Direction donc en urgence vers le supermarché le plus proche pour acheter une épaule d’agneau. L’établissement se vante de distribuer des bêtes labellisées Poitou Charentes. Plutôt positif.
Las, j’ai la mauvaise idée de demander de reprendre les armes au garçon-boucher qui vient de déposer le couteau qu’il agitait avec l’énergie du désespoir dans une pièce de bœuf rétive, dans l’intention d’autant plus louable de se mettre à notre disposition que nous l’avions éconduit lors d’un premier passage exploratoire.
« Vous pourriez m’enlever la palette de cette épaule qui me semble la plus dodue du lot ? »
Retournant la pièce, ce professionnel averti me fait remarquer que cette opération fut déjà réalisée sans attendre mes directives. Penaud, je demande timidement :
« Pouvez-vous, ô maître de l’art et de lard, me rouler cette mignonne épaule et la ficeler afin d’en optimiser la cuisson ? »
Je ne suis pas certain que ce soient ces termes exacts que j’ai employés mais enfin ma requête allait bien en ce sens.
Aussitôt je vois le trancheur de bidoche se diriger d’un pas alerte vers les coulisses. Je me tourne vers ma compagne :
« Tiens, la ficelle n’est pas à portée de main, bonjour l’ergonomie ! »
Mais non, l’aplatisseur d’escalopes ouvre l’armoire où ses armes prennent les UV comme de vulgaires petites-bourgeoises préparant leur exhibition arénaire estivale et en sort une lame effilée.
Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche que mon désosseur obsessionnel pourfend ma malheureuse épaule, dégage le gros os, ce qui est bien, mais aussi celui de la souris, ce que j’apprécie moins. Et ensuite, vas-y que je taille, que j’estoque, que je disperse. J’aperçois mon bon gras être évacué manu militari.
Le chiqueteur de viande retourne dans son antre. Que lui manque-t-il ?
Horreur, malheur ! C’est une barde bien épaisse qu’il a à la main… C’en est trop, j’interviens :
« Pas de barde !!! »
Le bardeur infâme prend un air dépité, mais abandonne sa feuille blanche : il a compris que s'il persévérait, ça allait barder.
Il se saisit des os. Je crains le pire.
« Halte là ! Ne les jetez pas ! Je les veux pour ma sauce, pour moi, pas pour le chien que je n'ai pas, mais je les veux… »
Au mot chien, le visage du débiteur de saucisses s’illumine.
Tout en ficelant, ce boucher cynophile nous décrit avec amour les quatorze chihuahuas qui partagent sa vie. La larme à l’œil, il évoque la femelle mal aimée qu’il a su réconforter. Il est intarissable, l’épaule est dans notre chariot mais la courtoisie nous empêche de partir. Une cliente se présente. « Oui, je vais bientôt vous servir… », concède-t-il avec un geste de la main comme s’il chassait une mouche.
J’ose l’interrompre par une banalité.
« Avec votre profession, ils ne doivent pas manquer de viande… »
Son visage se ferme. Il me fusille du regard.
« Vous voulez les tuer ? Certainement pas. Je leur donne de bonnes croquettes, Monsieur ! »
Il nous tourne aussitôt le dos pour aller servir la cliente. Mais, lasse d’attendre, elle est déjà partie…
C’est ainsi qu’un peu plus tard je me trouve en train de faire dorer sur un trait d’huile d’olive allié à une noix de beurre une sorte de ballon de rugby un peu dégonflé. En effet le chihuahuamaniaque a soigneusement replié les extrémités du rouleau. Une création bouchère : la courgette d’agneau, bien mieux que le melon d’agneau… En tout cas, plus originale !
Avec cependant à mes yeux un défaut : je n’ai pas pu insérer les branches de thym et de romarin que je viens de cueillir au jardin. Je me suis contenté de les glisser entre la ficelle et la chair, et je crains qu’elles ne brûlent.
Pour le moment, viande et os se laissent saisir sur toutes faces. Puis je complète d’une feuille de laurier, j’assaisonne l’épaule de sel et d’un soupçon de piment d’Espelette et ajoute des pleurotes saumuroises que je commence à faire tomber dans le plat posé sur feu moyen en faisant fondre le surplus d’une grosse noix de beurre.
J’enfourne pour une vingtaine de minutes à 170 °C.
Pendant ce temps je fais cuire au sein d’une sauteuse coiffée d’un couvercle des pommes de terre nouvelles de l’île de Ré que j’ai grattées et trois oignons nouveaux dans un gros morceau de beurre demi-sel et un verre d’eau. Je découvrirai cinq minutes avant la fin, alors qu’il ne reste pratiquement plus d’eau.
Viande et légumes sont cuits. Au fond du plat, un jus parfumé.
Courgette d'agneau dans son jus |
Il ne reste plus qu’à dresser les assiettes. Non loin dans la cour de la bourrache prospère et de la ciboulette est montée en fleurs. J’en profite pour donner un peu de couleur.
Sur la route fleurie... |
Le plat est goûteux. En revanche le carnisaboteur a laissé tendons et autres aponévroses. Un mal de chien pour mâcher la viande. Je comprends pourquoi ses chihuahuas préfèrent les croquettes !