Il est de plus en plus courant de proposer aux acheteurs des kits de produits à cuisiner pour l’élaboration d’un plat, voire d’un repas. La démarche n’est pas absurde, car elle évite à l’acheteur de se disperser en quête de l’ensemble des éléments de sa recette et, dans le cas d’un achat en ligne, de minimiser les frais de ports. Bref, une bonne démarche de marketing qui repose aussi sur la paresse créative des marmitons domestiques.
En ce qui me concerne, je n’adhère guère à cette formule dans laquelle je me sens quelque peu entravé et qui supprime le plaisir principal de la cuisine : construire une recette à partir de souvenirs - traditions familiales, ex-festins urbains ou campagnards, lectures gourmandes, rencontres sialogènes diverses - ainsi que de recherches, tant dans les livres que sur la toile (on devine d’ailleurs dans les prépositions respectives le lieu où le résultat sera le moins superficiel…) ; puis préciser ce qui n’est d’abord qu’une vague esquisse en imaginant un processus détaillé tenant compte des contraintes du moment ; enfin passer à l’acte en se réjouissant de sa clairvoyance quand tout se passe bien, en se réjouissant de trouver une solution impromptue devant une difficulté imprévue, en se réjouissant d’en voir la fin quand tout se passe mal ; bref, quel qu’en soit le succès, pouvoir dire après cette mise en cène : ceci est mon plat.
Mais pour une fois…
Ne voulant pas crouler sous une avalanche de cerf, biche et sanglier, mais me refusant d’être soumis au diktat d’une box, aussi tentante soit-elle, j’ai choisi la solution de commander auprès de mon fournisseur de gibier alsacien favori Nemrod un rôti de biche dans le cadre d’un Dîner du chasseur ajoutant à cette viande fraîche des späztle sous vide préparées par un fermier traiteur du Haut-Rhin, un mélange de champignons forestiers lozériens égarés vers le Grand Est, mais aussi un saucisson de cerf en guise d’entrée et un confit d’airelles sauvage au chocolat assurant la fonction de dessert.
Bon, première initiative, je retire l’entrée et le dessert, qui iront au placard dans mes réserves.
Je commence par sortir le rôti de biché de son enveloppe et le dépose sur une plaque pour se recharger en oxygène et revenir à température ambiante.
Ma biche bien ficelée |
J’ouvre le sachet de champignons séchés. Il contient un mélange de chanterelles, bolets, girolles et trompettes-de-la-mort.
Je mets tout ce petit monde des sous-bois à tremper recouvert d’eau tiède.
Je profite de cette heure de mise en forme de mes ingrédients pour éplucher une carotte du jardin et la fendre en deux avant de la réserver dans un bac d’eau froide. Je cisèle une échalote, un petit oignon et une gousse d’ail. Je réserve aussi cette garniture aromatique.
C’est bientôt l’heure du repas. Je saisis le rôti de biche assaisonné de fleur de sel dans une poêle en acier sur un trait d’huile d’arachide et une noisette de beurre. Je baisse la flamme, ajoute mes bulbes ciselés, une feuille de laurier et un brin de thym. J’allonge mes deux partitions de carotte, les champignons réhydratés et leur eau de trempage filtrée. J’enfourne à 180 °C pour 20 minutes avec retournement du rôti à mi-cuisson.
Je sors le rôti qui, au toucher, me semble cuit comme je le souhaite, encore saignant à cœur. Je le laisse reposer sur une planche.
J’extrais la carotte que je réserve au chaud dans le four éteint.
Je déglace la poêle avec un verre de porto, ajoute une pointe de couteau de fond de veau en pâte, quelques gouttes de Tabasco Worcestershire. J’ajoute un pot de 25 cl de crème fraîche épaisse. Je laisse réduire à feu doux avec quelques tours de moulin de poivre noir et une pointe de quatre-épices.
Dans une seconde poêle je fais revenir les spätzle six minutes dans une noix de beurre comme prescrit.
Je passe à la découpe du rôti. Avec aisance. Que tu es tendre, ô, ma biche !
Le moment du dressage est arrivé. Tout d’abord les pâtes, puis une tranche de viande…
Je passe la sauce dans un chinois : d’un côté les champignons et la garniture aromatique fondue dont je retire le laurier et le thym, de l’autre la sauce crémée devenue sirupeuse.
Je dispose la partie solide à la frontière de la biche et des spätzle, j’arrose de sauce.
Zut, j’allais oublier la carotte qui se morfond dans le four ! Mais non, la voici étendue sur chaque assiette. Un tour de moulin de poivre rouge sur la viande, de noix de muscade sur les pâtes, quelques cristaux de sel de Maldon, enfin la banale mais incontournable touche du persil - le seul vert à ma disposition ce jour-là. Les assiettes sont prêtes à partir vers la table.
Deux assiettes : kit en double |
La viande est savoureuse et d’une tendreté exemplaire. Les pâtes sont moelleuses et légèrement croûtées, aussi bonnes que des spätzle maison, il me faut bien l’avouer. La sauce est onctueuse et parfumée - trop parfumée même, ces champignons échappés de leur bois sont envahissants, la moitié du sachet aurait suffi largement pour l’équilibre du plat.
Eh oui, j’ai cru naïvement que la dose était calculée pour la préparation de ce Dîner du chasseur… Un chasseur sachant chasser sa biche, mais qui ne sait pas chasser son sachet de champis séchés…
Cependant, tout compte fait, ce n’est pas un désastre : je ne suis pas que kit tristement, une carotte de mon jardin est venue sublimer ce kit cuit - qui l’eut cru…