On ne dira jamais assez le mal causé par la diffusion du congélateur au sein des ménages pour la présence du perdreau sur les tables des non-praticants de la chasse.
Je me souviens que jadis il n’était pas rare qu’un voisin bienveillant arrive chez ma grand-mère portant en bandoulière une musette rebondie : « La chasse a été bonne, j’sais que vous avez du monde… » et en extrait quelque gibier. Parfois lapin de garenne, mais le plus souvent bête à plume - je ne parle pas d’écrivain ni même de journaleux. Il y avait bien sûr le faisan, parfois le vanneau mais surtout le perdreau, mon favori. Certes ce n’était pas l’étal d’un volailler : la tendre poule faisane pouvait faire place à un vieux coq coriace, tout comme le perdreau qui n’était pas toujours de l’année, et parfois l’animal avait salement morflé sous la chevrotine, ce qui compliquait le plumage et le vidage à la charge des bénéficiaires. Mais tous ces petits inconvénients n’empêchaient pas d’ainsi pouvoir ajouter ce régal aux autres délices de l’automne, comme les champignons, les châtaignes et la bernache. Temps béni des dieux (Bacchus particulièrement)... D’autant plus que la rentrée scolaire, qui était alors le 1er octobre, m’octroyait la possibilité de profiter de ces festivités…
Désormais ces dons de chasseurs à la bienveillance largement provoquée par l’absence de moyens de conservation pour leurs rabs cynégétiques n’ont plus lieu d’être. Le congélo est là. Chacun pour soi !
De plus ce genre de chasseur rural arpentant les champs et les bois est en voie d’extinction.
Je n’aperçois plus guère que des rangées de parvenus déguisés en combattants alignés à l’orée des forêts qui attendent, leur 4x4 garé au bord de la départementale, que des rabatteurs poussent vers leurs flingots de malheureuses bêtes extraites la veille de leur élevage natal.
Je dois donc désormais me contenter de sortir ma carte bleue chez le volailler.
Et encore, pas toujours. Car si, paradoxalement, une telle démarche ne pose aucun problème en région parisienne, je me trouve fort démuni si je me trouve dans la campagne poitevine. Y trouver des perdreaux est mission impossible. Les bouchers ou volaillers lèvent les bras au ciel : « Mais Monsieur, il faut les commander à l’avance… ». Pour moi, niet, c’est ce jour que m’est venue une envie de perdreau, pas la semaine prochaine… Ben oui, je suis comme ça !
Rien d’étonnant d’ailleurs à cette absence sur ces étals ruraux. Tu aimes le gibier ? T’as qu’à t’acheter un fusil et passer ton permis !
Ah j’imagine ma pauvre grand-mère son calibre 12 juxtaposé sous le bras sautant les fossés et écrasant les chaumes de ses sandalettes noires pour nous rapporter les malchanceux d’une compagnie de perdreaux… Quant à moi… Eh bien, pour faire court, je ne ressemble plus guère à ce vaillant appelé qui faisait des cartons avec son MAT 49 après avoir franchi avec maestria la planche irlandaise. Mais non, même pas pour la descente du Ricard je ne parviens aux mêmes performances !
Alors, ce jour ce sont deux perdreaux pattes grises (les meilleurs !) achetés à mon volailler francilien favori que je m’apprête à cuisiner.
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Bien ficelés
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Je n’aime pas trop la barde envahissante dont certains artisans s’obstinent à affubler leur produit, mais là force m’est de reconnaître qu’elle figure juste en quantité suffisante pour protéger et apporter un gras nourrissant à la chair. Et c’est plutôt esthétique. Bravo l’artiste !
Je prends une cocotte en fonte et y verse un trait d’huile d’olive. À feu moyen j’y dépose les perdreaux assaisonnés de sel fin, côté barde en premier. La graisse de porc s’ajoute à la mince couche d’huile, j’en profite pour saisir les perdreaux sur toutes les faces.
Quand c’est chose faite, j’éteins la flamme et évacue les zoziaux sur une plaque à débarrasser pour pouvoir évacuer tout le gras qui a envahi le fond de la cocotte.
Je réintègre les expulsés momentanés, et ajoute les quartiers d’un oignon paille et d’une petite tomate. Pour parfumer : feuille de laurier, thym, origan, romarin, graines de genièvre, poivre blanc de Penja.
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Avant la pluie et la canicule
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Un verre de sauvignon pour arroser le tout, une pincée de sel, je porte à ébullition et j’enfourne cocotte fermée à 180 °C pour 40 minutes.
Pendant ce temps je plonge des feuilles de chou kale parées sept minutes dans l’eau bouillante salée à profusion, les sors avec une araignée et les réserve.
Il y avait encore des coulemelles au marché. Quoi de mieux pour accompagner un gibier ? Je les fais sauter rapidement dans un mélange de beurre demi-sel et d’huile d’olive. Je laisse dans la poêle et réserve.
J’épluche une dizaine de charlottes de petit calibre, les fait cuire à l’eau une dizaine de minutes avant de les plonger au fond d’une petite poêle dans un flot de beurre mousseux mélangé à une cuillerée d’huile d’olive. La cuisson se poursuit à feu doux avec de temps à autre agitation de la poêle…
J’ouvre la cocotte, la replace sur une petite flamme. Je verse un verre d’alcool de genièvre Houlle et flambe les perdreaux après les avoir privés de leurs oripeaux de barde et de ficelle, puis les dépose à nouveau sur la plaque et réserve dans le four éteint. J’en profite pour poser à côté deux grandes assiettes afin qu’elles soient chaudes au moment du dressage.
Le moment est venu de passer à la réalisation de la sauce.
Je dilue deux petites cuillerées de fond de veau en pâte dans un verre d’eau chaude et ajoute au jus de la cocotte.
Je gratte bien avec une cuillère afin de décrocher les sucs. Une pointe de piment d’Espelette et une petite cuillerée de balsamique blanc vont apporter un peu de peps.
Après quelques tours d’ébullition, je passe le contenu de la cocotte au moyen d’un petit chinois en inox en écrasant avec un pochon pour extraire les jus.
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Un chinois qui passe
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Je poursuis la réduction dans la casserole qui a recueilli cette sauce.
Passons au dressage !
Je réchauffe les feuilles de chou kale par un passage de deux minutes au micro-ondes
Je parfais la coloration des pommes de terre sur forte flamme.
Sur un autre feu je remets les coulemelles à température
Je sors les assiettes chaudes du four, y dispose en périphérie le chou, les coulemelles et les pommes de terre.
Je sors les assiettes chaudes du four, y dispose en périphérie le chou, les coulemelles et les pommes de terre.
Ce sont maintenant les perdreaux qui doivent quitter leur chaude prison. Ils vont s’allonger au centre de l’assiette.
Je les arrose de la sauce bien chaude, débordant volontairement sur le chou et les coulemelles. L’idée me vient alors de leur apporter à la fois une saveur nouvelle et une décoration : je tranche en deux une gousse d’ail noir de Aomori japonais et décore le perdreau de ces perles baroques. Je termine par quelques grains de fleur de sel de l’île de Ré et un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.
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Un perdreau de l'année |
Bien entendu ce processus est réalisé en double (mixte).
Nous passons à table. J’entame mon perdreau. Je suis soulagé, la chair est encore juteuse, cuite à point. Elle est goûteuse, le gibier est bien là. Quant à la sauce, hum, quant à la sauce… Délectable ! On s’arrache le rab qui a été versé dans une saucière. Ma compagne de table me le confirme : ce plat est un régal et pour qu'une personne peu portée vers le gibier comme elle l'affirme...
Ce perdreau de l’année, j’ai bien fait de le faire entrer dans ma cocotte. Normal, il avait montré patte grise !