À la mi-juin, l’envie de déguster une bonne platée de moules marinières m’est passée par la tête. Aussitôt pensé, aussitôt exécuté…
Trois livres de moules de bouchots de la baie de Saint-Brieuc bien nettoyées - à vrai dire il n’y avait pas grand-chose à faire - se sont trouvées dans le sautoir où une sauce attendait leur ouverture. J’avais fait fondre dans une noix de beurre deux échalotes ciselées avant d’y ajouter une gousse d’ail tranchée finement, une feuille de laurier, un brin de thym et surtout une bonne cuillerée de curry breton dont je ne doutais pas qu’il allait faire merveille avec ses compatriotes bivalves. Puis j’avais inondé tout ce petit monde d’un mascaret de muscadet cascadant - un grand verre - précédant une chute de persil haché qui n’a pas tardé à se noyer pendant les quelques minutes de réduction à feu vif qui ont suivi.
Beau bon jus |
Sans baisser la flamme j’ai balancé mes moules briochines dans le récipient fumant et coiffé le récipient de son couvercle. Après trois ou quatre minutes de feu vif et de secousses, les coquillages étaient entrouverts, et la cuisine était envahie de parfums rudement appétissants. Encore une pincée d'herbe et un soupçon de curry breton...
C'est le jour d'ouverture |
Il ne restait plus qu’à apporter le sautoir sur la table, accompagné d’un grand pochon pour prélever les assiettées.
Moi aussi je vais bailler ...mais d'ennui |
Hélas, le bilan fut mitigé. Si le jus s’est révélé aussi délicieux que les fumets qu’il dégageait, en revanche les coquilles ne révélaient que des mollusques étiolés, maigrichons, voire ratatinés bien éloignés de ces chairs dodues dont on se demande, en les cueillant du bout des dents, comment d’aussi grosses bêtes ont pu se terrer dans un si petit réceptacle.
Eh oui, rien d’étonnant à ça, la saison des moules de bouchot débute en juillet. Je n’ai à m’en prendre qu’à moi, à mon incurie ! Que l’on me cloue au bouchot, exposé à la risée publique, c’est tout ce que je mérite…
C’est pour cette raison que je tente aujourd’hui de me racheter par un mets que j’espère réussi. Ce ne sera pas chose facile, car mon projet demande un timing méticuleux.
Ce plat consistera en des pâtes aux coques et gambas. Trois ingrédients qui nécessitent de brefs temps de cuisson bien calibrés…
Une heure avant le repas je mets à dégorger une livre de coques, précaution qui se révélera inutile car ces coquillages ne contiennent aucun sable.
Mon geste inaugural avant les cuissons est de hacher grossièrement un petit bouquet de persil, les feuilles d’un bouquet d’origan et trois petites têtes d’un ail nouveau qui vient de montrer le bout de son nez au jardin. Je réserve cette persillade améliorée.
CUISSONS :
Première étape :
Utilisant une poêle à poisson rectangulaire barbouillée d’huile d’olive en guise de plancha, je saisis une vingtaine de gambas sur chaque face seulement quelques secondes, juste le temps de colorer les carcasses en laissant cru l’intérieur.
L'échauffement avant l'action |
J’enlève les bêtes de la poêle, les étête et les déshabille, ne laissant que la nageoire caudale. Je réserve.
Deuxième étape :
J’étale les débris de carcasse sur la même poêle que je caramélise à feu vif.
Quand la gambas se décarcasse |
J’ajoute trois gousses d’ail d’Arleux en chemise grossièrement écrasées, deux branches d’origan, une de thym, une feuille de laurier, une bonne cuillerée d’huile d’olive. J’éteins le feu pour laisser infuser un quart d’heure, puis je remets à feu vif en versant deux verres de muscadet. Je laisse réduire du tiers. Je verse alors le contenu de la poêle dans un chinois placé au-dessus d’une casserole, pilonnant les têtes et carcasses pour extraire la substantifique essence. Je réserve ce jus parfumé.
Troisième étape :
Je sors la poêle destinée au service et la barbouille d’huile d’olive et je porte à ébullition une grande casserole d’eau salée. Je plonge dans le liquide bouillonnant des tagliatelles aux œufs.
Sur le paquet, il est prescrit trois minutes de cuisson. J’évacue ces pâtes au bout de seulement une minute pour les transférer aussitôt dans cette poêle accueillante.
Quatrième étape :
Je remplace la casserole de cuisson des pâtes par celle qui contient le jus de gambas. Toujours à feu vif, je porte ce jus à ébullition en y intégrant les trois quarts de ma persillade et y verse les coques égouttées. Je coiffe d’un couvercle. Une minute plus tard, je le soulève : les coquillages ont commencé à s’ouvrir. Je secoue, encore une dizaine de secondes, et je transfère les coques légèrement entrebâillées dans le nid que j’ai creusé au centre des tagliatelles. Sans perdre un instant, j’arrose ces dernières du jus de gambas mélangé à celui exprimé par les coques et relevé d’un tour de moulin de poivre rouge.
Cinquième étape :
Je dispose les gambas décortiquées sur la couronne de pâtes. Il m’en reste trois qui viennent s’allonger sur les coques. Je place la poêle sur un feu vif pour deux minutes. Les pâtes finissent de cuire dans ce jus, s’imprégnant de ses parfums, les coques s’ouvrent complètement et les gambas se remettent à température, se nacrant au centre.
Je retire la poêle du feu et fais tomber le reste de persillade sur les coques. À l’aide d’un zesteur, je prélève des lanières dans le zeste d’un citron jaune et les éparpille sur le plat. Je termine par un trait d’huile d’olive des Baux de Provence de la variété Grossane qui ajoutera des arômes fruités.
Le cercle de gambas reparues |
CONSOMMATION :
C’est l'étape la plus simple : il s’agit de se mettre à table et déguster.
Ma modestie naturelle ne m’empêchera pas de chanter les louanges de ce plat, les cuissons sont toutes réussies, respectant les textures et les goûts. De plus, contrairement à mes non regrettées moules malingres, ces coques sont pleines à souhait d’une chair empreinte de délectables saveurs iodées qui transportent au bord de la mer.
Je ne crierai pas haro sur la moule car je suis le seul coupable.
Non, je chanterai coqu’orico, dansant la tagliatelle pendant que les gambas se décarcassent à en perdre la tête. C’est la fête !
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