lundi 8 février 2021

Lettre à mon héliciculteur

 Mon cher Hervé,

J’espère tout d’abord que vous ne vous sentez pas offusqué par le fait que j’utilise votre prénom bien que nous n’ayons pas gardé les gastéropodes ensemble. Mais avoir invité à ma table des bestioles par vous élevées et par vous cuisinées me pousse à cette familiarité…

Alors, certes, je ne puis que vous féliciter de la bienveillance dont vous entourez vos peuplades de gros gris qui, tout escargots qu’ils soient, n’en méritent pas pour autant d’en baver dans un univers que, tout bucolique qu’il soit, il faut néanmoins qualifier de carcéral. Fort heureusement, si j’en crois la photo, l’amour est dans le pré pour ces hermaphrodites. Et pour y être, il y est, car, comme le rappelle Voltaire, qui s’y connaît en volupté : Les colimaçons se pâment trois, quatre heures entières. C’est peu par rapport à l’éternité ; mais c’est beaucoup par rapport à vous et à moi.



Quant à leur régime alimentaire, crucifères, salades, radis, etc, le tout cultivé dans la ferme, j’en ferais bien mes choux gras si toutefois vous l’enrichissiez par quelques compléments carnés. Mais je ne doute pas que votre cheptel s’en satisfasse.

Alors certes je vous sais gré de me permettre de combler mes envies escargotières quand je constate qu’après des raids nocturnes pour rogner mes salades les colimaçons disparaissent comme par miracle de mon jardin à la période diurne, me privant ainsi de cette locavoracité pourtant si à la mode.

Alors certes je suis bien aise de pouvoir m’attabler devant des escargots cuisinés façon Bourgogne par vos soins, m’évitant ainsi de faire dégorger et mijoter, d’éplucher, de hacher, de malaxer, d’introduire, bref de me livrer à toutes ces opérations fastidieuses qui gâchent la vie du gastronome autonome.


Cependant - in cauda venenum… - je ne puis m’empêcher de vous adresser quelques reproches.

Tout d’abord l’ail, l’échalote, et surtout le persil sont hachés trop menu, nous privant d’un minimum de mâche végétale.

Ensuite, la touche aillée m’apparaît trop faible. Il est vrai que vous êtes du Sud-Ouest, ce qui peut expliquer cette course vers l’échalote.

Mais surtout le remplissage des coquilles méprise les lois élémentaires de la physique.

La chair de l’escargot, recouverte d’une grosse noix de beurre parfumé, est bien proche de l’ouverture. Ceci en facilite l’extraction, me dires vous. La belle affaire ! Pour l’amateur d’escargot (comme pour celui du bigorneau ou du bulot) l’introduction de la pique, la recherche du bon emplacement avant le coup d’estoc final, la remontée prudente afin d’éviter une esquive de l’animal, l’échec redouté, la difficulté vaincue, tout cela contribue au plaisir de la dégustation. Je concède que l’on est loin de la chasse du mammouth à la sagaie (mammouth écrase les prises) ou de la pêche au gros du marlin (à marlin, marlin et demi) ; néanmoins quelle tristesse de se livrer distraitement à l’évacuation trop facile d’un squatter vous accueillant au pas de la porte… En revanche, ce qu’il est impossible de nier, c’est le basculement inévitable de la coquille avec pour conséquence le déversement de la farce de beurre en dehors de la coquille, ainsi que le démontre le schéma suivant :

L’on voit que le centre de gravité est nettement décentré. Donc le moment de la force pondérale par rapport au point de contact avec le plat est loin d’être négligeable et ne peut qu’entraîner un basculement de la coquille vers le côté de son ouverture.

Aussi cette mini-corne d’abondance rondouillarde se fait un plaisir de prodiguer son contenu à tout va.

escargots façon Bourgogne
Déversoir

Ce qui fait que, basculant ce réceptacle prometteur au-dessus des lèvres béantes de ma tête relevée, je n’ai vu couler que quelques gouttes de ce voluptueux beurre d’escargot espéré : ce liquide s’était étalé sur la surface du plat. Avouez qu’ingurgiter les morceaux de pain qui m’ont permis d’éponger le désastre comme une bonne portugaise répare les dégâts causés par le chat de Madame qui a renversé le pot-au-lait ne conduit pas à la béatitude…

Il en aurait été tout autrement avec le montage représenté par le schéma suivant :

Le frottement au sein du réceptacle aurait réussi à s’opposer à un moment de la force pondérale nettement plus faible, l’inclinaison aurait donc été évitable.


Hum, splatsch, j’aspire, un beurre brûlant et parfumé caresse les papilles, je repose l’escargot, fi donc de la pince, je le saisis entre deux doigts de ma main gauche, de la dextre j’introduis la pique, je cherche, non, c’est encore plus loin, ça y est, je l’ai, non l’escargot s’échappe, je recommence, c’est bon, je porte triomphalement ma proie à la bouche. Il reste encore un peu de ce beurre empreint de fragrances, splatsch, j’aspire, c’est bon, je m’aperçois que la coquille est encore barbouillée, je ne puis m’empêcher de la torcher d’un éclat de mie.

Au suivant !

Tel eut été mon plaisir, mon cher Hervé, si vous eussiez poussé l’escargot un peu plus loin. Vous ne le fîtes point, hélas…

Sans rancune néanmoins.


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