mercredi 14 juillet 2021

Entrecôte NTV

 « Ah non, c’est un peu mince, jeune homme ! » vs « Ô, beau morceau, tu ne seras pas pour moi…. »

C’est l’éternel dilemme de l’entrecôte de ménage : soit l’on choisit une découpe portion, soit l’on opte pour l’entrecôte à se partager à deux.

Dans le premier cas, le ratio de viande saignante me paraît toujours trop faible.

Dans le second c’est un sentiment de frustration qui m’envahit. En effet l’entrecôte offre une vraie géographie : carte du tendre avec ses sillons persillés, mais aussi coulées de bonne graisse goûteuse, falaises d’aponévrose battues par le jus de cuisson, gisements gélatineux qui se délitent sur la flamme pour envahir les minces fissures qui s’épanouissent sur les plaines dorées par l’arrosage de beurre mousseux, bref tout un territoire aux multiples parfums à explorer au gré de ses envies et à saccager armé de la lame de son couteau, ne laissant plus après ce combat sanglant que quelques tristes lambeaux prouvant que nobody is perfect, même pas l’entrecôte.


Ainsi, il y a quelques semaines, ayant posé sur ma planche une entrecôte de 600 g, je m’étais livré au partage classique :

Dans une assiette, les morceaux 1,3, 5 ; dans l’autre, 2, 4, 6. Eh bien, si pour les découpes centrales, cette répartition ne me pose guère de problème, en revanche les extrémités offrant des sensations bien différentes, je supporte mal la privation de l’un de ces deux morceaux. Le plaisir n'était donc pas complet.


Afin d'éviter ce déplorable arrière-goût postprandial dans le domaine gastronomico-intercostal, j’ai préféré pour une nouvelle commande bouchère acquérir une paire d’entrecôtes de 300 g. Las, le bœuf d’Aubrac est costaud, et même avec un tel poids, a priori bien suffisant pour une personne, la pièce est bien mince, trop mince…

En dépit d’une cuisson rapide selon les règles de l’art, mon entrecôte minute m’a laissé une fois de plus insatisfait. Peut-être avec une sauce bordelaise ou Bercy ces minces feuilles bovines eussent-elles su réjouir mon palais, mais dans leur simplicité quand même plus diététique, non, ce n’était pas ça… Encore déplorable amertume postprandiale !


Aux petits maux, les grands moyens. Il faut ce qu’il faut. Ma dernière commande fut de deux entrecôtes de 600 g… Nous allons enfin pouvoir nous entrecôter à fond ! Quoi, c’est trop ? Non non, je nique les vegans !

Le résultat me confirme que j’ai fait le bon choix.

Je laisse reposer mes entrecôtes à température ambiante. C’est ma grande poêle en acier de 36 cm qu’il me faut sortir. Je la pose sur une flamme, y fait choir une noisette de beurre destinée à favoriser la coloration. Je parsème les entrecôtes de fleur de sel de l’île de Ré - saler avant la cuisson permet une meilleure diffusion. Je les étends sur le fond de la poêle où elles tiennent ric-rac. Il ne faut pas brusquer de telles pièces, le feu n’est pas à son maximum, ce sera juste un petit câlin Maillard. Une minute de chaque côté, puis je baisse encore la flamme. Je passe à une autre phase de cuisson : j’ajoute une grosse noix de beurre qui me sert à nourrir les entrecôtes que je retourne régulièrement et arrose d'une cuillère dévouée. Au bout de cinq minutes environ j’éteins le feu, et je laisse reposer la viande pendant cinq nouvelles minutes.

Si je nique les vegans, je ne dédaigne pas pour autant les végétaux.

J’avais sous la main un nouvel arrivage de petits pois du jardin. Je les ai simplement blanchis six minutes à l’eau salée avant de les refroidir sous le robinet. Ils m’attendent, égouttés, dans un bac. Je les verse dans la poêle de cuisson des entrecôtes où ils vont se réchauffer à feu doux dans le beurre fondu empreint des arômes carnassiers.

Je disposais aussi de trois pommes de terre arrachées le matin même. Je les ai tranchées finement et là elles finissent de dorer au fond d’une poêle - nettement plus petite que celle utilisée pour la viande - dans un mélange d’huile d’olive et de beurre doux de Surgères.

Tout est donc là pour passer au dressage. J’ai retenu deux assiettes de taille à peine suffisante dont la grisitude éclairée du tracé d’un cercle fantomatique par un pinceau incertain me semblait apte à épauler discrètement les teintes végétales et carnées de ce mets rustique.

J’étends l’entrecôte bien reposée, verse les petits pois bien oints, transfère les pommes de terre bien sautées, rehausse d’un tour de moulin de poivre bien odoriférant. Je suis bien content.

Entrecôte
Entrecôte NTV


L’Entrecôte Nique Ton Vegan était un régal !


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