vendredi 19 février 2021

Nous sommes kit

 Il est de plus en plus courant de proposer aux acheteurs des kits de produits à cuisiner pour l’élaboration d’un plat, voire d’un repas. La démarche n’est pas absurde, car elle évite à l’acheteur de se disperser en quête de l’ensemble des éléments de sa recette et, dans le cas d’un achat en ligne, de minimiser les frais de ports. Bref, une bonne démarche de marketing qui repose aussi sur la paresse créative des marmitons domestiques.

En ce qui me concerne, je n’adhère guère à cette formule dans laquelle je me sens quelque peu entravé et qui supprime le plaisir principal de la cuisine : construire une recette à partir de souvenirs - traditions familiales, ex-festins urbains ou campagnards, lectures gourmandes, rencontres sialogènes diverses - ainsi que de recherches, tant dans les livres que sur la toile (on devine d’ailleurs dans les prépositions respectives le lieu où le résultat sera le moins superficiel…) ; puis préciser ce qui n’est d’abord qu’une vague esquisse en imaginant un processus détaillé tenant compte des contraintes du moment ; enfin passer à l’acte en se réjouissant de sa clairvoyance quand tout se passe bien, en se réjouissant de trouver une solution impromptue devant une difficulté imprévue, en se réjouissant d’en voir la fin quand tout se passe mal ; bref, quel qu’en soit le succès, pouvoir dire après cette mise en cène : ceci est mon plat.


Mais pour une fois…


Ne voulant pas crouler sous une avalanche de cerf, biche et sanglier, mais me refusant d’être soumis au diktat d’une box, aussi tentante soit-elle, j’ai choisi la solution de commander auprès de mon fournisseur de gibier alsacien favori Nemrod un rôti de biche dans le cadre d’un Dîner du chasseur ajoutant à cette viande fraîche des späztle sous vide préparées par un fermier traiteur du Haut-Rhin, un mélange de champignons forestiers lozériens égarés vers le Grand Est, mais aussi un saucisson de cerf en guise d’entrée et un confit d’airelles sauvage au chocolat assurant la fonction de dessert.

Bon, première initiative, je retire l’entrée et le dessert, qui iront au placard dans mes réserves.

Je commence par sortir le rôti de biché de son enveloppe et le dépose sur une plaque pour se recharger en oxygène et revenir à température ambiante.

rôti de biche
Ma biche bien ficelée

J’ouvre le sachet de champignons séchés. Il contient un mélange de chanterelles, bolets, girolles et trompettes-de-la-mort.


Je mets tout ce petit monde des sous-bois à tremper recouvert d’eau tiède.

Je profite de cette heure de mise en forme de mes ingrédients pour éplucher une carotte du jardin et la fendre en deux avant de la réserver dans un bac d’eau froide. Je cisèle une échalote, un petit oignon et une gousse d’ail. Je réserve aussi cette garniture aromatique.


C’est bientôt l’heure du repas. Je saisis le rôti de biche assaisonné de fleur de sel dans une poêle en acier sur un trait d’huile d’arachide et une noisette de beurre. Je baisse la flamme, ajoute mes bulbes ciselés, une feuille de laurier et un brin de thym. J’allonge mes deux partitions de carotte, les champignons réhydratés et leur eau de trempage filtrée. J’enfourne à 180 °C pour 20 minutes avec retournement du rôti à mi-cuisson.

Je sors le rôti qui, au toucher, me semble cuit comme je le souhaite, encore saignant à cœur. Je le laisse reposer sur une planche.

J’extrais la carotte que je réserve au chaud dans le four éteint.

Je déglace la poêle avec un verre de porto, ajoute une pointe de couteau de fond de veau en pâte, quelques gouttes de Tabasco Worcestershire. J’ajoute un pot de 25 cl de crème fraîche épaisse. Je laisse réduire à feu doux avec quelques tours de moulin de poivre noir et une pointe de quatre-épices.

Dans une seconde poêle je fais revenir les spätzle six minutes dans une noix de beurre comme prescrit.

Je passe à la découpe du rôti. Avec aisance. Que tu es tendre, ô, ma biche !

Le moment du dressage est arrivé. Tout d’abord les pâtes, puis une tranche de viande…

Je passe la sauce dans un chinois : d’un côté les champignons et la garniture aromatique fondue dont je retire le laurier et le thym, de l’autre la sauce crémée devenue sirupeuse.

Je dispose la partie solide à la frontière de la biche et des spätzle, j’arrose de sauce.

Zut, j’allais oublier la carotte qui se morfond dans le four ! Mais non, la voici étendue sur chaque assiette. Un tour de moulin de poivre rouge sur la viande, de noix de muscade sur les pâtes, quelques cristaux de sel de Maldon, enfin la banale mais incontournable touche du persil - le seul vert à ma disposition ce jour-là. Les assiettes sont prêtes à partir vers la table.

rôti de biche, spaetzlz, champignons
Deux assiettes : kit en double

La viande est savoureuse et d’une tendreté exemplaire. Les pâtes sont moelleuses et légèrement croûtées, aussi bonnes que des spätzle maison, il me faut bien l’avouer. La sauce est onctueuse et parfumée - trop parfumée même, ces champignons échappés de leur bois sont envahissants, la moitié du sachet aurait suffi largement pour l’équilibre du plat.

Eh oui, j’ai cru naïvement que la dose était calculée pour la préparation de ce Dîner du chasseur… Un chasseur sachant chasser sa biche, mais qui ne sait pas chasser son sachet de champis séchés…

Cependant, tout compte fait, ce n’est pas un désastre : je ne suis pas que kit tristement, une carotte de mon jardin est venue sublimer ce kit cuit - qui l’eut cru…


mercredi 17 février 2021

L'huissier et les cuisses légères

Kischle wäre g’macht

Un wenn d’r Huissier ufem Pfannstiel hockt.

dit-on en Alsace. C’est à dire : 

On fera des beignets

Même si l’huissier est assis sur le manche de la poêle.


Aussi pour ce Mardi Gras ai-je réalisé selon une recette alsacienne de beignets : des Schenkele, alias cuissettes

Pas d’huissier encore en vue en dépit de mes poches percées, mais si c’eut été le cas, ce dernier aurait été mal inspiré de s’asseoir sur le manche de ma poêle à frire. En effet y frémissait de l’huile d’arachide à 160 °C, une température pas trop élevée afin de permettre une cuisson à cœur de petites cuisses, néanmoins capable de brûler au second degré le gros fessier d’un officier ministériel imprudent.


Mais commençons par le commencement…

Le matin j’ai préparé la pâte. J’ai battu trois œufs avec 100 g de sucre, ajouté 75 g de beurre pommade, 225 g de farine, 30 g de crème épaisse, 3 cuillerées de kirsch. J’ai bien mélangé.

Le plus souvent, c’est de la poudre d’amande que l’on utilise dans la préparation des Schenkele. Là, j’ai choisi de torréfier 100 g de noisettes dans une poêle avant de les moudre dans mon minipréparateur. Cette poudre étant désormais refroidie, je l’ai versée dans le cul-de-poule et l’ai incorporée à l’aide d’une maryse.

Une feuille de film étirable sur le récipient, et ma pâte était enfermée dans le réfrigérateur en attendant le soir.


Nous voici donc revenus à l’instant où j’ai posé ma poêle à frire sur le feu. D'aucuns forment de petits rouleaux à la main. Pour ma part j’ai préféré façonner des sortes de petites quenelles à l’aide de deux cuillères et les allonger sur une planche farinée avant de les transférer posées sur une spatule en direction de la poêle. Une fois cuite une fournée d’une demi-douzaine de pièces, je les transférais pour s’égoutter sur du papier absorbant, puis roulais ces beignets bien dorés dans un mélange de sucre semoule et de cannelle moulue.

Enfin l’ensemble des Schneckele s’est retrouvé sur un torchon au creux d’un plat.


beignets de Carnaval, Schenkele, Alsace
Cuisses pas si légères que ça


À la dégustation, il était difficile de savoir si ces gourmandises de Carnaval étaient des beignets travestis en biscuits ou des biscuits travestis en beignets. Personnellement, je penche plutôt vers la seconde hypothèse. Si le parfum de kirsch se montrait discret, en revanche les fragrances de noisettes étaient étonnamment présentes en bouche. Oui, les avelines paradaient, pas masquées le moins du monde derrière le voile de cannelle…

Pas besoin de l’huissier déguisé en courant d’air pour en témoigner, l’on peut me croire sur parole ;

ça schmecktait !


dimanche 14 février 2021

Diner de Têt

 Ce 12 février, allant de (presque) tôt matin en quête des informations du jour, je me suis rendu compte que la nouvelle année chinoise commençait à cette date. Sous le signe du buffle…

Le signe du singe que je suis ne pouvait que se lancer dans une imitation - pas trop approximative, je l’espère - de la cuisine de l'Empire Céleste

Premier acte : vérifier que je dispose de tous les ingrédients nécessaires.

Bon, ça va il ne me manque que la fécule de blé entrant dans la composition des perles de coco prévues au dessert, et le blanc de poireau à incorporer dans la farce des raviolis chinois inscrits au menu.


Commençons par la confection des perles de coco.

La recette que j’utilise est celle présente sur le site La cuisine de Bernard.

Je bats un œuf entier avec 110 g de sucre.

J’ajoute 30 g de farine, 25 g d’un mélange tant pour tant de fécule de maïs et de fécule de pomme de terre destiné à remplacer désavantageusement la fécule de blé, 30 g de lait entier en poudre, 25 g de custard powder dont je n’avais pas prévu en l’achetant qu’elle me mènerait en Chine. Je mélange bien.

J’incorpore 30 g de beurre fondu.

Je verse enfin 100 g d’eau et je touille avec une mouvette et avec ardeur.

Je transvase la pâte plutôt liquide obtenue du cul-de-poule en acier dans un bol en verre, car la cuisson se fera au micro-ondes. Dans mon four, cette crème d’œufs parviendra à une bonne consistance au bout de quatre minutes et une trentaine de secondes. Je la reverse alors dans un autre bol pour arrêter la cuisson. Je la malaxe ensuite à la main avant de la bouler et de la réserver au frais enfermée dans un film.

Je passe à la réalisation de la pâte destinée à enfermer la crème.

Pour ce faire, je pèse 200 g de farine de riz gluant et 55 g de sucre qui finissent dans le bol de mon batteur mélangeur. Pendant qu’il tourne en ronronnant, j’introduis 13 cl d’eau bouillante.

Oh la la, que la pâte obtenue est collante. Il faut toute l’énergie d’une corne intraitable pour parvenir à l’extraire du bol de la machine et l’arracher de la feuille où cette visqueuse s’accroche désespérément.

Désormais un ectoplasme blanchâtre gît sur mon plan de travail en inox. Je le pétris et le travaille de la paume de la main, j’étire, j’aplatis, me décolle avec peine. Au bout d’un quart d’heure, défaite par KO de mézigue. Après deux ou trois tentatives, je renonce à obtenir les boudins bien réguliers de pâte très douce au toucher et d’aspect satiné. N’est pas Bernard qui veut !

Je me contente donc de détacher des morceaux que je façonne en boules plus ou moins régulières.

J’ai sorti ma crème d’œufs du réfrigérateur. Brave fille ! Elle se laisse modeler en boulettes sans difficulté.

Aïe, ça devient délicat… Avec l’agilité d’un proctologue conventionné j’introduis un doigt au sein de ma boule de pâte. Quand je le retire, non sans difficulté, car l’objet de mes soins semble fort attaché à ma personne, subsiste une cavité que je m’empresse de combler avec une boulette de crème d’œufs. Ouf, une étape est franchie. Mais le plus dur reste à faire. Il me faut étirer la pâte blanche (j'aurais dû la montrer...) afin de recouvrir entièrement la pâte jaune. Facile à dire… C'est sans compter avec son élasticité redoutable. J’ai peine à ramener les pans en contact et à fermer cette pelisse que je ne tarderai pas à rendre velue en la roulant dans de la noix de coco râpée après un trempage de quelques secondes dans l’eau glacée. 

Cependant ma persévérance finit par payer, et je réussis à obtenir seize perles de cocos pas très bien calibrées, néanmoins présentables.

Je réserve.

perles de coco
Perles du jour




Ce combat titanesque contre les forces du riz gluant a pris du temps. Il me faut me dépêcher pour façonner mes raviolis chinois

Pour ce faire, Margot Zhang sera mon maître.

Encore une pâte ! J’ose espérer qu’elle sera plus docile. À voir…

Je pétris 300 g de farine T55 en y incorporant progressivement 9 cl d’eau à 35 °C. Je n’ai pas oublié la pincée de sel. Je boule et réserve une demi-heure à température ambiante sous un torchon humide.

J’ai largement le temps de préparer la farce.

En premier lieu je taille en fine brunoise un morceau de gingembre frais. Puis je cisèle une poignée de ciboulette achetée la veille au marché qui remplacera le blanc de poireau de la recette originale - la météo n’étant guère favorable pour extirper du sol du jardin un ou deux pieds de Gros Jaunes du Poitou.

Dans une bassine en inox de dépose 300 g de chair à saucisse. Je verse 1 bonne cuillerée à soupe de vin jaune chinois. Je mélange. Je verse 3 cuillerées à soupe de sauce soja claire, je re mélange, j’ajoute la brunoise de gingembre, une pincée de sucre, un tour de moulin de poivre blanc de Muntok, 1 cuillerée à soupe d’huile de sésame, je re re mélange, j’incorpore ma ciboulette ciselée, je re re re mélange.

Ma farce est prête.

raviolis chinois
Une farce chinoise

C’est avec une inquiétude de chat échaudé que je retrouve ma pâte - quant à elle pas échaudée le moins du monde contrairement à celle des perles de coco. Là encore il faut façonner des boudins. Ouf, ça marche ! Je les découpe en tronçons que je façonne en boules. Je les aplatis en petits disques. C'est après que ça se complique… Margot Zhang a fort justement écrit : étaler finement la pâte avec un petit et fin rouleau à pâtisserie dans le sens des aiguilles d’une montre. Mais voilà, mon rouleau, lui, il est long et épais, pas virevolteur le moins du monde, et c’est la pâte qui doit effectuer des rotations. Peut-être aussi que ma farine, une T55 boulangère, n’est pas vraiment adaptée, car la pâte élastique a tendance à se rétracter ? Peut-être de surcroît suis-je maladroit ? Toujours est-il que mes étalements patatoïdes ne ressemblent qu’approximativement au disque parfait souhaité.

Tant pis, je ferai avec…

Je dispose une petite cuillerée de farce au milieu de mes disques fantoches. Je replie. Ce n’est pas non plus évident de coller les bords des raviolis en les refermant.

Finalement je parviens quand même à allonger une bonne vingtaine de pièces sur une plaque farinée. Elles sont disparates, pas régulières du tout, mais elles existent, et le goût devrait y être. 

raviolis chinois
Oui, je sais...

Je prie néanmoins pour qu’elles ne s’ouvrent pas à la cuisson.


D’ailleurs l’heure du repas est arrivée. Mais sera-ce aussi mon heure de gloire ?

Je mets à bouillir une grande casserole d’eau. J’y plonge mes raviolis qui sombrent corps et biens au fond de l’onde tourmentée. Je tremble. Mais non, les naufragés ne tardent pas à remonter à la surface. Intacts. 

raviolis chinois
En apnée

Je les laisse terminer leur cuisson durant quatre minutes.

Je sors alors mes raviolis avec une araignée pour les déposer sur une grille.

Une fois ceux-ci égouttés, je puis procéder au dressage. Très simplement six raviolis allongés langoureusement entre des points de sauce sriracha et deux tiges de ciboulette venues les chatouiller.

raviolis chinois
Dix heures dix

Vite à table pendant que c’est chaud ! Je prends quand même le temps de déposer les perles de coco sur une feuille de papier siliconé au sein de mon appareil de cuisson vapeur : une bonne quinzaine de minutes sont nécessaires pour pouvoir les sortir cuits à point de cette étuve.


C’est qu’ils ne sont pas mauvais du tout, ces raviolis, une fois trempés dans la petite coupelle en porcelaine posée à côté de l’assiette où l’on peut mélanger sauce pimentée et sauce soja. Et même pas trempés du tout, dans le simple appareil d’une beauté arrachée du sauna.

Je m’attendais au pire, je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai le meilleur, mais quand même…

J’aurais dû penser à acheter une bière Tsingtao pour accompagner ce régal. Tant pis, une bière alsacienne fera l’affaire.



J’entends un ding provenant de la cuisine. Les perles de coco doivent être prêtes à servir

Je les prélève directement de la plaque de cuisson pour les poser sur les assiettes. Là, le dressage sera tendance épurée : quatre boules blanches sur une surface noire veinée de blanc.

perles de cocoje vais bientôt m'enfiler les perles
Jouer aux quatre coins...

Je tranche l’une de ces sphères - légèrement aplaties quand même… L’insert jaune apparaît et nous réjouit par cette touche colorée. Mais pas que : l’œil, certes, mais aussi le palais. Une bonne farce !

perles de coco
Planète coco


Je ne me suis pas si mal débrouillé. J'ai pondu un beau coco. Je suis fier comme un coq !

L'an chinois débute bien...







jeudi 11 février 2021

La chien des Baskerville

 

Quiconque aurait eu l’idée saugrenue de braver le brouillard et le froid de ce soir de février pour une sinistre promenade aurait senti le sang se glacer dans ses veines en entendant l’horrible hurlement franchissant les murs du manoir des Baskerville, clameur affreuse se répandant sur la lande désolée comme un message de mort. Même les fantômes errant en frissonnaient d’effroi…

La soirée avait pourtant bien commencé pour le seigneur des lieux. Mollement alangui dans son fauteuil en cuir, Sir Henry Baskerville, onzième du nom, sirotait un whisky Port Askaig Islay. Il l’avait bien mérité ! Ce saumon qu’il venait de pêcher dans le loch T’Kint était vraiment somptueux. Au tour désormais de son cuisinier de l’apprêter pour que le dîner vespéral soit une fête.

Les flammes de la bûche dans la cheminée s’étaient éteintes, laissant des tisons rougeoyants d’où s’échappaient parfois quelques étincelles crépitantes ou une tremblante flammèche bleue, quand l’arrivée du majordome tira Sir Henry de sa douce torpeur.

« Le dîner de Monsieur est servi ! »

Sir Henry se leva péniblement pour se diriger en titubant vers l’imposante table de chêne de la salle à manger. Peut-être eut-il dû se contenter d’un verre… Mais non, à Dieu va, ce qui est bu est bu, honni qui mal y pense.

Il tapa le manche en argent de son couteau sur le bord de l'assiette en porcelaine de Wedgwood où la reine, cernée de laurier, n’osait même pas le regarder en face, lui offrant néanmoins son meilleur profil.

« Cuisinier de malheur, qu’attends-tu pour me servir ? Ma séance de pêche au saumon et au grand air m’a mis en appétit. »

Un petit bonhomme bronzé apparut, une assiette à la main.

« Mais où donc mon brave Archibald est-il passé ?

-  Sir, mon cousin Archy s’est cassé une jambe au cours d’un jeté de tronc aux jeux des Highlands et comme fort opportunément j’étais revenu la veille de Guyane où je me suis initié pour le prochain lancement de satellite en Écosse*, je ne pouvais faire autrement que de le remplacer au pied levé…

- Ah, le gredin ! Il aurait pu m’en avertir… Enfin, puisque je suis mis devant le fait accompli, il ne me reste plus qu’à goûter votre tambouille.

- Veuillez croire, Sir, que j’ai préparé ce plat avec amour et selon une recette qui devrait vous étonner.

- Hum, je ne cherche pas tant à être ébahi qu’à faire une honnête dégustation mettant en valeur ce saumon qui m’a donné tant de mal à le sortir de l’eau.» 

Le gnome basané exila la reine et la remplaça par une assiette rectangulaire.

saumon, sauce chien, haricots noirs
Saumon à la Baskerville

« Je n’apprécie que modérément cette touche moderniste, mais après tout qu’importe le flacon si l’on a l’ivresse. Goûtons voir si le saumon est bon ! »

Sir Henry enduisit une bouchée de chair de saumon avec de la sauce.

« Si Monsieur en désire plus, j’en ai encore un petit bol à sa disposition. »

C’est à ce moment que Sir Henry Baskerville poussa le cri strident qui survola les genêts et les bruyères, hérissant les moutons égarés, faisant s’envoler les grouses apeurées, terrant des renards pourtant effrontés.

« Ahouhhhhhhh !!!! Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur qui m’emporte la bouche. N’ai-je tant vécu que pour cette infamie ? J’ai mal ! Toubib or not toubib ? Et pourquoi ce drapeau noir qui flotte sur mon assiette ? Seriez-vous un anarchiste, monsieur l’empoisonneur ? Oui, c’est bien cela, vous êtes un disciple de Bakounine qui a fait de l’entrisme en mon manoir dans le seul but de m’éliminer. Vade retro, satanas ! Hors de ma vue, hors de ce lieu, hors de mes terres, hors des Highlands, hors du Royaume-Uni, hors du Commonwealth ! Mais pas tout de suite, avouez-moi d'abord la composition de ce poison afin que j’en trouve l’antidote avant que je ne vous étrangle de mes propres mains ! Que dis-je, de ces poisons, car je vois aussi une poudre de succession qui parsème ce malheureux saumon.

-  Pourtant Monsieur sait bien que je reviens de Guyane… La poudre, c’est du colombo, et la sauce est une spécialité locale : la sauce chien. Le tout accompagné de ces haricots noirs si typiques des régions ensoleillées…

-  Eh bien retournez là-bas, et cette sauce chien, remettez-la à la niche. » 


*https://www.abcbourse.com/marches/lockheed-martin-va-lancer-un-satellite-depuis-l-ecosse_525562


lundi 8 février 2021

Lettre à mon héliciculteur

 Mon cher Hervé,

J’espère tout d’abord que vous ne vous sentez pas offusqué par le fait que j’utilise votre prénom bien que nous n’ayons pas gardé les gastéropodes ensemble. Mais avoir invité à ma table des bestioles par vous élevées et par vous cuisinées me pousse à cette familiarité…

Alors, certes, je ne puis que vous féliciter de la bienveillance dont vous entourez vos peuplades de gros gris qui, tout escargots qu’ils soient, n’en méritent pas pour autant d’en baver dans un univers que, tout bucolique qu’il soit, il faut néanmoins qualifier de carcéral. Fort heureusement, si j’en crois la photo, l’amour est dans le pré pour ces hermaphrodites. Et pour y être, il y est, car, comme le rappelle Voltaire, qui s’y connaît en volupté : Les colimaçons se pâment trois, quatre heures entières. C’est peu par rapport à l’éternité ; mais c’est beaucoup par rapport à vous et à moi.



Quant à leur régime alimentaire, crucifères, salades, radis, etc, le tout cultivé dans la ferme, j’en ferais bien mes choux gras si toutefois vous l’enrichissiez par quelques compléments carnés. Mais je ne doute pas que votre cheptel s’en satisfasse.

Alors certes je vous sais gré de me permettre de combler mes envies escargotières quand je constate qu’après des raids nocturnes pour rogner mes salades les colimaçons disparaissent comme par miracle de mon jardin à la période diurne, me privant ainsi de cette locavoracité pourtant si à la mode.

Alors certes je suis bien aise de pouvoir m’attabler devant des escargots cuisinés façon Bourgogne par vos soins, m’évitant ainsi de faire dégorger et mijoter, d’éplucher, de hacher, de malaxer, d’introduire, bref de me livrer à toutes ces opérations fastidieuses qui gâchent la vie du gastronome autonome.


Cependant - in cauda venenum… - je ne puis m’empêcher de vous adresser quelques reproches.

Tout d’abord l’ail, l’échalote, et surtout le persil sont hachés trop menu, nous privant d’un minimum de mâche végétale.

Ensuite, la touche aillée m’apparaît trop faible. Il est vrai que vous êtes du Sud-Ouest, ce qui peut expliquer cette course vers l’échalote.

Mais surtout le remplissage des coquilles méprise les lois élémentaires de la physique.

La chair de l’escargot, recouverte d’une grosse noix de beurre parfumé, est bien proche de l’ouverture. Ceci en facilite l’extraction, me dires vous. La belle affaire ! Pour l’amateur d’escargot (comme pour celui du bigorneau ou du bulot) l’introduction de la pique, la recherche du bon emplacement avant le coup d’estoc final, la remontée prudente afin d’éviter une esquive de l’animal, l’échec redouté, la difficulté vaincue, tout cela contribue au plaisir de la dégustation. Je concède que l’on est loin de la chasse du mammouth à la sagaie (mammouth écrase les prises) ou de la pêche au gros du marlin (à marlin, marlin et demi) ; néanmoins quelle tristesse de se livrer distraitement à l’évacuation trop facile d’un squatter vous accueillant au pas de la porte… En revanche, ce qu’il est impossible de nier, c’est le basculement inévitable de la coquille avec pour conséquence le déversement de la farce de beurre en dehors de la coquille, ainsi que le démontre le schéma suivant :

L’on voit que le centre de gravité est nettement décentré. Donc le moment de la force pondérale par rapport au point de contact avec le plat est loin d’être négligeable et ne peut qu’entraîner un basculement de la coquille vers le côté de son ouverture.

Aussi cette mini-corne d’abondance rondouillarde se fait un plaisir de prodiguer son contenu à tout va.

escargots façon Bourgogne
Déversoir

Ce qui fait que, basculant ce réceptacle prometteur au-dessus des lèvres béantes de ma tête relevée, je n’ai vu couler que quelques gouttes de ce voluptueux beurre d’escargot espéré : ce liquide s’était étalé sur la surface du plat. Avouez qu’ingurgiter les morceaux de pain qui m’ont permis d’éponger le désastre comme une bonne portugaise répare les dégâts causés par le chat de Madame qui a renversé le pot-au-lait ne conduit pas à la béatitude…

Il en aurait été tout autrement avec le montage représenté par le schéma suivant :

Le frottement au sein du réceptacle aurait réussi à s’opposer à un moment de la force pondérale nettement plus faible, l’inclinaison aurait donc été évitable.


Hum, splatsch, j’aspire, un beurre brûlant et parfumé caresse les papilles, je repose l’escargot, fi donc de la pince, je le saisis entre deux doigts de ma main gauche, de la dextre j’introduis la pique, je cherche, non, c’est encore plus loin, ça y est, je l’ai, non l’escargot s’échappe, je recommence, c’est bon, je porte triomphalement ma proie à la bouche. Il reste encore un peu de ce beurre empreint de fragrances, splatsch, j’aspire, c’est bon, je m’aperçois que la coquille est encore barbouillée, je ne puis m’empêcher de la torcher d’un éclat de mie.

Au suivant !

Tel eut été mon plaisir, mon cher Hervé, si vous eussiez poussé l’escargot un peu plus loin. Vous ne le fîtes point, hélas…

Sans rancune néanmoins.


samedi 6 février 2021

Le Burger Gentil home

Quand je suis tombé sur cette recette diffusée sur France3 dans l’émission Météo à la carte, je fus interpellé au niveau du vécu :


« Y en a avoir bonne idée pour utiliser le reste de fromage patientant après ma raclette bison gendarmes ! » me suis-je exclamé in petto dans le langage peu soutenu justifié par mon en moi. Je vais reprendre cette idée, modifiant quand même en bonne partie la recette. En effet - restaurant alpin oblige… - le chef réalise plutôt une raclette revisitée. Pour ma part, j’opte pour un burger revisité, avec les codes traceurs de ce produit et non ceux de la raclette, donc sans charcuterie.


Le lendemain je passe à l’acte.

Je commence par râper des pommes de terre, plus précisément des rattes. J’enferme le résultat de mon labeur dans un torchon que je tords afin d’évacuer le plus possible d’humidité, puis verse dans une bassine. J’assaisonne de sel fin de Guérande, de plusieurs tours de moulin de poivre rouge et d’une pincée de noix de muscade râpée. Je mélange avec une cuillerée de fécule de pomme de terre, ajoute un œuf entier et continue à brasser.

Quand cet appareil est bien homogène je le partage en quatre parts je le moule dans des cercles et dépose sur une poêle bien chaude abondamment revêtue d’huile d’arachide dans laquelle a fondu une noix de beurre.

burger, galettes de pomme de terre
Faire faux buns

Quand la cuisson est terminée, les galettes dorées sans excès (il y aura un passage au four…) mais cuites à l’intérieur, je réserve.

Je passe à la cuisson de deux steaks hachés simplement parsemés de fleur de sel et des feuilles tombées d’une pousse d’origan. Un bref aller-retour sur une noix de beurre au fond d’une poêle qui préserve le cœur saignant.

burger aux galettes de pommes de terre, steak
Patate errante entre deux steaks...


Je découpe quatre tranches généreuses dans le morceau de fromage à raclette.


Je peux désormais procéder au montage que j’effectue sur un plat rectangulaire en fonte.

Une galette de pomme de terre tout d’abord. Enfin deux côte à côte. Tous mes actes suivront par paire eux aussi…

J’étends trois rondelles découpées dans un oignon doux des Cévennes. Elles devraient subir une légère cuisson propre à leur apporter encore plus de douceur et de tendreté.

Arrive une tranche de fromage à raclette. Je la saupoudre d’un tour de moulin de poivre rouge.

Je me pose maintenant une question. Roquette ou pas roquette ? J’opte finalement pour allonger quelques feuilles qui, certes, perdront de leur rigide fraîcheur, mais apporteront néanmoins une note herbacée. Se serait-il agi de bêtasse laitue, il en aurait été tout autrement…

Je transporte un steak au coeur saignant sur une large spatule jusqu’au troisième étage de ma tour en construction. Je le bombarde d’encore d'un tour de moulin de poivre et d’une pincée de quatre-épices.

Une seconde tranche de fromage à raclette vient s’ajouter à mon amoncellement.

J’y étends trois découpes longitudinales effectuées dans un gros cornichon malossol : cet aigre-doux bienvenu pour émoustiller des papilles lassées par la rondeur du fromage devrait faire merveille. 


Bon, j’en ai presque terminé…

Burger de galettes de pomme de terre
Sur le quatrième étage

Cependant parmi les codes traceurs du burger, il me manque une sauce. Pas question de m’orienter vers une sauce à base de mayonnaise pour le passage au four - même si je n’ignore pas qu’enfourner des mets tapissés de cette sauce soit pratique courante au Portugal et que j’ai pu constater que le résultat en était loin d’être mauvais… J’opte pour une bonne cuillerée de Chipotle Ketchup dont le caractère bien relevé. Et puis un produit américain dans un burger, il y a bien sa place, is not it ?

Je termine mon édifice par une seconde galette de pomme de terre.

Oups, cette tour est bien branlante. Une pique vient donner de la rigidité à mon burger qu’il ne reste plus qu’à passer au four.

J’ai réglé le thermostat à 220 °C J’enfourne pour cinq minutes.

Je sors mes burgers qui m’ont l’air à point.

Je les dépose sur deux assiettes, entourés de feuilles de roquette. Quand me vient une idée : il me reste quelques graines de courge achetées pour la confection de mon hotteok coréen. J’en fais tomber une petite cuillerée au sommet de mon burger parmentier.

burger
Burger Gentil home


Vite, à table pendant que c’est chaud !

Ouais, pas question de le porter à la bouche en le tenant en main. Ce n’est qu’une parodie de burger…

Mais le tout fonctionne bien, même si ce n’est pas super-light.

Et puis de toute façon je n’ai jamais réussi à manger un burger dans la rue sans en faire dégouliner la sauce sur ma chemise, voire ma cravate. Cette incommodité n’est donc qu’un traceur de plus…


jeudi 4 février 2021

Grenier d'en bas


grenier  médocain
Les planches du grenier

Une savoureuse découverte dans ce repas charcutier : le grenier médocain.

Cette sorte d’andouille un peu difforme cache sous son aspect rustique une âme délicate. Elle est capable de nous proposer une symphonie de fragrances : celles d’un poivre omniprésent, mais à la force tranquille, jointes dans une parfaite harmonie à celles du bain dans lequel cette pièce a cuit, bouillon qui a déposé entre les couches de panse de porc une onction de gelée aromatique qui enchante le palais, parfumée en particulier par les baraganes - des poireaux sauvages présents entre les ceps de vigne (ouais, si l’on ne désherbe pas…).

Cette spécialité est préparée par un artisan, la maison Baroc, dont l’atelier se situe dans le Médoc, non loin de Bordeaux. Sur la planche voisine j’avais aussi les tranches d’un pâté en croûte au cochon et aux cèpes et d’un pâté en croûte veau, magret, porc noir, volaille, foie gras, pistache : tous deux confectionnés par le même charcutier.

Ces prémices avant de monter au grenier étaient fort bonnes, il leur manquait toutefois par rapport à la spécialité médocaine qui leur a succédé le sel de la découverte d’un nouveau produit.

Et surtout force m’a été de constater que ma cave n’était pas au niveau du grenier !