mercredi 1 juillet 2020

L'aventurier de la Merguez disparue

Je me suis lancé dans la quête de la Merguez disparue.

merguez
La Merguez disparue


Disparue comme la petite boucherie arabe à une centaine de mètres de chez moi… On sentait bien que le maître des lieux perdait de son ardeur ; puis au mois d’août, comme d’habitude, il est parti en vacances vers son Algérie natale. Mais il n’en est pas revenu… Le store de la boutique demeure toujours tristement baissé. Jamais plus de côtes ou petites épaules d’agneau de dépannage, ni de gros bouquets de coriandre, ni de sa bonne harissa relevée et parfumée. Mais surtout, adieu les savoureuses merguez, jamais exactement les mêmes en dosages et en longueur (« Combien je dois en acheter ? - Ben ça dépend si c’est un jour long ou un jour court… »), mais toujours pleines de fragrances - tous les parfums de l’Arabie, écrirais-je si je ne m’attachais point à expulser de ma prose tous les clichés ou poncifs aptes à me faire passer pour un journaliste stagiaire en mal d’inspiration…

Alors, désormais je cherche une merguez apte à me procurer le même plaisir que celles dont le souvenir reste gravé dans mes papilles.
Ce n’est pas chose facile. Je ne vais tout de même pas ingurgiter cette mixture de grande surface :
viande de bœuf 64 % (France), viande de mouton 16 % (UE ou Nouvelle Zélande ou Australie), eau, gras de bœuf, gras de mouton, sel, correcteur d’acidité : E326, dextrose, arômes, épices, acidifiant : E262, colorants : E160c, E120, antioxydants : E301, E300.

Je cherche, je recherche tous azimuts… Et l’autre jour, je me suis orienté vers l’Est.
La merguez d’Alsace sera-t-elle ma merguez de Proust, celle qui réveillera de si bons souvenirs épicés ?
J’entends déjà sourdre des réflexions ironiques. Ah, des merguez alsaciennes, quelle drôle d’idée, ah, ah, ah… À ces moqueurs je répliquerai que la cigogne qui me livre



fait de nombreux allers-retours vers le Maghreb, comme un vulgaire Jack Lang et comme le démontrent ces photos

Ciel bleu d'Alsace


Ciel gris du Maghreb



où l’on peut constater également que la cigogne se détourne de la foi.
Mais tout ce que je lui demande, c’est de m’apporter à tire d’ailes des merguez dignes de ce nom.
Donc je la clique sans états d’âme.
Düesch klicka un 's ìsch bstellt


La bestiole a fait diligence : les merguez sont là.
Je m’empresse de les tester en les mettant sur le gril. A priori, leur composition est engageante : viande de bœuf et d’agneau, sel, épices, colorant : rouge de betterave.

merguez, Alsace
Merguez alsacienne


Hélas, le résultat est très décevant. Épices, certes, mais en quantité très minime. Je retrouve en goût et en texture le steak haché de viande d’agneau acheté jadis à un boucher des halles de ma ville. Oui, il s’agit d’un steak que l’on aurait simplement embossé dans un boyau après l’avoir légèrement assaisonné…
Ma déception, j’dis pas !
Vilaine bête, il faudra que tu te rattrapes si tu ne veux pas que je te vole dans les plumes.

Le lendemain, ma cigogne cherche à me faire oublier sa bévue. Dans ses bagages il y avait aussi une tourte à la choucroute que j’enfourne pour 25 minutes à 190 °C (et non 30 minutes à 200 °C comme prescrit, je ne tiens pas à renouer avec la catastrophe évitée de justesse pour ma tourte aux 3 suprêmes). Banco ! La cuisson est parfaite.

tourte à la choucroute
Quand la choucroute se cache


Quand je découpe, je vois apparaître un mélange odoriférant de chou, de lard, saucisse et viande finement coupés.

tourte à la choucroute
La choucroute révélée


Un fumet de vin d’Alsace chatouille les narines. Seul reproche, la découpe n’est pas facile, la farce manque un peu de tenue. Mais c’est bon, et c’est là le principal. Tu es pardonnée, ô, cigogne, mais que je ne t’y reprenne plus…

Et tiens, je vais même boire un amer bière à ta santé !

amer bière
C'est l'amer à boire


Süffe nìt so vìel !, me dit l'emplumée. Sale bête!

samedi 27 juin 2020

D’Échine au Chili en passant par les îles

Un projet était dans ma tête : cuisiner un porc aux épices afin de liquider les restes des pots de piment ouverts il y a un peu plus d’un mois auparavant pour relever et parfumer mes acras.
Le morceau que j’avais élu pour ce faire était l’échine, cette pièce à la fois moelleuse et goûteuse, de surcroît facile à découper en cubes.
Malheureusement, le jour de passer à l’acte, point d’échine disponible sur l’étal de mon éleveur porcin de Normandie. La vendeuse conseilla comme solution alternative de donner - ou plutôt vendre… - la moitié d’une palette pourfendue à la scie.
J’ai bien regretté d’avoir plié l’échine au lieu de plier bagage en attendant un jour meilleur. J’eusse pu alors me réjouir de brandir avec aisance une lame saine dans un porcin au lieu de débarrasser à l’arrache de son demi-os cette viande fibreuse tendance coriace, la partageant ensuite tant bien que mal en parts difformes.


C’est donc sans enthousiasme que je fais dorer ma viande sur toutes les faces dans une cuillerée d’huile d’olive au fond de ma cocotte au milieu de graines à roussir antillaises que je venais de torréfier légèrement. Puisque os il y a, autant l’utiliser pour apporter un supplément de goût. Entrera-t-il dans l’ustensile ? Ce n’est pas gagné d’avance… Youpi, il se révèle d’une longueur un peu inférieure au diamètre et en écartant ossu militari un entourage déjà à l’étroit, il parvient à faire son trou pour bronzer lui aussi. J’ai cependant du mal à lui intimer l’ordre de changer de côté. « Est-ce que j’ai une tête de tournedos ? ». Certes non, tu as la tronche d’une demi-portion d’omoplate, d’une victime de massacre à la tronçonneuse, et tu devrais plutôt me remercier de t’intégrer au casting de Les Bronzés sous les tropiques
C’est pas tout ça, je ne vais pas rester comme un benêt à tailler une bavette avec omo ou avec plate (je ne sais pas de quelle moitié j’ai hérité). Il vaut mieux que je ne tarde pas à déverser la brunoise de carotte et oignon paille que je viens de tailler. J’ajoute deux gousses d’ail et parsème de quelques pincées de sel fin.
Bon, ces légumes se sont bien fait suer, je les arrose (ainsi que la viande - et l’os - par la même occasion) avec générosité de vin blanc sec (un Tariquet en l’occurrence). Puis j’incorpore les déclencheurs : le piment cabri vert de la Réunion et le piment habanero des Antilles. Hum, il ne reste plus qu’un fond d’habanero… Déjà que j’avais trouvé que mes acras étaient déficitaires en capsaïcine. Je m’empare donc d’un nouveau petit bocal non entamé, le décapsule, et en vide la moitié dans la cocotte. Grave erreur, je le découvrirai plus tard…
Mais pour le moment je continue ma préparation en incorporant des herbes diverses cueillies la veille au jardin : une branche d’origan, une branche de thym, une autre de coriandre vietnamien, une pousse d’herbe à curry, un brin de livèche. J’ai fait plonger au milieu de tout ce petit monde un clou de girofle, un quarteron de baies de piment de la Jamaïque une feuille de laurier, mais aussi une feuille de quatre-épices séchée venant de l’île de la Réunion. Je laisse réduire à feu doux une heure environ, puis…


Puis j’ai réservé, au réfrigérateur pour la nuit. En effet la dégustation était prévue pour le lendemain.


Je viens de poser ma cocotte en fonte encore glacée prudemment sur une petite flamme.
Quand son contenu commence à frémir, je vide une canette de lait de coco. Je brasse pour mélanger avec la sauce élaborée la veille. Une petite cuillerée de curcuma intervient, surtout pour la couleur.
Je poursuis la réduction une quarantaine de minutes, jusqu’à obtenir une sauce onctueuse. Le riz blanc cuit à la créole est prêt et vient d’être versé dans un plat. C’est le moment de passer à table.
Je parsème le contenu de la cocotte de déchirures de feuilles de verveine citronnelle qui devraient conférer une note de fraîcheur au plat que j’apporte tel quel sur la table.

porc épicé
Un dimanche au bord de l'os


Nous emplirons chacun nos assiettes de morceaux de cochon déposés à côté d’un petit monticule de riz avant d’arroser de quelques cuillerées de la sauce odoriférante.

Et là, aïe aïe aïe, kek c’est fort. Nous nous voyons poussés à la vitesse V vers le haut de l’échelle de Scoville. Que s‘est-il passé, alors que les acras réalisés à partir des mêmes piments chatouillaient timidement les papilles ? Peut-être une explication : pour les acras j’avais égoutté le hachis d’habanero afin de ne pas introduire trop d’humidité, alors que pour mon plat de porc épicé j’ai déversé le vinaigre de conservation dans la sauce. Le vinaigre est-il un solvant de la capsaïcine ? Toujours est-il que j’ai été stupide de ne pas doser en goûtant. C’est pourtant élémentaire, mon cher Pomiane (il me fallait un docteur, que ce maître me pardonne mon irrespect…). J’en pleurerais. D’ailleurs j’en pleure vraiment - et pourtant en ce domaine je suis plutôt blindé.
Nous finissons les assiettées copieuses que nous nous sommes servies quand régnait encore un optimisme béat. Mais pas question de proposer du rab à nos papilles modérément calmées par l’absorption sans modération de riz. Je ne puis malgré tout me résoudre à faire passer le reste de viande - d’ailleurs redoutablement filandreux sans pour autant en être tendre - à la poubelle.


La solution salvatrice m’est apparue le lendemain.


J’ai dans mon placard un sachet de haricots secs noirs.
Je les mets à cuire durant trois quarts d’heure dans un autocuiseur.
Je débarrasse les morceaux de porc de la désormais énorme feuille de quatre-épices réhydratée, de la feuille de laurier, et des débris divers de tiges coriaces. Je les réchauffe à feu doux en ajoutant une louchée d’eau à la sauce. Je recouvre des haricots noirs et mélange.
Je verse dans un plat préchauffé et parsème - deux fois n’est pas coutume - de petites feuilles de verveine citronnelle.

chili con carne, haricots noirs
Ils ont joué l'apaisement


J’ai ainsi réalisé un Chili con carne revisité à moindres frais.
Je ne jurerai pas que je renouvellerai toute la procédure qui a abouti à cette création, mais je n’en suis pas moins satisfait du résultat.

Parti d’échine je suis avenu au chili en passant par les Antilles et la Réunion (avec un petit détour vietnamien..).

Qu’est-ce qu’on voyage, dans ma cuisine !

mercredi 24 juin 2020

Avoir la patate

Je parcourais d’un œil distrait les nouvelles du jour quand un titre éveilla ma gourmandise :

ELLE FAIT UNE DÉCOUVERTE EFFRAYANTE DANS SON APPARTEMENT

En effet, comme tant d'autres, je suis friand de ces faits divers bien gore qui pimentent notre quotidien et nos quotidiens, ajoutant de plaisantes aspérités à la lisse banalité de nos vies, du moins tant que les victimes restent allongées sur du papier glacé ou confinées dans les limbes numériques de nos écrans.
Las, après lecture, j’ai découvert qu’il ne s’agissait que de germes de pommes de terre dont l’invasion serpentine avait traumatisé une malheureuse jeunette. « C’est affreux, c’est affreux », s’est-elle exclamée en ouvrant la porte de sa turne estudiantine abandonnée quelques semaines. Pour ma part, j’ai bien envie de répliquer en écho « C’est à Freud, c’est à Freud ». Mais c’que j’en dis…
Je suis donc resté sur ma faim, l’anecdote étant quand même d’une banalité consternante.

Toutefois cet article fut pour moi un déclic. Mes petites cellules grises se sont connectées, non pas pour entreprendre une réflexion sur l’information, le journalisme et le lectorat, mais pour retrouver au tréfonds d’un petit bout de lobe cervical le souvenir enfoui d’excellentes pommes de terre de la variété Ditta qui avait fait mon bonheur à leur arrivée mi-avril en accompagnant un poulet rôti et dont la dernière ponction dans leur cagette m’avait montré qu’elles commençaient à germer. Elles sont fameuses, et il serait bien dommage de les laisser perdre, ce serait ça, la véritable horreur me suis-je dit in petto, ajoutant à voix haute m’adressant à ma compagne : « Que dirais-tu d’un gratin dauphinois pour accompagner notre belle entrecôte pleine de promesses ? ».
Projet adopté à l’unanimité…
J’ouvre donc la noire prison des tubercules. Horresco referens ! Les malheureux ont dû apercevoir un mince rai de lumière, ils ont tendu des bras implorants vers cette issue dérisoire. Et ils ont pris triste mine, aussi ridés qu’un pépère Fouras ou une mémère Denis.
Je passe à la palpation de ces grabataires. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont perdu la fière raideur de leur jeunesse. Y a du mou dans l’air. Papy ne fait plus de résistance…
Néanmoins, il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas comestibles. Alors j’épluche (avec difficulté) je tranche.
Je tranche au couteau, car souvent pour la mandoline, quand il y a du flasque, il y a du sang… Je tiens à préserver mon intégrité digitale !
Je recouvre les tranches (non lavées, il va sans dire) transvasées dans une casserole de 20 cl de crème liquide et de lait jusqu’à affleurement. J’assaisonne de sel, poivre et noix de muscade. J’ajoute une feuille de laurier, une branche de thym et deux gousses d’ail. Je porte à ébullition et poursuis la cuisson une dizaine de minutes à feu doux.
Je transfère le tout dans un plat en terre beurré, et j’enfourne une quinzaine de minutes au four à 170 °C.
C’est le mont de passer à la cuisson de l’entrecôte assaisonnée à la dernière minute : quelques allers et retours sur une poêle barbouillée d’une larme d’huile et d’une noisette de beurre, à feu plutôt vif, mais sans excès. Je termine en nourrissant l’entrecôte à feu moyen d’une grosse noix de beurre. J’enlève du feu et laisse reposer.
Pendant ce temps je fais tomber quelques petites noisettes de beurre sur le grain, puis le place sous le gril rougissant du four le temps de dorer sa surface.

gratin dauphinois
C'est le gratin


Me croira-t-on, la déception est venue de l’entrecôte, de saveur médiocre et un tantinet coriace.
La particularité de ce gratin dauphinois, fort bon au demeurant, est la sucrosité notable apportée par l’évolution de la chair de ces pommes de terre séniles. Une douceur qui s’est exprimée avec un bonheur particulier le lendemain, avec le reste du gratin servi froid pour accompagner du jambon blanc.

Dittas, je suis fier de vous !

dimanche 21 juin 2020

Quand l'encornet voit rouge


Le plus souvent je prépare les petits encornets tout bêtement : sautés quelques instants dans l’huile d’olive et recouverts de persillade. Tout bêtement, certes, mais pour autant pas sans gourmandise… La simplicité peut avoir du bon !
Mais, ce jour, j’ai eu une soudaine envie de me renouveler en nettoyant les petits encornets empreints de fraîcheur achetés le matin chez le meilleur poissonnier des halles.


Je me suis contenté de plonger pendant à peine plus d’une minute mes bestioles débarrassées de leurs viscères, leur plume et leur bec dans de l’eau salée à petit bouillon, citronnée, parfumée par deux feuilles de laurier, une belle branche de thym et quelques gouttes de Tabasco rouge. Une fois ces encornets égouttés, je les ai arrosés d’une cuillerée d’huile d’olive et du jus d’un quart de citron. J’ai réservé.

Dans le placard un sachet de riz rouge de Camargue attendait sagement depuis quelques semaines.
J’en ai prélevé un petit verre et mis à bouillir le double en volume d’eau sous le regard méfiant du paysan matois qui surveillait mes gestes.



J’ai ajouté une bonne pincée de gros sel et jeté le riz dans les flots bouillonnants avant de coiffer la casserole d’un couvercle et la déplacer sur une toute petite flamme. J’ai programmé le minuteur sur trois quarts d’heure.

« Alors t’es content, le pion rural, je bosse comme il faut ? »
Pas même un sourire. Ce gus cultivateur en cellophane ne m’inspire aucune confiance. Dieu sait pour quelle raison son portrait a été choisi au cours d’une réunion créative de publicitaires et communicants… Peut-être que c’est une photo du boss exhibitionniste ? Une sorte d’Afflelou de la graine, de Tapie des rizières. Il faudra que j’entreprenne des recherches !
En tout cas le bonhomme commence à m’agacer. Cette surveillance est insupportable. Un coup d’agrafeuse pour clore le sachet et le débat, et retour au placard. Non mais !
Du coup, je deviens méfiant. Un tel individu n’est pas parole d’évangile. Je mets à chauffer une petite casserole d’eau à côté, au cas où, car le double d’eau en volume me semble une proportion bien faible.
Au bout de 35 minutes, je soulève timidement le couvercle. Et voilà, j’l’avais bien dit. Dommage que le coupable soit en préventive, il faudrait que je le ramène sur les lieux de sa scélératesse pour constat : il ne reste pratiquement plus de liquide, le fond commence à attacher et le riz n’est pas cuit.
Heureusement que j’avais prévu le (mauvais) coup ! Je peux verser une petite louchée d’eau frémissante. Il me faudra recommencer cette opération une fois avant la fin de la cuisson…

Bon, la cuisson du riz rouge était enfin menée à bon terme. Une fois égouttées, j’ai brassé les graines dans deux cuillerées d’huile d’olive et ajouté un trait de balsamique blanc. Ma salade de riz était prête. Je l’ai réservée.


Quelques minutes avant de passer à table, j’ai procédé au dressage des assiettes.

Le placard, décidément plein de ressources, contenait un bocal de New England Cocktail Sauce préparée pour relever les fruits de mer par l’excellente maison américaine Stonewall Kitcheen. Une composition qui m’avait alléché à sa lecture : tomates fraîches mûries sur vigne de Californie, purée de tomates, raifort, nectar d’agave, pâte de tomates, vinaigre blanc, sauce Worcestershire, anchois, ail, extrait de tamarin, sucre de canne pur, piment de Cayenne, épices.




Je place un haut cercle en inox au centre de l’assiette. Je répartis la salade de riz rouge autour, formant un anneau J’enfonce mes corps d’encornets à l’intérieur du cercle, termine par les tentacules. Je retire le cercle. Bien entendu une partie de cette tour supionienne s’écroule aux alentours, mais ce n’est pas grave : je n’ai aucun penchant pour les présentations au cordeau.
J’ouvre le bocal de sauce cocktail. Je goûte. Hum, c’est bien bon ! J’en verse une bonne cuillerée sur le sommet de mon entassement d’encornets. Le pot ira sur la table. En cas de manque…
Il me vient alors l’idée d’ajouter de la couleur noire et une note sucrée : je prélève une gousse d’ail noir de Corée que je partage en éclats que je dispose à la périphérie de l’assiette.
Au milieu de cette dominante rouge apportée par le riz et la sauce, quelques taches de vert seraient bienvenues. Des feuilles de persil feront l’affaire.

encornet, New England Cocktail Sauce, riz rouge de Camargue, ail noir
Encornets à la Stendhal


Les assiettes étaient prêtes. Je les ai apportées sur la table. Cuisinier et serveur en même temps ! Je mériterais double salaire…
Mais pour l’instant je me paye en nature. Et ce n’est déjà pas si mal, car je me suis régalé une fois de plus.

Encore en Corse

Nouveau festin de charcuteries corses, mais cette fois-ci avec du prisuttu AOP de porcs noir u nustrale nourris aux glands et aux châtaignes à la place du regretté figatellu disparu (dans mon estomac).

prisuttu
Un peu chiffoné


Vais-je être l’objet d’une vendetta si j’affirme que ce prisuttu est certes excellent, mais n’arrive pas la hauteur d’un bellota espagnol ?
Néanmoins, à sa décharge, le morceau dans lequel j’ai découpé ces tranches a passé une quinzaine de jours dans les limbes (mais ne serait-ce pas plutôt l’enfer ?) de Nullissimo. Durant quelques jours, sans nouvelles de lui, je l’ai même cru disparu en mer au large d’Ajaccio. L’on peut comprendre que le malheureux ne soit pas au mieux de sa forme. On a beau être sous vide, on n'en est pas moins jambon, avec ses sensibilités et ses phobies...
Je promets de me livrer à une dégustation avec un frère de ce prisuttu n’ayant pas subi les mêmes avanies avant de porter un jugement définitif. Cochon qui s’en dédit !

jeudi 18 juin 2020

L'onglet et l'entente cordiale

La deuxième récolte de petits pois était un peu juste pour confectionner un plat.
La première récolte de fèves, les rares rescapées d’une attaque par une division blindée de pucerons que mon arme de destruction massive - en l’occurrence du savon noir - n’a pas réussi à endiguer, était quant à elle loin d’être suffisante pour rassasier des appétits humains, trop humains.
Une seule solution : susciter la signature d’une entente cordiale entre mes peas d’origine anglaise et mes réfugiées d’Aguadulce.
Il m’a fallu agir avec diplomatie.
J’ai commencé par graisser la patte des Anglais avec une grosse noix de beurre durant six minutes. Un petit oignon blanc s’était mis en quatre, que dis-je, en huit, en seize, pour leur servir de garde du corps. J’ai alors introduit mes Espagnoles. Trois minutes plus tard, tout le monde était beurré et à point.
L’entente cordiale était désormais scellée.
Mais moi je n’avais rien signé.
J’ai bombardé les alliés avec les éclats ciselés de feuilles arrachées à une branche de menthe et à un brin de persil. Une deuxième vague est arrivée, constituée de lambeaux de feuilles de fenouil.
Plus lourdes, des noisettes de beurre demi-sel se sont écrasées brutalement avant de fondre et d’enrober petits pois et fèves au coude à coude, mais qui n’en pouvaient mais.
Deux onglets qui avaient vu la scène depuis la poêle où ils s’étaient béatement laissés dorer n’ont pu s’empêcher de me lancer : « Eh ben, voilà une affaire rondement menée ! ».
« Prenez-en de la graine… » leur rétorquai-je, tout en ajoutant que la diplomatie, c’est comme la cuisine, tout est une question de dosage et de juste équilibre.
Mais je ne suis pas certain d’avoir été compris : l’onglet n’a pas la fibre diplomate.

féves, petits pois, onglet
Dans l'amphithéâtre de réunion 


dimanche 14 juin 2020

Plus d'un Tours dans mon sac

Je pensais intituler cet article Bonne fouée et nombrilisme, mais ces termes ne conviennent absolument pas à ma personnalité, donc j’ai préféré me confiner dans un simple état des lieux.
On m’a compris, le but - pour reprendre ce lamentable vocable à tendance footballistique si répandu dans nos médias - du repas était d’éponger une nostalgie. Mon dessein - c’est-y pas plus joli ? - était de déplacer ma salle à manger francilienne au cœur de la bonne ville de Tours. Et il me semble y être parvenu.

Tout d’abord grâce à ma bonne fouée.
Recette :
Je frase la pâte de T65 (500 g) et levure de boulanger (3 g), d’un taux d’hydratation de 60 %, durant une demi-heure. Après pétrissage, la pâte subit une poussée à température ambiante de deux heures avant d’être partagée en une douzaine de petites boules que j’étale au rouleau afin d’obtenir des pièces d’environ 4 mm d’épaisseur (ici des disques, mais j’aurais pu opter pour une forme rectangulaire plus évocatrice de tartine…). Je dépose sur un linge, recouvre d’un autre linge et laisse pousser environ une heure.
Pendant ce temps j’allume le four dans lequel j’ai placé ma pierre en terre chamottée. Je règle le thermostat à 240° C.
Les fouées ont levé, je les dévoile. Je réalise des fournées de trois unités en faisant glisser les pièces à l’aide d’une petite pelle sur la pierre. Je défourne au bout de quatre minutes de cuisson, et dépose sur le linge de couverture que j’ai étendu à côté de celui qui supporte les fouées en attente.

fouée, rillettes de Tours
Le boute-en-train s'enfilera trois fouées


Le résultat est parfait : elles sont bien rebondies, la mie est cuite à point, et la croûte est restée claire comme il se doit.

Il ne reste plus qu’à fendre ces fouées encore chaudes en deux pour y déposer des excellentes rillettes de Tours préparées dans les laboratoires de Patrick Bourreau à Truyes (un nom prédestiné..), bien brunes et filandreuses. Des vraies tourangelles !

fouée, rillettes de Tours
Fouées voraces mangeuses de rillettes


Un régal que j’arrose d’un chinon Clos de la Bonnelière 2017 de robe un peu foncée à mon goût - mais telle fut l’évolution des vins de Chinon sous l''impulsion des œnologues - donnant néanmoins un sentiment de fraîcheur par ses notes fruitées.

vin de Chinon, clos de la Bonnelière
Arpentons la Rive Gauche


Et avant d’en boire une gorgée je prends bien garde d’effacer de mes papilles les traces de la salade du jardin qui ponctue la dégustation par une bouchée de fouée bien garnie de la brune confiture.

Nous enchaînons par la dégustation d’un fromage de Sainte-Maure, provenant hélas de la grande distribution : une bûche, bénéficiant quand même de l’AOP, concoctée par la laiterie de la Cloche d’Or et arborant le label Monoprix Gourmets. Ce chèvre est loin de valoir celui que j’achète à de petits éleveurs sur les marchés locaux, mais reste néanmoins convenable. Gourmets… Bof… Mais l’on sait que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent !

En revanche le dessert est beaucoup plus festif. Il s’agit de délicieux macarons de Cormery, autre chose que ces macarons dits parisiens dont la mode est fort heureusement retombée comme un mauvais soufflé. À Cormery - comme d’ailleurs à Saint-Émilion, Nancy ou Montmorillon - c’est l’amande qui occupe la première place, le goût et la mâche en bénéficient notablement.

macaron de Cormery
Se regarder le nombril


Quant à leur forme ombilicotée, elle permet de régaler la tablée de la plaisante anecdote du frocard marketeux à la recherche d’un façonnage vendeur qui fut inspiré à la fois par le Saint-Esprit et par l’apparition du nombril de frère Jean qu’une braise sauteuse, malencontreuse pour ce bon moine mais opportune pour l’abbaye, avait encadré de bure encore fumante…


Cette escapade en Touraine est terminée. Mes fouées valaient largement celles à la mine enfarinée achetées l’automne dernier au Leclerc de Chinon. Sans parler des rillettes - mais là je n’y suis pour rien, si ce n’est dans ma démarche pour me les procurer.

Des rillettes qui font bien de se cacher


https://sosgrisbiche.blogspot.com/2019/11/le-theme-rillettes-de-tours-faut-lclore.html

Comme quoi parfois le locavore peut être meilleur quand on n’est pas sur les lieux…