jeudi 8 avril 2021

Pâques en pack



JEUDI 1er AVRIL :


Il y aura une bonne farce en ce 1er avril.

Mais pas de cette catégorie :



Je me lance dans la confection de la farce destinée à garnir mon pâté de Pâques. Je déballe le kilo de gorge de porc commandé à mon éleveur normand habituel et le kilo d’épaule de veau baptisé blanquette par le boucher, ainsi qu’un sachet contenant 350 g de foies de volaille achetés chez le volailler.

Ma première préparation est celle de la farce à gratin, qui devra refroidir. Pour ce faire, je cisèle finement au couteau deux échalotes que je fais tomber au fond d’une poêle sur une grosse noix de beurre. J’y ajoute les foies mixés, verse un petit verre de porto et dessèche à feu doux la bouillie obtenue que j’ai relevée d’une pincée de quatre-épices et un tour de moulin de poivre rouge. Je réserve au frais.

Je découpe grossièrement les viandes en gros cubes aptes à être hachés rapidement dans la cuve de mon gros robot multifonction. J’isole les plus beaux morceaux pour les découper au couteau en gros dés qui donneront de la mâche à la chair du pâté.

Je mélange la viande de porc et de veau hachée avec ma découpe et incorpore la farce à gratin. Je sale en raison de 16 g par kilo, j’ai pesé, 2 312 g, ce sont donc 37 g de sel de Guérande qui pleuvent dans le cul-de-poule., Je continue à mélanger en versant un verre d’armagnac et en parfumant de feuilles de thym, d’origan, et de quelques grains de cubèbe. Je laisse reposer ce mélange quatre à cinq heures.

Pâques, pâté en croute
La chair n'est pas triste


J’enchaîne en préparant la pâte. Je pétris 600 g de farine T55 avec 250 g de beurre, 50 g de saindoux, un œuf et une petite cuillerée de sel. Je boule et réserve au frais sous un film.

J’ai acheté six œufs, de petit calibre afin qu’ils n’occupent pas trop de volume aux dépens de la viande. Je les plonge (délicatement, s’agit pas de les fêler…) dans une casserole d’eau frémissante. Je les sors au bout de huit minutes et les replonge, mais dans de l’eau glacée (s’agit pas de les surcuire, d’autant plus qu’ils ont encore un avenir de cuisson...). Je réserve


Arrive l’heure du façonnage.

J’étends la pâte, découpe deux rectangles afin de revêtir les côtés du moule graissés à la bombe de démoulage. J’enfonce ensuite le rectangle du fond et veille à ce que l’ensemble devienne bien solidaire. J’étends une couche de mon mélange de chairs, tasse bien.  Je continue en créant un petit nid pour y allonger les œufs que j’ai écaillés et dont j’ai enlevé une partie des extrémités de blanc dans l’objectif d’un relatif égalitarisme des parts après tranchage… Je cale bien en enfonçant cette même farce sur les côtés, puis poursuis en comblant le vide jusqu’au sommet du moule. Et que je tasse et je retasse… Il n’y a plus qu’à sceller le pâté en y apposant le dessus.

Et là, ça se gâte. J’ai vu trop juste dans la hauteur de mes découpes de côtés de pâte que le tassage a eu tendance à déplacer vers le bas. Tant pis, ça relèvera du bricolage, et ma corniche sera plutôt disgracieuse… 

Après un acrobatique chiquetage, la jonction me semble faite. Un emporte-pièce qui n'est en l’occurrence qu’un  vulgaire ôte trognon pour pommes me permet de dégager trois cheminées.

Je réserve le résultat de cette laborieuse construction au frais, le temps de réaliser une terrine avec le reste de chairs. J’avais prévu ce surplus et commandé aussi de la barde et de la crépine de porc, donc pas de problème : je tapisse mon récipient en faïence et l’emplis à ras bord. Je recouvre d’une crépine dissimulant une feuille de laurier, une branche de thym et quelques grains de genièvre et de poivre noir.

J’enfourne pâté et terrine dans un four à 210 °C non sans avoir introduit une sonde par l’orifice d’une de mes cheminées. Au bout d’une dizaine de minutes, je baisse la température du four à 180 °C. Un peu moins de trente minutes plus tard la sonde m’envoie un message me signifiant que la température interne de 85 °C est atteinte. Je défourne donc le pâté en croûte et le pose sur le plan de travail afin qu’il refroidisse. Je me réjouis, car il ne me semble pas constater d’écoulements intempestifs…

Je doute que la température interne soit identique pour la terrine. Une sonde plongée momentanément en son cœur me le confirme : on dépasse à peine les 50 °C. Je recoiffe et réintègre au four. Au pifomètre, je programme une nouvelle quarantaine de minutes de cuisson. Bingo ! La sonde replongée me révéle que l’on a atteint 84 °C. Avec l’inertie thermique du récipient en terre, cela suffira bien…


Alea jacta est ! Que se passera-t-il pendant le démoulage du pâté en croûte ? Jour de gloire ou de honte ?

Je me lance. Un peu de résistance, j’insiste, et finalement le fond glisse, me permettant d’écarter les côtés du moule après les avoir débarrassés des piques de fixation. Eh ben, ni gloire ni honte. Pas d’écroulement ni de décollements malencontreux de croûte, mais une esthétique plutôt grossière, il me faut bien le reconnaître…

pâté de Pâques
Un pâté chevronné


Je ferai mieux la prochaine fois, l’important c’est de participer, et puis j’ai farci d’une bonne dose d’amour, blabla, blabla

Quant à la gelée comble cavités et revêtement de surface, elle viendra demain, quand le froid sera parfait.

Ce soir, œufs au plat et morilles… Mais ceci est une autre histoire !



VENDREDI 2 AVRIL :


Vendredi saint

Après avoir introduit ma gelée dans le pâté en croûte et sur la terrine, je passe à la confection du traditionnel gratin de morue.

Je prélève sur la grosse demi-morue salée achetée chez l’épicier portugais des halles les découpes les moins nobles, qui ne sauraient être servies entières pochées ou grillées. Je les mets à dessaler dans de l’eau fraîche, posés sur une grille la peau vers le haut. Il est de tôt matin. En changeant régulièrement l’eau, ce devait être à point pour le repas du soir.


En attendant ce moment, c’est l’occasion de confectionner une tarte avec les chutes de pâte de la veille. Elle sera aux poires, avec un appareil mélange au pifomètre de poudre d’amande, de sucre, de crème, de lait et d’œuf.

À la sortie du four le résultat semble concluant.

tarte aux poires
Tarte pas du tout tartignole


Mais revenons à nos morues…

Le préliminaire, c’est de cuire quatre œufs durs. Pas trop, comme pour le pâté de Pâques. 

Puis je pose mes morceaux de morue au fond d’un sautoir, les noie sous l’eau froide. Je place sur une flamme que j’éteins au premier bouillonnement. Je laisse reposer un quart d’heure avant de sortir mon poisson avec une araignée. Il me faut alors me dépêcher de décoller la peau et extraire les arêtes avant refroidissement.

Cette opération menée à bien, j’organise mon plan de travail : à ma gauche des pommes de terre de bonne taille et un économe-rasoir de compet, une planche et une mandoline japonaise, devant moi un plat en terre beurré, une bouteille de lait, à ma droite la morue déchiquetée.

Mon idée c’est de disposer directement les strates de pomme de terre tranchées sans étapes intermédiaires afin d’en préserver tout l’amidon. J’épluche chaque tubercule au-dessus de la plaque en inox et le passer aussitôt à la mandoline pour faire tomber les tranches sur la planche avant que je m’en empare aussitôt, direction le plat. Je privilégie aussi une coupe de tranches relativement épaisses, 3 mm environ, pour former le socle qui supportera les œufs, puis je règle à 2 mm avant d’étendre la couche de morue. Bien entendu j’assaisonne - le mot est mal choisi car le sel est absent, poisson salé oblige, donc plutôt je parfume régulièrement de poivre blanc et de noiex de muscade râpée. Sur la morue, je complète avec quelques pincées de New England Seafood Saisonning. Pour coiffer le plat d'une dernière strate, je fais passer la mandoline à une découpe d’à peine plus d’1 mm, espérant ainsi obtenir du croustillant à la surface du plat. Et comme j’ai souvent constaté que l’enfournent ne convenait guère à de malheureux œufs durs qui n’en demandaient pas tant et dont le blanc croûtait de façon peu agréable, dans l’impossibilité que je suis de les ensevelir complètement, je me propose de leur fournir une sorte de croûte protectrice en les recouvrant d’une cuillerée de Corn Meal. Je termine en versant du lait entier à hauteur et en posant quatre grosses noix de beurre doux sur les petits monticules de farine de maïs. Des feuilles de thym tombées d’une branche séchée, une feuille de laurier posée au centre du plat : tout y est, le four est à 170 °C, je peux enfourner.

Mon gratin de morue a passé une quarantaine de minutes à cette température, un dernier épisode à 185 °C pour dorer le dessus, et ça devrait être bon. Je sors le plat.

gratin de morue
Morue de 2021


Je ne regrette pas mes coiffes de Corn Meal. Elles ont effectivement protégé les œufs et en outre amélioré le visuel par l’apport de taches jaunes. En revanche j’aurais dû barbouiller les tranches de pommes de terre en surface de beurre fondu afin de leur conférer de la brillance. Et surtout mon socle épais était une mauvaise idée : sa cuisson est très limite !



SAMEDI 3 AVRIL :


La veille de ce jour l’ostréiculteur venu de Bretagne assurait son dernier jour de présence aux halles locales avant son retour en automne. Nous ne pouvions manquer cette ultime occasion saisonnière de plonger dans les eaux de l’île de Gavrinis.

Il y a donc sur la table un plateau panaché d’huîtres creuses et huîtres plates.

plateau d'huîtres
Quittons l'île (provisoirement...)


Mais pour les accompagner j’ai auparavant confectionné un pain de sarrasin qui devrait bien fonctionner avec des coquillages.

La pâte est obtenue à partir de :

375 g de farine de sarrasin

25 g d’huile de colza

1 petite cuillerée de miel d’acacia

J’y incorpore 35 cl d’eau chauffée à environ 50 °C et brasse bien. Une fois cette pâte revenue à une température plus raisonnable, j’ajoute 3 g de levure déshydratée et mélange vigoureusement. Je verse dans un moule à cake droit de 25 x 8 x 8 cm et laisse pousser jusqu’à ce que la surface commence à craquer. J’enfourne à 24 °C pour 12 minutes suivies de 20 minutes à 210 °C.

À la sortie du four l’aspect de cette galette en 3D était plutôt engageant.

pain de sarrasin
Vive la Bretagne

Maintenant j’en découpe une tranche que je tartine d’un beurre demi-sel de ferme que j’avais laissé à température ambiante depuis une bonne demi-heure afin qu’il ne renâcle pas pour s’étendre sur la mie.

beurre demi-sel, ferme
Beurre de  ferme qui n'est plus ferme


Je teste pain maison et beurre fermier avec un échantillon ostréicole.

huitres
Ce n'est qu'un début


Le pain est correct, mais est loin de valoir celui confectionné avec la farine Breizhic que malheureusement les Moulins de Versailles ont retiré de leur catalogue.

Le beurre est goûteux, même si son excellence n’est pas proportionnelle à la surface de son papier d’emballage, feuille que pour une fois je ne maudirai pas au moment du rempaquetage préfigorifique, contrairement à celle d’un Pamplie ou Surgères dont l’ajustage millimétrique donne une piètre idée de la générosité laitière et suppose une indigne indifférence envers l’avenir d’un beurre dont l’épaule fatalement dénudée sous une telle vêture subira les miasmes ambiants de son séjour carcéral. Il est vrai qu’avec les tarifs pratiqués dans cette ferme, point de minijupe de chez Monop, la robe de soirée ne peut être que de rigueur… Mais tout de même, où est donc passée l’étincelante parure de cristaux de sel qui apporterait encore plus de classe ? Il y a du laisser-aller rural !


Pour finir, une part de la tarte aux poires. Le pifomètre était parfaitement réglé !

tarte aux poires
Non mais, comment elle me regarde !

Miam !



DIMANCHE 4 AVRIL :


Cette année encore, un petit gigot d’agneau de lait des Pyrénées est inscrit au menu.

J’avais prévu de le préparer avec de l’aillet, mais impossible de m’en procurer cette année dans ma méchante ville… Aussi, aillet pas, mais ail y aura.

Pour changer, je choisis de pratiquer une cuisson sous vide. Alors, zou, de vide en vide.

Je sors le gigot du sachet sous vide dans lequel il a voyagé, le pose sur une planche et sépare la souris que je réserve.

agneau de lait des Pyrénées, gigot
C'est dur de quitter sa souris...

Je scarifie la graisse et passe à l’assaisonnement : je parsème la pièce de fleur de sel, d’une cuillerée à café de cumin, d’autant de fenugrec et de piment d’Espelette, des graines extraites d’une dizaine de baies de cardamome. Je l’enfile dans un sac plastique au milieu des éclats de cinq gousses d’ail rose de Lautrec en ajoutant trois feuilles de laurier, de petites branches de thym et d’origan, d’une sommité de romarin. Pour finir sur chaque face j’appose une grosse noix de beurre doux.

Et la Magivac pompait, pompait…

Le gigot se retrouve dans le vide. « Ah, ras le bol de pas d’air, pas d’air, moi qui gambadais sur les sommets venteux… »

agneau de lait des Pyrénées, gigot
L'agneau a horreur du vide


Je plonge le sac dans un grand bac empli d’eau que j’ai déjà chauffée pour faciliter la tâche du thermoplongeur.

« Eh ben maintenant la flotte ! J’aurai tout subi ! »

De la flotte, certes, mais à une température idéale : 56,5 °C.

cuisson sous vide
Sous le film anti-évaporation, l'eau


Le gigot restera bien à l’abri sous sa protection imperméable au sein de cette piscine chauffée un peu plus de quatre heures.


Mais pendant que le gigot somnole, la souris va danser. En effet je la destine à réaliser un jus d'agneau.

Dans une casserole je pince cette viande à sec en compagnie d’une garniture aromatique composée d’oignon, de carotte et de céleri. Je recouvre largement d’eau, complète d’une gousse d’ail en chemise et quelques tronçons découpés dans un petit poireau. Une feuille de laurier, une branche d’origan, quelques grains de cubèbe et je baisse la flamme. Je laisse bloublouter tranquillement à couvert durant trois bonnes heures. À ce moment le contenu a fortement réduit. J’ajoute une cuillerée de vinaigre traditionnel balsamique de Modène et un trait de sauce Worcestershire, une pincée de piment d’Espelette.

Je continue la réduction. Je retire du feu quand il ne reste plus qu’un jus poisseux au fond de la casserole. Je réserve.

Beaucoup de temps mort, me direz-vous… Mais croyez-vous que je sois resté les bras croisés ? Que nenni !

Pendant que ça bloubloute dans la casserole et que ça ronronne dans le bac j’allume le four et le régle à 190 °C. Le temps qu’il monte à température je partage en deux un butternut et le débarrasse de ses pépins et filaments. J’allonge ces deux moitiés sur un plat en inox et j’enfourne. Quarante minutes plus tard je défourne, extrais la pulpe à la cuillère, l’écrase, ajoute un quart de verre de lait et une noix de beurre. Je relève d'une pincée de sel, puis râpe avec parcimonie et Microplane réunies un soupçon de noix de Tonka que je fais tomber sur la masse orangée que je brasse au fouet. Je réserve.

Enfin je dispose d’un sextuor de grosses asperges vertes des Landes. Je les pare et les réserve dans une bassine, leur pied baignant dans l’eau fraîche salée.



LE REPAS

En préliminaire je blanchis mes asperges par une immersion de cinq minutes dans de l’eau bouillante bien salée, les sors et les étends sur une grille.

J'évacue le sac contenant le gigot de son bain, l’ouvre et en extrait la pièce que je saisis à feu vif quelques secondes afin de la colorer sur une poêle enduite d’un filet d’huile d’olive. J’étends le gigot désormais bien doré sur une planche et laisse reposer

agneau de lait des Pyrénées, gigot
Après bronzage


Et voici l’arrivée du pâté de Pâques en croûte. Garni d’œufs durs comme le veut la tradition…

D’un couteau un peu craintif - quelle sera la tenue de ma construction ? - je sépare l’entame, que je mets de côté, puis ma première tranche. Ouf, la découpe est honorable. Je peux passer à la deuxième part.

Je dispose sur les assiettes avec un soupçon de cresson offrant une charmante agressivité en bouche et quelques caprons acidulés.

pâté de Pâques
Pâté maison

Eh bien la dégustation n'est pas décevante, la proportion de veau voit sa sécheresse bien compensée par la teneur en gras de la gorge de porc, et le dosage des épices serait parfait si la perfection était de ce monde. Peut-être qu’un peu plus de saindoux aurait rendu la pâte encore plus croustillante - mais j’avais été échaudé par un excès précédent dans son introduction, rendant la pâte crue impossible à manipuler…


Mais pas le temps de me lancer dans l’autosatisfaction, le plus dur reste à faire.

Je cours vers la cuisine tel un candidat de Top Chef qui revient du garde-manger, me saisis d’une poêle dans laquelle je fais mousser une grosse noix de beurre demi-sel avant d’y rouler une ou deux minutes mes asperges. Je mets de côté pendant que je remets à température la purée de butternut et achève la réduction de mon jus d’agneau que je verse à travers un chinois dans une petite casserole. Il est bien sirupeux, et je vanne avec une noisette de beurre pour lui donner du brillant.

Je prélève quelques tranches de mon gigot d’agneau de lait des Pyrénées.

Tout est prêt pour passer au dressage des assiettes. Je dispose la purée de butternut en m’aidant d’un cercle en inox. Puis j’allonge les asperges. Suivent les tranches d’agneau dans la rositude de la liberté retrouvée. « C’est pas trop tôt, y en avait marre de jouer le Grand Bleu en apnée… ». Je verse un petit pochon de jus d'agneau parfumé. Ah, j'allais oublier le brin de cresson...

Je troque mon déguisement de gâte-sauce contre celui de loufiat et apporte les assiettes sur la table. Je puis enfin jouer les convives en m’asseyant.

agneau de lait des Pyrénées, gigot
L'assiette de Madame


agneau de lait des Pyrénées, gigot
L'assiette de Monsieur

« C’est succulent. D’où provient cette petite note d’agrume ? Hum, la tonka est bien dosée, juste ce qu’il faut… Et le butternut apporte une rondeur légèrement sucrée fort agréable. Que cette viande est tendre et goûteuse. Quant aux asperges, je crois que je n’en avais jamais mangées d’aussi bonnes… Légèrement croquantes, sans le moindre fil, et parfumées, parfumées… Ah, vraiment, c’est une réussite ! »

L’on s’en doute, ce n’est plus l’agneau qui parle. Ni moi. Je suis trop modeste pour tenir de tels propos ! Il s’agit bien entendu de ma voisine de table. Et si ce n’est pas à moi de confirmer cet avis - bien qu’en gros je le partage - je peux abonder sur la qualité exceptionnelle des asperges, délice pour lequel ma contribution fut fort réduite, même si j'ai néanmoins le mérite de ne pas avoir massacré ce produit exceptionnel.


Je ne peux d’ailleurs que renvoyer l’ascenseur. Le dessert, après la part de brillat-savarin affiné à point, était un Lammele confectionné par Madame. Et il était particulièrement réussi avec sa mie aérienne…

Lammele
Détour en Alsace...

Miam !


LUNDI 5 AVRIL :

Restes…

MARDI 6 AVRIL :

Restes…

MERCREDI 7 AVRIL :

Restes…

JEUD……………….


mercredi 31 mars 2021

Bobine et Boby

Échaudé par ma malencontreuse improvisation qui m’a fait massacrer de malheureuses andouillettes basques de la ferme Elizaldia, je vais assurer le service minimum pour jouir au mieux des petits pâtés de Pézenas concoctés par la Maison Alary.

Je me contente donc de les tiédir au four avant de les poser sur les ardoises simplement accompagnés d’une salade de mâche récoltée deux heures auparavant au jardin.

pâté de Pézenas
Merci Lord Clive...


Et là, effectivement nous nous régalons…

Mon seul regret : ne pas pouvoir servir en dessert une glace vanille et citron après avoir levé mon verre à la gloire de mon Piscénois préféré et trop tôt disparu, Boby Lapointe.





mardi 30 mars 2021

Andouille et Andouillette

L’Andouillette, c’est une cochonaille provenant d’une ferme du pays basque : elle est au piment d’Espelette.

L’Andouille c’est moi… En effet je me suis cru malin d’accompagner cette charcuterie  par une chakchouka.

Pourquoi ? Habitué que je suis de cuisiner les andouillettes tirées à la ficelle, qu'elles soient de Troyes, de Lyon et surtout de Touraine, j’ai frappé d'une discrimination abusive ce boyau différent, car fourré simplement de découpes, contenant de la couenne, et de surcroît pimenté. 

Pas question dans mon esprit d’entourer cette dissidente de pommes de terre sautées ni même d’un écrasé ! Basque tu es, basque tu voisineras. Aussi ma première idée est de faire appel à une bonne piperade. Projet vite abandonné, car ce n’est pas encore la saison de récolte des tomates et des poivrons dans mon jardin, et je me refuse à recourir à ces légumes insipides échappés de serres qui se pavanent sur les rayons des grandes surfaces et même les étals des marchés.

Que faire ?

Après avoir affublé ce produit d’une étiquette qui lui colle aux Basques, j’opère un glissement. Vers le sud… Et même carrément le Maghreb, piment oblige. Ah, tu veux la jouer pimentée ? Eh bien tu finiras à l’orientale…

J’ai dans mon placard un bocal de chakchouka qui se morfond tristement : Andouille, je te baptise Merguez ! Je te pose au fond d’une poêle ointe d’un filet d’huile d’olive qui va te rendre dorée comme le Dôme du Rocher. Puis, dans un esprit œcuménique je dépose à tes côtés la pourpre cardinalice de la chakchouka. Deux minutes supplémentaires sur un feu qui n’est pas d’enfer, et je vais pouvoir servir.

andouillette basque, chakoutchka
De sud en sud

Servir et déguster

Et là, c’est la catastrophe. Chakchouka a tué Andouillette. Il faut dire qu’elle est plutôt costaude, cette tunisienne. Pas de quoi s’étrangler, mais ça envoie quand même… Et lorsque l’on passe à une bouchée de viande, l’on n’en connaît guère que la texture fort peu agréable dans ce contexte - petits lambeaux, par contraste insipides, arrivant dans cet océan pimenté comme un cheveu sur la soupe.

Gâcher ainsi un produit sans nul doute de qualité et savoureux si on le laisse s’exprimer au premier plan, c’est vraiment la honte ! Quelle andouille je suis !

À ma décharge, l’étiquette du bocal était trompeuse.

Légèrement piquante ? Moi qui grimpe aussi hardiment sur l’échelle de Scoville qu’un sherpa sur les pentes de l’Everest, je puis affirmer que l’on regarde déjà le sol d’en haut, même s’il n’y a pas de quoi être pris de vertige.

Alors que les petits cochons me pardonnent…


samedi 27 mars 2021

Os aux eaux

Pastre et sa cousine sont de sortie

Pastre est bien bedonnant, et pourtant il n’a guère que la peau sur les os. Sa cousine est vieille et desséchée, mais ne manque pas de cœur - ni de poumons…

Je crois bien que ces deux-là n’en pouvaient plus de patienter chez moi dans le désœuvrement, bien loin de leur Laguiole natal. Alors c’est décidé, aujourd’hui je m’occupe d’eux.

Tout d’abord force m’est de constater que la cousine a bien besoin d’être dessalée et que donc Pastre ne plongera pas seul dans le grand bain. Fort accommodante, elle s’est carrément mise en quatre pour cette gymnastique, même en six, mais les petits bouts supplémentaires ont fini illico dans mon estomac, extrémités disgracieuses, mais tentantes, dont je me régale.

pastre, saucisse cousine
Pastre et sa cousine pourfendue

Pastre et sa cousine s’immergent donc dans l’eau froide d’un grand faitout que je place sur la flamme. Ces deux-là y resteront encore une demi-heure après que le liquide a commencé à frissonner.

Pendant ce temps je prépare mes légumes de ma parcelle - il n’y a pas qu’en Aubrac que l’on peut cultiver son jardin, mes cocos - et le chou vert acheté au marché.


Pastre et sa cousine sont repêchés et regagnent la plaque ferme.

pastre, saucisse cousine
Sortie de bain

Je vide l’eau réceptacle de sel et la remplace par de l’eau fraîche, qui ne va pas tarder à entrer en bouillonnement. Pastre retourne dans son bain en compagnie d’un petit oignon piqué de clous de girofle, d’une feuille de laurier, d’une branche de thym, de quelques baies de genièvre et de Jamaïque, grains de poivre blanc et de cubèbe.

Trois quarts d’heure plus tard, j’ajoute la cousine et les légumes : le chou vert partagé en huit, quatre carottes fendues en deux, trois poireaux, un couple de petits navets, trois branches de céleri partagées en tronçons et quelques-unes de leurs feuilles, trois gousses d’ail violet. Et c’est parti pour encore trois quarts d’heure.

pastre, saucisse cousine
Sous les légumes..

Trente minutes avant cette fin de cuisson prévue, j’allonge sur la surface bloubloutante une dizaine de rattes que j’ai eu largement le temps d’éplucher pendant que Pastre et sa cousine se laissaient bercer mollement par les flots.


Moi-même j’allais me laisser aller doucement à la rêverie quand une sonnerie m’a rappelé qu’il était temps de me saisir de l’araignée pour évacuer Pastre, sa cousine, et sa suite de légumes pour les disposer sur le plat.

Cinq minutes plus tard, c’est chose faite.

pastre, saucisse cousine
Pastre hautain

Je passe ensuite au cérémonial, proche de celui du haggis : d’une lame acérée, je fends la panse qui laisse voir son contenu, ici des os de travers et queue de porc. J’ai droit quand même à mes poumons et mon cœur, mais c’est la cousine qui me les offre…

pastre, saucisse cousine
Pastre désormais lui aussi pourfendu


Une fois le plat sur la table, c’est à chacun n’aller prélever son dû. 

pastre, saucisse cousine
C'est mon choix

Ce repas rustique et roboratif est fort plaisant. Le pastre contient des morceaux de queue en nombre suffisant pour que leur couenne confère une rondeur parfumée. Je n’avais pas fait ce constat dans une expérience précédente de ce produit en 2017 - comme le temps passe, mon pauvre monsieur... La recette aurait-elle évolué ?

Vive l’Aubrac ! Surtout sur ma table…


J'aurais aimé pouvoir clamer depuis mon balcon ; "Vive l'Aubrac ivre !"

Malheureusement d'une part je n'ai pas de balcon et d'autre part je n'arrive pas  à retrouver ce vin de Marcillac à la robe sombre et violacée dont les arômes si particuliers me réjouissaient qu'en j'en achetais jadis à côté de la rue Mouffetard chez mon bougnat, tout près de l'église Saint-Médard... Même si la bouteille de Marcillac aux notes de fruits rouges et de cassis qui accompagnait Pastre et sa cousine était plutôt agréable...


mardi 23 mars 2021

Fendlahoule

Il y avait foule pour la première de la pièce d’Edmond Rostran : FENDLAHOULE.

Les pouces-pieds s’étaient bousculés pour avoir une place, des saint-pierre et des anges de mer lançaient des lazzi depuis le paradis sous l’œil désolé des pèlerins, des soles s’étendaient voluptueusement sur le parterre, les baignoires débordaient, des morues sortant de chez le merlan paradaient accompagnées de leurs maquereaux, des torpilles et des exocets avaient forcé brutalement l’entrée alors que les anguilles s’étaient faufilées discrètement sans payer - ce qui n’était pas le cas d’une bande de congres qui avaient acheté des billets revendus à prix d’or par des requins sans scrupule.

Bref, le Tout-Thalasso était là pour applaudir l’espadon Fendlahoule qui déclamait son Hymne à la Lune.

«  […]

Et ce cri qui monte de la mer

Ce cri, c’est tel cri d’amour pour ta lumière

C’est un si furieux et grondant cri d’amour

Pour cette chose d’argent qui remplace le Jour,

Et que tout veut ravoir : l’algue sur ses récifs

Les vagues soulevées par un attrait si vif

À chaque marée, l’anémone en ses brins délicats

Et les moindres galets dans leurs moindres micas

C’est tellement le cri de tout ce qui regrette

Ta lueur, ton reflet, ta pâleur, ton aigrette

Ou ta perle ; le cri suppliant par lequel

La plage asséchée veut un disque dans le ciel,

Au moins un blême croissant pour titiller les flots.

Une aumône de lumière donnée au matelot,

Un banc de sardine fulgurant par tes soins,

La joie d’une bonite t’apercevant au loin,

La prière d’un poulpe qui t’implore de ses bras,

Tout ce peuple de la mer qui réclame ton aura,

C’est bien pour lui que je pousse un tel cri,

Le rostre en avant bravant le ciel surpris.

Ce cri, qui vers les étoiles monte en me traversant,

C’est tellement le cri de tout ce qui se sent

Comme mis en disgrâce au fond d’un vague abîme

Et nageant dans le noir sans savoir pour quel crime ;

Le cri d’effroi, le cri d’ennui… 


Eh c’est toi qui nous ennuies avec ton gros pif ! »


C’était un ventripotent mérou qui venait d’interpeller Fendlahoule depuis le fond de la salle.


«  Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !

On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme…

En variant le ton, – par exemple, tenez :

Agressif : « Moi, Monsieur, si j’avais un tel rostre,

Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »

Amical : « Mais il doit en faire de la casse,

Pour ne rien briser, enfilez un condom ! »

Descriptif : « C’est un braquemart, en somme…

Que dis-je, plus qu’un braquemart, une grande flamberge ! »

Curieux : « De quoi sert cette si longue verge ?

De châtier les fautifs ou faire choir les fruits ? »

Musicien : « Une telle trompe doit faire tant de bruit

Que le reste de l’orchestre ne peut que déguerpir ! »

Médical : « Pour une plaie en séton on ne trouve pas pire,

Un tel port d’arme se doit d’être condamné ! »

Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée

Par ce poids, de tomber en avant sur les fonds ! »

Insultant : « Ôte-toi de ma vue, bouffon,

Rien que de voir ton nase j’ai envie d’me casser ! »

Inquiet : « Or ça, Monsieur, lorsque vous embrassez,

Ne craignez-vous pas, d’un grand coup de ce nez,

De crever le pauvre œil de votre dulcinée ? »

Connaisseur : « C’est l’obélisque - en plus grand ! »

Répressif : « Faites-vous le scier pour rentrer dans le rang ! »


Enfin, parodiant Cyrano parodiant Pyrame en un sanglot :

« Le voilà donc ce rostre qui des traits de son maître

A détruit l’harmonie ! Il en verdit, le traître ! »


–  Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit

Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit

Mais, c’est bien triste, en ce jour de fête,

On ne peut pas dire que l’esprit de mérou pète !


Las, quelques semaines plus tard ce malheureux espadon a fini dans mon assiette.

Mais que l’on se rassure, je l‘ai traité avec le respect qui lui était dû. Sa darne préalablement assaisonnée de fleur de sel de l’île de Ré un quart d’heure auparavant a connu de brefs allers-retours au fond d’une poêle barbouillée d’huile d’olive, feu vif baissé à flamme moyenne après le dépôt. Après quatre ou cinq minutes le poisson était cuit.

Pour l’accompagner j’avais préparé un riz pilaf au curry : un riz à longs grains de cuisson 20 minutes nacré dans de l’huile d’olive avec un petit oignon ciselé finement, deux gousses d’ail et une petite cuillerée de curry, puis arrosé du double de son volume de bouillon de volaille. Après avoir fait plonger une feuille de laurier et une branche d’origan, j’ai recouvert d’un disque de papier siliconé percé en son centre, coiffé la casserole et enfourné pour 20 minutes au four à 170 °C.

Avant le dressage j’ai partagé la darne an quatre, en enlevant arête et peau.

Dans les assiettes, une pluie de ciboulette du jardin ciselée sur le riz et une pincée de piment d’Espelette sur l’espadon. Et la sauce disposée à côté : une Tequila Lime Cocktail Sauce qui m’a semblé parfaite pour relever ce plat avec sa touche d’exotisme. 


Une tranche de citron vert en accord afin d’ajouter une pointe d’acidité si besoin ou envie.

espadon, riz au curry, tequila lime cocktail sauce
FENDLAHOULE

Dans un dernier souffle le théatreux des mers m’a déclamé :

« N’ai-je tant vécu que pour cette infamie ? »

Infamie, infamie, est-ce que j’ai une gueule d’infamie ? C’était très bon !



samedi 20 mars 2021

Déshonoré de Bazas

J'ai narré ma déception après ma dégustation d’une entrecôte labellisée de Bazas.

https://sosgrisbiche.blogspot.com/2021/02/deux-boeufs.html

Je n’avais pas manqué de laisser cette appréciation rageuse sur le site de vente :

Je me réjouissais de pouvoir déguster le renommé bœuf de Bazas. Las ! Quand j’ai ouvert le sachet de ce qui était censé être une tendre et savoureuse entrecôte, j’ai découvert des îlots de chair sanguinolente reliés par des cordons de gras (ce qui n’aurait pas été pour me déplaire si celui-ci s’était révélé goûteux et fondant…) mais surtout par des rubans d’aponévrose. Bref, mon entrecôte avait comme des airs de médiocre basse côte. Toutefois j’ai apporté tout mon soin à sa cuisson afin de juger sans parti pris : mise à température ambiante avant d’être étendue sur une poêle ointe d’une larme d’huile d’arachide - bien chaude mais pas trop afin de ne pas brusquer la viande - puis, une fois saisie sur les deux faces, baisse de la flamme avant ajout d’une grosse noix de beurre afin de nourrir la pièce en l’arrosant en continu. Et bien entendu repos avant de déguster. Eh bien, en dépit de ces précautions, je me suis trouvé confronté à une véritable carne résistant férocement à la mastication et même à la lame d’un couteau fraîchement affûté. Même le cœur exigeait une pénible mastication, ce bœuf n’ayant visiblement subi aucune maturation. Après la dégustation - enfin plutôt la bataille… -, tel que pour l’artichaut de Coluche, l’assiette était encore plus pleine qu’au départ à la fin du repas, tant on y retrouvait de monceaux mêlant débris incomestibles divers et bouchées post-masticatoires abandonnées dans un triste renoncement. Il y a bien longtemps que je me suis trouvé confronté à une telle barbaque ! Dans un souci d’objectivité, je n’ai pas posté ex abrupto l’unique étoile que méritait un tel désastre et ai attendu de consommer les faux-filets ainsi que le rumsteck que le carnivore assumé que je suis avait eu la mauvaise idée de commander dans la foulée. J’ai souhaité les tester avant de fournir mon estimation définitive de la prestation de ce mal éleveur et surtout mal en boucher. Dans ma bienveillance, je monte donc à deux étoiles, car si la viande était toujours aussi coriace et épuisait les muscles maxillaires, si le rare gras (au fait, n’est-ce pas la saison du bœuf gras à Bazas ?) était aussi peu savoureux, en revanche la proportion de déchets était contenue dans des limites raisonnables, même si ce fait ne relève pas de la performance pour de tels morceaux. De retors vegans auraient-ils saboté mon colis afin de sanctionner mes penchants carnassiers ?

Le lendemain je recevais un appel téléphonique de l’éleveur, visiblement traumatisé par ma diatribe. Il jura ses grands dieux qu’il n’y comprenait rien, qu’il était coutume de couvrir de louange les pièces qu’il expédiait, que la maturation était effectuée comme il se doit, que le boucher chargé de l’abattage et de la découpe bénéficiait de toute sa confiance après des années de collaboration, bref que mon insatisfaction était inexplicable. Et, finalement, après une conversation fort heureusement empreinte de courtoisie réciproque, il me proposa de retenter une dégustation : je devais effectuer une nouvelle commande dont il me remboursera le montant. Et allez, tope-là au bout du fil, façon accords de maquignon…

Un peu plus d’une semaine plus tard je recevais une grosse côte de bœuf de plus de 1600 g, d’épaisseur modeste malheureusement, car sa surface était imposante, à tel point que la pièce n’entait pas entièrement dans ma plaque en inox.

côte de boeuf, Bazas, blonde d'Aquitaine
Quand une blonde se fait scier...

Le prix de ce morceau étant un peu plus du double de celui de l’entrecôte, il s’agissait d’une façon plutôt adroite de s'acquitter du contrat… Allais-je battre ma coulpe, revenant sur une impression qui, après tout, ne reposait peut-être que sur un incident exceptionnel ?

Ouais, ça commençait plutôt mal… La viande offrait la même tendance à se disloquer que celle de l’entrecôte, et toujours une absence de persillage. Enfin, je verrai bien…

La pièce est trop grande pour la poêle, même celle de 32 cm. Aussi la cuisson aura-t-elle lieu sur le gril. Je rencontre rapidement un problème : un ruban d’aponévrose se contracte, éjectant un muscle vers le haut et l’éloignant de la surface du gril. Il me faut appuyer pour permettre un contact. Et chaque fois que je retourne la pièce cette manœuvre relève de l’acrobatie tant les différents muscles se désolidarisent, retenus seulement par des rubans qui tirent à hue et à dia… J’arrive après une féroce répression à allonger (presque) ma côte de bœuf sur la planche en bois.

côte de boeuf, Bazas, blonde d'Aquitaine
Même pas capable d'être à plat !

Je découpe. Dans les assiettes, c’est encore le combat, moult déchets sur le champ de bataille, et les mêmes crampes maxillaires que pour la non regrettée entrecôte…

Nous nous sommes consolés avec des pommes de terre grenailles aux cèpes sautées dans le beurre demi-sel. J’avais noyé ces tubercules accompagnés de tranches de champignon séchées sous de l’eau à hauteur, ajouté une grosse noix de beurre et une gousse d’ail ciselée. Première cuisson à couvert sur la flamme une dizaine de minutes avant d’enfourner à 170 °C pour un quart d’heure, l'eau finissant de s'évaporer. J’ai terminé en faisant tomber un peu de persil. 

grenailles, cèpes
Grenailles

Et, ça, c’était bien bon…

Je ne comprends pas la pluie d’éloges sur le site de vente de cette viande. Il y en a trop pour qu’ils soient de complaisance. Or je ne vois que Requin, l’ennemi de James Bond, qui puisse trouver de la tendreté dans une telle bidoche !


Alors je donne ma langue au chat - sans crainte, car il préfère les sachets… - et ne cherche plus à approfondir ce mystère. N’empêche que je me sens bien ennuyé, car le deal était de toute vraisemblance d’éponger les traces d’un assassinat par l’ajout d’une appréciation plus positive. Le pire est que cet éleveur m’a semblé de bonne foi dans sa défense orale. Que faire pour ne pas être trop cruel ?


D’autant plus qu’entre-temps j’avais voulu laisser une chance à ce Bazas déshonoré.

J’avais testé une autre entrecôte provenant d’une bête quant à elle non pas de race Blonde d’Aquitaine, mais Grise de Bazas. Elle provenait d’un boucher de Mérignac.

entrecôte de boeuf, grise de Bazas
Grise de Bazas

entrecôte de boeuf, grise de Bazas
Grise dorée

Eh bien c’était un bonheur que de la déguster : elle était goûteuse, tendre avec juste la mâche qu’il fallait, bien entrelardée d’une graisse aux parfums de moelle qui fondant dans la bouche. Quant aux déchets, ils étaient pratiquement inexistants. 

entrecôte de boeuf, grise de Bazas
Tendre bovin

Le jour et la nuit avec l’autre carne…

Même un vulgaire accompagnement de chips n’a pas réussi à ternir ce festin. C’est dire !


Alors la blonde, bazadaise de pacotille, va te rhabiller !


lundi 15 mars 2021

Naïves anguilles

 

Quatre anguilles se morfondaient non loin de Port-La-Nouvelle.

«  Ah, les copines, vous n’en avez pas ras le bol de cet endroit ?

-  Ça, c’est bien vrai l’Hérault, c’est zéro !

-  On stagne comme c’est pas possible, vivement que l’on se tire… »

Mais voilà, elles étaient encore bien jaunes et pas suffisamment argentées pour prendre le large. Jaunes et naïves… Quand le beau Toni leur susurra « Entrez dans ma capechade et je vous promets de vous faire voyager… » elles foncèrent tête baissée, toutes frétillantes d’espoir. Quelques heures plus tard, c’était « Bienvenue chez Chronofresh, zou, on y va ! ».

«  On y va, mais z’où ?

-  Ben j’sais pas, le tri est automatique, pas le temps de regarder… »

Le lendemain matin elles étaient chez moi - belles, sans ornements, dans le simple appareil d’une beauté dans le dernier sommeil.

 

Je les ai délivrées de leur suaire transparent où, en quête d’espace, elles n’avaient trouvé que du vide, et les ai déposées respectueusement sur l’inox.

anguilles
Jaunes anguilles

Une première anguille est allongée désormais sur une planche. Je m’apprête à la parer. Je me sens un peu désorienté de passer du bistouri poitevin au scalpel francilien. Quand je reviens de mon marché provincial je dois me battre avec des anguilles encore bien vivaces, devant cet animal inerte j'ai l’impression de me livrer à une agression sournoise. Certes il peut sembler plus facile de retirer la peau quand on ne doit pas faire la peau auparavant. Mais, je ne sais pourquoi, le sang mort s’écoule plus tristement que le sang vivant et cette pelisse semble s’accrocher avec une vigueur d’autant plus grande que l’âme s’éloigne…

À tel point qu’il me faut perfectionner ma technique. L’usage d’un torchon ne suffit pas pour maintenir le derme gluant durant la traction. Je commence à désespérer jusqu’à ce qu’enfin je réalise que ma pince à désarêter devrait permettre une saisie plus efficace. Et c’est bien le cas. Quelques minutes plus tard ne restent plus sur la planche qu’un torchon ensanglanté et mes instruments opératoires.

anguille
Après avoir serré la pince

Les déchets sont dans une plaque à débarrasser, et mes tronçons d’anguille sont plongés dans une eau glacée additionnée d’une cuillerée de vinaigre.

anguille
Tronçons et glaçons

Mes préparatifs ne sont toutefois pas terminés. Je taille une carotte en brunoise, préservant quelques rondelles pour le visuel, et partage en tranches d’environ 2 mm d’épaisseur le blanc de deux poireaux dont je me procure aussi un peu de julienne à partir du vert profond d’une feuille. J’escalope cinq champignons de Paris - pas de la première fraîcheur, les bougres, mais le parfum y est. Je découenne et découpe en petits lardons un morceau  peu épais de poitrine séchée portugaise.

Je passe à la cuisson de ce que j’espère être une savoureuse matelote d’anguilles.

Je verse au fond d’un sautoir un trait d’huile d’olive et une noix de beurre, ajoute les lardons et la couenne. Je fais suer la carotte et le poireau en les assaisonnant d’une pincée de sel. Pendant ce temps je sèche mes tronçons d’anguille à l’aide d’un torchon avant de les fariner abondamment. Je secoue afin d’enlever l’excédent de T55 et balance dans le sautoir. Je hausse la flamme et retire les morceaux d’anguille à l’aide d’une araignée dès qu’ils commencent à être colorés sur toutes les faces. Je réserve.

Je verse une bouteille de vin d’Anjou rouge. Je déglace en grattant le fond du sautoir avec une maryse. J’introduis une feuille de laurier, une branche de thym, une extrémité de romarin. Dans un mortier j’écrase sur une pincée de gros sel deux clous de girofle, une petite cuillerée de graines de coriandre, autant de grains de cubèbe et de poivre rouge. Je vide sur le vin qui commence à bouillir. Je compète d’une bonne pincée de quatre-épices.

Je laisse réduire du tiers environ avant de verser un petit verre d’armagnac. J’approche une allumette et ça flambe à merveille. Oups, attention à la hotte et son filtre en carbone ! Je coiffe d’un couvercle pour modérer cette ardeur dangereuse…

Bon, je peux provisoirement retirer ce couvercle secourable pour réintroduire les tronçons d’anguille. J’en profite pour étendre les tranches de champignons.

matelote d'anguilles
Et arriva le champignon...

Je laisse cuire à couvert trois minutes, puis décoiffe afin que la réduction se poursuive. Dix minutes plus tard, les anguilles commencent à émerger comme des rochers à marée basse, et je pense que c’est le moment de recouvrir ces éminences (plus ou moins grises…) des petites feuilles d’oseille prélevées le matin même au jardin - un clin d’œil vers les anguilles au vert qui devrait ajouter une touche de fraîcheur et une note d’acidité bien venue. Et tant qu’à faire, arrive aussi un brin de persil.

matelote d'anguilles
Un peu d'oseille pour ces anguilles pas argentées

Encore trois minutes, le couvercle revenu, juste le temps de faire tomber l’oseille (et tire-toi…). J’écarte le sautoir du feu.

Je le réserve au frais jusqu’au lendemain, laissant les osmoses s’en donner à cœur joie.



*

*

*

L’heure GMT (Géniale Matelote Tentante) est arrivée.

Première chose : cuire des pommes de terre aptes au pompage de sauce pour accompagner la matelote. J’espère que ces Jazzy, un peu grosses pour des grenailles qu’elles prétendent être, feront l’affaire et joueront bien leur partition…

Je sors ma matelote endormie de sa réfrigérante geôle et la réveille d’un petit jet de vieux balsamique de Modène, histoire de lui redonner aussi un peu de couleur supplémentaire en plus de la sucrosité et la pointe d’acidité.

Je la réchauffe à feu moyen.

Les pommes de terre sont cuites, il faut les peler rapidement, quitte à se brûler les doigts. De son côté la matelote voit sa sauce onctueuse frémir dans des reflets brillants. Je goûte : une pincée de sel, un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, et ce sera parfait.

 

mateloted'anguilles
Du réchauffé ?

N’ai-je rien oublié avant de dresser ?

Ah, si. J’ai vu qu’il restait un morceau de pain d’épices maison. Il était un peu sec et manquait de sucrosité, mais il sera parfait pour un second clin d’œil vers la belgitude : après l’anguille au vert, la carbonade. Je découpe deux triangles que je tartine de moutarde forte. Je les ajouterai au centre des assiettes.

D’ailleurs il est temps de passer à l’acte. J’évacue la feuille de laurier, le thym, le romarin, qui ont terminé leur rôle de parfumeurs et prélève la matelote dans le sautoir à l’aide d’un pochon que je déverse dans les assiettes. Je pose les pommes de terre, plante le triangle de pain d’épices. Je parsème du persil ciselé que j’avais préparé quelques minutes auparavant.

À table !

 

matelote d'anguilles
Matelote d'anguilles, presque au vert

C’est qu’elles sont bonnes, ces anguilles sudistes. Presque autant que celles du Marais Poitevin.

Et je ne me suis pas ridiculisé en les cuisinant. Non,  je refuse que l’on me noie avec ces anguilles savoureuses dans l’amer des sarcasmes !