Cette daube de joues de bœuf a mis le feu à nos palais… C’est pour cette raison que j’ai préféré ce titre d 'En joues, feu à celui qui m’était venu en premier lieu à l’esprit, Bi-joues de famille, bien adapté pour un plat de style familial cuisiné à partir d'une paire de ces pièces tripières.
Pour cet acte qui m’a transformé en Néron de la voûte palatine doublé d’un Erostrate du temple de Dionysos je plaide responsable mais non coupable, car l’introduction d’une paire de piments cabri dont le rougeoiement intense m’avait attiré l’œil, puis une main cueilleuse, était justifiée par le désir de réveiller la daube somnolente cuvant son vin, de donner une bonne claque sur sa joue. Cependant, je l’admets, j’y suis allé un peu fort. Un seul cabri eut sans doute suffi… Heureusement que n’ai pas rameuté tout le troupeau !
Mais commençons par le commencement…
Je m’empare des deux joues remisées momentanément dans le réfrigérateur. Je n’ai pas grand-chose à faire car elles ont été déjà bien parées par le boucher : il me suffit de découper chacune d’elles en trois morceaux. J’assaisonne cette viande et la saisis sur toutes ses faces au fond de ma cocotte en fonte dans une cuillerée d’huile d’olive. Je baisse la flamme, ajoute des légumes du jardin : un oignon paille et trois petites échalotes hachés grossièrement, une carotte découpée en bâtonnets, le blanc d’un poireau maigrichon tranché en tronçons. Cinq gousses d’ail rose de Lautrec complètent cette garniture aromatique.
Je verse une bouteille de côtes-du-rhône qui noie la viande à effleurement.
J’y fais plonger un gros bouquet garni constitué de thym, origan, marjolaine, persil, feuilles de céleri et laurier enserrés par le vert du poireau …ainsi que ces deux fameux piments.
Deux clous de girofle, une pincée de gros sel, je coiffe la cocotte de son couvercle, et j’enfourne pour environ deux heures à 150 °C. Je retournerai les morceaux de joue toutes les vingtaines de minutes.
Quand je sors une dernière fois la cocotte du four, je pique la viande : c’est bien, elle n’offre plus de résistance. Néanmoins je réserve au frais jusqu’au lendemain, le temps que les osmoses se fassent.
J + 1 :
Je remets la cocotte venue du froid sur une petite flamme. Je laisse mijoter encore une demi-heure et, avant de servir je relève du jus d’un demi-citron et d’un trait de balsamique traditionnel de Modène. Il ne me reste plus que de parfumer d’un tour de moulin de l’odorant poivre rouge de Kampot et je peux apporter la cocotte sur la table de la salle à manger, escortée d’un petit saladier débordant de riz basmati encore fumant.
Le riz est dans le coin en haut à gauche |
Cette daube est savoureuse, et la viande est cuite à point, tendre, moelleuse, ne s’effilochant pas lamentablement. La joue a joué son rôle, conférant de la rondeur à la sauce par son apport gélatineux. Mais alors, qu’est-ce que c’est fort ! Je voulais de l’osmose, eh bien je l’ai eue : j’avais laissé mes cabris entiers, pensant leur agressivité contenue, mais les graines ont bénéficié d’un temps leur permettant de diffuser largement leur capsaïcine à travers la peau… Je retiens la leçon : expulser les envahisseurs avant la trêve !
Fort opportunément, des bouchées de riz basmati en alternance remplissent leur mission salvatrice.
Finalement, pas de quoi pleurer de regrets. Seulement au gré de la 8-méthyl-N-vanillyl-6-nonénamide. De la biologie et de la chimie, pas du sentiment !
C’était bien bon, mais la seconde joue était de trop pour un seul repas…
J+3 :
Le surlendemain, je me pose la question de savoir comment traiter honorablement ces reliefs mis sous vide et conservés au froid en préservant les parfums tout en contenant les ardeurs pimentesques.
L’idée me vient de métamorphoser ce plat en sauce destinée à accommoder des pâtes. Une sorte de ragù pas très orthodoxe…
Je laisse encore mijoter une bonne demi-heure ce reste dans une petite casserole après y avoir ajouté un grand verre d’eau et une cuillerée de fond de veau en pâte. Je brasse et écrase avec une fourchette jusqu’à ce que la viande se délite. J’arrête le feu quand je suis parvenu à la consistance souhaitée.
J’ai nettoyé et escalopé quatre champignons de Paris. Je les fais revenir dans deux bonnes cuillerées d’huile d’olive et verse sur eux dans la poêle de cuisson le contenu de la casserole. Je touille.
Ragù joues |
Je plonge dans l’eau bouillante la moitié d’un sachet de penne. Après les 8 minutes prescrites, je les retire et les transfère dans la poêle que j’ai replacée sur une petite flamme. Quelques tours de mouvette pour mélanger penne et ragù…
Avec beaucoup de penne... |
À table !!!
Je suis certain qu’une mamma calabraise aurait apprécié. Enfin, peut-être...
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