi les conseils de ce faux mage du Nord, aussi tu vois bien que trois heures de cuisson, c’est trop, que ça te dirige à grand pas vers le pulled veal, et puis, Simon disant, faut pas le trait de jus de citron final, ça floculerait, tu parles, floculer, mon… »

Ce fantôme grimaçant mal embouché n’a pas entièrement tort, le veau est un peu trop cuit, et la pointe d’acidité vivifiante me manque. Mais ce n’est pas une raison pour être aussi grossier.

«  De quoi j’me mêle ! »

Et j’enfonce ma fourchette dans sa face difforme, je vais la lui faire rentrer, sa langue. De mon couteau, je partage en croix - on ne saurait être trop prudent - et je n’en fais qu’une bouchée.

Je sais, je suis un goinfre.

 

lundi 18 octobre 2021

Mardi Maigre

 

Ce mardi, un maigre dodu gît, occis, mort, sur l’étal de l’un des poissonniers des halles de ma ville.

Je m’en suis payé une bonne tranche qui attend désormais que je m’occupe d’elle, bien patiente sur mon plan de travail, un peu raidie quand même car j’ai fait tomber sur elle une pluie de sel.

En attendant son bref passage - un aller-retour - final sur une poêle bien chaude barbouillée d’huile d’olive, je me livre à la mise en place.

Je hache finement cinq gousses d’ail rose de Lautrec et une petite botte de persil plat. Je mélange bien. Je réserve.

Je pare des petits champignons de Paris bruns, les débarrassant de la partie terreuse au couteau, puis les brossant et frottant avec un torchon humide avant de les escaloper. Quelques gouttes de jus de citron pour éviter l’oxydation… Je réserve.

Je partage en deux hémisphères une tomate hélas peu goûteuse malgré sa culture en pleine terre revendiquée par le maraîcher et en évacue les pépins. J’obtiens deux réceptacles d’un vermeil un peu pâlichon que je parsème d’un peu de sel fin. Je réserve.

Je m’empare d’une échalote bretonnante que je dépouille sans la moindre vergogne avant de la pourfendre. Que fais-je des deux moitiés obtenues ? Gagné, je réserve ! Mais pas pour longtemps, car dès que j’ai fait tomber au fond d’une petite casserole une noisette de beurre, une pincée de sucre et une autre de sel, je les envoie rejoindre ce petit monde et noie à hauteur en versant un verre d’eau. Je recouvre d’un papier siliconé et glace ainsi mon échalote à feu moyen. Quand presque tout le liquide est évaporé, j’écarte la casserole du feu. Elle y reviendra quelques instants au moment du dressage.

Je verse une bonne cuillerée d’huile d’olive au fond d’une poêle. Quand elle est bien chaude je dépose les champignons de Paris que je cuis à feu vif avant de les saler et les poivrer. J’ajoute dans un coin les demi-tomates dont j’ai évacué l’eau de végétation que le salage a fait sourdre. D’abord posées côté creux, puis retournée afin qu’elles finissent leur légère cuisson - plutôt un réchauffage – avec leurs cavités emplies de la persillade arrosée d’un trait d’huile d’olive.

Sur une autre poêle ma darne de maigre vit enfin le chaleureux aller-retour que je lui ai réservé.

C’est le moment de passer au dressage. J’évacue la peau et les arêtes de ma darne posée sur une planche et répartis les morceaux entre les deux assiettes préalablement chauffées. Pendant que j’achève le glaçage de mon échalote, je dispose les champignons de Paris et la tomate. Dans la poêle de leur cuisson où ne reste plus qu’un fond d’huile je réchauffe brièvement le reste de persillade que je relève d’un trait de jus de citron et assaisonne d’une pincée de fleur de sel. J’étends ce mélange sur les morceaux de maigre. Une demi-échalote se joint au rassemblement. Un tour de moulin de poivre rouge, et 

que la fête du Mardi Maigre commence !

darne de maigre, persillade
Quand le maigre est dans son assiette


 

 

samedi 9 octobre 2021

Castagne

 

En cette période vendémiaire, si mon éloignement des coteaux vendangeurs me prive de bernache, je puis quand même griller la châtaigne. Hélas, pas les premières dégringolées jonchant en avant-garde le sol des bois voisins de mon jardin, atteintes d’un nanisme rédhibitoire, mais faute de mieux des fruits no name du marché dont la diversité de calibre et de brillant me fait craindre qu’il s’agisse de la réunion de fonds de cageots. Tant pis, je ferai avec, leur rôle étant avant tout symbolique dans mon ode gustative à l’Automne. Ode bien modeste, une odelette plutôt…

Première partie : la danse du feu. Les châtaignes, scarifiées par mon couteau bec d’oiseau (de bon augure) sautillent et font des roulades au sein du cylindre posé sur la flamme.

châtaignes, gril
Et pourtant il tourne

Après une vingtaine de minutes, je les libère, un peu noircies mais joyeuses. « Nous nous sommes éclatées ! ». Un cageot doublé d’un linge moelleux fournit l’écrin qui les préservera douillettement jusqu’à leur arrivée sur la table.

châtaignes
Châtaignes a la carbonara

Finalement, débarrassées de leur triste vêture, ces châtaignes sont de mine avenante, et leur cuisson est parfaite.

châtaignes grillées
Je les ai dans la peau


La suite est inéluctable : par l’odeur des châtaignes alléché, le sanglier s’invite au festin. Il y apparaît sous la forme d’une terrine cuisinée par la maison Teyssier selon une recette de Stéphane Reynaud, le Sanglier à l’Ivrogne. Une réussite avec sa viande marinée dans le vin rouge, ses éclats de carotte, ses graines de courge. Étalé sur un pain maison, c’est un régal.


Ne manque plus qu’un remplaçant pour la bernache. Je le trouve sous la forme d’un vin de pomme basque dont la rusticité empreinte d’acidité fera merveille par émoustiller les papilles que la ronde caresse des mets en présence risquerait de faire ronronner bêtement.

vin de pomme, terrine de sanglier
Sortir du verre, verser dans les verres


Eh bien, ça y est, je le tiens, mon repas vendémiaire !

Encore que… De façon un peu décalée. Car je viens de consulter le calendrier.


La journée consacrée à la Châtaigne est le 3 vendémiaire, c’est-à-dire le 24 septembre. Je suis en retard ! Car ce 15 vendémiaire où je m’évertue à la griller, c’est le jour de l’Âne. Que je suis donc...

Je devrai à l’avenir être plus attentif. Par exemple c’est le 12 octobre - soit le 21 vendémiaire - qu’est célébré le Chanvre : il me faudra impérativement mitonner ce mardi-là un space cake en offrande à la déesse Raison.


Je note aussi que le 19 octobre était pour les révolutionnaires la journée de la Tomate, ce qui est indice de plus confirmant le refroidissement climatique.

 





mercredi 6 octobre 2021

Au feu les pompiers

 

Quelle funeste idée ai-je eu d’introduire cette diablerie dans mon appartement, me lamentais-je en voyant les flammes monter et la fumée envahir les lieux.

J’avais fait chauffer la pierre de lave pendant un bon quart d’heure et je venais de déposer au-dessus de la surface rougeoyante de mon nouveau gril les morceaux d’épigrammes d’agneau laiton de l’Aveyron que je comptais bien saisir tapissés de thym et de romarin sur la pseudo-braise volcanique. Mais…

Horreur, malheur ! Un Héphaïstos hargneux à moins qu’il ne s’agisse d’un vilain démon de deuxième classe - hypothèse plus probable car cette lave bien française dans son auvergnatitude n’a pas jailli de l’Etna - chatouillé par les résistances électrique et libéré de son emprisonnement millénaire, ne trouve pas mieux que de battre le briquet et mettre le feu à mon tendre agneau qui n’en peut mééééééééé. Eh oui, ça craint !

Une voix féminine hurle : «  Ferme vite la porte, l’alarme incendie va se déclencher ! Ah, tu avais bien besoin d’acheter cet instrument ! Tu n’en as peut-être pas assez déjà… »

J'obtempère. C’est une chose de me confiner, mais la hotte recyclante a beau s’évertuer - et je tiens à remercier publiquement pour son dévouement, elle qui surplombait le volcan au péril de sa vie - elle ne parvient pas à faire face. Au bord de l’asphyxie, toussant, râlant, je parviens à ouvrir la fenêtre de la cuisine. La fumée s’évacue plus ou moins vers la cour de l’immeuble. Mais pourquoi vois-je les rares fenêtres entrebâillées du voisinage se clore les unes après les autres ? On tousse dans la cage d’escalier. Grimpeur surpris ou voisin furieux ? Ouf, l’on ne sonne pas à la porte. Au loin des sirènes de pompiers. Ont-ils été alertés par un craintif ? Non, la grande échelle se rapproche, puis s’éloigne. J’ai à peine le temps de me sentir soulagé que les hurlements d’une voiture de police envahissent mes oreilles. Vais-je finir embarqué pour trouble de voisinage ? Que nenni, le véhicule ne s’arrête pas… Je respire - si l'on peut dire.

J’ai éteint mon appareil. Seules quelques petites flammèches persistent.

épigramme, agneaulaiton
Extinction des feux

J’ai risqué le divorce, le lynchage, l’expulsion, la geôle - mais l’agneau est cuit parfaitement.

Je dépose mon épigramme doré sur un plateau. 

épigramme, agneau laiton
Laiton doré

Deux parts seulement de cette grosse pièce seront consommées le jour même. Accompagnées d’une ratatouille relevée de piment d’Espelette, elles font merveille, bien juteuses à cœur, avec un petit goût de fumée, je ne vous dis que ça - c’est la moindre des choses après ce que j’ai vécu.

Les deux autres morceaux réservés seront mangés quatre jours plus tard. Je les ai découpés en carrés que j’ai fait sauter dans une poêle sur un trait d’huile d’olive en compagnie de deux tomates émondées partagées en gros cubes, de trois gousses d’ail grossièrement hachées et de persil ciselé. 

épigramme d'agneau
De beaux restes

Un tour de moulin de poivre, une pincée de sel, et j’ai servi bien chaud avec de la graine de couscous parfumé.

Solution de facilité

Le résultat de ce sauvetage de restes était une savoureuse surprise. Sans doute en raison de sa mise immédiate sous vide, la viande ne sentait pas le réchauffé, et l’on aurait pu croire qu’elle sortait de son passage sur le gril.

 

Donc beaucoup de fumée, mais pas pour rien. Et comme bûcher du soir n’arrête pas le pèlerin - en particulier celui en chemin dans sa quête du Griil - le lendemain même je me suis lancé dans la cuisson d’une côte de bœuf de l’Aubrac sur ce satané appareil. Mais avec précaution…

Si je préchauffe bien les pierres de lave par un réglage au maximum continu durant un quart d’heure, en revanche, avant de déposer la côte, je positionne le bouton du doseur d’énergie à la position 4. Les résistances n’étant incandescentes que brièvement, la graisse fond sans s’enflammer. Je laisse cuire doucement une vingtaine de minutes, retournant régulièrement la pièce que j’avais auparavant salée abondamment de gros sel et de fleur de sel mélangés et saupoudrée de quelques feuilles de thym. Puis je hausse progressivement vers la position 7 pendant une dizaine de minutes. 

côte de boeuf d'Aubrac
Aubrac sur le volcan


Je termine par un bref passage à la valeur maximale pour finir en beauté. Oh, une petite flamme apparaît ! Je me dépêche de transférer la côte sur la planche où elle va reposer une quinzaine de minutes avant que je ne la découpe.

côte de boeuf d'Aubrac
Plateau d'Aubrac


L’heure du verdict a sonné. Je sépare la viande de l’os qui sera mon régal dans quelques minutes quand je le rongerai à pleines mains - je fais ce que je veux chez moi, non mais ! Je tranche le bout de la noix : le cœur est encore saignant au sein de la peau bien croûtée, comme j’aime.

côte de boeuf d'Aubrac
Prometteur

C’est bien parti pour le festin carnassier ! Avec, pour me donner bonne conscience, une salade verte issue du jardin rehaussée d’une vinaigrette moutardée et de ciboulette ciselée.

J’allais oublier la tarte bourdaloue en dessert. Pourtant elle était savoureuse...

tarte bourdaloue
C'est de la tarte !


Mais ceci est une autre histoire. L’important, c’est que j’espère bien réussir à dompter la Bête venue des volcans. Même sans l’aide d’un exorciste.

dimanche 3 octobre 2021

L'attribution des Césars : Watson dénominé

 

La dégustation d’un carpaccio d’oronges est devenue pour moi un rituel du début de l’automne depuis quelques années.

Seulement quelques années, car c’est tardivement que j’ai fait connaissance avec ce champignon. Oronge que je n’avais jamais rencontrée dans les bois où il m’arrivait de débusquer au coin d’une clairière un cèpe essayant de dissimuler sous l’auvent d’une feuille morte la tête de nègre surmontant son pied rebondi, de m’émerveiller en contemplant toute une peuplade de girolles qui croyaient pouvoir profiter de leur quiétude loin des sentes et finissaient dans ma musette, d’écarter des fougères et de me griffer dans les ronces pour m’emparer d’une coulemelle dont la tête altière avait attiré mon attention et dont j’espérais que des sœurs plus timides l’escortaient, de chantonner Noir, c’est noir en fauchant les trompettes-de-la-mort. Oronge que je n’avais pas plus côtoyée au pied de ces buissons où la morille prospérait - mais là c’était fatal, saison oblige.

Bref, mon expérience mycologique es amanita caesarea était purement livresque, jusqu’à ce qu’un vendeur de champignons du marché ait eu la bonne idée d’en faire figurer à son étal.

Donc pour moi la cueillette de l’oronge se pratique de façon sensiblement différente de la chasse aux champignons à laquelle je me suis adonné depuis mon enfance : le couteau est remplacé par le portefeuille et la musette par le caddie… Aussi faut-il que cette amanite des Césars soit rudement bonne pour compenser le peu d’agrément que comporte sa quête !

Et rudement bonne, elle l’est.

À noter que l’amanite est le champignon de tous les contrastes : alors que la plupart des variétés dites comestibles ne le sont vraiment qu’après cuisson, si l’amanite phalloïde vous envoie sans barguigner une escouade de convives trop confiants vers le Père-Lachaise (ou tout autre cimetière plus proche du lieu du festin), l’amanite des Césars dans sa simple crudité ne vous fait mourir que métaphoriquement de plaisir et passe comme une caresse dans l’estomac du dyspepsique le plus vulnérable qui soit - enfin d’après ce que l’on m’a dit car fort heureusement je ne fais pas partie de ces gens-là…

Tout ça pour dire que je me suis plié récemment à ce rituel, de bonne grâce et même avec un enthousiasme certain. D’autant plus que les trois amanites des Césars arrivées dans ma cuisine cette année étaient particulièrement belles : encore jeunes, œufs brillants et de couleur vive nichés dans leur collerette d’un blanc immaculé. Je les ai simplement passées à la mandoline pour en disposer les tranches sur les assiettes, arrosées de quelques gouttes de jus de citron jaune puis d’un minimaliste trait d’huile d’olive des Baux-de-Provence pour finir par quelques grains de fleur de sel de l’île de Ré.

amanite des césars, oronge
Scène des Césars


 

Après une aussi subtile entrée, pas question de basculer vers la charcutaille ou une quelconque viande roborative. Il fallait rester dans de fraiches notes végétales. C’était l’occasion de trouver un emploi aux derniers concombres de la saison. Or, en feuilletant le bouquin Sherlock Holmes Livre de recettes de Silke Martin, livre consacré à la cuisine anglaise paru chez Hachette, traduit de l’allemand et imprimé en Chine (vive la mondialisation !) j’étais tombé sur des Sandwichs au concombre du Dr Watson qui m’avaient semblé aptes à nous changer des sempiternelles salades.

Le processus est fort simple : sur des tranches de pain de mie dont on a enlevé la croûte, l’on étale une couche de mayonnaise améliorée que l’on recouvre de tranches de concombre parsemées d’aneth ciselé. Puis l’on coiffe d’une nouvelle tranche de pain de mie.

La composition de ma mayonnaise améliorée : à un bol de mayonnaise lambda j’ai ajouté le jus d’un quart de citron, une cuillerée à café de moutarde, deux pots de yaourt, une cuillerée à café de miel toutes fleurs, un trait de Tabasco, une pincée de sel, un tour de moulin de poivre rouge, enfin j’ai introduit deux œufs durs coupés en dés et mélangé.

Ces sandwiches étaient plutôt agréables à déguster, mais avant de me livrer à ce plaisir j’ai galéré dans leur confection en raison d’un mauvais choix de pain de mie. Je m’étais cru vertueux en achetant un pain de mie bio ; las, les tranches étaient trop petites après prélèvement de leur croûte de par  leurs périmètres biscornus, et tombaient en morceau à la moindre manipulation. Après de lourdes pertes je suis néanmoins parvenu à produire six lamentables sandwichounets que je n’ai pu partager en deux façon club en raison de leur taille et de leur fragilité. Même les porter à la bouche relevait de l’exploit…

D‘ailleurs même les photographier ne fut pas chose facile.

sandwiches au concombre
Concombres masqués


Et dire que je n’ai pas eu l’idée géniale de l’illustrateur de l’ouvrage, qui a coincé les tranches découpe en l’air au sein d’une barquette format moule à cake !

signé Watson

Bravo l’artiste.

Ceci dit, ah, Dr Watson, que de crimes commet-on en ton nom ! Si Sherlock savait ça…

Comme ce dernier n’est plus là pour le faire, c’est moi qui me suis coltiné ma petite enquête.

En  lisant l'en-tête de la recette reliant la recette à l'enquête narrée dans La Vallée de la Peur, je puis lire :

Parce que la réflexion permanente le met en appétit, il attend avec impatience son thé et les sandwiches au concombre que Watson, très attentionné, a déjà préparé.

Or je n’ai guère de souvenirs de lectures de Conan Doyle mettant en avant les talents culinaires du brave Docteur Watson… Il faut que j’en aie le cœur net !

Je remonte donc à la source. C’est bien ça… Je ne découvre que ces lignes :

« Je ne veux pas de leurs secrets », me dit Holmes quand je lui racontai l’incident. Mon ami avait passé la journée au manoir avec ses collègues, et il en rapportait un appétit féroce, en prévision duquel je lui avais fait préparer un thé substantiel. »

Puis il est vaguement question d’Holmes finissant ses œufs. Bien entendu, c’est la logeuse qui a fait tout le boulot !

Même à jeun, je peux donc pérorer comme le fait le fin limier quelques lignes plus loin :

« Un mensonge, Watson, un grand, un énorme, un assommant, un insupportable, un irréparable mensonge… voilà ce que nous trouvons au seuil de l’enquête, voilà notre point de départ. »

Cette recette repose sur un mensonge.

Eh oui, l’habit ne fait pas le moine.

N'est-ce pas, Frau Silke Martin...


jeudi 30 septembre 2021

Le voyage des impériales

Elles ont voyagé toute la nuit et sont encore tout ensommeillées quand j’ouvre la porte de leur compartiment. Il y faisait bien frais, et ces madones des sleepings se serrent les unes contre les autres sous leurs beaux draps translucides.

crevettes impériales
C'est le terminus


Effectivement elles sont dans de beaux draps ! Heureusement ces mômes crevettes qui commencent à s’étirer en agitant prudemment leurs petites pattes ignorent le traitement que je leur réserve. Leurs sœurs que j’avais reçues il y a un peu plus d’un mois auparavant étaient passées au wok en raison de leur faible taille. Celles-ci sont bien plus grosses, et j’ai décidé de les cuire à la vapeur pour les servir tièdes avec une sauce cocktail maison.

«  Mes mignonnes, je vous invite à un cocktail. Cependant pour y faire bonne figure, il vous faudra vous tenir bien droites. Je n’ai pas trouvé de corsets à votre taille, alors je procéderai par prothèse interne.

-  Mais on aura l’air d’avoir un balais dans le…

-  Non, non, pas du tout, cette fine lame sera à peine apparente, et votre Prince Charmant vous en débarrassera avant de poser ses lèvres sur vous.

-  Ouais, mais ça va être douloureux.

-  Pas plus qu’une coloscopie, vous êtes anesthésiées par le froid, et puis il faut souffrir pour être belles.

-  Dans ce cas… »

Ni une ni deux, je passe à l’acte avant qu’elles ne soient complètement éveillées.

crevettes impériales
Champ opératoire

Je m’étonne moi-même de ma dextérité. Une trentaine en moins de cinq minutes ! Un Ambroise Paré n’aurait pas fait mieux - Je la perçai, Dieu l’aguerrit.

« Ce n’est pas tout, maintenant, le sauna !

-  Est-ce bien nécessaire, nous sortons tout juste des bains de mer ?

-  Oh que oui, d’ailleurs la tendre roseur de votre plaisir nous émerveillera après ces soins revigorants. De plus j’y ajouterai le suave parfum de branches de citronnelle, et, tiens, du gros sel de Guérande vous rappellera le pays… »

crevettes impériales
Ces demoiselles au sauna


Les belles resteront dans la vapeur huit minutes. Et leur érubescence cachera une chair nacrée.

J’ai préparé une bonne sauce cocktail : à mon bol de mayonnaise, j’ai ajouté une bonne cuillerée de concentré de tomate, une petite cuillerée de sauce Louisiana Gold Red au piment Tabasco

  un trait généreux de bourbon whiskey Eagle Rare aux notes épicées

et le jus d’un quart de citron pour apporter une pointe d’acidité. J’ai goûté le résultat, et c’est une réussite. Encore meilleur que je ne l’espérais…

Maintenant tout est prêt pour le quadrille des lancier.e.s. Dans un coin de la piste de danse j’ai allongé quelques lanières découpées dans une salade de mon jardin versaillais qui cernent le verre de cocktail. Des petites tomates venues de mon jardin de secours poitevin - exempt de mildiou quant à lui - font office d’amuse-gueule après avoir été tranchées. Enfin un éclat de citron vert reste à disposition si l’on ressent un besoin d’émoustille-papille.

Ces demoiselles se mettent en place. Elles sont à croquer !

crevettes impériales sauce cocktail
Un cocktail élégant

Ne reste plus qu'à les déshabiller. Impérialement...


jeudi 23 septembre 2021

Au-dessus du volcan

Je ne puis m’empêcher de jeter un regard compatissant sur ces pierres de lave qui reposent au fond du nouvel appareil que je vais inaugurer. Sort pitoyable que celui de ce magma ambitionnant de détruire les villes et les campagnes, et qui se voit réduit à taquiner la bidoche sous l’assistance d’une ferraille rubescente. Aussi déchues qu’un Atlas que l’on aurait soulagé de sa sphère céleste pour ne soutenir qu’une noisette, qu’un Sisyphe poussant sa petite boulette de pain sur un coin de table, qu’un Prométhée nous passant une taffe avant la crise de foie, ces caillasses travesties en tisons ne peuvent rougir que de honte. Je les plains.

Ce qui ne m’empêchera pas de les mettre à contribution après échauffement…

gril electrique pierres de lave
Dans la résistance


Puisque pour moi l’utilisation d’un tel gril électrique à pierres de lave est une première, ce seront tout logiquement des côtes premières qui se prêteront à cette cérémonie. Ce sont des côtelettes d’agneau Laiton de l’Aveyron. Je les assaisonne d’une pincée de fleur de sel et les parsème de feuilles de thym avant de les déposer sur le gril où je les tournerai plusieurs fois durant leur brève cuisson qui fait monter à mes narines les parfums d’un barbecue champêtre. Comme quoi, l’autosuggestion, ça fonctionne !

agneau Laiton, côtes premières
Le silence des agneaux


Le moment de transférer les côtes d’agneau sur un plat est arrivé. J’ajoute simplement un tour de moulin de poivre rouge.

côtes premières, agneau Laiton
Sauvées du magma


Un comité d’accueil attend cette viande envoyée en reconnaissance et ayant mené à bien sa mission. Il s’agit de haricots demi-secs provenant du jardin. Je les ai cuits en les laissant une trentaine de minutes dans de l’eau bloubloutante en compagnie des découpes d’un petit oignon et d’une carotte de même provenance. J’ai relevé d’une gousse d’ail partagée en deux, d’un trio de baies de piment de la Jamaïque et d’un clou de girofle. La pincée de gros sel n’est arrivée qu’en fin de cuisson. Maintenant ces cocos qui n’ont rien de vilain sont réfugiés dans un plat en porcelaine, et je leur ai octroyé une belle noix de beurre avant de faire tomber un tour de moulin de poivre noir.

haricots demi-secs
Ils sont demi-frais, mes cocos


Mon nouvel instrument de cuisson va-t-il avoir réussi son test ? Eh bien oui. Les côtes d’agneau se sont imprégnées des fragrances du thym avec une touche fumée, mais surtout le cœur des noix est resté agréablement juteux sous la fine croûte externe maillardisée.

Quant aux haricots, s’ils ne sont pas aussi dodus que des cocos de Paimpol, ils les surpassent gustativement par la présence d’un titillant fruité, rappel heureux de leur prime jeunesse.

Après un tel régal, il n’est pas question d’en rester là ! Fort heureusement je peux apporter sur la table un flan parisien, frère d’un second offert la veille à ma fille.

flan parisien
Comme deux ronds de flan

Il est réalisé suivant une recette de Ducasse - enfin presque, car la péremption de la crème liquide de ma réserve, découverte au dernier moment, a nécessité l’usage d’un pot de crème épaisse salvateur, mais qui a certainement modifié le résultat tant en goût qu’en texture. L’appareil du chef versé sur la pâte brisée cuite à blanc indiquait cette proportion : 90 g de poudre à crème, 1 c. à c de vanille liquide, 150 g de sucre, 50 cl de lait, 50 cl de crème liquide, 4 œufs. J’ai doublé les quantités, remplaçant la vanille liquide par une gousse de vanille de la Réunion et la crème liquide par seulement 50 cl de crème épaisse. Bien que probablement un peu plus compact que l’original, le résultat était néanmoins satisfaisant, pas du tout étouffe-chrétien et cerné d'une pâte restée bien croustillante.

flan parisien
Quartier parisien


C’est ainsi que l’on va de Magma en Ducasse : c’est la fête !