Il est arrivé chez moi seulement jeudi car il avait fait étape chez le caviste.
Je n’ai donc pas pu fêter le beaujolais nouveau mercredi à minuit comme je l’ai longtemps fait.
Mais ce n’est pas grave : ce petit décalage dans le rituel n’a pas empêché ce vin de déployer sa robe prétexte à agapes quand je l’ai versé dans les verres.
J’avais pris les devants pour cette occasion.
Sabodet à ne pas saboter |
Je n’ai eu qu’à déballer ce dodu sabodet que j’ai enfariné comme un Pierrot avant de le saisir sur toutes ses faces au fond d’une cocotte dans un trait d’huile et une noix de beurre.
Sorti du récipient et réservé sur une plaque à débarrasser, il a attendu que je fasse suer une dizaine d’échalotes du jardin (cette année elles sont de petite taille…) que je venais de hacher et deux blancs de poireaux de la même provenance découpés en sifflets.
Suivirent dans cette cocotte des pommes de terre rattes tranchées en rondelles (ou plutôt selon une silhouette patatoïde, car en regard de leur proximité avec le format grenaille et leur difformité il m’a fallu couper dans le sens de la longueur et au couteau d’office). Non sans m’entailler le bout de l’index de la main droite, celle qui pourtant devait tenir l’arme, au cours de je ne sais quelle manœuvre, le droitier que je suis n’a toujours pas compris. Et dire que j’avais choisi de refuser l’assistance d’une mandoline, pensant son usage dangereux pour y faire glisser de mini-gnomes contournés… Tout ce que je sais, c’est que je suis désormais privé de l’identification digitale sur mon smartphone* par le pansement que le handicapé que j’étais devenu avait eu tant de mal à extraire de sa pochette ultrarésistante.
J’ai oublié mes malheurs pour saupoudrer de deux cuillerées de farine, saler, poivrer et brasser pour bien mélanger le tout.
J’ai réintégré le sabodet, l’étendant sur son lit de pommes de terre, et ai versé les trois-quarts d’une bouteille d’un autre beaujolais nouveau, un Domaine du Pass’Loup plutôt bon marché acheté chez Nicolas pour lui réserver un destin cuisinier. Pas que toutefois, car pour me remettre de mes émotions et effectuer un contrôle de qualité, je m’en suis payé un gorgeon. Finalement, pas si mauvais que ça, le bougre…
Mais je n’étais pas là pour picoler, le sang de la vigne n’allait pas remplacer celui que j’avais perdu, qui était d’ailleurs bien loin de pouvoir remplir une bouteille, fut-elle une mignonnette…
Quand le liquide s’est mis à bloublouter, j’ai posé le couvercle sur la cocotte, réglé un minuteur à 60 minutes et enfourné à 210 °C, prévoyant de retourner le sabodet à mi-cuisson.
J’avais pour la cérémonie procédé à l’acquisition au marché de trois cèpes de bonne mine.
Je les ai épluchés, enlevant de leurs queues la terre qui les maculait. Je les ai brossés et débarbouillés avec un chiffon humide. Je les ai tranchés en deux avant de les faire cuire à la poêle dans une cuillerée d’huile d’olive et une grosse noix de beurre. Je les ai réservés.
Une heure s’était passée. Le minuteur faisait retentir ses bips. J’ai sorti la cocotte du four, je l’ai décoiffée.
Sabodet dans son lit |
Le résultat était déjà bien appétissant : un sabodet bien coloré, perché sur des pommes de terre enrobées d’un jus sombre et miroitant dont les effluves émoustillaient les papilles. Mis en appétit, je me suis pressé de procéder au dressage.
J’ai commencé par remettre la poêle avec ses cèpes sur le feu pour une remise à température.
J’ai retiré le sabodet, l’ai déposé sur une planche afin de le découper en tranches après l’avoir déficelé.
Cette opération effectuée, j’ai transféré dans le creux d’un plat en faïence les pommes de terre confites au sein du jus onctueux et débordant de flaveurs, mélange lié par la farine et la fécule des rattes non lavées associant le vin réduit et l’exsudat gélatineux de la pièce charcutière.
J’ai disposé sur le pourtour les rondelles de sabodet et les moitiés de cèpes arrosées du jus qui s’était formé au fond de la poêle.
J’ai ajouté un brin de pimprenelle à vocation ornementale, mais finalement s’alliant bien en bouche avec le champignon.
Pour se soigner, mon plat c'est beau |
Je me doutais bien que cette recette de Bobosse serait une réussite, l’ayant déjà pratiquée. Mais l’ajout de cèpes a encore accru la jouissance
En revanche, est-ce le bon choix pour mettre en valeur le vin qui l’accompagne ? Probablement non, car le plaisir gustatif est tel qu’il fait passer en second plan celui de la boisson.
Aussi, pour terminer la bouteille, j’ai choisi d’apporter sur la table un morceau de Beaufort d’été au lait cru provenant de chez Androuet. Le beaujolais m’a remercié…
Encore une parenthèse refermée, ô, Pivot !
* M.à J. n°1 : depuis peu j’ai récupéré mon identité.
M.à J. n°2 : pas pour longtemps, car une fâcheuse réouverture de la plaie m’a forcé à rengainer.