L’on ne connaît pas assez l’origine du chutney. Pour l’instruction des masses populaires et même des minorités haïes, je vais entreprendre de conter la genèse de cette dénomination qui au début n’avait rien de culinaire.
Il se trouve qu’à Waterloo, après une charge héroïque, le Maréchal Ney se vit encerclé par les troupes britanniques.
Dans cette situation désespérée, notre vaillant guerrier bomba le torse et s’écria : « Messieurs les Anglais, visez droit au cœur ! »
Mais ces paroles furent couvertes par le bruit de canons. Effaré, l’aide de camp du Brave des braves lui hurla dans l’oreille que la France avait encore besoin de lui, qu’il serait bien temps de resservir cette bravade plus tard, que pour l’instant il s’agissait de combattre et non pas de déclamer. « Dieux du ciel, taisez-vous. Chut, Ney ! »
Le maréchal concéda que ce n’était guère le moment de faire son intéressant, mais qu’il avait du mal à réprimer son aigreur devant la situation, qu’il préférait être mort qu’écrabouillé.
« Et puis merde, comme dirait Cambronne, je réitère et hurle : Messieurs les Anglais…
- Tout doux, tout doux !
- Vous en avez de bonnes ! Comment à la fois être aussi aigre et pourtant doux ?
- Mais si c’est possible. Je vous le répète : chut Ney, chut Ney ! »
L’aide de camp narra cette anecdote à une femme de chambre de l’Impératrice (mais pas pour longtemps désormais), qui s’empressa de se charger de sa diffusion, et bientôt tout Paris fut au courant. Il ne fallut pas cent jours pour que chut Ney, orthographié chutney, devienne le synonyme d’aigre-doux.
L’on raconta même un peu plus tard que la mort du Maréchal Ney n’était qu’une mascarade, qu’en fait il vivait exilé aux Amériques, et qu’il y avait fait fortune en vendant une sauce baptisée Chutney qui y faisait fureur. Mais ça, je ne saurais l’attester : ce n’est qu’un on-dit, contrairement au texte précédent, qui relève de l’Historie.
Si je me sens obligé de faire mon pédant avec ce qui pour certains ne sera qu’une piqûre de rappel, c’est que les tomates du jardin étant passé au vert sans trop d’espoir de repasser au rouge, il a fallu se livrer à une opération SOS TOMATES VERTES qui en l’occurrence fut une opération CHUTNEY.
Au départ, pas loin de deux kilos de tomates vertes rapatriées du jardin et environ 500 g d’oignons de même provenance.
Je pèle les tomates, les épépine et les découpe en gros dés. J’émince les oignons.
Il me faut maintenant 750 g de pommes. L’idéal eut été d’avoir des pommes acides du style Granny Smith, mais n’ayant pu m’en procurer, je me contenterai de Reines des Reinettes que je partage elles aussi en dés après les avoir vidées et débarrassées de leurs trognons.
Je verse tout ce petit monde dans un rondeau et y ajoute :
1/3 de litre de vinaigre blanc
1 verre de vinaigre de Maury
200 g de cassonade
150 g de raisins secs
1 cuillerée rase de gros sel
3 piments Habanero hachés finement
2 clous de girofle écrasés au mortier
1 cuillerée de graines de coriandre
1 cuillerée de poivre à queue
1 cuillerée de poivre blanc de Penja
Je place sur le feu et porte à ébullition en remuant, puis diminue la flamme pour laisser bloublouter environ 45 minutes, m’assurant que ça n’attache pas au fond du récipient.en venant touiller régulièrement.
Arrive le moment où pratiquement tout liquide a disparu.
Je verse ce chutney dans des bocaux. J’en ai quatre emplis jusqu’à un centimètre du bord que je mets à stériliser. Le cinquième n’est plein qu’aux trois quarts. Je le place au réfrigérateur pour une consommation plus immédiate.
Et c’est ainsi que je prépare le surlendemain (j’ai hâte de savoir !) deux assiettes de viande froide destinées à juger de la qualité du résultat…
La veille j’avais fait cuire un petit rôti de rumsteck que j’avais laissé refroidir et stocké au réfrigérateur.
Je pose cette viande sur une planche et la découpe en tranche d’environ 4 mm d’épaisseur à l’aide d’un couteau japonais bien tranchant.
Auparavant j’avais plongé six minutes dans de l’eau bouillante salée sans modération des bouquets de brocoli avant de les laisser refroidir sur une plaque (l’expérience m’a montré que la plongée dans l’eau glacée n’est pas forcément une bonne idée, car dans ce cas un légume qui offre maintes anfractuosités comme cette variété de chou a du mal à se débarrasser de ce liquide, alors que la chaleur provoque une évaporation qui assèche la surface, tout en produisant un phénomène de refroidissement somme toute assez rapide qui préserve la belle teinte verte tout aussi bien).
Il ne me reste plus qu’à procéder au dressage, ajoutant une touche rouge par une tranche de la pratiquement dernière tomate du jardin, une petite note jaune par une pointe de curcuma tombée sur le blanc de l’assiette, et versant un trait de bonne huile d’olive de Provence sur les bouquets de brocoli ainsi que quelques gouttes de jus de citron. Deux feuilles de coriandre vietnamienne, et c'est terminé.
Eh bien je suis fort content des saveurs de ce chutney.
Apparaît cependant une divergence sur l’introduction des épices. Si j’ai écrasé au pilon les clous de girofle car je sais qu’il est désagréable de rencontrer au sein d’une bouchée cet énergumène qui plie et ne rompt pas, se défendant en dégageant une odeur envahissante dans le palais, je n’en ai pas fait de même pour la coriandre et les poivres, car personnellement j’aime faire éclater ces grains à la coque amollie par la cuisson qui provoquent des intermèdes parfumés égayant la monotonie gustative de leurs fulgurances.
Mais visiblement ce genre de rencontres n’est pas apprécié à l’unanimité...
Néanmoins, je persiste et signe. Quand même, l’objectif, ce n’était pas de confectionner des petits pots pour bébés !
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