Il y avait foule pour la première de la pièce d’Edmond Rostran : FENDLAHOULE.
Les pouces-pieds s’étaient bousculés pour avoir une place, des saint-pierre et des anges de mer lançaient des lazzi depuis le paradis sous l’œil désolé des pèlerins, des soles s’étendaient voluptueusement sur le parterre, les baignoires débordaient, des morues sortant de chez le merlan paradaient accompagnées de leurs maquereaux, des torpilles et des exocets avaient forcé brutalement l’entrée alors que les anguilles s’étaient faufilées discrètement sans payer - ce qui n’était pas le cas d’une bande de congres qui avaient acheté des billets revendus à prix d’or par des requins sans scrupule.
Bref, le Tout-Thalasso était là pour applaudir l’espadon Fendlahoule qui déclamait son Hymne à la Lune.
« […]
Et ce cri qui monte de la mer
Ce cri, c’est tel cri d’amour pour ta lumière
C’est un si furieux et grondant cri d’amour
Pour cette chose d’argent qui remplace le Jour,
Et que tout veut ravoir : l’algue sur ses récifs
Les vagues soulevées par un attrait si vif
À chaque marée, l’anémone en ses brins délicats
Et les moindres galets dans leurs moindres micas
C’est tellement le cri de tout ce qui regrette
Ta lueur, ton reflet, ta pâleur, ton aigrette
Ou ta perle ; le cri suppliant par lequel
La plage asséchée veut un disque dans le ciel,
Au moins un blême croissant pour titiller les flots.
Une aumône de lumière donnée au matelot,
Un banc de sardine fulgurant par tes soins,
La joie d’une bonite t’apercevant au loin,
La prière d’un poulpe qui t’implore de ses bras,
Tout ce peuple de la mer qui réclame ton aura,
C’est bien pour lui que je pousse un tel cri,
Le rostre en avant bravant le ciel surpris.
Ce cri, qui vers les étoiles monte en me traversant,
C’est tellement le cri de tout ce qui se sent
Comme mis en disgrâce au fond d’un vague abîme
Et nageant dans le noir sans savoir pour quel crime ;
Le cri d’effroi, le cri d’ennui…
- Eh c’est toi qui nous ennuies avec ton gros pif ! »
C’était un ventripotent mérou qui venait d’interpeller Fendlahoule depuis le fond de la salle.
« Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, Monsieur, si j’avais un tel rostre,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit en faire de la casse,
Pour ne rien briser, enfilez un condom ! »
Descriptif : « C’est un braquemart, en somme…
Que dis-je, plus qu’un braquemart, une grande flamberge ! »
Curieux : « De quoi sert cette si longue verge ?
De châtier les fautifs ou faire choir les fruits ? »
Musicien : « Une telle trompe doit faire tant de bruit
Que le reste de l’orchestre ne peut que déguerpir ! »
Médical : « Pour une plaie en séton on ne trouve pas pire,
Un tel port d’arme se doit d’être condamné ! »
Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur les fonds ! »
Insultant : « Ôte-toi de ma vue, bouffon,
Rien que de voir ton nase j’ai envie d’me casser ! »
Inquiet : « Or ça, Monsieur, lorsque vous embrassez,
Ne craignez-vous pas, d’un grand coup de ce nez,
De crever le pauvre œil de votre dulcinée ? »
Connaisseur : « C’est l’obélisque - en plus grand ! »
Répressif : « Faites-vous le scier pour rentrer dans le rang ! »
Enfin, parodiant Cyrano parodiant Pyrame en un sanglot :
« Le voilà donc ce rostre qui des traits de son maître
A détruit l’harmonie ! Il en verdit, le traître ! »
– Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit
Mais, c’est bien triste, en ce jour de fête,
On ne peut pas dire que l’esprit de mérou pète !
Las, quelques semaines plus tard ce malheureux espadon a fini dans mon assiette.
Mais que l’on se rassure, je l‘ai traité avec le respect qui lui était dû. Sa darne préalablement assaisonnée de fleur de sel de l’île de Ré un quart d’heure auparavant a connu de brefs allers-retours au fond d’une poêle barbouillée d’huile d’olive, feu vif baissé à flamme moyenne après le dépôt. Après quatre ou cinq minutes le poisson était cuit.
Pour l’accompagner j’avais préparé un riz pilaf au curry : un riz à longs grains de cuisson 20 minutes nacré dans de l’huile d’olive avec un petit oignon ciselé finement, deux gousses d’ail et une petite cuillerée de curry, puis arrosé du double de son volume de bouillon de volaille. Après avoir fait plonger une feuille de laurier et une branche d’origan, j’ai recouvert d’un disque de papier siliconé percé en son centre, coiffé la casserole et enfourné pour 20 minutes au four à 170 °C.
Avant le dressage j’ai partagé la darne an quatre, en enlevant arête et peau.
Dans les assiettes, une pluie de ciboulette du jardin ciselée sur le riz et une pincée de piment d’Espelette sur l’espadon. Et la sauce disposée à côté : une Tequila Lime Cocktail Sauce qui m’a semblé parfaite pour relever ce plat avec sa touche d’exotisme.
Une tranche de citron vert en accord afin d’ajouter une pointe d’acidité si besoin ou envie.
FENDLAHOULE |
Dans un dernier souffle le théatreux des mers m’a déclamé :
« N’ai-je tant vécu que pour cette infamie ? »
Infamie, infamie, est-ce que j’ai une gueule d’infamie ? C’était très bon !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire