mercredi 2 mai 2018

Du frik, mais pas d'oseille

Frekeh, freekeh, frikeh, voire frik ? J’ai pu lire toutes ces appellations pour les grains de blé vert grillés…
Mais peu importe, je retiendrai le mot frekeh qui figure sur le sachet d’origine libanaise qui m’a permis de concocter un savoureux plat, même si le frik est plus vendeur...
Je cherchais une idée pour un menu consensuel destiné à quatre adultes et deux petites filles quand je suis tombé sur un texte qui évoquait sans trop de précision un poulet farci de frekkee (tiens, encore une autre orthographe…) mélangé avec de l’agneau haché et des noix de cajou.
Sur cette base j’ai concocté une recette dont je ne garantirai pas l’authenticité, même si son caractère moyen-oriental reste indéniable.

La veille, je confectionne la farce.
Je hache grossièrement trois gros oignons paille que je fais fondre parsemés d’une pincée de sel au fond d’une casserole dans un bon trait d’huile d’olive. J’y déverse deux verres de frekeh dont je laisse les grains s’enrober d’huile. Je les saupoudre d’une cuillerée de sept-épices libanais (coriandre, cannelle, poivre noir, poivre blanc, poivre doux de Jamaïque, noix de muscade, clou de girofle, mahlab). Comme j’aime bien le parfum du mahlab, une poudre obtenue à partir d’amandes de noyaux de cerise, je joue les Messieurs Plus en ajoutant une petite cuillerée de ce produit. Je n’oublie pas trois gousses d’ail fendues en deux, ni une feuille de laurier et deux brins de thym.
À côté j’avais mis à infuser dans un demi-litre d’eau portée à ébullition un sachet de bouillon de bœuf Ariake. Ce liquide, versé dans la casserole, fait gonfler les grains qui réclament encore du breuvage. Heureusement, prévoyant, j’avais placé sur la flamme voisine une casserole d’eau chaude qui saura en cas de besoin intervenir jusqu’à la fin de la cuisson, c’est-à-dire environ une demi-heure plus tard.
Pendant ce temps je mets à torréfier au four une poignée de noix de cajou et une poignée d’amandes émondées. Une fois sorties et refroidies, je les concasse grossièrement à l’aide du mini-préparateur et les réserve. Puis, avec le même appareil, je hache une tranche de gigot d’agneau de 300 g que j’ai découpée en dés de 2 cm de côté.
Le frekeh semble cuit sans excès, je retire laurier et thym, et j’introduis la chair d’agneau, les noix de cajou, les amandes. Je mélange sur feu doux. Je cherche non à poursuivre une cuisson, mais simplement à monter la viande à une température suffisante pour l’aseptiser et ainsi permettre une conservation sans risque jusqu’au lendemain.
Pour terminer, je goûte et rectifie l’assaisonnement en sel.

frekeh, sept-épices, farce
Une bonne farce


La préparation, transférée dans une boîte, est mise au réfrigérateur.


C’est le jour du repas.
J’ai choisi de farcir trois coquelets de bonne qualité. Chaque adulte aura son demi-coquelet, les enfants se partageront l’avant dernier. Quant au dernier, eh bien, on verra…
Je commence par tapisser l’intérieur de chaque bête d’une pincée de sel et d’une pincée de sept-épices. Puis j’introduis la farce préparée la veille. Je puis bien tasser, car je sais que désormais elle ne gonflera plus. Néanmoins, j’ai vu trop grand, il me reste de cet appareil. Bon, je réussirai bien à le recycler dans une préparation quelconque…
Je noue les coquelets pré-bridés.

J’ai sorti la plus grande de mes cocottes.
J’ai encore préparé un bouillon de bœuf, environ 75 cl que je verse en son fond avec une grosse noix de beurre, un oignon découpé en pétales, une feuille de laurier, un brin de thym, un clou de girofle, cinq baies de piment de cayenne.
Je dépose les coquelets assaisonnés sur touts leurs faces. Je dépose sur chacun une noisette de beurre. J’ajoute quelques pincées de sept-épices.

frekeh, coquelets, farce, sept-épices
Heureux comme des coquelets avec une cocotte



Je puis alors enfourner la cocotte à découvert dans le four à 190 °C pour 45 minutes Un quart d’heure avant la fin je retournerai les bêtes.
Heureuse coïncidence, le timer sonne au même moment où l’on carillonne à la porte d’entrée. Les invités sont à l’heure !
Pendant qu’ils prennent un arak (enfin, les adultes…) accompagné de quelques olives libanaises et pistaches, je finalise mon plat. Je sors les coquelets de la cocotte que je place sur feu vif afin que le jus restant au fond réduise.
Tout en surveillant ce récipient et en tournant de temps à autre afin que ça n’attache pas, je partage chaque animal en deux en même temps que sa farce. Je dispose ces hémicoquelets sur un plat, en alternance côté peau ou côté farce. Je parsème de quelques noix de cajou et amandes. J’enfourne le plat dans le four éteint mais encore chaud le temps que le jus achève sa réduction.
Quand je suis parvenu à une consistance sirupeuse, je sors le plat et je l’arrose de cette sauce.
Il ne me reste plus qu’à apporter mon œuvre aux convives…

Ventrebleu, j’allais oublier de la photographier !
Voici, c’est chose faite…

coquelets farcis, blé vert grillé
Coquelets partagés


À côté du plat je pose un contrepoint rafraîchissant : un taboulé que j’ai réalisé de tôt matin.
J’ai sorti mon couteau japonais le plus effilé afin de trancher finement sans l’écraser le persil. Persil que j’ai maudit, car tout en tiges et fines arborescences, il m’a fallu un temps fou pour en extraire les feuilles des deux bottes utilisées. Ce fut plus rapide pour effeuiller les trois tiges de menthe qui leur ont succédé sur la planche.
Malheureusement, pas de bonnes tomates du jardin en ce moment, mais des tomates cerises - pas trop catastrophiques en goût cependant - que j’ai taillées en huit avant de les incorporer en compagnie d’un oignon cébette découpé en tranches fines.
J’ai ajouté deux cuillerées de boulgour brun fin que j’avais essoré après les avoir mis à gonfler dans de l’eau. J’ai bien mélangé le tout.
Le jus d’un citron, un trait d’huile d’olive herbacé, une pincée de sel. Mon taboulé n’avait plus qu’à attendre au frais que je le dispose sur des feuilles de laitue au moment de le servir…

taboulé libanais
Et le taboulé déboula...





Les invités furent ravis de ce repas et de son étalage de frik.
Je m'en réjouis.


dimanche 29 avril 2018

Jouer à pigeon dore

En fait les trois pigeons étaient quatre, comme les mousquetaires.

Car au départ c’étaient seulement deux pigeons que je voulais commander. Mais un clic intempestif en a fait envoler deux de plus vers ma cuisine. D’où cette réalisation de pastilla non prévue a priori…
Il me restait cependant une pièce que j’ai cuisiné au départ sans enthousiasme, un peu saturé de pigeonnade par les rabs de pastilla…
J’ai tout simplement introduit dans le ventre de la bête assaisonné de fleur de sel : des éclats de gousse d’ail, une échalote partagée en huit, une petite feuille de laurier, un brin de thym, trois brins de persil, un morceau de gingembre frais, une lanière de zeste de citron un bout de poivre de Timiz, six baies de genièvre, un clou de girofle, cinq grains de poivre rouge de Kampot, le tout entrelardé, si j’ose dire, de noisettes de beurre.
J’assaisonne ensuite mon pigeon massé avec du beurre et je le fais dorer à feu vif sur toutes ses faces dans une petite poêle enduite d’une petite cuillérée d’huile d’olive. J’éteins la flamme, ajoute une paire de cébettes coupées en deux, une demi-gousse d’ail et un morceau de gingembre. J’arrose d’un petit verre de sauvignon.

pigeon rôti
Qu'en faire ? Qu'il dore !


J’enfourne un quart d’heure à 190 °C en retournant la pièce à mi-cuisson.
J’obtiens un pigeon bien doré posé au centre d’un jus onctueux où baignent les cébettes un peu caramélisées.

pigeon rôti
L'aile fière....


Je fends le pigeon en deux et le débarrasse de sa colonne vertébrale.
Je puis alors servir deux assiettes où l’accompagnement consistera en des petits pois de conserve de ma marque préférée.

pigeon, petits pois
Ah, les p'tits pois, les p'tits pois...


Eh bien, contrairement à mon appréhension, je me suis régalé avec ce pigeon à la chair encore légèrement rosée. Comme quoi…

mercredi 25 avril 2018

Où pigeons y a, pastilla...

Trois pigeons s’aimaient d’amour tendre. S’ennuyant au logis, ce trio fut assez fou pour entreprendre un voyage en lointain pays. Un tour operator leur conseilla le Maroc. Las, à peine arrivés, ils finirent en pastilla. L’ambassade de Pigeonnie (que les ignares confondent avec la Colombie !) eut beau protester, elle n’obtint pas la moindre excuse. Il fallait respecter les us locaux, lui argua-t-on…

Trois autres pigeons s’aimaient d’amour passionné. Le même tour operator leur vanta les plaisirs de la capitale. Las, la mairesse avait parsemé le triste Paris d’effaroucheurs. Pire, toute pitance, même la plus frugale, leur était interdite. Ils s’empressèrent donc de poursuivre leur circuit vers Versailles et ses bosquets. Las, à peine arrivés, ils finirent en pastilla. Désormais les traditions s’expatrient…


Moralité
:
Les histoires de touristes
Les histoires de touristes pigeons
Les histoires de touristes pigeons finissent mal
Les histoires de touristes pigeons finissent mal en général.



Je plaide coupable. Les trois pigeons sont arrivés chez moi.

pigeons, pastilla
Aux trois pigeons


Eh bien oui, je les fends en deux.

pigeon, pastilla
Pigeon qui se fend


Puis je les découpe en morceaux.

pigeon, pastilla
Ouf... j'ai fini !


Je les transfère dans une cocotte et les recouvre à effleurement. J’ajoute quatre oignons paille de taille moyenne que je viens d’éplucher et râper, ainsi qu’une cuillerée de gingembre frais qui vient se frotter aux mêmes dents. Une pincée de pistils de safran, une autre de sel, le plongeon de 80 g de beurre, et je laisse cuire une bonne demi-heure à petit bouillon en entrouvrant le couvercle afin que le liquide commence à réduire.

pigeon, pastilla
Ah, le tourisme de masse...


Puis je sors les morceaux de pigeon avec une araignée et les réserve afin qu’ils tiédissent. Je ne vais tout de même pas me brûler mes délicates paluches !
Paluches qui auraient dû se démener pour ciseler un bouquet de coriandre et un bouquet de persil. Mais pris d’un accès de paresse, j’ai haché ces herbes avec mon mini-préparateur. Sans trop de scrupule, car après elles seront cuites dans le bouillon…
Je les verse donc dans la sauce. Je complète avec 60 g de miel de romarin et une cuillerée à café de cannelle.
Je laisse réduire cocotte découverte jusqu’à ce que cette sauce soit plus crémeuse que liquide, couvercle enlevé et en vérifiant de temps à autre que ça n’attache pas.

pastilla, pigeons, herbes, safran, gingembre
Au jus là-dedans !


Pendant ce temps, je détache la viande des pigeons de ses os et l’effiloche grossièrement. Je la réserve.

pastilla, pigeon
Pigeons déstructurés


La consistance de la sauce me semble bonne. J’y ajoute 6 œufs en touillant vigoureusement durant quelques minutes sur feu doux. Je réserve et laisse refroidir.

Je pèse 125 g d’amandes émondées que je mets à griller au four à 190 °C, suivant l’évolution avec attention car un malheur est vite arrivé !

pastilla, amandes
Où je me mets à l'amande


Une fois ces amandes sorties et un peu refroidies, je les hache sur une planche grossièrement au couteau. Je réserve.


Tout est désormais frais ou à température ambiante. Je peux commencer le montage. J’utilise, suivant une recette pour trois pigeons trouvée sur le Net, un moule à manqué de diamètre 22 cm.
Ce récipient va se révéler à la fois aux bords trop haut et pas assez large pour une manipulation et une cuisson aisée… Il me semble qu’une tourtière de 28 cm aurait beaucoup mieux fait l’affaire…
Le moule est bien beurré. Une feuille de brick au centre, quatre qui débordent à cheval par-dessus, deux nouvelles feuilles au centre, et je verse dans cette corolle le pigeon en lanières.

pastilla, brick
Comme une fleur...


Je recouvre de la sauce et parsème des amandes hachées. Cette coupe post-cuisson et post-refroidissement permet de distinguer les strates :

pastilla
Stratigraphie


Je replie les bords vers le centre, les enduis de jaune d’œuf légèrement dilué et commence une opération couverture en procédant de façon inverse à la confection de la base.
J’ai fait fondre 80 g de beurre dans une petite casserole. Je badigeonne au pinceau le dessus de la pastilla.

pastilla, pigeon
Gonflée d'importance...


Le reste servira à arroser régulièrement la pastilla en cours de cuisson.
Cette cuisson se fait en environ une demi-heure au four à 190 °C
La pastilla sort dodue - trop dodue… - et bien dorée.

pastilla
Bien dorée...


Je la saupoudre de sucre glace à travers un tamis et la strie de trois barres de poudre de cannelle obtenues avec un pochoir improvisé grâce à la découpe d’une reliure de dossier en plastique.

pastilla, pigeons
Va-t-on se régaler...




Ensuite, ben, je commets l’erreur de la servir encore trop chaude, ce qui provoque un manque de tenue des parts.

pastilla aux pigeons
Pour dix bricks...


Le lendemain, la découpe sera nette, et surtout, comme pour des pâtés, la saveur a évolué de façon nettement favorable. Ces trois pigeons n’auront pas entrepris leur voyage pour rien !

mardi 24 avril 2018

Retour d'échine : le printemps est là...

Nuit d’échine, nuit câline, nuit d’amour,
Nuit d’ivresse, de tendreté…


Oui, cette échine élégamment persillée, je l’ai cuisinée avec amour.


Une recette de Printemps. Mais non, pas celle qui n’est pas ce que l’on pense, mais celui tel qu'on le voit dans les clichés gastronomiques : pommes de terre nouvelles, asperges, morilles, aillet.

Les petites rattes du Touquet se sont baignées un sextuor de minutes dans l’eau salée – mais non, pas celle de Paris-Plage, elle n’est pas assez chaude. Puis elles ont été se faire bronzer à poêle après que je les ai enduites d’huile - mais non, pas d’huile solaire, d’une huile d’olive herbacée à laquelle j’ai ajouté une noisette de beurre afin d’obtenir une peau dorée.

Puis les têtes sont tombées comme pendant la Terreur – mais non pas celles d’aristocrates décatis, mais celles de fraîches asperges arrivées des Landes. Des blanches, certes, mais aussi des vertes… Elles sont allées rouler au milieu des rattes.

Les morilles n’en menaient pas large quand elles m’ont vu sortir une petite sauteuse – mais non pas celle que l’on pense, une avec une queue, en inox. Elles n’avaient pas tort, je les ai jetées dans une grosse noix de beurre qu’elles se sont empressées d’éponger.

Restaient à se préoccuper des côtes – mais non, pas ces côtes où l’on change de braquet et que l’on grimpe en danseuse, des côtes taillées dans l’échine d’un cochon fermier basque. Je les ai étendues sur la mousse – mais non, pas celle qui verdoie la forêt, celle d’un beurre fondu. Elles n’étaient pas pour autant privées de verdure : à leur côté, de l’aillet déchaussé de sa paire de bottes. Au moment de sortir, je leur ai offert un verre de porto pour la route…


Et c’est ainsi qu’un cochon fait le printemps..


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Aillet, c'est prêt. !

samedi 21 avril 2018

Là, là, Landes...

Hier, cœurs de canard des Landes flanqués d’asperges des Landes…
J’ai tout d’abord paré les cœurs et je les ai piqués par trois sur des piques en bois en insérant entre eux des gros lardons taillés dans de la ventrèche basque frottée au piment. Je les ai assaisonnés : sel, poivre rouge de Kampot, mélange cinq-épices conférant une petite note anisée. Je les ai arrosés d’un trait discret d’huile d’olive et les ai réservés.

coeurs de canard, brochettes
De bons coeurs


J’ai prélevé sept asperges vertes dans la botte où elles se serraient contre leurs sœurs. J’en ai paré et écussonné quatre, puis simplement raccourci les trois autres (deux tranchées en biais, la troisième destinée à être découpée en deux suivant le sens de la longueur tranchée perpendiculairement). J’ai réservé dans une bassine d’eau fraîche légèrement salée.

Pour ce plat printanier, des morilles s’imposaient. J’avais eu la chance que cette semaine le marchand de champignons ait des morilles fraîches de France sur son étal. J’en ai extrait quatre du sachet qui les abritait. Elles étaient bien propres, je me suis contenté de les passer quelques secondes sous un filet d’eau. Je disposais aussi d’une botte de cébettes, des Landes elles aussi. J’ai nettoyé et tranché en quatre deux de ces oignons, je les mis à suer au fond d’une petite casserole dans une noix de beurre demi-sel et j’ai déposé sur ce lit les morilles. J’ai coiffé d’un couvercle et j’ai laissé sur une petite flamme cinq minutes en retournant les champignons à mi-cuisson. J’ai réservé.

Quelques minutes avant l’heure du repas, j’ai plongé les asperges dans une grande casserole d’eau bouillante abondamment salée. Une minute après je les ai sorties avec une araignée et les ai plongées dans une bassine d’eau glacée dont je les ai sorties pour le déposer sur un torchon.

asperges vertes, Landes
Bien vert

J’ai alors placé une poêle antiadhésive sur une petite flamme, y ai fait fondre une noisette de beurre. Les asperges sont venues s’y réchauffer quelques instants.
À côté, sur une forte flamme, le gril légèrement barbouillé d’huile d’olive. J’y dépose les brochettes que je retourne de temps à autre durant… au fait durant combien de temps, car la cuisson s’est faite au feeling, disons quatre cinq minutes, peut-être moins ?
Je peux commencer le dressage pendant que je remets à température les morilles avec les cébettes.
Bon, ça y est, un petit coup de torchon pour enlever quelques taches…

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Cœurs de canard et asperges vertes des Landes, morilles


À table !!!!!

Les cœurs sont bien rosés à la coupe, presque saignants au centre. Les asperges, fort goûteuses (mais là je n’y suis pour rien… ), sont restées al dente. Des morilles émanent le parfum discret de la bourgeoisie paysannerie.
Mission accomplie !

vendredi 20 avril 2018

Liquidation judicieuse

Opération liquidation pour les derniers vestiges de la saison précédente au jardin…
Tout d’abord pour un bonnet d’électeur qui commençait à trouver le temps long : je l’ai cuit fort simplement dans l’huile d’olive en ajoutant de l’ail (quatre belles gousses hachées !) ainsi qu’une découpe de pimentos del piquillo à mi-cuisson et du persil ciselé au moment de retirer du feu.

pâtisson, bonnet d'électeur
La tète (d'ail) près du bonnet


Volontairement j’ai oublié le piment fort que j’ajoute d’habitude à un tel plat, car il était destiné à fournir un contrepoint à un chouriço flambé.

chouriço, chorizo flambé
Je suis un flambeur


En second lieu, quatre gros poireaux qui commençaient à se lasser de le faire (ben oui, le poireau…) alignés en rang d’oignons (la honte !) au fond du jardin et le manifestaient en voulant brandir une flèche vers le ciel. Opération finalisée par quelques voisins qui ont fini au compost. Non mais !
Ils sont arrivés à la maison accompagnés d’un petit poireau crayon qui s’était placé sous leur aile protectrice.
Pour ne rien cacher, j’avais quelque inquiétude sur la tendreté de ces vieux légumes. J’ai donc eu le projet de les pulvériser après cuisson à l’aide du mixer plongeant afin d’en tirer une sorte de crème.
Je taille donc relativement menu mes poireaux avant de les faire suer à feu doux parsemés d’une pincée de sel dans une grosse noix de beurre. À côté cuit à l’anglaise une grosse pomme de terre bintje partagée en huit morceaux.
Il ne reste pratiquement plus d’eau de végétation, je recouvre à effleurement d’aqua simplex. Quelques minutes plus tard, cette eau s’est évaporée et la pomme de terre est cuite. Je goûte les poireaux. Ô, surprise, le résultat est très tendre, de plus goûteux avec une note légèrement sucrée. Je change donc mon fusil d’épaule : pas besoin de sortir la girafe !
J’égoutte mes morceaux de pomme de terre et les verse sur la compotée de poireau, parfume de quelques filaments de safran. J’écrase et brasse à tout va avec une fourchette. Sur une petite flamme, puis je verse une dizaine de centilitres de crème liquide. Je hausse le feu et fais réduire en tournant régulièrement. J’ai sous les yeux un mélange bien onctueux, je goûte et rectifie l’assaisonnement. Je réserve pendant les trois minutes nécessaires pour cuire la viande, deux fines escalopes de veau de Corrèze que j’étends au fond d’une poêle où une grosse noix de beurre est en train de mousser avec, posées au milieu, les deux moitiés du poireau crayon fendu en deux. Un aller et retour sur feu vif, et les tranches peuvent aller se poser sur les assiettes.
Je me contente d’ajouter à leur côté une petite montagne de ces poireaux crémés au safran qui sentent fichtrement bon, de les arroser avec un jus obtenu en déglaçant la poêle avec le jus d’un demi-citron et déposer le demi-poireau décoratif.

poireau, crème, safran, escalope de veau
Eh, recule, poireau !


Je suis fort agréablement surpris, nous nous régalons avec ce plan de sauvetage (en même temps, pas étonnant - du beurre et encore du beurre…). Ce que je retiendrai principalement de cette expérience, c’est l’affinité poireau safran, une alliance qui fonctionne à merveille.

mercredi 18 avril 2018

Même pas la gueule de lamproie

Il fut un temps pas si lointain où les halles de ma ville étaient dotées d’excellents poissonniers. Hélas, les maîtres des lieux (et par la même occasion des lieus…) ont vieilli et pris leur retraite. Ils furent remplacés par leur filiation née avec un écailleur en argent dans la menotte. De plus la plupart des vendeurs expérimentés sont partis vers des cieux meilleurs.

Alors adieu saumons de l’Adour, adieu thons rouges, adieu violets, adieu pouces-pieds, adieu assortiments de poissons de roche, adieu roussettes, adieu vivaneaux, adieu sars herbivores au goût merveilleusement iodé, adieu céteaux, adieu anguilles, adieu civelles, adieu tous ces poissons que les saisons et le hasard des pêches faisaient apparaître sur les étals.
Désormais, ce ne sont plus que cabillauds et re cabillauds, bars et saumons d’élevage, queues de lottes, thons albacores, soles calibrées, enfin tout ce que l’on peut trouver au rayon poissonnerie de n’importe quel supermarché…
Donc adieu aussi cette lamproie dont je guettais le passage au printemps afin de la préparer à la bordelaise. J’ai encore le souvenir de l'agitation compréhensible (que feriez-vous à la place de la bête si l’on entreprenait de vous inciser la queue ?) mais excessive d'une belle pièce encore plus vivace que je ne le croyais quand je l'avais pendue, accrochée à un tuyau d’arrivée d’eau, afin de la saigner pour récupérer la liaison indispensable à toute bonne sauce. Cette résistance imprévue d'une émigrée girondine avait transformé la cuisine en scène de crime…

Encore frustré cette année, j’ai décidé de ne pas être privé une fois de plus de lamproie.
Alors j’ai ouvert une boîte…



Je l’ai réchauffée avec ses morceaux de bonne tenue baignant dans une sauce onctueuse dont les capiteuses fragrances me montent aux narines.

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Lamproie idéale


Et là, le miracle. Je dois reconnaître que cette Lamproie à la bordelaise était encore plus savoureuse que la mienne. Je regarde la composition : lamproie (42 %), poireaux, vin rouge, oignons, amidon, jambon de Bayonne, échalotes, sucre, sel, poivre, épices. Pas loin de ma recette, sauf que j‘utilise du lard au lieu de jambon de Bayonne. Mais je crois que c’est surtout le long confinement en vase clos qui a permis aux saveurs de se mêler en un ensemble harmonieux où la lamproie s’est approprié la douceur de l’échalote qui elle-même s’est revigorée dans le vin et dans le sang.
Et vraiment le dosage entre les divers éléments était parfait.
La maison Garde mérite bien son Coq d’Or et sa reconnaissance par le Collège Culinaire de France.

Il ne me faut pas gâcher cette envolée vers les sommets gastronomiques par une dégringolade vers la médiocrité. Aussi je déballe un excellent Vieux Gris de Lille qui n’attendait qu’une telle occasion pour montrer le bout de son nez.

Gris de Lille
Lillois en train de faire le maroilles




Mais cette dégradation hallesque ne s’observe pas que pour les poissonniers, elle se constate aussi pour les volaillers, même si dans ce cas ce n’est pas tant en ce qui concerne la variété (après tout si je ne découvre plus en ce marché cette remarquable gallinacée qu'est la poule de Houdan, c’est en raison de sa disparition en sa cité d'origine…) que dans le professionnalisme des serveurs qui savent parfois aussi bien massacrer les produits que les neo-poissonniers au cours de découpes et de parages hasardeux.

Ainsi j’avais décidé, pour changer, de cuire le poulet du dimanche sur le gril en crapaudine plutôt qu’au four fiché sur son pal habituel.
Malheureusement j’ai eu la mauvaise idée de confier sa préparation au serveur. Je me suis trouvé avec une crapaudine inversée, c’est-à-dire avec le poulet fendu par le ventre et non par le dos. Il restait donc la colonne vertébrale et les cuisses étaient tournées vers l’extérieur au lieu de l’intérieur… Je n’irai pas jusqu’à exiger le perfectionnisme d’un enseignant tel que l’on peut le constater sur la démonstration d'une troisième méthode filmée par le Pôle vidéo du Lycée Camille Claudel, Mantes-la-Ville, académie de Versailles :

Poulet en crapaudine

Mais tout de même…
Bref, j’ai dû faire avec. Pour assurer une meilleure cuisson à cœur, j’ai posé au-dessus du poulet la cloche en alu qui ordinairement est destinée à pouvoir coiffer mon wok.

poulet crapaudine
Sous cloche...


Finalement, si la coloration de la cuisse était plutôt défaillante sur une partie de sa surface, la chair était parfaitement cuite et surtout très moelleuse après un séjour de 30 minutes côté peau et 20 minutes côté interne sur la plaque striée en fonte chauffée par une petite flamme et recouverte de branches de thym et de romarin.
Au four j’avais mis à cuire les pommes de terre dans le four façon suédoise avec à leur côté des découpes d’échalotes que j’ai retirées dès qu’elles ont été caramélisées.
Résultat des assiettes parfumées et agréables, relevées et décorées de quelques pimentos del piquillo que j’avais posés sur la plaque au dernier moment.

poulet, crapaudine, pomme de terre à la suédoise
L'aile ou la cuisse ?



P.S. : Je viens de visionner le reportage effectué en ces halles par TF1 dans le cadre de l’élection du meilleur marché de France. Même si de toute façon une telle hiérarchie n’a aucun sens, je retrouve dans ce petit film la même vision bisounours des métiers de bouche que celle que j’avais pu constater en regardant sur mon petit écran les plats servis à notre cher évincé Petitrenaud dans les restaurants que je connaissais pour les avoir fréquentés en tant qu’anonyme ou même habitué…
Eh oui, quand la caméra vous observe !
Je n'ignore pas le travail et l'investissement personnel que nécessite la bonne pratique de telles activités. Aussi, quand la conscience professionnelle est bien là je sourirai plutôt de la tendreté et la tendresse ajoutées en rab ainsi que des doses d'amour parsemant les plats pour faire umami-ami. En revanche je n'aurai pas la même mansuétude envers les gestionnaires papelards qui ne font mitonner que leur tiroir-caisse et ne se montrent généreux que filmés...