lundi 19 juillet 2021

Richelieu en habit vert

Une bonne âme voyageuse m’a rapporté deux andouillettes tourangelles confectionnées par le sympathique boucher de la Grand Rue de Richelieu.

Ben oui, tout au fond au bout de la rue à droite en arrivant par la porte de Châtellerault !

Avant de sortir par la porte de Chinon…

...si les autochtones un peu sauvages ne nous barrent pas le passage.



S’agit de ne pas me vautrer dans l’accueil de ces ambassadrices provinciales au caractère bien affirmé.

La cuisson, je la mènerai délicatement, tout d’abord à feu doux sur une noisette de beurre, pour finir avec la flamme plus forte apte à colorer et rendre croustillante le boyau qui leur sert d’habit. L’on notera que, même de Richelieu, l’andouillette contrairement au homard ne se cardinalise pas. Elle préfère se laisser habiller de la discrète robe de bure d’un moine pénitent. Charmante modestie tout à son honneur… Intéressant, non ?

Fort opportunément, les pieds de fèves du jardin m’ont offert une récolte qui me permet de concocter un accompagnement à la fois campagnard et raffiné.

J’écosse les gousses rebondies. Je plonge les fèves ayant conservé leur peau dans l’eau salée en ébullition d’une grande casserole. Elles y restent six ou sept minutes avant que je les sorte pour les dépouiller prestement par une petite incision suivie d’un délicat pressage entre pouce et index qui fait jaillir les deux cotylédons smaragdins (youpi, j’ai encore réussi à placer cet adjectif) hors des téguments albuginés (tant qu’à faire…). 

Après avoir accompli consciencieusement mon rôle de favobstétricien en série, je réunis le fruit de ces accouchements par césarienne et déverse ces tendres bambins dans une casserole où suent deux petites échalotes hachées finement dans la fonte d’une grosse noix de beurre. Je veux réaliser un écrasé de fèves.

«  Et pourquoi il faudrait que l’on s’écrase

-  Tout simplement parce que c’est moi qui ai l’arme entre mes mains ! »

Et je brandis mon pilon au-dessus de leurs têtes effarées. Il faut dire qu’il y a de quoi. Toutefois je limite mon action, je ne souhaite pas un écrabouillage puréesque. Je veux simplement amener une cohésion rapprochant tous les éléments de ce petit peuple dans un objectif commun : réjouir les palais. Puis, afin de parfaire ce lien, je fais intervenir trois cuillerées de crème fraîche, ce qui va conférer à ces masses rustiques la rondeur avenante qui leur manquait encore. Ce qui ne m’évite pas cependant d’avoir recours à quelques tours de mouvette pour m’assurer que mon message passe bien. La douceur, certes, mais aussi le bâton. Il y a quelques fèves réfractaires qui ne comprennent que ça…

«  Allez, mes petits, juste un petit tour de moulin de poivre rouge et un autre de noix de muscade, et vous serez digne de mes andouillettes.

-  Tout ça pour rencontrer de petites andouilles, ah non, tu te payes notre tronche !

-  Richelieu, quand même, Richelieu, ce n’est pas rien !

-  On s’en fout de Richelieu, on veut du moderne, de l’actuel.

-  Bon, j’ai compris… »

Je vais chercher dans mes réserves un paquet de petites pitas craquantes aux piments et citron fruit de l'union de Michel et Augustin.


«  Si ça, c’est pas du contemporain… Et cette touche de croustillant, c’est-y pas tendance... Z'êtes contentes ? »

Comme c’est moi qui fais la pluie et le beau temps, je termine par une averse de persil ciselé.

Mes andouillettes rochelaises viennent s’allonger à côté des fèves dont j’ai rabattu le caquet.


andouillette, écrasé de fèves
Sur le bois

C’est quand même bon de retrouver le charme discret de la gentilhommerie. Surtout à la richelaise…-

 

mercredi 14 juillet 2021

Entrecôte NTV

 « Ah non, c’est un peu mince, jeune homme ! » vs « Ô, beau morceau, tu ne seras pas pour moi…. »

C’est l’éternel dilemme de l’entrecôte de ménage : soit l’on choisit une découpe portion, soit l’on opte pour l’entrecôte à se partager à deux.

Dans le premier cas, le ratio de viande saignante me paraît toujours trop faible.

Dans le second c’est un sentiment de frustration qui m’envahit. En effet l’entrecôte offre une vraie géographie : carte du tendre avec ses sillons persillés, mais aussi coulées de bonne graisse goûteuse, falaises d’aponévrose battues par le jus de cuisson, gisements gélatineux qui se délitent sur la flamme pour envahir les minces fissures qui s’épanouissent sur les plaines dorées par l’arrosage de beurre mousseux, bref tout un territoire aux multiples parfums à explorer au gré de ses envies et à saccager armé de la lame de son couteau, ne laissant plus après ce combat sanglant que quelques tristes lambeaux prouvant que nobody is perfect, même pas l’entrecôte.


Ainsi, il y a quelques semaines, ayant posé sur ma planche une entrecôte de 600 g, je m’étais livré au partage classique :

Dans une assiette, les morceaux 1,3, 5 ; dans l’autre, 2, 4, 6. Eh bien, si pour les découpes centrales, cette répartition ne me pose guère de problème, en revanche les extrémités offrant des sensations bien différentes, je supporte mal la privation de l’un de ces deux morceaux. Le plaisir n'était donc pas complet.


Afin d'éviter ce déplorable arrière-goût postprandial dans le domaine gastronomico-intercostal, j’ai préféré pour une nouvelle commande bouchère acquérir une paire d’entrecôtes de 300 g. Las, le bœuf d’Aubrac est costaud, et même avec un tel poids, a priori bien suffisant pour une personne, la pièce est bien mince, trop mince…

En dépit d’une cuisson rapide selon les règles de l’art, mon entrecôte minute m’a laissé une fois de plus insatisfait. Peut-être avec une sauce bordelaise ou Bercy ces minces feuilles bovines eussent-elles su réjouir mon palais, mais dans leur simplicité quand même plus diététique, non, ce n’était pas ça… Encore déplorable amertume postprandiale !


Aux petits maux, les grands moyens. Il faut ce qu’il faut. Ma dernière commande fut de deux entrecôtes de 600 g… Nous allons enfin pouvoir nous entrecôter à fond ! Quoi, c’est trop ? Non non, je nique les vegans !

Le résultat me confirme que j’ai fait le bon choix.

Je laisse reposer mes entrecôtes à température ambiante. C’est ma grande poêle en acier de 36 cm qu’il me faut sortir. Je la pose sur une flamme, y fait choir une noisette de beurre destinée à favoriser la coloration. Je parsème les entrecôtes de fleur de sel de l’île de Ré - saler avant la cuisson permet une meilleure diffusion. Je les étends sur le fond de la poêle où elles tiennent ric-rac. Il ne faut pas brusquer de telles pièces, le feu n’est pas à son maximum, ce sera juste un petit câlin Maillard. Une minute de chaque côté, puis je baisse encore la flamme. Je passe à une autre phase de cuisson : j’ajoute une grosse noix de beurre qui me sert à nourrir les entrecôtes que je retourne régulièrement et arrose d'une cuillère dévouée. Au bout de cinq minutes environ j’éteins le feu, et je laisse reposer la viande pendant cinq nouvelles minutes.

Si je nique les vegans, je ne dédaigne pas pour autant les végétaux.

J’avais sous la main un nouvel arrivage de petits pois du jardin. Je les ai simplement blanchis six minutes à l’eau salée avant de les refroidir sous le robinet. Ils m’attendent, égouttés, dans un bac. Je les verse dans la poêle de cuisson des entrecôtes où ils vont se réchauffer à feu doux dans le beurre fondu empreint des arômes carnassiers.

Je disposais aussi de trois pommes de terre arrachées le matin même. Je les ai tranchées finement et là elles finissent de dorer au fond d’une poêle - nettement plus petite que celle utilisée pour la viande - dans un mélange d’huile d’olive et de beurre doux de Surgères.

Tout est donc là pour passer au dressage. J’ai retenu deux assiettes de taille à peine suffisante dont la grisitude éclairée du tracé d’un cercle fantomatique par un pinceau incertain me semblait apte à épauler discrètement les teintes végétales et carnées de ce mets rustique.

J’étends l’entrecôte bien reposée, verse les petits pois bien oints, transfère les pommes de terre bien sautées, rehausse d’un tour de moulin de poivre bien odoriférant. Je suis bien content.

Entrecôte
Entrecôte NTV


L’Entrecôte Nique Ton Vegan était un régal !


lundi 12 juillet 2021

Recervelas encore

En mai 2019 j’écrivais à propos de la salade de cervelas et gruyère :

Je commence à avoir des difficultés pour renouveler mes présentations de ce classique alsacien.

https://sosgrisbiche.blogspot.com/2019/05/variations-sur-le-theme-salade-de.html

L’on se doute que depuis cette date il me devient de plus en plus difficile d’éviter le radotage saladesque.

Cependant le principal est que cette préparation qu’en langue alsacienne on appelle Gedeckelter et qui est surnommée dans ma famille Python salat charme les papilles, même si elle ne fait pas écarquiller les pupilles…

Ce fut le cas pour ma version la plus récente :

Primo, mes ingrédients étaient de qualité : quatre petits - mais dodus - cervelas d’un artisan d’Ingersheim et un emmental fruité acheté chez le meilleur fromager du marché.

Secundo, j’avais réussi ma sauce : un jaune d’œuf relevé de trois bonnes cuillerées de moutarde forte monté au fouet à l’huile d’arachide, puis, pour détendre cette rémoulade bien ferme, deux cuillerées de Melfor dans lesquelles j’avais dissout une pincée de sel fin, ensuite, pour la rehausser,  introduction d’un oignon blanc nouveau et de deux petits cornichons hachés finement ainsi que d’un petit bouquet de persil plat ciselé, et pour terminer arrivée d’une maryse apte à mélanger le tout vigoureusement. Un tour de moulin de poivre rouge odoriférant, et  le résultat crémeux était parfait pour napper les  rondelles de cervelas et les bâtons biseautés d’emmental.


L’effort de présentation fut  quand même présent : sept tranches de cornichon et trois petits oignons au vinaigre sortis du même bocal, un trio de cercles d’oignon blanc préservés lors de la découpe, une dernière touche avec une pincée de persil haché réservé à cet effet, et hopla !

salade cervelas gruyère
Se creuser la cervelle pour le cervelas...

Autant dire que ça schmecktait dur.

Des bouteilles de bière blanche bien amère étaient de la fête.



Et si je ne me suis pas distingué par ma créativité, eh bien, ' S ìsch mìr wurscht egal !


jeudi 8 juillet 2021

Du décousu dans le dîner

Il y a quelques semaines je m’étais régalé d’une tendre et goûteuse épaule d’Agneau Laiton de l’Aveyron. Toutefois, si j’apprécie sans réticence une telle pièce, peut-être même encore plus que le bedonnant et pontifiant gigot des solennités bourgeoises, c’est encore vers le gentilhomme campagnard qui se cache sous la cape d’un épigramme d’agneau que vont mes préférences.

J’avais placé beaucoup d’espoir gustatif dans un épigramme acheté chez mon boucher des halles locales. Las, pourtant cuit avec les précautions d’usage, il s’est révélé une vraie carne une fois dans les assiettes. Agnus horribilis ! La solution qui s’imposait donc pour me transporter au nirvana des gourmets, me situer à l’intersection des deux espaces :


Malheureusement l’épigramme d’agneau ne figure pas au catalogue de mon fournisseur laguiolais. Heureusement on y découvre une Poitrine d’Agneau sans os. Malheureusement à farcir. Heureusement vendue au kilo deux fois moins cher que l’épicarne de mon boucher. Je décide donc de tenter l’expérience, même si la destination de ce morceau préparé en forme de sac pour la réalisation de falettes maison n’est pas la mienne.

Poitrine d'agneau sans os à farcir

Ma poitrine d’agneau est arrivée en compagnie de deux entrecôtes de bœuf d’Aubrac dont qu’c’est que je causerai futurement sur ce blog. Pour l’instant, c’est elle que je déballe et pose sur une planche. Comme prévu, elle est transformée en un sac à la ruralité assumée, plus proche des courtes prairies que de Longchamp, même si je ne puis m’empêcher d’admirer la régularité des points de la couture. Et dire que je vais massacrer ce beau travail ! Il me faut moult coups de ciseaux pour arriver à bout de ma tâche de déstructuration, facilitée cependant par la bonne visibilité de la ficelle bicolore...

Qu’elle est imposante, cette poitrine déployée ! Il va me falloir avoir recours à la grande plaque à grillade nervurée de mon fourneau…

Mais auparavant je prépare l’accompagnement. Ce qui n’est pas une mince affaire : je dois écosser la récolte de fèves du jardin, puis débarrasser chaque graine de son enveloppe à l’aide de la pointe d’un couteau. J’obtiens de quoi presque emplir un petit bac en inox GN 1/6 de 10 cm de haut.

Je balance son contenu dans une casserole d’eau bouillante salée, laisse blanchir 30 secondes avant de récupérer ces fèves d’un vert éclatant que je préserve par une plongée dans l’eau glacée avant de les égoutter. Je fais fondre une grosse noix de beurre demi-sel au fond d’une poêle que je chauffe sur la plaque à grillade en train de monter en température. Quand mon baratté aux bonnes odeurs d’herbages se prend à mousser, j’y fais tomber mes fèves et évacue la poêle pour faire place à ma poitrine d’agneau. Comme mon ambition n’est pas de me livrer à des fantaisies culinaires mais simplement de me mettre au service des produits - des fèves venant d’être cueillies et une viande d’exception - pas d’épices dans mes assiettes : juste la pluie d’une pincée de fleur de sel sur la viande qui sera délicatement parfumée par les quelques branches de thym et de romarin qui viennent tapisser la fonte brûlante barbouillée d’huile d’olive.

Laiton sur fonte


Quelques minutes plus tard mon agneau décousu s’étend sur les assiettes. Je replace la poêle où patientent les fèves sur la surface du gril, encore chaude malgré l’extinction des feux. Mon accompagnement se remet en température pendant que la viande en profite pour reposer.

Les fèves rejoignent l’agneau Laiton, nous pouvons passer à table.

épigramme, agneau laiton, fèves
Fèves du jardin, épigramme d'agneau Laiton


Eh bien, ça valait la peine d’en découdre. La viande est succulente, juteuse, alliant ces saveurs que seul le gras peut apporter et cette rondeur que confère une touche gélatineuse.

Seul accessoire nécessaire pour réussir ; une paire de ciseaux.


samedi 3 juillet 2021

Pauvre Chinchard



Pauvre Chinchard…

Il aurait pu arriver chez moi en chantant :

J’ai besoin qu’on m’aime

Mais personne ne comprend

Ce que j’espère et que j’attends

Qui pourrait me dire qui je suis ?

Et j’ai bien peur

Toute ma vie d’être incompris

Car aujourd’hui : je me sens mal aimé

Mal aimé ! Et il n’a même pas de Chinchettes pour se trémousser derrière lui… Il est seul. Que dis-je, il n’existe pas.

Les grands anciens l’ignorent. J’ai mené des recherches approfondies : eh bien pas une ligne ne lui est consacrée dans les écrits d’un Escoffier, d’un Nignon, ni même au sein de l’œuvre encyclopédique de Joseph Favre. Mon maître Pomiane, qui pourtant se situe dans une cuisine simple, fort éloignée de celle des palaces, ne le mentionne dans aucune rubrique. La chère Madame saint Ange l’ignore superbement, pratiquant envers ce poisson bon marché un mépris dont elle n’est pourtant pas coutumière, soucieuse qu’elle est des deniers de ses disciples. 

Il en est de même en ce qui concerne des grands chefs plus contemporains : rien sur Chinchard chez Robuchon, que dalle chez Ducasse, des clous chez Piège, nib chez Martin, macache chez Chapel, bernique chez Senderens, nada chez Nasti. Quoi, j’ai oublié Lignac ? J’en ai omis bien d’autres, et l’on parle de grands chefs, n’est-ce pas ? Exceptions confirmant la règle, Coutanceau et Couillon osent l’inscrire dans leurs menus. Mais leur voisinage des flots atlantiques leur autorise toute fantaisie dans des castings marins où ce pauvre Chinchard ne tient quand même pas le premier rôle… 

Les nouvelles générations semblent donner une chance à Chinchard, mais est-ce bien pour de bonnes raisons purement gastronomiques ? Il autorise grâce à son faible coût (pourvu que ça dure…)  une excellente rentabilité tout en permettant de proposer une carte aux tarifs plus accessibles que par la facturation d’une sole ou d’un bar, avec en outre un double avantage : d’une part se draper de la toge vertueuse du recours à une pêche responsable, et d’autre part s’autocoiffer des lauriers verdoyants d'une créativité capable de conférer la noblesse à la roture…

Enfin, bref… Comme ne dirait pas le chef Pepin.

Quant au Grand Larousse de la Cuisine, s’il mentionne ce pauvre Chinchard, c’est pour le noyer ou le mettre en boîte.

CHINCHARD Poisson de mer, de la famille des carangidés, au corps allongé, de 40 à 50 cm, au dos gris bleuâtre et aux flancs argentés, avec une ligne latérale garnie de plaques osseuses, lisses près de la tête, épineuses à l’arrière. Très répandu dans les mers tempérées, abondant en été et en automne, le chinchard (appelé également saurel) s’accommode comme le maquereau et convient bien aux soupes de poissons. On en fait aussi des conserves, nature ou à la sauce tomate.


Le Divellec met le doigt sur la raison de cet ostracisme dans son livre La Cuisine de la Mer :

Les chalutiers, aujourd’hui, les pêchent en abondance au large du Ghana et de la Sierra Leone, ce poisson étant fort apprécié en Afrique noire. On le trouve également sur toutes les côtes de France et il est fréquent sur nos marchés, il est en général ramené en même temps que le maquereau. Il est peu cher mais, très souvent, est assez dédaigné malgré sa chair fine car on ne sait pas le parer ; en effet, sa ligne latérale est garnie sur toute sa longueur d’une carène formée de plaques osseuses dites scutelles, lisses près de la tête et plus épineuses vers la queue, qu’il faut prendre soin de retirer avant la cuisson lorsqu’on le poêle ou le cuit au four. De préférence meunière.

Une méconnaissance que j’ai pu vérifier une fois de plus : le poissonnier ayant prétendu habiller mes deux chinchards pour la cuisson s’est bien gardé de supprimer ces plaques si désagréables dans l’assiette, et c’est moi qui ai dû me charger de cette besogne. Qu’en aurait-il été si je n’avais pas eu connaissance de cette particularité anatomique ? Bien vraisemblablement je n’aurais jamais racheté une bestiole si fastidieuse à manger…

Alors que là nous nous sommes régalés. 


Point de meunière cependant...

Je dépose sur le gril le chinchard parsemé de fleur de sel et farci simplement d’une branche de romarin, d’une pincée de gros sel et d’une dizaine de grains de poivre blanc de Muntok.

Environ trois minutes sur chaque face, et le poisson est prêt à passer sur l’assiette.

chinchard
Chinchards déplaqués

Avant de décrire son accompagnement, il faut malheureusement préciser que cet ostracisme envers le chinchard est particulier à la France. Sans parler de l’Afrique, ce poisson est aussi très apprécié au Portugal. Je suis tenté par une recette découverte dans Cuisine Portugaise d’Évelyne Marty-Marinone paru chez Édisud :

Le chinchard entaillé est posé dans un plat sur un lit d’oignon, ail et persil hachés mélangés avec sel, laurier concassé, poivre et paprika, puis arrosé d’huile d’olive, de vin et d’eau. Il est entouré de cubes de pommes de terre et recouvert de fines tranches de lard salé blanc. Après avoir mariné une heure à température ambiante, le plat est enfourné à 220 °C puis poursuit sa cuisson à 160 °C pendant une demi-heure.


Et n'oublions pas le Japon... Les Japonais vont encore plus loin dans le respect du chinchard, quand ils le tuent sitôt pêché suivant la technique de l’ikejime avant une maturation de quelques heures – alors qu’elle est de plusieurs jours pour le thon. Je crains que les sashimis de chinchard que j’ai dégustés dans des restaurants japonisants de Paris ou de sa banlieue n’aient hélas pas subi le même rituel, n’empêche que malgré tout ils surpassaient de loin leurs équivalents découpés dans des maquereaux - par ailleurs poissons délicieux dans d'autres usages - en finesse et en tenue…


C’est précisément au Japon que j’ai fait appel pour accompagner mes chinchards : mon riz pilaf sera parfumé par un curry shichimi togarashi contenant piment de Cayenne, graines de pavot, poudre d’orange, graines de sésame, baie Sansho, gingembre, feuilles de nori.

Je fais suer au fond d’une casserole, sur un abondant trait d’huile d’olive, un oignon blanc nouveau ciselé, ajoute un brin d’origan et les trois quarts d’un petit bouquet de persil haché.

J’éteins le feu, verse une bonne cuillerée de shichimi togarashi et laisse infuser un quart d’heure.

Je ranime la flamme de l’épice inconnue, et balance un verre de riz long traditionnel dans la casserole afin de l’y faire nacrer. Je le noie sous deux verres de bouillon de volaille fumant, couvre d’un disque de papier siliconé, coiffe la casserole de son couvercle et enfourne pour vingt minutes à 170 °C.

À la sortie du four, je transfère ce riz cuivré et parfumé dans un plat en porcelaine. J’y étends le ruban du reste de persil et fais tomber quelques pincées de mon curry japonais. Un ajout superflu, car le riz est déjà suffisamment épicé : le piment de cayenne ne rechigne pas à la besogne.

shichimi togarashi , riz pilaf
Fort assaisonnement !

Retour au chapitre précédent : le riz est prêt, je le réserve dans le four éteint, le temps de m'occuper des chinchards.


Chanceux Chinchard : il est cuit à point. 

Quoique à vrai dire ce soit plutôt moi qui ai eu de la chance…


lundi 28 juin 2021

Moules sauce incurie, puis bonnes pâtes

À la mi-juin, l’envie de déguster une bonne platée de moules marinières m’est passée par la tête. Aussitôt pensé, aussitôt exécuté…

Trois livres de moules de bouchots de la baie de Saint-Brieuc bien nettoyées - à vrai dire il n’y avait pas grand-chose à faire - se sont trouvées dans le sautoir où une sauce attendait leur ouverture. J’avais fait fondre dans une noix de beurre deux échalotes ciselées avant d’y ajouter une gousse d’ail tranchée finement, une feuille de laurier, un brin de thym et surtout une bonne cuillerée de curry breton dont je ne doutais pas qu’il allait faire merveille avec ses compatriotes bivalves. Puis j’avais inondé tout ce petit monde d’un mascaret de muscadet cascadant - un grand verre - précédant une chute de persil haché qui n’a pas tardé à se noyer pendant les quelques minutes de réduction à feu vif qui ont suivi.

moules, jus de cuisson
Beau bon jus

Sans baisser la flamme j’ai balancé mes moules briochines dans le récipient fumant et coiffé le récipient de son couvercle. Après trois ou quatre minutes de feu vif et de secousses, les coquillages étaient entrouverts, et la cuisine était envahie de parfums rudement appétissants. Encore une pincée d'herbe et un soupçon de curry breton...

moules marinières, curry breton
C'est le jour d'ouverture

Il ne restait plus qu’à apporter le sautoir sur la table, accompagné d’un grand pochon pour prélever les assiettées. 

moules marinières, curry breton
Moi aussi je vais bailler ...mais d'ennui


Hélas, le bilan fut mitigé. Si le jus s’est révélé aussi délicieux que les fumets qu’il dégageait, en revanche les coquilles ne révélaient que des mollusques étiolés, maigrichons, voire ratatinés bien éloignés de ces chairs dodues dont on se demande, en les cueillant du bout des dents, comment d’aussi grosses bêtes ont pu se terrer dans un si petit réceptacle.

Eh oui, rien d’étonnant à ça, la saison des moules de bouchot débute en juillet. Je n’ai à m’en prendre qu’à moi, à mon incurie ! Que l’on me cloue au bouchot, exposé à la risée publique, c’est tout ce que je mérite…



C’est pour cette raison que je tente aujourd’hui de me racheter par un mets que j’espère réussi. Ce ne sera pas chose facile, car mon projet demande un timing méticuleux.

Ce plat consistera en des pâtes aux coques et gambas. Trois ingrédients qui nécessitent de brefs temps de cuisson bien calibrés…

Une heure avant le repas je mets à dégorger une livre de coques, précaution qui se révélera inutile car ces coquillages ne contiennent aucun sable.

Mon geste inaugural avant les cuissons est de hacher grossièrement un petit bouquet de persil, les feuilles d’un bouquet d’origan et trois petites têtes d’un ail nouveau qui vient de montrer le bout de son nez au jardin. Je réserve cette persillade améliorée.


CUISSONS :

Première étape :

Utilisant une poêle à poisson rectangulaire barbouillée d’huile d’olive en guise de plancha, je saisis une vingtaine de gambas sur chaque face seulement quelques secondes, juste le temps de colorer les carcasses en laissant cru l’intérieur. 

gambas, pâtes aux fruits de mer
L'échauffement avant l'action

J’enlève les bêtes de la poêle, les étête et les déshabille, ne laissant que la nageoire caudale. Je réserve.

Deuxième étape :

J’étale les débris de carcasse sur la même poêle que je caramélise à feu vif. 

gambas, jus
Quand la gambas se décarcasse

J’ajoute trois gousses d’ail d’Arleux en chemise grossièrement écrasées, deux branches d’origan, une de thym, une feuille de laurier, une bonne cuillerée d’huile d’olive. J’éteins le feu pour laisser infuser un quart d’heure, puis je remets à feu vif en versant deux verres de muscadet. Je laisse réduire du tiers. Je verse alors le contenu de la poêle dans un chinois placé au-dessus d’une casserole, pilonnant les têtes et carcasses pour extraire la substantifique essence. Je réserve ce jus parfumé.

Troisième étape :

Je sors la poêle destinée au service et la barbouille d’huile d’olive et je porte à ébullition une grande casserole d’eau salée. Je plonge dans le liquide bouillonnant des tagliatelles aux œufs. 


Sur le paquet, il est prescrit trois minutes de cuisson. J’évacue ces pâtes au bout de seulement une minute pour les transférer aussitôt dans cette poêle accueillante.

Quatrième étape :

Je remplace la casserole de cuisson des pâtes par celle qui contient le jus de gambas. Toujours à feu vif, je porte ce jus à ébullition en y intégrant les trois quarts de ma persillade et y verse les coques égouttées. Je coiffe d’un couvercle. Une minute plus tard, je le soulève : les coquillages ont commencé à s’ouvrir. Je secoue, encore une dizaine de secondes, et je transfère les coques légèrement entrebâillées dans le nid que j’ai creusé au centre des tagliatelles. Sans perdre un instant, j’arrose ces dernières du jus de gambas mélangé à celui exprimé par les coques et relevé d’un tour de moulin de poivre rouge.

Cinquième étape :

Je dispose les gambas décortiquées sur la couronne de pâtes. Il m’en reste trois qui viennent s’allonger sur les coques. Je place la poêle sur un feu vif pour deux minutes. Les pâtes finissent de cuire dans ce jus, s’imprégnant de ses parfums, les coques s’ouvrent complètement et les gambas se remettent à température, se nacrant au centre.

Je retire la poêle du feu et fais tomber le reste de persillade sur les coques. À l’aide d’un zesteur, je prélève des lanières dans le zeste d’un citron jaune et les éparpille sur le plat. Je termine par un trait d’huile d’olive des Baux de Provence de la variété Grossane qui ajoutera des arômes fruités.

tagliatelles, gambas, coques
Le cercle de gambas reparues


CONSOMMATION :

C’est l'étape la plus simple : il s’agit de se mettre à table et déguster. 

Ma modestie naturelle ne m’empêchera pas de chanter les louanges de ce plat, les cuissons sont toutes réussies, respectant les textures et les goûts. De plus, contrairement à mes non regrettées moules malingres, ces coques sont pleines à souhait d’une chair empreinte de délectables saveurs iodées qui transportent au bord de la mer.

Je ne crierai pas haro sur la moule car je suis le seul coupable. 

Non, je chanterai coqu’orico, dansant la tagliatelle pendant que les gambas se décarcassent à en perdre la tête. C’est la fête !


samedi 26 juin 2021

Dans de beaux draps


Alléluia ! Première récolte de petits pois au jardin !

Bien entendu, je les ai traités avec tout le soin qu’ils méritaient. J’ai étendu au fond de la casserole un lit douillet de feuilles d’une laitue issue d’une planche voisine, agrémenté de quelques noisettes de beurre doux de Charentes Poitou. J’avais ciselé un trio de feuilles de menthe poivrée, ces petites lanières sont venues se mélanger avec les tendres grains, ainsi qu’un quintet (à claques ?) de mini-oignons blancs nouveaux, derniers rescapés d’une botte largement mise à contribution les jours précédents. J’ai ajouté les découpes en longueur d’une carotte - la touche rouge qui me manquait. Un petit verre d’eau fraîche pour la route, deux ou trois pincées de gros sel de l’île de Ré, un nouveau quintet (de l’art ?) et j’ai étendu les draps du dessus, en l’occurrence les dernières feuilles de la salade. Un disque de papier sulfurisé troué au centre, le couvercle, et, hop, la casserole sur la flamme. Une dizaine de minutes plus tard, les petits pois étaient à point. Pendant cette cuisson végétarienne, je n’ai pas perdu mon temps. J’aime bien les légumes, surtout fraîchement arrivés du jardin, je m’en régale même, mais ce n’est pas pour autant que je me laisserai priver de viande, qu’elle soit brute et sanguinolente, à peine saisie sur la poêle ou sur le gril, mitonnée longuement dans une cocotte, ou transformée avec talent par un artisan. Pour accompagner ces petits pois, c’est un charcutier alsacien qui viendra à ma rescousse…

J’ai choisi de déposer une noix de beurre au fond d’une poêle et d’y allonger trois saucisses paysannes qui s’y coloreront doucement. Doucement, car il s’agissait de ne pas les laisser s’éclater - le droit à s’éclater m’est réservé. Ces saucisses paysannes sont une version de la Brotwurscht hachée moins finement que la traditionnelle, ce qui leur donne plus de mâche. Une telle déclinaison était donc parfaite pour offrir un jeu de texture avec la tendreté des petites sphères vertes crevant sur la langue au moindre effleurement quenotteux ou ratichaire (ça dépend de l’âge de l’impatient…) et elle était suffisamment discrète pour laisser le premier rôle à la vedette horticole.

Charcuterie et petits pois furent prêts à envahir les assiettes quasiment à la même seconde.

J’ai alors déployé quelques draperies, apparitions d’une chrysoprase fantomatique dans la nuit veinée que bientôt une grêle smaragdine (ouais, c’est un mot que j’aime bien - presque autant que les petits pois…) va venir colorer. L’andrinople (j’aime un peu moins, mais je ferai avec…) de ma flèche finale s’est planté loin du cœur - je vise mal - ce qui ne m’empêche pas de déposer le bouquet de la victoire sous la forme d’une pousse de menthe poivrée qui me rappelle que je ne dois pas oublier que je dois donner un tour de moulin de ces grains rouges de Kampot si parfumés.

Et hop la, à table !

petits pois, saucisse alsacienne
Attaque de saucisses paysannes sur des petits pois dans de beaux draps


Afin de continuer à surfer sur ma vague alsacienne, je décapsule des bouteilles d’une excellente bière artisanale du Haut-Rhin à l’agréable amertume et qui regorge de houblon - les deux faits étant probablement liés...


Pas de dessert, le repas se terminera par la dégustation d’un munster blanc, simplement salé mais non encore affiné.

Il est frais à souhait.

munster jeune
Munster blanc

Je suis comblé, car depuis bien longtemps j’ai été privé de ce fromage aux suaves saveurs de lait cru dont je m’étais régalé jadis en alternance avec des munsters bien affinés au cours d’un séjour à Orbey.

Hélas, ce qu’il m’est impossible de retrouver à domicile, c’est la délicatesse des vraies truites au bleu recroquevillées dans mon assiette, sorties de leur eau glacée montagnarde quelques secondes avant leur cuisson par le cuisinier du petit restaurant à deux pas de la location d'où je pouvais voir depuis la fenêtré de ma chambre des vaches intrépides jouer au dahu sur les pentes herbeuses. 

Ce brave homme préparait aussi de savoureux râbles de lièvre à la crème  au cœur rosé, presque saignant, accompagnés de Spâtzle brillantes sous leur voile de beurre fondu, plat dont heureusement l’imitation est plus à ma portée - tout au moins la tentative.

Et le kirsch aux fragrances puissantes distillé par le fermier... Hum !

Et... Et...

Conclusion : le petit pois versaillais peut rouler pour nous emporter jusqu’en Alsace. Étonnant, non.