La dégustation d’un carpaccio d’oronges est devenue pour moi
un rituel du début de l’automne depuis quelques années.
Seulement quelques années, car c’est tardivement que j’ai
fait connaissance avec ce champignon. Oronge que je n’avais jamais rencontrée dans les bois
où il m’arrivait de débusquer au coin d’une clairière un cèpe essayant de
dissimuler sous l’auvent d’une feuille morte la tête de nègre surmontant son
pied rebondi, de m’émerveiller en contemplant toute une peuplade de girolles
qui croyaient pouvoir profiter de leur quiétude loin des sentes et finissaient
dans ma musette, d’écarter des fougères et de me griffer dans les ronces pour m’emparer
d’une coulemelle dont la tête altière avait attiré mon attention et dont j’espérais
que des sœurs plus timides l’escortaient, de chantonner Noir, c’est noir en
fauchant les trompettes-de-la-mort. Oronge que je n’avais pas plus côtoyée au pied
de ces buissons où la morille prospérait - mais là c’était fatal, saison oblige.
Bref, mon expérience mycologique es amanita caesarea était
purement livresque, jusqu’à ce qu’un vendeur de champignons du marché ait eu la
bonne idée d’en faire figurer à son étal.
Donc pour moi la cueillette de l’oronge se pratique de façon
sensiblement différente de la chasse aux champignons à laquelle je me suis adonné depuis
mon enfance : le couteau est remplacé par le portefeuille et la musette
par le caddie… Aussi faut-il que cette amanite des Césars soit rudement bonne
pour compenser le peu d’agrément que comporte sa quête !
Et rudement bonne, elle l’est.
À noter que l’amanite est le champignon de tous les
contrastes : alors que la plupart des variétés dites comestibles ne le
sont vraiment qu’après cuisson, si l’amanite phalloïde vous envoie sans
barguigner une escouade de convives trop confiants vers le Père-Lachaise (ou
tout autre cimetière plus proche du lieu du festin), l’amanite des Césars dans
sa simple crudité ne vous fait mourir que métaphoriquement de plaisir et passe comme
une caresse dans l’estomac du dyspepsique le plus vulnérable qui soit - enfin d’après
ce que l’on m’a dit car fort heureusement je ne fais pas partie de ces gens-là…
Tout ça pour dire que je me suis plié récemment à ce rituel,
de bonne grâce et même avec un enthousiasme certain. D’autant plus que les
trois amanites des Césars arrivées dans ma cuisine cette année étaient
particulièrement belles : encore jeunes, œufs brillants et de couleur vive
nichés dans leur collerette d’un blanc immaculé. Je les ai simplement passées à
la mandoline pour en disposer les tranches sur les assiettes, arrosées de
quelques gouttes de jus de citron jaune puis d’un minimaliste trait d’huile d’olive
des Baux-de-Provence pour finir par quelques grains de fleur de sel de l’île de
Ré.
Scène des Césars |
Après une aussi subtile entrée, pas question de basculer vers
la charcutaille ou une quelconque viande roborative. Il fallait rester dans de fraiches notes végétales. C’était l’occasion de trouver un emploi aux derniers
concombres de la saison. Or, en feuilletant le bouquin Sherlock Holmes Livre de
recettes de Silke Martin, livre consacré à la cuisine anglaise paru chez
Hachette, traduit de l’allemand et imprimé en Chine (vive la mondialisation !)
j’étais tombé sur des Sandwichs au concombre du Dr Watson qui m’avaient semblé aptes
à nous changer des sempiternelles salades.
Le processus est fort simple : sur des tranches de pain
de mie dont on a enlevé la croûte, l’on étale une couche de mayonnaise
améliorée que l’on recouvre de tranches de concombre parsemées d’aneth ciselé. Puis
l’on coiffe d’une nouvelle tranche de pain de mie.
La composition de ma mayonnaise améliorée : à un bol de
mayonnaise lambda j’ai ajouté le jus d’un quart de citron, une cuillerée à café de
moutarde, deux pots de yaourt, une cuillerée à café de miel toutes fleurs, un
trait de Tabasco, une pincée de sel, un tour de moulin de poivre rouge, enfin j’ai introduit deux œufs
durs coupés en dés et mélangé.
Ces sandwiches étaient plutôt agréables à déguster, mais avant de me livrer à ce plaisir j’ai galéré dans leur confection en raison d’un mauvais choix de pain de mie. Je m’étais cru vertueux en achetant un pain de mie bio ; las, les tranches étaient trop petites après prélèvement de leur croûte de par leurs périmètres biscornus, et tombaient en morceau à la moindre manipulation. Après de lourdes pertes je suis néanmoins parvenu à produire six lamentables sandwichounets que je n’ai pu partager en deux façon club en raison de leur taille et de leur fragilité. Même les porter à la bouche relevait de l’exploit…
D‘ailleurs même les photographier ne fut pas chose facile.
Concombres masqués |
Et dire que je n’ai pas eu l’idée géniale de l’illustrateur de l’ouvrage, qui a coincé les tranches découpe en l’air au sein d’une barquette format moule à cake !
signé Watson |
Bravo l’artiste.
Ceci dit, ah, Dr Watson, que de crimes commet-on en ton nom !
Si Sherlock savait ça…
Comme ce dernier n’est plus là pour le faire, c’est moi qui
me suis coltiné ma petite enquête.
En lisant l'en-tête de la recette reliant la recette à l'enquête narrée dans La Vallée de la
Peur, je puis lire :
Parce que la réflexion permanente le met en appétit, il
attend avec impatience son thé et les sandwiches au concombre que Watson, très attentionné,
a déjà préparé.
Or je n’ai guère de souvenirs de lectures de Conan Doyle
mettant en avant les talents culinaires du brave Docteur Watson… Il faut que j’en aie
le cœur net !
Je remonte donc à la source. C’est bien ça… Je ne découvre que
ces lignes :
« Je ne veux pas de leurs secrets », me dit Holmes
quand je lui racontai l’incident. Mon ami avait passé la journée au manoir avec
ses collègues, et il en rapportait un appétit féroce, en prévision duquel je
lui avais fait préparer un thé substantiel. »
Puis il est vaguement question d’Holmes finissant ses œufs. Bien
entendu, c’est la logeuse qui a fait tout le boulot !
Même à jeun, je peux donc pérorer comme le fait le fin
limier quelques lignes plus loin :
« Un mensonge, Watson, un grand, un énorme, un
assommant, un insupportable, un irréparable mensonge… voilà ce que nous
trouvons au seuil de l’enquête, voilà notre point de départ. »
Cette recette repose sur un mensonge.
Eh oui, l’habit ne fait pas le moine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire