vendredi 23 octobre 2020

Mezzé aisé

Ayant entendu dans un reportage chez les frères Tutunjian, artisans producteurs de mes makaneks préférées, l’un d’eux s’insurger contre les malfaisants qui font revenir ces saucisses sur un fond d’huile, je me suis senti honteux et confus. En effet j’ai l’habitude d’oindre la poêle dans laquelle je mets à griller ces délices libanais d’un filet d’huile d’olive, certes minimaliste, mais, je venais de l’apprendre, fort inopportun. Il convenait de battre ma coulpe quand elle était chaude. J’ai aussitôt procédé à l’acquisition d’un lot de charcuterie réparatrice apte à me ramener dans le droit chemin.


Mes makaneks sont arrivées, accompagnées de quelques fromages libanais.

Ce soir, donc, mezzé !

Mais comme je suis un peu flemmard, cette fois-ci je ne me lancerai pas dans la confection du taboulé et encore moins du houmos. Il y a, abrité sous les halles locales, un traiteur dont les réalisations sont tout à fait convenables.

Je ne dispose pas de la vaisselle spécialisée. 


Aussi c’est dans des coupes en porcelaine blanche que je déverse le contenu des barquettes que je rehausse au besoin d’un peu d’huile d’olive, pas du Liban, désormais introuvable, mais de Provence.

Il y a donc :

le taboulé

taboulé
Le vert du décor

le houmos

houmos
Calmos sur l'houmos !

le labneh

labnehavec des points de menthe
Blanc sur blanc

les olives vertes

olives
Re vert


Puis je dépose - À SEC ! - les makaneks sur la poêle bien chaude.

makanek
Bien à sec

Quand elles sont dorées sur toutes les faces, je verse le jus d’un citron et je laisse déglacer et réduire quelques dizaines de secondes. Il ne me reste plus qu’à les verser dans un plat chaud, hésitant à arroser d’un trait de mélasse de grenade, y renonçant car je préfère aujourd’hui les apprécier sans atours aguichants, en toute simplicité.

mekanek
Mekaneks en vrac

Dans une autre poêle, ce sont les tranches de halloumi que je mets à griller, elles aussi à sec - mais là, c’est ce que j’ai toujours fait.

Je dépose ma découpe d’halloumi sur une assiette une fois obtenue la croûte légèrement calcinée dont le crissement sous la dent m’emplit d’un plaisir analogue à celui que me procure (ou plutôt me procurait) la coupole ébène qui recouvre les tourteaux fromagers poitevins (ou plutôt qui les recouvrait jadis, car les touristes ennemis aussi bien du chant du coq que de celui du tourteau mordu ont incité les producteurs mercantiles à concocter une pâtisserie châtrée…). 

halloumi
J'ai allumé sous l'halloumi


Mais je m’égare, revenons au Liban.

Je m’empresse de réchauffer des pains libanais au micro-ondes dans leur sachet laissé fermé afin que les pièces conservent leur humidité.

pain libanais
Chauds pains


Bien entendu, pour arroser ce repas, l’ouverture d’une bouteille d’arak Château Kefraya s'impose.



Je n’irai pas jusqu’à remplacer le verre terminé par son frère immaculé pour me resservir comme le faisait mon restaurant libanais parisien préféré afin qu’un reste de glaçon ne vienne agresser la transparente liqueur avant qu’elle ne soit étendue d’eau fraîche, mais ce n’est pas sans regretter en mon for intérieur ce laisser-aller domestique où se conjuguent la paresse et le sous-équipement en verrerie…

Pour conclure, en l’absence de pâtisseries et n’ayant plus de glaces en stock, nous nous contenterons d’une savoureuse confiture de fraises parfumée aux pétales de roses.



confiture, fraise et pétales de rose
Ramener sa fraise et être envoyé sur les roses


Il reste cependant une petite amertume après ce repas : il est bien facile en Ile-de-France de jouir paisiblement de ce bon côté du Liban. Aujourd’hui, c’est meilleur que là-bas, hélas…


jeudi 22 octobre 2020

Châtaignes contre Châtaignes

 

CHÂTAIGNES un test de 

(60 MILLIONS DE CONSOMMATEURS / 3 ) X 10-7 ©


1- Châtaignes ramassées dans les bois.    Note : 18/20

Extrêmement goûteuses et sucrées. Un régal ! De rares véreuses détectées avant la cuisson.

châtaignes
L'appel de la forêt


 

2- Châtaignes de l’Ardèche du marché.   Note : 15/20

Bien plus grosses, mais fades. De plus, quelques-unes à la chair noirâtre

châtaignes
Le cri du marchand


 

Protocole :

Les châtaignes, fendues à l’aide d’un couteau bec d’oiseau, ont été cuites à l’aide du Tostacastagne Ferraboli.

châtaigne
La chaleur du foyer


En contrepoint de la dégustation, des tranches découpées dans une épaule de Pata Negra Bellota - le gland va à la rencontre de la châtaigne.

Pata negra bellota
Lame vagabonde


épaule, pata negra, bellota
Tranché


Et vraiment cette alliance, c’est le pied !

pata negra, épaule, sabot
Vol au-dessus d'un nid d'Ibérique




mardi 20 octobre 2020

Bacon m'a dit

 Je déballe mon paquet d’Unsmoked Back Bacon Sliced.



Je considère avec perplexité ces tranches, me souvenant de ma précédente autocritique :

…un bon bacon que j’aurais peut-être dû laisser cuire encore plus longtemps afin de le rendre très croustillant !

« Mon vieux, j’espère que ça se passera mieux… Car à notre dernière rencontre, y avait du mou dans le breakfast, hein, mon fier highlander ramollo de la tranche. »

C’est alors qu’une voix à l’accent britannique s’élève dans le silence de la cuisine à peine troublé par le ronronnement de la hotte.

« Améliore le présent sans faire la satire du passé »

Bacon me parle ! Je suis un tantinet inquiet, ce n’est pas tous les jours que l’on dialogue avec un tel personnage, serai-je à la hauteur ? Mais il a deviné mon angoisse…

« Le doute est l’école de la vérité », enchaîne-t-il, sentencieux.

Tout cela est bien beau, cependant moi, tout ce que j’espère, c’est réussir ma cuisson !

« L’espoir est un bon déjeuner, mais un mauvais dîner »

Je ne sais pas vraiment comment procéder pour obtenir une tranche croustillante et pas desséchée pour autant, je ne veux pas obtenir du carton. Un digne Anglais aurait peut-être la réponse ?

« Celui qui dit ce qu’il sait dit aussi ce qu’il ignore »

Ah oui, c’est bien avec ce genre de réflexions que je vais avancer ! Mais foin de billevesées, il me faut maintenant passer à l’acte. Déjà, ma cuisson sera plus longue, mais est-ce que ce sera suffisant ?

« Il est plus sage de changer beaucoup de choses qu’une seule »

T’as pas tort, Francis, d'ailleurs je pense à deux autres modifications : les tranches seront cuites à sec, à même la poêle, et cette dernière finira dans le four quelques minutes à 200 °C.

J’étends mon bacon au fond d’une poêle que je m‘apprête à poser sur un brûleur qui s’épanouit déjà en une vaste fleur bleuâtre au cœur cuivré. Et ça chauffe, ça chauffe !

« Attendons un peu pour finir plus vite »

Ouais ouais, tu te crois malin, mon gros bêta Bacon, mais tu ne réussiras pas à m’abuser avec tes pauvres manœuvres dilatoires. Allez zou, sur le feu ! Les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.

« La plaisanterie sert souvent de véhicule à la vérité »

Eh bien, roule ma poule...

Sur ce, l’âme de Francis Bacon s’envole de la poêle au milieu de la vapeur pour regagner les limbes qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

Les tranches commencent à se recroqueviller, le passage au four croûte leur surface.

Bacon
Bacon va se mettre à table


À leur sortie, elles m’invitent à aller me faire cuire un œuf, et même deux car nous allons jouer au breakfast à quatre mains.

bacon, oeuf au plat, chips
L'un des deux d'oeufs


J'ai ajouté à la panoplie quelques poignées de chips sorties d’un paquet emballé par un adepte de l’art pompier. 



Ces vaillants éteigneurs de feu se révèlent d’ailleurs bien inutiles en cette occasion, car ils n’ont pas à grimper bien haut sur l’échelle de Scoville… Je me prends à regretter de ne pas avoir eu dans mes réserves des chips parfumées au vinaigre, bien mieux adaptées.

Mais j'accepte ce mécompte avec philosophie… Quand on a discuté avec Francis bacon !


samedi 17 octobre 2020

Retour de frimas et re-porc

Avec l’arrivée du froid, une bonne partie des piments du jardin ont regagné l’appartement, maternité où ils étaient éclos il y a plusieurs mois dans une mini-serre chauffée et éclairée.

piments
Planche de piments

Certains sous forme de cueillette dont une bonne partie a été rassemblée en tresses destinées à passer au déshydrateur : piments de graines venues de la Réunion de variétés diverses telles que Martin, Achard et de Malaisie, ainsi qu’un piment que j’oserai qualifier de proximité, car provenant du Potager du Roi. 

piments
Piments en des tresses



Mais encore des pieds extraits des plates-bandes et rempotés pour vivre désormais une vie recluse à côté d’une fenêtre et d’un radiateur : piments Oiseau et Cabri eux aussi issus de graines réunionnaises, sans oublier un pied de piment végétarien obtenu à partir de graines de la maison Baumaux, et destiné à remplacer le pied hélas mort de vieillesse qui nous avait approvisionnés et régalés pendant plusieurs années.


piment oiseau
Oiseaux perchés



piment cabri
Cabri qui ne saute pas



piment végétarien
La fleur du végétarien


Pour fêter cette arrivée j’ai sorti une côte de porc basque Ibamaîa, bien pourvu en graisse 

côte d'Ibamaïa
Ibamaïa, le retour



- mais tout de même plus raisonnablement que celle que j’avais cuisinée fin août… 


J’ai servi à ses côtés un plat de légumes pimenté : une giraumonade.


Côté porc, je fais dorer légèrement ma côte assaisonnée généreusement de cristaux de sel de Maldon sur toutes ses faces au fond de ma cocotte en fonte sur une minimaliste goutte d’huile : en effet la viande rendra rapidement suffisamment de gras pour ne pas attacher. Puis je verse un petit verre de genièvre de Houlle, non sans avoir vérifié par l’ingestion d’un tout petit verre de dégustation l’adéquation du produit avec mon projet. Il faut savoir donner de son corps pour parfaire une recette ! 

J’approche la flamme d’une allumette. Flambe bien, mon cochon !

Je fais tomber au fond de la cocotte un oignon rouge partagé en quatre, trois gousses d’ail violet nouveau, une feuille de laurier, un brin de persil, une petite branche de sauge, une autre de thym. Je sème une pincée de grains de poivre de Voatsiperifery. J’ajoute un chaton de poivre long et chasse le vieux chat, en pension pour quelques jours mais toujours là, de la cuisine où il traîne, même pas par l’odeur alléché. J’arrose d’un verre d’eau, coiffe la cocotte de son couvercle et enfourne à 110 °C.

Au bout de quarante-cinq minutes, je sors la cocotte du four qu’elle réintègre après que j’ai retourné la côte d’Ibamaïa et ranimé le jus commençant à caraméliser d’un nouveau verre d’eau. Encore trois quarts d’heure, et la cuisson devrait être achevée. Deux piments Martin me font de l’œil, je ne résiste pas à l’envie de les intégrer à ma recette. Et zou, dans la cocotte… Roule, mon cochon !

J’ai donc largement le temps de préparer la giraumonade, un plat que cuisinait souvent ma tante guadeloupéenne.

Ce sera d’ailleurs plutôt une pâtissonade, car pour une raison inconnue, tout au moins par moi, piètre jardinier, les pieds semés n’ont pas poussé dans le jardin, pas plus que ceux de potirons Bleus du Poitou qui avaient pourtant donné lieu à une magnifique récolte l’année précédente.

La première étape est la plus pénible. Éplucher ces légumes contorsionnés est une entreprise malaisée, et il me prend souvent l’envie de jeter ces bonnets d’électeur par-dessus les moulins… 

Enfin, voici, la corvée est terminée. Je découpe en gros dés que je verse dans une casserole où j’ai versé une cuillerée d’huile d’olive et un verre d’eau. Je complète de trois gousses d’ail émincées, une feuille de laurier et une pincée de sel fin. Comme décidément je manque de l’indispensable pour la vraie giraumonade, je replace la cive par un petit oignon blanc nouveau haché et ses tendres tiges vertes centrales ciselée. Il me vient à l’esprit que je dispose d’un petit flacon de vinaigre antillais parfumé à la cive. Si je n’ai pas la plante, j’aurai au moins son fantôme… Pas de piment végétarien non plus, il est en fleurs mais n’a pas encore produit : je hache grossièrement un piment Cabri et un piment Martin…

Je place sur une flamme moyenne en tournant régulièrement jusqu’à ce que cette résistante cucurbitacée s’attendrisse et consente à s’écraser sous ma fourchette.

Il est bien trop tôt avant la fin de cuisson de ma côte quand je puis emplir un plat de faïence blanche avec ma préparation. Mais le four est à température suffisamment basse pour que j’y puisse enfermer ce plat qui continuera à y perdre de son eau, ce qui ne sera pas plus mal.

giraumonade
Giraumonade version pâtissonade


Bip, bip, bib… C’est le moment de sortir la cocotte de sa prison.

Je décoiffe, la cuisson me semble convenable : en posant mon index la chair résiste, mais sans excès. Au fond du récipient frémit un jus mordoré qui dégage d’appétissants effluves.

côte de porc, Ibamaîa
La vérité au fond de la cocotte


Il ne me reste plus qu’à poser la côte de porc Ibamaïa sur la planche, puis la découper avant le dressage final.

côte de porc
Vraiment beau

J’arrose la viande du jus de cuisson, n’oublie pas de récupérer la gousse d’ail confite et d’allonger le rouge piment (dont j’ai vérifié d’une dent prudente sur une petite découpe la comestibilité après mijotage) sur le vert tendre du pâtisson écrasé parsemé d’éclats d’ail.

côte de porc Ibamaîa, giraumonade
J'ai tranché. La vérité : c'est que cette assiette est excellente !

Ben t’es bien bon, mon cochon !






mardi 13 octobre 2020

Je ne perds pas le Nord - presque pas...

 

Retour vers le Nord.

Ma boussole me dirige vers un maroilles qui patiente depuis quelques jours non pas dans un froid polaire mais au sommet du Mont Frigo. Il est fort heureusement plus affiné que son compagnon de voyage : le vieux-lille pas si viocque que ça…

maroilles, goyère
Maroilles à l'apparence mariolle


Il me semble parfait pour participer à la confection d’une goyère.


La première étape réside dans le pétrissage rapide du bout des doigts d’une pâte brisée : 200 g de farine T55, 100 g de beurre de Surgères et une cuillerée de vinaigre. La pâte boulée et filmée est mise à reposer au frais.


Puis, une heure avant de passer à table, le moment est venu de passer à la réalisation de l’appareil qui recouvrira cette tarte au maroilles.

J’avoue que je vais fonctionner plus ou moins au pifomètre. Je prends un petit moins du tiers d’une barquette de fromage blanc non battu emplie par le fromager, ce qui devrait faire entre les 250 g et 300 g que je verse dans une bassine. J’y incorpore au fouet 4 cuillérées à soupe bombées de farine.

Je clarifie un œuf. Le jaune rejoint mon mélange que je continue à battre. Quelques instants plus tard, j’obtiens une crème uniforme en consistance et en couleur. Dans un cul-de-poule je monte en neige le blanc que j’y avais jeté.

J’assaisonne ma mixture d’une pincée de sel, de force tours de moulin de poivre rouge, d’un soupçon de noix de muscade râpé. Pour finir j’introduis précautionneusement mon blanc en neige au sein de mon appareil : ça y est, il est prêt à être versé…

goyère
Dans le plus simple appareil


Mais pas tout de suite !

ll me faut d’abord étendre la pâte brisée, en garnir le moule à tarte et la piquer avec les pointes d’une fourchette.

Je déshabille le maroilles, le pose sur une planche et découpe en tranches d’environ 8 mm d’épaisseur que je dépose au fond du moule jusqu’à ce que la majorité du fond du moule en soit tapissée. 

goyère
Pavé de maroilles et de bonnes intentions

Cette opération terminée, il reste un bon tiers du maroilles qui va rejoindre dans les frimas son copain lillois lui aussi amputé.

Je verse l’appareil qui vient recouvrir les morceaux de fromage. J’enfourne à 180 °C pour une quarantaine de minutes.

Au bout d’une demi-heure, ouvrant le four, je constate que la surface est déjà bien dorée et recouvre ma goyère d’une feuille d’alu protectrice.

Quand je sors cette tarte fromagère, elle est bien gonflée comme un soufflé.

goyère
Sortie du four


Néanmoins elle ne tardera pas à jouer moins les enflures quand je l’apporte sur la table.


goyère
Goyère moins mariolle


Elle n’en aura pas pour autant perdu sa bonne mine quand elle reposera à côté d’une salade bien croquante de sucrine parfumée de vinaigre de Maury, d’huile d’olive de Provence et de feuilles de pimprenelle.

goyère, tarte au maroilles
Confrontation Nord Sud


Ben oui, là, j’ai perdu le Nord. Pas chic pour les chicons !




dimanche 11 octobre 2020

Ça se trouve dans l’haddock

 Autres pays, autres mœurs…

Le haddock en est un bon exemple.

Déjà, en notre douce France, ce produit s’abrite derrière un pseudo. Le saumon fumé, lui, assume sa poissonitude : ouais, je suis un saumon, fumé, certes, mais saumon quand même. Alors que notre aiglefin fumé se comporte en aigrefin : moi, une de ces bestioles bourrées d’arêtes qui vivent dans la mer ? certes non, je m’appelle haddock. Hypocrite, notre haddock national dissimile sa chair blanchâtre en se faisant faire une teinture. Un bon coup de rocou, et hop, je me roussifie, me pare d’une attirante teinte chaude.

Au Royaume Uni, le produit ne renie pas son origine. Il fut aiglefin, il devient aiglefin fumé. Haddock, puis smoked haddock après passage au fumoir… Et surtout, même si désormais il se pare trop souvent d’une couleur jaune obtenue en le curcumisant - en particulier sur les étals de supermarché - il reste encore, surtout en Écosse, un smoked haddock fier de sa pâleur. Haddie fait de la résistance…


Heureusement, un excellent saurisseur de Boulogne vient de créer une version de haddock privée de sa coloration superfétatoire. Enfin le Gaulois pourra claironner : coucou roucou, t’es plus là !


En Belgique, c’est une autre histoire. Le haddock se dissimule souvent sous une cape bleue.


Je ne m’attarderai pas sur le haddock vert, une version qui demeure anecdotique…



Mais foin de considérations sur les goûts et les couleurs…

Ce jour, ce sont deux filets de smoked haddock fumé sur des copeaux de chêne dans un petit fumoir artisanal sur la côte nord-est de l’Écosse que je dois cuisiner. Bien entendu ils ne sont pas teints.

Je recherche une recette écossaise digne de ce produit que je qualifierais de noble si ce terme n’était pas autant galvaudé. Je ne manque pas de me tourner vers l’opuscule rédigé par Anne Wilson, et j’y trouve mon bonheur : une recette intitulée Finnan Haddie.

J’émince deux oignons, ce seront pour moi des oignons doux des Cévennes, pas très écossais, mais dont je pense que leur petite sucrosité ajoutera un plus. Je découpe le haddock, deux filets d’environ 250 g chacun, en gros dès.

Je transfère oignon et poisson fumé au fond d’une casserole.

haddock, finnan haddie
De l'oignon sous l'haddock


Je mélange une grosse cuillerée de moutarde forte avec 40 cl de lait - ce devrait être de la graine de moutarde écrasée, mais je n’en ai plus sous la main… Je verse ce liquide dans la casserole et donne plusieurs tours de moulin de poivre noir.

smoked haddock, finnan haddie
Aiglefin dans un océan de lait

Je porte lentement à ébullition à couvert et poursuis 5 minutes toujours sous le couvercle., que je retire pour continuer le mijotage pendant 5 nouvelles minutes.

J'extrais alors à l’aide d’une araignée les morceaux de haddock pour les étendre dans un plat de service en céramique que je garde au chaud dans le four réglé à 60 °C.

Je laisse encore mijoter le liquide de la casserole durant 5 minutes, tout en tournant afin que ça n’attache pas. Je confectionne un beurre manié avec deux cuillerées de farine et 20 g de beurre. Je l’incorpore à la sauce, puis ajoute un petit oignon banc nouveau haché et une cuillerée de ciboulette ciselée. Je remets sur le feu et laisse la sauce épaissir.

Je sors le plat du four et arrose le haddock de cette sauce.

haddock, finnan haddie
Finnan Haddie



C’est succulent ! Mais que l’on ne s’y trompe point. Je n’en renie pas pour autant mon brave haddock franchouillard déteignant dans le beurre fondu et le jus de citron sous sa parure de câpres…
C’est simplement que l’ennui naît de l’uniformité… Alors, de temps à autre, il faut aller voir ailleurs.







jeudi 8 octobre 2020

Croquettes pas croquignoles pour une ribouldingue

Ce jour, je me sens Nordiste.

Non pas tant tendance infanterie.


Mais plutôt tendance cavalerie lourde.


En effet je viens de recevoir la tresse d’ail fumé d’Arleux que je commande tous les ans vers cette époque, en profitant pour ajouter à ma commande quelques produits ch’timis ou belges.

L’étal d’un poissonnier exhibe une arrivée de crevettes grises de bonne apparence. Au menu, donc, ce seront des croquettes de crevettes grises qui figureront.

Au menu du demain, car il faut débuter le processus la veille. Mais tout d’abord quelle recette vais-je adopter ? Nous nous étions régalés de cette spécialité des côtes flamandes il y a un certain temps, mais malheureusement j’ai oublié l'origine de ma recette d’alors. Dans ma bibliothèque, rien de ce genre, même dans un volume consacré à la cuisine des Flandres. Je me tourne donc vers Internet - avec la circonspection qui s’impose. Finalement je retiens cette source, une recette de Laura Annaert :

https://www.lemonde.fr/les-recettes-du-monde/article/2019/12/06/les-croquettes-aux-crevettes-la-recette-de-laura-annaert_6021920_5324493.html

Je vérifie que j’ai bien en ma disposition tous les ingrédients nécessaires :

300 g de crevettes grises non décortiquées (décortiquées si manque de temps, auquel cas, remplacer le jus par autant de bisque de homard).

200 ml de lait

50 ml de crème fleurette

1 petit bouquet garni

Sel, poivre, piment d’Espelette

40 g de beurre

60 g de farine de blé T65

50 g de gruyère râpé

2 œufs

2 blancs d’œuf

100 g de chapelure

100 g de farine pour rouler les croquettes

C’est bien le cas. Ce sont même 400 g de crevettes qui attendent au frais. Un rab de boulot de décorticage, mais ça n’est pas grave. J’augmenterai les parts des autres produits en conséquence.

C‘est fait, je réserve mes queues de crevette dénudées dans un bac et je réserve au frais.

Je vide de la plaque contenant les carapaces et les têtes dans une casserole. Initiative personnelle, je les fais colorer sur une larme d’huile d’olive avant de verser le lait et la crème et d’ajouter un brin de thym, une feuille de laurier, une queue de persil. J’assaisonne de quelques tours de poivre noir du moulin et une petite cuillerée de piment d’Espelette. Méfiant, je préfère ne pas saler. L’avenir me révélera l’opportunité de ce choix. Je laisse bloublouter une vingtaine de minutes sur une petite flamme. Minuscule, ce qui n’empêche pas un débordement, aussi intempestif qu’impromptu, que je dois réprimer au vol par un preste déplacement de la casserole hors brûleur. Je poursuis quelques va-et-vient, puis laisse infuser les parures de crevette dans le liquide jusqu’au lendemain, avec stockage au réfrigérateur dès refroidissement suffisant.



Le jour de belgitude est arrivé.

Je sors la bassine contenant le liquide empreint de parfums nordimarins. Mais.. Mais… Malheur !

De liquide, point… Les débris ont tout absorbé. Je me vois contraint non pas de filtrer en toute quiétude, mais de tamiser en écrasant au pilon, en l’occurrence le dos de la demi-sphère d’un petit pochon. Après un quart d’heure de dur labeur, j’obtiens enfin suffisamment d’un liquide blanchâtre épais et visqueux pour préparer une sorte de béchamel en la versant sur le roux. Je fais épaissir à feu doux. Ensuite, hors feu, j’incorpore les œufs. Je termine en ajoutant l’emmental râpé puis les crevettes. Je remets quelques minutes sur le feu en remuant à frémissement.

Je place la casserole contenant l’appareil que je viens de réaliser sur une plaque à débarrasser contenant de l'eau froide et des glaçons.

croquettes de crevettes
Du froid sous la crevette


Au bout d’une vingtaine de minutes et après renouvellement des glaçons, l’appareil est bien rafraîchi et a gagné en fermeté.

Je vais pouvoir passer à la confection des croquettes. Mais… Mais… Re-malheur ! Les assiettes sont bien là ; avec la farine, le blanc d’œuf, la chapelure. Mais au moment de rouler les croquettes, je suis confronté à un appareil mollasson, et surtout collant, collant, et que j’te barbouille les doigts, que j’t’empâte la paume, que j’te tapisse la cuillère, que j’te m’attache à toi, que j’te refuse le divorce d’avec tes paluches…

Enfin, après un dur combat, j’ai réussi à façonner, si l’on peut dire, une quinzaine de croquettes un peu difformes que je dépose, précaution nécessaire mais non suffisante, sur une plaque glacée sortie du congélateur, tarmac dont elles vont décoller à tour de rôle en trio pour atterrir dans la poêle à frire où les attend une huile d’arachide dont j’ai vérifié la bonne température à l’aide d’un petit croûton de pain.

Et voilà le travail !

croquettes de crevettes
Ma boulette du jour : la croquette


Je sers avec une sauce piccalilli belge qui devrait remplacer avantageusement remplacer la sauce tartare que j’ai eu la flemme de préparer.






Ce n’est pas aussi catastrophique que je ne le craignais, mais rien à voir avec les délicieuses croquettes bien formées de mon expérience précédente. Tant pis, on ne gagne pas à tous les coups.

croquettes de crevettes grise
La sauce qui fait passer la crevette


Nous rattrapons avec un petit plateau de fromages nordistes : Vieux Lille fermier au lait cru, Boulette d’Avesnes fermière façonnée à la main au lait cru, Boulet de Cassel fermier au lait cru. Avec néanmoins encore un petit regret : le Vieux était un peu jeunot…

fromages du Nord
Réunion de fermiers


Il me faut absolument mettre la main sur mon ancienne recette de croquettes de crevettes !

Après avoir exploré les fonds de tiroir de mon ordinateur, j’ai pu retrouver le texte que j’avais déposé en 2016 sur le forum "Bon Appétit Bien Sûr - BABS-" de FR3 avant sa fermeture, tout désireux que j’étais de partager ma satisfaction, ainsi que les illustrations qui l’accompagnaient.






Une envie soudaine de croquettes de crevettes

 

D’abord, trouver une recette, car c’est le genre d’exercice dans lequel je ne m’aventurerais pas sans quantités précises. Car la croquette oscille toujours entre le délitement, voire l’explosion, et le compactage étouffe-chrétien.

Finalement je me suis décidé pour une recette parue dans la revue Saveurs en mars avril 2011 attribuée en bas de fiche à Philippe Nellens à Blankenberge (Belgique) :

 

CROQUETTES DE CREVETTES GRISES :

 

PRÉPARATION : 25 minutes + 12 heures DE REPOS. CUISSON : 4 minutes.

POUR UNE DIZAINE DE CROQUETTES :

200 g de crevettes grises décortiquées, 60 g de beurre, 120 g de farine, 25 cl de fumet de crevettes (fait avec les têtes) ou de poisson, 25 c1 de lait, 6 g de gélatine (3 feuilles), 1 œuf, 2 C. à soupe de crème fraîche, 20 g de gruyère râpé, le jus d’1/2 citron, chapelure, sel, poivre de Cayenne.

 

Faites un roux avec le beurre et 60 g de farine. Quand le roux est bien sec, ajoutez en trois fois le fumet de crevettes et le lait.

Portez à ébullition.

Ajoutez le jus de citron et la gélatine, préalablement ramollie dans de l’eau froide. Assaisonnez.

Ajoutez le jaune d’œuf (conservez le blanc pour la panure), la crème fraîche et le gruyère râpé, puis incorporez enfin délicatement les crevettes.

Quand tout est bien mélangé, versez dans un moule et laissez reposer une nuit au réfrigérateur.

Le lendemain, façonnez des croquettes d’environ 80 g chacune.

Roulez-les dans de la farine, puis dans le blanc d’œuf battu légèrement et assaisonné de poivre, de sel et d’un peu d’huile.

Pour terminer, roulez les croquettes dans la chapelure. On peut alors les remettre au frais ou les congeler.

Faites cuire les croquettes à la friteuse à 165 °C environ 4 minutes pour qu’elles aient une belle couleur dorée.

Servez avec du persil frit et du citron.

 

J’ai donc acheté environ 700 g de crevettes grises qui semblaient bien fraîches et de bonne tenue.

Il a fallu se payer la corvée du décorticage, et je suis loin d’être prêt à me présenter au championnat du monde de cette discipline… D’autant plus que, comme chacun le sait, la fluette crevette normande ne fait pas le poids devant la gravosse flamande.

 http://www.dailymotion.com/video/x24tadz_leffrinckoucke-la-crevette-grise-a-son-championnat-du-monde_lifestyle

 

Coup de chance, je me suis retrouvé avec 196 g de queues décortiquées, donc pas loin des 200 g préconisés.

Avec les têtes et les carcasses, j’ai confectionné le fumet de crevettes en les faisant revenir légèrement dans une petite noix de beurre avec un oignon découpé grossièrement et quelques feuilles de poireau, puis en les recouvrant d’eau que j’ai amenée à des frémissements que j’ai laissé poursuivre un bon quart d’heure avec l’ajout d’une feuille de laurier, de queues de persil et d’un piment oiseau.

J’ai poursuivi la recette bêtement comme indiqué, et j’ai obtenu un appareil qui m’a semblé plutôt sympathique.



 Je verse dans une boîte, je recouvre d’un film et réserve jusqu’au lendemain au réfrigérateur.

Le lendemain, je sors mon appareil devenu bien ferme, façonne les croquettes. Finalement, je n’en obtiendrai pas une dizaine, mais une quinzaine, pourtant de taille convenable, il me semble.

J’ai la chance d’avoir conservé les blancs d’une autre réalisation, ce qui me facilite l’enrobage avant de passer dans la panure.

L’huile a atteint la bonne température. Toujours la petite anxiété avant de plonger la première pièce : éclatement ou pas éclatement ? Dieu soit loué, tout se passe bien, et j’obtiens un plat de croquettes bien formées, dorées à souhait, auxquelles j’ajoute un quarteron symbolique de feuilles de persil frit.

Quand on casse la coque à la fois croquante et croustillante, s’en échappe une farce moelleuse et parfumée, bien garnie de crevettes goûteuses.

Pour être raccord avec la belgitude, c’est une salade de chicons qui a accompagné ce plat.



Nous nous sommes régalés !