Qui l’eut cru (ou même cuit) : un fantôme est venu se
planquer dans ma blanquette.
Pourtant tout avait bien commencé : j’avais posé au fond de ma cocotte un gros oignon de Roscoff piqué de trois clous de girofle, un quarteron de petits poireaux du jardin, six carottes de même provenance et un bouquet garni enfermant entre deux lamelles de vert de poireau une feuille de laurier, une branche de thym, trois queues de persil, une pousse de livèche. Puis j’avais recouvert ces légumes avec des morceaux de veau : flanchet, noix et collier - une trilogie de textures comme pour le pot-au-feu. Le tout avait été noyé à hauteur sous de l’eau froide. Puis j’avais posé sur le feu, enfin, même pas sur le feu directement, mais sur une piastra radiente in ghisa smaltata
qui m’avait permis de laisser la cocotte bloublouter tranquillement presque trois heures durant - durée de cuisson prescrite par le chef Simon -- sans crainte de voir un accrochage du contenu sur une flamme petite mais localisée.
Je pouvais donc vaquer à diverses autres occupations pendant
que les parfums s’épanchaient, les osmoses se créaient, le collagène s’épanouissait,
les lipides se dissolvaient, des courants d’une eau de plus en plus odoriférante circulaient, me contentant de soulever brièvement le couvercle la
première heure écoulée pour introduire une cuillerée rase de gros sel. Je ne me
doutais pas de ce qui se mijotait à l’intérieur de la prison de fonte…
J’éteins le brûleur sous la cocotte, je décoiffe.
Cocotte et veau |
Et là m'apparaît la vision horrifique. Un monstre est caché au sein de l’ustensile, fantôme grimaçant qui me nargue.
Horreur ! |
Mais je ne me laisserai pas faire. Show must go on ! J’évacue tout le petit monde grouillant dans cette cocotte hantée. D’un côté les légumes hypercuits que je réserve pour une salade du lendemain, de l’autre la viande qui attend que je finalise la sauce et la garniture, et enfin le bouquet qui va à la poubelle, il a fait son temps et vécu ce que durent les roses les aromatiques.
Il me faut en premier lieu blanchir des champignons de Paris dans de l’eau bouillante salée complétée par une noix de beurre et le jus d’un demi-citron.
Blancs de Paris |
Je les sors au bout de cinq minutes pour les réserver dans un bac en inox. Je
ne jette pas cette eau de cuisson : parfumée par les agarics urbains, elle
me servira à cuire le riz basmati qui servira d’accompagnement à la blanquette.
Je mets à glacer les petits oignons que j’ai épluchés durant
mon temps de loisir co-bloubloutage - si l’on peut dire, car il m’a aussi fallu
parer les champignons… Pour ce faire je les place au fond d’une casserole au
milieu d’un verre d’eau complété d’une pincée de sel, d’une autre de sucre et d’une
noix de beurre, puis les recouvre d’un disque de papier siliconé avant de
porter à ébullition. Les regards les plus aiguisés ont remarqué que mon rond est
carré : il ne s’agit pas d’une quelconque négligence ou erreur de ma part ;
bien au contraire, c’est dans un louable souci d’économie domestique que,
plutôt que de sacrifier une grande feuille pour en tirer une surface de
diamètre légèrement supérieur à celui de la casserole et de le percer en son
centre, j’ai récupéré une chute d’une découpe précédente apte à recouvrir
presque toute la surface, les manques sur les côtés servant alors d’issues pour
la vapeur. Pas plus mal, non ? Dans une autre casserole à côté, c’est une
découpe de carotte que je blanchis à l’eau salée avant de l’ajouter à la sauce
- à titre surtout ornemental pour la touche de couleur, blanquette, certes,
mais pimpante !
Blanchis mais rouges, glacés mais chauds |
Voilà, ces petits affûtiaux sont en attente dans un coin, impatients
de plonger dans la bonne sauce que je suis en train de mitonner.
Je transvase le contenu de la cocotte à travers un chinois dans
une grande casserole où j’ai réalisé un roux. Je bats vivement au fouet et laisse
cuire quelques minutes. Je reverse le velouté obtenu dans la cocotte rincée de
ses impuretés. Dans un bol je mets la moitié d’un petit pot de crème fraîche
épaisse achetée au marché, ajoute un jaune d’œuf, et je bats au fouet avant d’y
déverser une petite louchée de velouté. Je continue à fouetter, vide rapidement
le bol dans la cocotte, et vas-y que je te fouette encore et encore. Il ne s’agirait
pas que l’œuf coagule dans son coin ! Il le fera d’autant moins que j’ajoute
les morceaux de veau qui sont désormais presque froids. Suivent carotte taillée,
champignons blanchis, oignons glacés. Hum, maintenant, ce velouté crémeux n’a
pas suffi à réchauffer la viande. Je replace la cocotte sur la plaque radiante
et rassurante en fonte chauffée par une toute petite flamme.
Liaison pas dangereuse |
Pendant cette remise en température je balance le riz basmati dans son liquide champignonesque bouillant. Il y cuit 10 minutes, je l’égoutte et le présente dans un plat où il trônera sur la table à côté de la cocotte bleue.
Je dépose une portion de riz dans un coin de mon assiette. Je
prends une louche et prélève ma part de blanquette pour la déverser dans mon
assiette.
Blanquette show |
Et là…
Horreur, malheur ! Je m’aperçois que le grotesque mais
terrifiant fantôme est toujours là. Pire, il me tire la langue.
Malheur ! |
Mais qu’ai-je donc fait pour être confronté à cette créature
infernale ?
« N’as-tu point été inspiré pour la réalisation de
cette recette par un certain Simon ?
- Certes…
- Alors ne t’étonne pas d’être accusé de simonisme et d’en
subir les conséquences.
- Mais lesquelles ?
- Tu as suivi les conseils de ce faux mage du Nord, aussi tu
vois bien que trois heures de cuisson, c’est trop, que ça te dirige à grand pas
vers le pulled veal, et puis, Simon disant, faut pas le trait de jus de citron final,
ça floculerait, tu parles, floculer, mon… »
Ce fantôme grimaçant mal embouché n’a pas entièrement tort, le veau est
un peu trop cuit, et la pointe d’acidité vivifiante me manque. Mais ce n’est
pas une raison pour être aussi grossier.
« De quoi j’me mêle ! »
Et j’enfonce ma fourchette dans sa face difforme, je vais la
lui faire rentrer, sa langue. De mon couteau, je partage en croix - on ne
saurait être trop prudent - et je n’en fais qu’une bouchée.
Je sais, je suis un goinfre.
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