dimanche 15 novembre 2020

En joues, feu !

Cette daube de joues de bœuf a mis le feu à nos palais… C’est pour cette raison que j’ai préféré ce titre d 'En joues, feu à celui qui m’était venu en premier lieu à l’esprit, Bi-joues de famille, bien adapté pour un plat de style familial cuisiné à partir d'une paire de ces pièces tripières. 

Pour cet acte qui m’a transformé en Néron de la voûte palatine doublé d’un Erostrate du temple de Dionysos je plaide responsable mais non coupable, car l’introduction d’une paire de piments cabri dont le rougeoiement intense m’avait attiré l’œil, puis une main cueilleuse, était justifiée par le désir de réveiller la daube somnolente cuvant son vin, de donner une bonne claque sur sa joue. Cependant, je l’admets, j’y suis allé un peu fort. Un seul cabri eut sans doute suffi… Heureusement que n’ai pas rameuté tout le troupeau !


Mais commençons par le commencement…

Je m’empare des deux joues remisées momentanément dans le réfrigérateur. Je n’ai pas grand-chose à faire car elles ont été déjà bien parées par le boucher : il me suffit de découper chacune d’elles en trois morceaux. J’assaisonne cette viande et la saisis sur toutes ses faces au fond de ma cocotte en fonte dans une cuillerée d’huile d’olive. Je baisse la flamme, ajoute des légumes du jardin : un oignon paille et trois petites échalotes hachés grossièrement, une carotte découpée en bâtonnets, le blanc d’un poireau maigrichon tranché en tronçons. Cinq gousses d’ail rose de Lautrec complètent cette garniture aromatique.

Je verse une bouteille de côtes-du-rhône qui noie la viande à effleurement.

J’y fais plonger un gros bouquet garni constitué de thym, origan, marjolaine, persil, feuilles de céleri et laurier enserrés par le vert du poireau …ainsi que ces deux fameux piments.

Deux clous de girofle, une pincée de gros sel, je coiffe la cocotte de son couvercle, et j’enfourne pour environ deux heures à 150 °C. Je retournerai les morceaux de joue toutes les vingtaines de minutes.


Quand je sors une dernière fois la cocotte du four, je pique la viande : c’est bien, elle n’offre plus de résistance. Néanmoins je réserve au frais jusqu’au lendemain, le temps que les osmoses se fassent.


J + 1 : 

Je remets la cocotte venue du froid sur une petite flamme. Je laisse mijoter encore une demi-heure et, avant de servir je relève du jus d’un demi-citron et d’un trait de balsamique traditionnel de Modène. Il ne me reste plus que de parfumer d’un tour de moulin de l’odorant poivre rouge de Kampot et je peux apporter la cocotte sur la table de la salle à manger, escortée d’un petit saladier débordant de riz basmati encore fumant.

daube de joues de boeuf
Le riz est dans le coin en haut à gauche

Cette daube est savoureuse, et la viande est cuite à point, tendre, moelleuse, ne s’effilochant pas lamentablement. La joue a joué son rôle, conférant de la rondeur à la sauce par son apport gélatineux. Mais alors, qu’est-ce que c’est fort ! Je voulais de l’osmose, eh bien je l’ai eue : j’avais laissé mes cabris entiers, pensant leur agressivité contenue, mais les graines ont bénéficié d’un temps leur permettant de diffuser largement leur capsaïcine à travers la peau… Je retiens la leçon : expulser les envahisseurs avant la trêve !

Fort opportunément, des bouchées de riz basmati en alternance remplissent leur mission salvatrice.

Finalement, pas de quoi pleurer de regrets. Seulement au gré de la 8-méthyl-N-vanillyl-6-nonénamide. De la biologie et de la chimie, pas du sentiment !


C’était bien bon, mais la seconde joue était de trop pour un seul repas…


J+3 :

Le surlendemain, je me pose la question de savoir comment traiter honorablement ces reliefs mis sous vide et conservés au froid en préservant les parfums tout en contenant les ardeurs pimentesques.

L’idée me vient de métamorphoser ce plat en sauce destinée à accommoder des pâtes. Une sorte de ragù pas très orthodoxe…

Je laisse encore mijoter une bonne demi-heure ce reste dans une petite casserole après y avoir ajouté un grand verre d’eau et une cuillerée de fond de veau en pâte. Je brasse et écrase avec une fourchette jusqu’à ce que la viande se délite. J’arrête le feu quand je suis parvenu à la consistance souhaitée.

J’ai nettoyé et escalopé quatre champignons de Paris. Je les fais revenir dans deux bonnes cuillerées d’huile d’olive et verse sur eux dans la poêle de cuisson le contenu de la casserole. Je touille.

joues de boeuf, ragù
Ragù joues

Je plonge dans l’eau bouillante la moitié d’un sachet de penne. Après les 8 minutes prescrites, je les retire et les transfère dans la poêle que j’ai replacée sur une petite flamme. Quelques tours de mouvette pour mélanger penne et ragù…

penne, joue de boeuf
Avec beaucoup de penne...

À table !!!

Je suis certain qu’une mamma calabraise aurait apprécié. Enfin, peut-être...


jeudi 12 novembre 2020

Opération PERIL PERSIL

 De maléfiques zombies fossoyant ont envahi mon jardin, et leur principale jouissance est de bouffer les persils par la racine. Que ne se contentent-ils pas des pissenlits comme tout inhumé qui se respecte… Non, il faut qu’ils s’attaquent à tout ce qui ne bouge pas pourvu que ce soit sous terre.

Ces prédateurs invisibles m’ont saccagé - entre autres - une plate-bande de persil verdoyante qui commençait tout juste à prospérer.

Il m’a donc fallu tenter de maintenir provisoirement en vie dans mon appartement quelques pieds culs-de-jatte, le temps de leur trouver un usage culinaire et leur éviter une triste fin dans le compost. Pour ce faire je les ai immergés à mi-hauteur dans un récipient empli d’eau.

Malheureux persils

Mais voilà, il est difficile à un persil de subsister sans racines, même s’il a son bac. Aussi, pour les deux derniers rescapés nichant dans ce bain-marie transformé en bain de pieds, je me suis senti obligé de me lancer dans une opération d’envergure.

Opération PERIL PERSIL


J’avais pensé un moment m’orienter vers le stockage de beurre maître d’hôtel, mais j’ai plus utile à faire qu'envahir mon congélateur, et puis, tout compte fait, le persil demeure minoritaire dans cette recette.

Alors, tout d’un coup, l’illumination est arrivée ! Quelle préparation pourrait-elle être plus consommatrice de persil qu’un taboulé libanais ? Voici la solution, c’est évident, d’autant plus que j’ai au frais et sous-vide des sachets de charcuteries et de fromages libanais. Il me reste même des pains congelés. Quelques achats chez le traiteur des halles locales : une barquette de hommos et des boulettes de kebbeh… Je pourrai me régaler libanais une fois de plus.

Après ces courses, je me lance donc dans la confection du taboulé.

La première chose à faire est de rincer dans une passette trois cuillerées de bourghol brun fin, puis de laisser gonfler ces grains recouverts d’eau au fond d’un bol pour une demi-heure.

Pendant ce temps je prélève le feuillage des branches de persil, les lave bien par trois bains successifs et les assèche, aidé par l’essoreuse à salade. Je les étale sur une grande blanche et les concasse - pas trop finement - choisissant mon couteau le plus tranchant afin de ne pas les écraser.

Je verse le résultat dans un cul-de-poule.

Je m’empare de trois tiges de menthe, arrache leurs feuilles que j’ajoute une fois ciselées au persil.

Suit un petit oignon blanc que je hache plus ou moins grossièrement.

Le bourghol est bien imbibé, je l’égoutte en le secouant dans la même passette où il avait été rincé. Il rejoint les feuillages et l’oignon dans le cul-de-poule.

Dans mon mortier j’écrase finement sur une petite cuillerée de gros sel trois baies de piment de la Jamaïque, cinq grains de poivre noir et cinq autres de poivre blanc. Bien pulvérisé, ce mélange vient parfumer le contenu du cul-de-poule en compagnie d’une petite cuillerée de sumac. Je brasse avec toute la délicatesse dont je suis capable, arrose du jus d’un citron et de trois cuillerées d’huile d’olive, de Provence en l’absence d’huile libanaise.

Je découpe une tomate épépinée en brunoise. Je fais tomber ces cubes sur le taboulé en gestation.

Quelques tours de mouvette me permettent d’homogénéiser l’ensemble.

Ben non, ça ne tiendra pas dans mes coupelles en porcelaine. C’est carrément un plat que je tapisse de quelques feuilles d’une salade du jardin qui recueillera le contenu du cul-de-poule.

taboulé
Les habits verts

Heureusement, ce taboulé est réussi, bien équilibré en parfums, offrant juste la pointe d’acidité bienvenue, alors il ne faudra pas se forcer pour le terminer.

Je transvase mon hommos - celui du traiteur serait plus exact… - dans une coupelle et fais tomber un trait d’huile d’olive.

hommos
Je suis un hommos, comme ils disent (chanson arménienne)

Venant du traiteur elles aussi, les boulettes de kebbeh farcies de viande et de pignons de pin se disposent en étoile au creux d’une autre coupelle, séparées par des cubes de feta, quant à elle extraite de mes provisions de bouche, sur lesquels je fais tomber quelques gouttes d’huile d’olive et que je parsème d’une pincée de zaatar.

kebbeh, feta
Feta kebbeh, fête à table

Des tranches de bastorma viennent se nicher au creux d’un plat.

bastorma
Le boeuf sur la salade

Aujourd’hui, il y aura deux variétés de saucisses dans ce mezzé.

En premier, des makaneks que j’arrose de mélasse de grenade à la fin de leur cuisson au fond d’une poêle bien chaude.

En second, des soujouks, que je me contenterai d’arroser de jus de citron.

Entre ces deux variétés les épices diffèrent, et les makaneks ajoutent de l’agneau à la chair de bœuf. Et comme c’est toujours le cas, que ce soit à la maison ou dans les restaurants, ce sont les makaneks que je préférerai…

Je réunis makaneks - tendance libanaise - et les soujouks - tendance arménienne - dans un même plat, les séparant par une frontière saladesque. Je ne veux pas de conflit. Chacun chez soi. Non mais !

makaneks, soujouks
Makaneks à gauche, soujouks à droite

Pour terminer ce mezzé, j’enfourne pendant une dizaine de minutes à 160 °C un pain libanais saupoudré de zaatar et partagé en deux. Chaque moitié a été ouverte pour y insérer des tranches de fromage kachkaval parsemées elles aussi de zaatar, mais en plus de menthe fraîche hachée.

kachkaval
Epanchements...


Un point final agréable pour ce mezzé...

Et pour terminer ce repas en douceur, des pâtisseries achetées elles aussi chez le traiteur. Convenables, mais quand même bien moins fines que celles provenant du Liban…

pâtisserie orentale, bakhlava
Je me mets à l'amande


Bien entendu, l’arak était présent tout au long du repas. Avec quoi de mieux voulez-vous que l’arak aille ?


dimanche 8 novembre 2020

La diagonale du feu

 

Ma cuisine part en diagonale - ce qui vaut quand même mieux que de partir en vrille…


POINT A : LE NORD-EST

Des boudins blancs de Rethel servis avec des pois cassés cultivés dans l’Aisne.

Je cuis mes pois cassés bien rincés en les recouvrant largement d’eau où baignent un oignon et une carotte du jardin, le premier coupé en quartiers, la seconde taillée en rondelles. Je fais plonger également un bouquet garni, bombarde de deux graines de piment de la Jamaïque et d’une douzaine de grains de poivre blanc de Penja. Je place la casserole sur une petite flamme et laisse une quarantaine de minutes. J’assaisonne d’une pincée de gros sel et laisse encore cinq minutes.

Je vérifie, trois pois évacués par tirage aléatoire s’écrasent facilement entre le pouce et l’index, j’égoutte et verse dans une bassine en inox où il suffit de brasser énergiquement avec une grosse noix de beurre à l’aide d’une fourchette pour réussir une purée, certes non aérienne, mais offrant la texture agréable au palais bien appropriée pour un plat tendance rurale. En outre j’obtiens ainsi une mâche bien absente de l’élément central, un boudin certes savoureux, mais renfermant sous sa peau une chair bien voisine de celle des petits pots premier âge. Non mais, je ne suis pas un sans-dents !

Ce boudin de Rethel, je l’ai étendu au fond d’une petite poêle sur une grosse noix de beurre demi-sel finissant à peine de fondre et, retournant régulièrement mes trois pièces, je l’ai laissé se réchauffer et dorer doucement à feu doux durant une douzaine de minutes.

Et voilà, les bronzés doivent terminer de se vautrer à poêle. J’avais réservé les pois cassés dans le four à 70 °C, en profitant pour chauffer le plat de service. Oust, ite missa est, sortie du four, y a plus qu’à dresser.

Dresser, bien grand mot, car je me contente de verser ma purée-écrasée de pois cassés dans le récipient dont la blancheur resplendissante ne laisse pas soupçonner qu’il n’est qu’une vulgaire récup d’un surgelé Picard des temps anciens, puis de poser les trois boudins de Rethel que j’arrose du jus présent au fond de la poêle où ils se sont prélassés. Un tour de moulin de poivre rouge. Quelques peluches de persil frisé quand même, histoire de vivifier le paysage…

boudin blanc de Rethel, pois cassés
Pois cassés, mais boudins non éclatés

Et voilà : les bronzés font l’exquis !



POINT B : LE CENTRE

Arrivée tout droit du Haut Poitou, de cette bernache dont j’ai été bien privé cet automne.

bernache
Fin d'un cubitainer...

Une bernache rouge, une bernache de traîne si j’ose dire, car les vendanges furent précoces cette année. Agréable néanmoins, car elle n'offrait pas la petite note de vinasse trop souvent présente dans cette version rubescente.

Merci donc au valeureux passeur, d’autant plus que cette bernache était accompagnée de charcuteries tourangelles de mon boucher richelais préféré…

rillettes de Tours
Du pain sur la planche, mais pas que...


POINT C : LE SUD-OUEST

Un magret de canard des Landes servi avec des haricots cocos.

Mais non, je n’ai pas fait un crochet par Paimpol ! À vrai dire, j’ignore la provenance de ces cocos, le marchand de primeurs du marché ne s’embarrassant pas de cette précision superflue (hors de l’AOP, point de plus-value…). Cependant force m’est de reconnaître que le produit était de qualité.

Ces cocos, après que j’ai écossé les gousses bien pleines, je les verse dans une grande casserole, leur ajoutant un oignon paille partagé en quatre, une carotte taillée en sifflets. Je verse de l’eau, un centimètre au-dessus, deux centimètres, trois… Là, c’est bon, tout juste pour ne pas les délaver tout en évitant de passer son temps à rajouter de l’eau chaude (à inventer). Je n’oublie pas de faire plonger une feuille de laurier (bien mérité), une branche de thym (resplendissant), deux de sauge (d’une nuit d’automne) et quelques grains de poivre noir (désir).

Condamnés à quarante minutes de cuisson à feu moyen, ces drôles de cocos voient leur durée d’emprisonnement ramené à trente minutes en raison de leur bonne tenue.

Après s’être bien ébroués, ils sortent donc pour gagner une résidence au large vitrage. Ils auront le beurre et l’argent du beurre : c’est moi qui régale.

Le magret, je commence par le parer, évacuant les aponévroses et un petit vaisseau sanguinolent, puis n’hésitant pas à le priver d’une bonne partie du gras qui le recouvre.

Une fois le magret incisé et assaisonné de cristaux de sel de Maldon, je pose le magret côté peau partagée en petits carrés sur le fond d’une poêle en acier. Un feu moyen fait fondre la graisse du canard. Je lui fais quitter le récipient, un léger coup de feu dore la peau et la rend croustillante. Je saisis pendant quelques secondes le côté chair avant de retourner la pièce une nouvelle fois et d’enfourner la poêle pour une dizaine de minutes à 130 °C.

Après ce délai, j’étends le magret sur une planche et le laisse reposer dix, non, cinq, je ne suis pas patient et j’ai faim… Ben, à la découpe, c’est cependant parfait, pas besoin de ces cinq minutes supplémentaires !

J’étends les tranches sur une assiette carrée en guise de plat. Je fais tomber quelques gouttes de vieux vinaigre balsamique de Modène.

magret de canard, haricots cocos
Ils ne se font pas de mauvais sang sous le regard des cocos

Et voilà, je suis arrivé au bout de ma diagonale du feu.

Échec et mat !


jeudi 5 novembre 2020

Rognons, mousserons

 

Le plus souvent je prépare mes rognons (ou plutôt ceux d’un veau…) à la moutarde.

Mais cette fois-ci : ROGNONS, MOUSSERONS

Fort heureusement ce qui pourrait être un beau programme pour un gestionnaire,  "rognons sur tout afin de nous faire mousser", devient sous ma houlette "ne lésinons sur aucun produit afin de nous régaler".

Ces produits, ce sont :

1 rognon de veau

250 g de mousserons

¼ de pot de crème épaisse d’Isigny de 500 g

1 verre de porto

1 petite cuillerée fond de veau en pâte

2 petites cuillerées de paprika

1 petite cuillerée de piment d’Espelette


Je commence par nettoyer et équeuter les mousserons achetés au marché. Je réserve.

Je pare et découpe en cubes le rognon de veau.

Je fais tomber à feu moyen dans une poêle antiadhésive les mousserons sur un trait d’huile d’olive et une noix de beurre. Deux minutes suffisent, j’assaisonne et éteins la flamme.

Je m’empare d’une poêle en cuivre doublée d’inox et la revêts d’une mince couche d’huile sur laquelle je dépose une noisette de beurre afin d’apporter de la coloration. Je place l’ustensile sur une forte flamme puis, quand le beurre est bien mousseux et prend couleur, j’y fais tomber ma découpe de rognons. Je saisis bien à feu vif les dés de rognon sur toutes les faces, assaisonne d’une pincée de sel fin. Je verse le contenu de la poêle sur une passoire que j’installe au-dessus d’une petite bassine. Mon abat va s’égoutter le temps de préparer la sauce dans laquelle il va retourner.

Je fais tomber la graisse présente au fond de la poêle dans l’évier - oui, je sais, ce n’est pas bien ! -, repose la poêle sur un feu moyen et verse le verre de porto. J’y dissous le fond de veau.

Je laisse réduire en décrochant les sucs attachés sur l’inox avec une maryse.

Quand le liquide est devenu sirupeux, je le parsème du paprika et du piment d’Espelette et mélange bien.

J’ajoute la crème dans laquelle je verse mes mousserons en attente. Je laisse réduire à petit feu. Un peu avant d’obtenir la consistance voulue, ce sont les dés de rognon qui reviennent dans la poêle pour se réchauffer dans cette sauce.

Les spätzle que j’ai mis à cuire à côté ne sont pas encore prêtes. Je réserve ma poêle pour cinq minutes au four réglé à 60 °C.

J’entends le bip bip du minuteur. J’égoutte mes pâtes et les verse dans un plat, légèrement badigeonnées de beurre afin qu’elles ne collent pas.

Nous allons pouvoir passer à table.

Zut, j’ai oublié de ciseler du persil. Ce sera donc le brin de persil alakon qui mettra un peu de vie verdoyante dans le désert jonché de roches. 

rognons sauce mousserons
Sauvons cette planète !

En son absence, l’on aurait pu se croire sur l’inhospitalière planète Mars…C’est là sa seule vertu.

Néanmoins j'ai respecté mon programme : ROGNONS, RÉGALERONS




mardi 3 novembre 2020

Courge ou mes potirons ?

 Oui, il est beau, mais atteint de nanisme. Comme toutes les courges ou autres potirons cette année…

tarte au potiron
Arrivé du jardin

Il pourrait parader sans honte sur une planche du Great Dixter Garden…


Une bonne raison pour l’utiliser dans une recette bien de saison figurant dans le livre de cuisine (mais surtout d’images…) inspiré par ce jardin.


J’espère pouvoir pauser sur ma table la Tarte au Potiron de la page 158 de ce volume ! Enfin, à peu près…

Il me faut pour la réaliser :

450 g de potiron

2 œufs + 1 jaune

80 g de cassonade

1 cuill. à café de cannelle moulue

½ cuill. à café de quatre-épices

½ cuill. à café de clous de girofle moulus

½ cuill. à café de gingembre moulu

30 cl de crème fraîche épaisse


Je débarrasse le potiron de sa peau et de ses pépins. Et, ça tombe bien, j’obtiens un peu moins d’une livre de chair. Je découpe en dés puis les cuit à la vapeur une dizaine de minutes avant de les presser au fond d’une passoire (cucurbi-tassé) afin d’en exprimer le jus.

Je le transforme en purée à l’aide de mon mixer plongeant (à l’aide d’un blender pour la recette originale).

Je bats les œufs et le jaune dans un cul-de-poule.

Je verse la crème fraîche dans une casserole, y ajoute la cassonade et les épices (en ce qui me concerne les clous de girofle et le gingembre sont écrasés au mortier faute de produits moulus) puis porte à frémissement en fouettant.

Après avoir incorporé 2 cuillerées à soupe de ce mélange dans le cul-de-poule, je verse le contenu de ce dernier dans la casserole en fouettant et ajoute la purée de potiron. Et vas-y que je te fouette pour obtenir un résultat homogène…

Je verse le contenu au fond d’un moule à tarte non pas revêtu d’une pâte brisée cuite à blanc comme indiqué dans la recette, mais simplement tapissée d’une feuille de papier siliconé barbouillée au pinceau de beurre fondu.

J’enfourne pour une cinquantaine de minutes à 180 °C.

Le résultat offre une consistance voisine de celle d’un flan.

tarte au potiron
Tarte à effeuiller

Et voilà, une part de flan d’épices !

tarte au potiron
Great Dixter Garden revisité


samedi 31 octobre 2020

Des perdreaux de l'année

On ne dira jamais assez le mal causé par la diffusion du congélateur au sein des ménages pour la présence du perdreau sur les tables des non-praticants de la chasse.

Je me souviens que jadis il n’était pas rare qu’un voisin bienveillant arrive chez ma grand-mère portant en bandoulière une musette rebondie : « La chasse a été bonne, j’sais que vous avez du monde… » et en extrait quelque gibier. Parfois lapin de garenne, mais le plus souvent bête à plume - je ne parle pas d’écrivain ni même de journaleux. Il y avait bien sûr le faisan, parfois le vanneau mais surtout le perdreau, mon favori. Certes ce n’était pas l’étal d’un volailler : la tendre poule faisane pouvait faire place à un vieux coq coriace, tout comme le perdreau qui n’était pas toujours de l’année, et parfois l’animal avait salement morflé sous la chevrotine, ce qui compliquait le plumage et le vidage à la charge des bénéficiaires. Mais tous ces petits inconvénients n’empêchaient pas d’ainsi pouvoir ajouter ce régal aux autres délices de l’automne, comme les champignons, les châtaignes et la bernache. Temps béni des dieux (Bacchus particulièrement)... D’autant plus que la rentrée scolaire, qui était alors le 1er octobre, m’octroyait la possibilité de profiter de ces festivités…

Désormais ces dons de chasseurs à la bienveillance largement provoquée par l’absence de moyens de conservation pour leurs rabs cynégétiques n’ont plus lieu d’être. Le congélo est là. Chacun pour soi !

De plus ce genre de chasseur rural arpentant les champs et les bois est en voie d’extinction.

Je n’aperçois plus guère que des rangées de parvenus déguisés en combattants alignés à l’orée des forêts qui attendent, leur 4x4 garé au bord de la départementale, que des rabatteurs poussent vers leurs flingots de malheureuses bêtes extraites la veille de leur élevage natal.

Je dois donc désormais me contenter de sortir ma carte bleue chez le volailler.

Et encore, pas toujours. Car si, paradoxalement, une telle démarche ne pose aucun problème en région parisienne, je me trouve fort démuni si je me trouve dans la campagne poitevine. Y trouver des perdreaux est mission impossible. Les bouchers ou volaillers lèvent les bras au ciel : « Mais Monsieur, il faut les commander à l’avance… ». Pour moi, niet, c’est ce jour que m’est venue une envie de perdreau, pas la semaine prochaine… Ben oui, je suis comme ça ! 

Rien d’étonnant d’ailleurs à cette absence sur ces étals ruraux. Tu aimes le gibier ? T’as qu’à t’acheter un fusil et passer ton permis !

Ah j’imagine ma pauvre grand-mère son calibre 12 juxtaposé sous le bras sautant les fossés et écrasant les chaumes de ses sandalettes noires pour nous rapporter les malchanceux d’une compagnie de perdreaux… Quant à moi… Eh bien, pour faire court, je ne ressemble plus guère à ce vaillant appelé qui faisait des cartons avec son MAT 49 après avoir franchi avec maestria la planche irlandaise. Mais non, même pas pour la descente du Ricard je ne parviens aux mêmes performances !


Alors, ce jour ce sont deux perdreaux pattes grises (les meilleurs !) achetés à mon volailler francilien favori que je m’apprête à cuisiner.

perdreaux
Bien ficelés

Je n’aime pas trop la barde envahissante dont certains artisans s’obstinent à affubler leur produit, mais là force m’est de reconnaître qu’elle figure juste en quantité suffisante pour protéger et apporter un gras nourrissant à la chair. Et c’est plutôt esthétique. Bravo l’artiste !


Je prends une cocotte en fonte et y verse un trait d’huile d’olive. À feu moyen j’y dépose les perdreaux assaisonnés de sel fin, côté barde en premier. La graisse de porc s’ajoute à la mince couche d’huile, j’en profite pour saisir les perdreaux sur toutes les faces.

Quand c’est chose faite, j’éteins la flamme et évacue les zoziaux sur une plaque à débarrasser pour pouvoir évacuer tout le gras qui a envahi le fond de la cocotte.

Je réintègre les expulsés momentanés, et ajoute les quartiers d’un oignon paille et d’une petite tomate. Pour parfumer : feuille de laurier, thym, origan, romarin, graines de genièvre, poivre blanc de Penja.

perdreaux
Avant la pluie et la canicule

Un verre de sauvignon pour arroser le tout, une pincée de sel, je porte à ébullition et j’enfourne cocotte fermée à 180 °C pour 40 minutes.

Pendant ce temps je plonge des feuilles de chou kale parées sept minutes dans l’eau bouillante salée à profusion, les sors avec une araignée et les réserve.

Il y avait encore des coulemelles au marché. Quoi de mieux pour accompagner un gibier ? Je les fais sauter rapidement dans un mélange de beurre demi-sel et d’huile d’olive. Je laisse dans la poêle et réserve.

J’épluche une dizaine de charlottes de petit calibre, les fait cuire à l’eau une dizaine de minutes avant de les plonger au fond d’une petite poêle dans un flot de beurre mousseux mélangé à une cuillerée d’huile d’olive. La cuisson se poursuit à feu doux avec de temps à autre agitation de la poêle…

J’ouvre la cocotte, la replace sur une petite flamme. Je verse un verre d’alcool de genièvre Houlle et flambe les perdreaux après les avoir privés de leurs oripeaux de barde et de ficelle, puis les dépose à nouveau sur la plaque et réserve dans le four éteint. J’en profite pour poser à côté deux grandes assiettes afin qu’elles soient chaudes au moment du dressage.

Le moment est venu de passer à la réalisation de la sauce.

Je dilue deux petites cuillerées de fond de veau en pâte dans un verre d’eau chaude et ajoute au jus de la cocotte.

Je gratte bien avec une cuillère afin de décrocher les sucs. Une pointe de piment d’Espelette et une petite cuillerée de balsamique blanc vont apporter un peu de peps.

Après quelques tours d’ébullition, je passe le contenu de la cocotte au moyen d’un petit chinois en inox en écrasant avec un pochon pour extraire les jus. 

perdreaux, sauce
Un chinois qui passe

Je poursuis la réduction dans la casserole qui a recueilli cette sauce.


Passons au dressage !

Je réchauffe les feuilles de chou kale par un passage de deux minutes au micro-ondes

Je parfais la coloration des pommes de terre sur forte flamme.

Sur un autre feu je remets les coulemelles à température

Je sors les assiettes chaudes du four, y dispose en périphérie le chou, les coulemelles et les pommes de terre.

Je sors les assiettes chaudes du four, y dispose en périphérie le chou, les coulemelles et les pommes de terre.

Ce sont maintenant les perdreaux qui doivent quitter leur chaude prison. Ils vont s’allonger au centre de l’assiette.

Je les arrose de la sauce bien chaude, débordant volontairement sur le chou et les coulemelles. L’idée me vient alors de leur apporter à la fois une saveur nouvelle et une décoration : je tranche en deux une gousse d’ail noir de Aomori japonais et décore le perdreau de ces perles baroques. Je termine par quelques grains de fleur de sel de l’île de Ré et un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Perdreau
Un perdreau de l'année


Bien entendu ce processus est réalisé en double (mixte).


Nous passons à table. J’entame mon perdreau. Je suis soulagé, la chair est encore juteuse, cuite à point. Elle est goûteuse, le gibier est bien là. Quant à la sauce, hum, quant à la sauce… Délectable ! On s’arrache le rab qui a été versé dans une saucière. Ma compagne de table me le confirme : ce plat est un régal et pour qu'une personne peu portée vers le gibier comme elle l'affirme...

Ce perdreau de l’année, j’ai bien fait de le faire entrer dans ma cocotte. Normal, il avait montré patte grise !



mercredi 28 octobre 2020

Chevauchons les chevaquines

 Aussi piètre navigateur qu’un Christophe Colomb parti pour les Indes et se retrouvant en Amérique, je voguais dans mon placard vers le Royaume de Sarawak à la recherche d’un sachet de poivre quand je me suis heurté à l’île de la Réunion.

En effet il y avait là, oublié depuis son échouage, un sachet de chevaquines que je me suis senti obligé de faire figurer sur la carte (du lendemain).

chevaquines
Chevaquines cernées par le végétal

Petits poissons séchés qui provoquent l’irritation du Grand Robert qui, en me lisant, voudrait à tout prix que je remplace chevaquine par chevaline. Mon vieux Bob, je sais bien que tu es à cheval sur l’orthographe, mais là tu es à côté de la plaque ! À ta décharge, il aurait mieux valu en ce qui concerne ce produit que je consultasse un Dico Péi

Le lendemain de cette découverte, je me lance donc dans la préparation de mon rougail chevaquines. Je ne suivrai cependant pas à la lettre la recette figurant sur le sachet.


ROUGAIL CHEVAQUINES

La première opération est de laisser baigner les chevaquines pendant une bonne heure dans une bassine d’eau glacée.

Oublions ces bestioles en trempette.

Je commence par concasser cinq tomates de tailles moyennes, malheureusement achetées chez un maraîcher car le jardin ne fournit plus qu’une petite quantité de tomates cerises…

En revanche ce sont bien trois oignons maison que je peux émincer et mettre à fondre au fond d’une sauteuse en cuivre dans quatre cuillerées d’huile d’olive avant d’y ajouter les tomates et laisser compoter doucement sur une petite flamme.

Pendant ce temps je m’empare de mon mortier en granit et y écrase sur une grosse pincée de gros sel quatre gousses d’ail, un cube de gingembre frais découpé en brunoise, un piment Cabri à la fois fort et parfumé ainsi qu’un piment Martin au rouge éclatant. Je louche vers le pied de piment végétarien, mais hélas sa production est encore bien loin de la maturité… Je transfère la purée obtenue dans la sauteuse, et touille…

mortier, rougail
Ben oui, j'ai dit que j'avais transféré le contenu !

Je n’omets pas d’ajouter une cuillerée de safran péi, un curcuma dont il me reste le fond d’une petite boîte.


La compotée arbore désormais une belle couleur orangée.

rougail chevaquines
Rougail, trois rivets te regardent !

Je retourne vers mes chevaquines, elles se sont bien réhydratées, il n’y a plus qu’à les rincer abondamment. En les voyant au fond de la passoire, je comprends néanmoins pourquoi les Chinois surnomment ce produit xiāpí - peau de crevette… ( doctus cum bloggo : Recettes d’une Chinoise - de Margot ZHANG ). 

Néanmoins, si l’aspect n’est pas terrible, les fragrances sont bien là. Je presse vigoureusement ces bestioles entre mes mains afin d’évacuer l’excès d’eau pouvant subsister, et je verse dans la sauteuse.

Je laisse mijoter une vingtaine de minutes jusqu’à la texture qui me semble convenable : pâteuse, pas trop desséchée.

Même si je préfère touiller encore de temps à autre pour tester la consistance et vérifier que ça n’attache pas, j’ai largement le temps de cuire le riz d’accompagnement : un basmati bio qui se révèle étonnamment parfumé.

Nous pouvons passer à table, j’apporte la sauteuse de rougail au rouge orangé à côté du plat immaculé de riz.

rougail chevaquines
Fonte, cuivre, inox terre, mer

Je me sers à la bonne franquette.

rougail chevaquines
Réunion

C’est très bon, la chevaquine.

Mais ce n’est pas quand même une tuerie. Alors n’insiste pas, Robert…