samedi 26 juin 2021

Dans de beaux draps


Alléluia ! Première récolte de petits pois au jardin !

Bien entendu, je les ai traités avec tout le soin qu’ils méritaient. J’ai étendu au fond de la casserole un lit douillet de feuilles d’une laitue issue d’une planche voisine, agrémenté de quelques noisettes de beurre doux de Charentes Poitou. J’avais ciselé un trio de feuilles de menthe poivrée, ces petites lanières sont venues se mélanger avec les tendres grains, ainsi qu’un quintet (à claques ?) de mini-oignons blancs nouveaux, derniers rescapés d’une botte largement mise à contribution les jours précédents. J’ai ajouté les découpes en longueur d’une carotte - la touche rouge qui me manquait. Un petit verre d’eau fraîche pour la route, deux ou trois pincées de gros sel de l’île de Ré, un nouveau quintet (de l’art ?) et j’ai étendu les draps du dessus, en l’occurrence les dernières feuilles de la salade. Un disque de papier sulfurisé troué au centre, le couvercle, et, hop, la casserole sur la flamme. Une dizaine de minutes plus tard, les petits pois étaient à point. Pendant cette cuisson végétarienne, je n’ai pas perdu mon temps. J’aime bien les légumes, surtout fraîchement arrivés du jardin, je m’en régale même, mais ce n’est pas pour autant que je me laisserai priver de viande, qu’elle soit brute et sanguinolente, à peine saisie sur la poêle ou sur le gril, mitonnée longuement dans une cocotte, ou transformée avec talent par un artisan. Pour accompagner ces petits pois, c’est un charcutier alsacien qui viendra à ma rescousse…

J’ai choisi de déposer une noix de beurre au fond d’une poêle et d’y allonger trois saucisses paysannes qui s’y coloreront doucement. Doucement, car il s’agissait de ne pas les laisser s’éclater - le droit à s’éclater m’est réservé. Ces saucisses paysannes sont une version de la Brotwurscht hachée moins finement que la traditionnelle, ce qui leur donne plus de mâche. Une telle déclinaison était donc parfaite pour offrir un jeu de texture avec la tendreté des petites sphères vertes crevant sur la langue au moindre effleurement quenotteux ou ratichaire (ça dépend de l’âge de l’impatient…) et elle était suffisamment discrète pour laisser le premier rôle à la vedette horticole.

Charcuterie et petits pois furent prêts à envahir les assiettes quasiment à la même seconde.

J’ai alors déployé quelques draperies, apparitions d’une chrysoprase fantomatique dans la nuit veinée que bientôt une grêle smaragdine (ouais, c’est un mot que j’aime bien - presque autant que les petits pois…) va venir colorer. L’andrinople (j’aime un peu moins, mais je ferai avec…) de ma flèche finale s’est planté loin du cœur - je vise mal - ce qui ne m’empêche pas de déposer le bouquet de la victoire sous la forme d’une pousse de menthe poivrée qui me rappelle que je ne dois pas oublier que je dois donner un tour de moulin de ces grains rouges de Kampot si parfumés.

Et hop la, à table !

petits pois, saucisse alsacienne
Attaque de saucisses paysannes sur des petits pois dans de beaux draps


Afin de continuer à surfer sur ma vague alsacienne, je décapsule des bouteilles d’une excellente bière artisanale du Haut-Rhin à l’agréable amertume et qui regorge de houblon - les deux faits étant probablement liés...


Pas de dessert, le repas se terminera par la dégustation d’un munster blanc, simplement salé mais non encore affiné.

Il est frais à souhait.

munster jeune
Munster blanc

Je suis comblé, car depuis bien longtemps j’ai été privé de ce fromage aux suaves saveurs de lait cru dont je m’étais régalé jadis en alternance avec des munsters bien affinés au cours d’un séjour à Orbey.

Hélas, ce qu’il m’est impossible de retrouver à domicile, c’est la délicatesse des vraies truites au bleu recroquevillées dans mon assiette, sorties de leur eau glacée montagnarde quelques secondes avant leur cuisson par le cuisinier du petit restaurant à deux pas de la location d'où je pouvais voir depuis la fenêtré de ma chambre des vaches intrépides jouer au dahu sur les pentes herbeuses. 

Ce brave homme préparait aussi de savoureux râbles de lièvre à la crème  au cœur rosé, presque saignant, accompagnés de Spâtzle brillantes sous leur voile de beurre fondu, plat dont heureusement l’imitation est plus à ma portée - tout au moins la tentative.

Et le kirsch aux fragrances puissantes distillé par le fermier... Hum !

Et... Et...

Conclusion : le petit pois versaillais peut rouler pour nous emporter jusqu’en Alsace. Étonnant, non.


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