vendredi 20 avril 2018

Liquidation judicieuse

Opération liquidation pour les derniers vestiges de la saison précédente au jardin…
Tout d’abord pour un bonnet d’électeur qui commençait à trouver le temps long : je l’ai cuit fort simplement dans l’huile d’olive en ajoutant de l’ail (quatre belles gousses hachées !) ainsi qu’une découpe de pimentos del piquillo à mi-cuisson et du persil ciselé au moment de retirer du feu.

pâtisson, bonnet d'électeur
La tète (d'ail) près du bonnet


Volontairement j’ai oublié le piment fort que j’ajoute d’habitude à un tel plat, car il était destiné à fournir un contrepoint à un chouriço flambé.

chouriço, chorizo flambé
Je suis un flambeur


En second lieu, quatre gros poireaux qui commençaient à se lasser de le faire (ben oui, le poireau…) alignés en rang d’oignons (la honte !) au fond du jardin et le manifestaient en voulant brandir une flèche vers le ciel. Opération finalisée par quelques voisins qui ont fini au compost. Non mais !
Ils sont arrivés à la maison accompagnés d’un petit poireau crayon qui s’était placé sous leur aile protectrice.
Pour ne rien cacher, j’avais quelque inquiétude sur la tendreté de ces vieux légumes. J’ai donc eu le projet de les pulvériser après cuisson à l’aide du mixer plongeant afin d’en tirer une sorte de crème.
Je taille donc relativement menu mes poireaux avant de les faire suer à feu doux parsemés d’une pincée de sel dans une grosse noix de beurre. À côté cuit à l’anglaise une grosse pomme de terre bintje partagée en huit morceaux.
Il ne reste pratiquement plus d’eau de végétation, je recouvre à effleurement d’aqua simplex. Quelques minutes plus tard, cette eau s’est évaporée et la pomme de terre est cuite. Je goûte les poireaux. Ô, surprise, le résultat est très tendre, de plus goûteux avec une note légèrement sucrée. Je change donc mon fusil d’épaule : pas besoin de sortir la girafe !
J’égoutte mes morceaux de pomme de terre et les verse sur la compotée de poireau, parfume de quelques filaments de safran. J’écrase et brasse à tout va avec une fourchette. Sur une petite flamme, puis je verse une dizaine de centilitres de crème liquide. Je hausse le feu et fais réduire en tournant régulièrement. J’ai sous les yeux un mélange bien onctueux, je goûte et rectifie l’assaisonnement. Je réserve pendant les trois minutes nécessaires pour cuire la viande, deux fines escalopes de veau de Corrèze que j’étends au fond d’une poêle où une grosse noix de beurre est en train de mousser avec, posées au milieu, les deux moitiés du poireau crayon fendu en deux. Un aller et retour sur feu vif, et les tranches peuvent aller se poser sur les assiettes.
Je me contente d’ajouter à leur côté une petite montagne de ces poireaux crémés au safran qui sentent fichtrement bon, de les arroser avec un jus obtenu en déglaçant la poêle avec le jus d’un demi-citron et déposer le demi-poireau décoratif.

poireau, crème, safran, escalope de veau
Eh, recule, poireau !


Je suis fort agréablement surpris, nous nous régalons avec ce plan de sauvetage (en même temps, pas étonnant - du beurre et encore du beurre…). Ce que je retiendrai principalement de cette expérience, c’est l’affinité poireau safran, une alliance qui fonctionne à merveille.

mercredi 18 avril 2018

Même pas la gueule de lamproie

Il fut un temps pas si lointain où les halles de ma ville étaient dotées d’excellents poissonniers. Hélas, les maîtres des lieux (et par la même occasion des lieus…) ont vieilli et pris leur retraite. Ils furent remplacés par leur filiation née avec un écailleur en argent dans la menotte. De plus la plupart des vendeurs expérimentés sont partis vers des cieux meilleurs.

Alors adieu saumons de l’Adour, adieu thons rouges, adieu violets, adieu pouces-pieds, adieu assortiments de poissons de roche, adieu roussettes, adieu vivaneaux, adieu sars herbivores au goût merveilleusement iodé, adieu céteaux, adieu anguilles, adieu civelles, adieu tous ces poissons que les saisons et le hasard des pêches faisaient apparaître sur les étals.
Désormais, ce ne sont plus que cabillauds et re cabillauds, bars et saumons d’élevage, queues de lottes, thons albacores, soles calibrées, enfin tout ce que l’on peut trouver au rayon poissonnerie de n’importe quel supermarché…
Donc adieu aussi cette lamproie dont je guettais le passage au printemps afin de la préparer à la bordelaise. J’ai encore le souvenir de l'agitation compréhensible (que feriez-vous à la place de la bête si l’on entreprenait de vous inciser la queue ?) mais excessive d'une belle pièce encore plus vivace que je ne le croyais quand je l'avais pendue, accrochée à un tuyau d’arrivée d’eau, afin de la saigner pour récupérer la liaison indispensable à toute bonne sauce. Cette résistance imprévue d'une émigrée girondine avait transformé la cuisine en scène de crime…

Encore frustré cette année, j’ai décidé de ne pas être privé une fois de plus de lamproie.
Alors j’ai ouvert une boîte…



Je l’ai réchauffée avec ses morceaux de bonne tenue baignant dans une sauce onctueuse dont les capiteuses fragrances me montent aux narines.

lamproie, à la bordelaise, conserves Garde
Lamproie idéale


Et là, le miracle. Je dois reconnaître que cette Lamproie à la bordelaise était encore plus savoureuse que la mienne. Je regarde la composition : lamproie (42 %), poireaux, vin rouge, oignons, amidon, jambon de Bayonne, échalotes, sucre, sel, poivre, épices. Pas loin de ma recette, sauf que j‘utilise du lard au lieu de jambon de Bayonne. Mais je crois que c’est surtout le long confinement en vase clos qui a permis aux saveurs de se mêler en un ensemble harmonieux où la lamproie s’est approprié la douceur de l’échalote qui elle-même s’est revigorée dans le vin et dans le sang.
Et vraiment le dosage entre les divers éléments était parfait.
La maison Garde mérite bien son Coq d’Or et sa reconnaissance par le Collège Culinaire de France.

Il ne me faut pas gâcher cette envolée vers les sommets gastronomiques par une dégringolade vers la médiocrité. Aussi je déballe un excellent Vieux Gris de Lille qui n’attendait qu’une telle occasion pour montrer le bout de son nez.

Gris de Lille
Lillois en train de faire le maroilles




Mais cette dégradation hallesque ne s’observe pas que pour les poissonniers, elle se constate aussi pour les volaillers, même si dans ce cas ce n’est pas tant en ce qui concerne la variété (après tout si je ne découvre plus en ce marché cette remarquable gallinacée qu'est la poule de Houdan, c’est en raison de sa disparition en sa cité d'origine…) que dans le professionnalisme des serveurs qui savent parfois aussi bien massacrer les produits que les neo-poissonniers au cours de découpes et de parages hasardeux.

Ainsi j’avais décidé, pour changer, de cuire le poulet du dimanche sur le gril en crapaudine plutôt qu’au four fiché sur son pal habituel.
Malheureusement j’ai eu la mauvaise idée de confier sa préparation au serveur. Je me suis trouvé avec une crapaudine inversée, c’est-à-dire avec le poulet fendu par le ventre et non par le dos. Il restait donc la colonne vertébrale et les cuisses étaient tournées vers l’extérieur au lieu de l’intérieur… Je n’irai pas jusqu’à exiger le perfectionnisme d’un enseignant tel que l’on peut le constater sur la démonstration d'une troisième méthode filmée par le Pôle vidéo du Lycée Camille Claudel, Mantes-la-Ville, académie de Versailles :

Poulet en crapaudine

Mais tout de même…
Bref, j’ai dû faire avec. Pour assurer une meilleure cuisson à cœur, j’ai posé au-dessus du poulet la cloche en alu qui ordinairement est destinée à pouvoir coiffer mon wok.

poulet crapaudine
Sous cloche...


Finalement, si la coloration de la cuisse était plutôt défaillante sur une partie de sa surface, la chair était parfaitement cuite et surtout très moelleuse après un séjour de 30 minutes côté peau et 20 minutes côté interne sur la plaque striée en fonte chauffée par une petite flamme et recouverte de branches de thym et de romarin.
Au four j’avais mis à cuire les pommes de terre dans le four façon suédoise avec à leur côté des découpes d’échalotes que j’ai retirées dès qu’elles ont été caramélisées.
Résultat des assiettes parfumées et agréables, relevées et décorées de quelques pimentos del piquillo que j’avais posés sur la plaque au dernier moment.

poulet, crapaudine, pomme de terre à la suédoise
L'aile ou la cuisse ?



P.S. : Je viens de visionner le reportage effectué en ces halles par TF1 dans le cadre de l’élection du meilleur marché de France. Même si de toute façon une telle hiérarchie n’a aucun sens, je retrouve dans ce petit film la même vision bisounours des métiers de bouche que celle que j’avais pu constater en regardant sur mon petit écran les plats servis à notre cher évincé Petitrenaud dans les restaurants que je connaissais pour les avoir fréquentés en tant qu’anonyme ou même habitué…
Eh oui, quand la caméra vous observe !
Je n'ignore pas le travail et l'investissement personnel que nécessite la bonne pratique de telles activités. Aussi, quand la conscience professionnelle est bien là je sourirai plutôt de la tendreté et la tendresse ajoutées en rab ainsi que des doses d'amour parsemant les plats pour faire umami-ami. En revanche je n'aurai pas la même mansuétude envers les gestionnaires papelards qui ne font mitonner que leur tiroir-caisse et ne se montrent généreux que filmés...

lundi 16 avril 2018

Le soir du cochon poilu

Bien sympathique, ce cochon poilu.

mangalica, Hongie, porc
Tout content d'être velu...


Et pourtant je lui suis rentré dans le lard. Pour la science…
En effet je me suis livré à un test. Pas en double aveugle, je n’en avais pas les moyens. Disons en ½ aveugle…
Deux testeurs que je désignerai par les symboles 👩 et 👨.

👨 (moi) connaissait l’identité des produits, mais 👩 l’ignorait.

lard, mangalica
L'Hongrie du cochon...


À gauche, produit 1, du füstölt csemege szalonna, un lard fumé gourmand hongrois.
À droite, produit 2, du füstölt mangalica szalonna, un lard préparé de façon identique par la même maison, mais à partir de porcs de la race mangalica.
Le conditionnement est identique, mais le produit 2 offre une épaisseur de lard plus importante, et sur le sachet est apposée une étiquette (que je ne montre pas à 👩) où figure ce fameux cochon velu…



👩 et 👨 se lancent dans la dégustation.
👩 trouve le produit 1 plus ferme ce qui lui fait passer ce produit en première position.
👨 apprécie aussi cette fermeté qui dénote déjà un lard de qualité, mais si le produit 2 n’offre pas la même mâche, c’est parce qu'il fond en bouche en libérant ses saveurs subtiles, un peu comme le fait le gras d’un jambon de bellota…
Honnêtement, sans me laisser influencer par ma connaissance des identités de ces lards hongrois, je noterai le csemege comme très bon et le mangalica comme très très bon.
Je ne puis donc que chanter les louanges de ce cochon poilu -que les délicats dénommeront porcin laineux qui serait un descendant direct des races élevées au Moyen Âge.

porc, moyen-âge
L'heure de la glandée


Le mangalica, un rescapé passé à un poil près à côté de la disparition…


vendredi 13 avril 2018

Le pêché et l'huguenote

Un maquereau apatride fut un jour tenté de connaître les joies du Gai Paris. Il prit le bateau et débarqua à Boulogne, d’où il se rendit à la capitale par la route.
Si les bateaux-mouches lui semblèrent ridicules, Pigalle lui plut bien, il y eut même la chance de sympathiser avec quelques morues bien dessalées. Ouais, ça, c'est Paris !
Mais le lendemain, c’était tout autre chose : l’alibi historico-culturel prévu par Fish’s Tours, la visite du château de Versailles. Ça ne le tentait guère, il avait vaguement souvenir d’avoir entendu parler de têtes coupées comme celles de vulgaires sardines avant d’aller en boîte. Il n’eut que du mépris pour le Grand Canal, quand même nettement plus exigu que l’Atlantique Nord Est dont il venait.
Et c’est alors que le miracle se produisit : il aperçut une douce créature potelée à la peau d’une blancheur virginale. Pour la première fois de sa vie il était amoureux. Quand la mignonne vit le baroudeur élancé aux tempes argentées, il ne lui fut pas indifférent.
Ils discutèrent longuement en empruntant les allées qui menaient au Hameau de la Reine.
« Je te réserve une surprise…
Parle-moi plutôt de toi. Je veux tout savoir.
– Oh, ma vie n’est pas passionnante. Tu sais, je viens des Cévennes, et il ne se passe pas grand-chose au milieu des champs et des bois.
– Moi, c’est l’océan… »
Il lui raconta les vagues qui déferlaient, les fuites éperdues pour se cacher de la vue d’un prédateur – et dieu sait s’ils sont nombreux en ce milieu -, mais aussi les cabrioles joyeuses quand il se retrouvait en bande avec ses frères. Il l’amusa en évoquant les glapissements des cachalots, l’agitation des crevettes toujours énervées. Il la terrifia en décrivant l’étreinte mortelle du tentacule de la pieuvre et la cruauté gluante de la méduse.
Soudain, elle lui demanda de fermer les yeux et le guida.
« Maintenant tu peux les ouvrir. Regarde, ça ne te rappelle rien ? »
Il vit un phare qui se découpait dans le ciel. Il faillit lui dire que lui, c’était plutôt le grand large qu’il connaissait, mais il était touché par cette attention naïve.
« Un phare ! C’est merveilleux… »
Ils se roulèrent dans l’herbe, elle le recouvrait de son corps épanoui. Ils ne s’apercevaient même pas que des touristes japonais les prenaient en photo et qu’un couple versaillais éloignait ses triplés en marmonnant : « On aura tout vu ! ».

maquereau, oignon doux, Cévennes
Se rouler dans l'herbe...


Il l’emmena prendre un verre dans un bistro à côté des halles. Puis deux, puis trois…
La soirée fut chaude. On entendait la douce Cévenole gémir : « ô gnon, ô gnon ! » pendant que son compagnon grognait : « Viens dans mes filets, ô oui, ô oui ! ».
Épuisés, ils ne tardèrent pas à s’endormir sous un drap où perlait leur sueur.

maquereau, oignon doux, Cévennes, vin blanc
Dans la transparence


On les trouva unis pour l’éternité le lendemain. L’ogre du quartier Saint-Louis avait encore sévi.

maquereau au vib blanc
Ci-gît...


Que fait la police !

jeudi 12 avril 2018

Sherlock Holmes et l'affaire de la cloche disparue

« Mon cher Watson, vous connaissez ma détestation du gaspillage. Or depuis quelques jours des lèches de veau et de canard semblent avoir sombré dans l’oubli.
- Lèches qui ne seraient pas là si vous ne vous étiez pas entêté à vouloir respecter le nombre d’or pour la proportion des éléments du pâté que vous avez confectionné au manoir de Boersville…
- Sachez que l’harmonie gouverne le monde, comme l’a démontré si bien Pythagore. Si ce pâté s’imposait pour résoudre l’énigme de la cloche disparue, encore fallait-il qu’il s’approche de la perfection. Au fait, mon cher Watson, il me semble que vous n’avez guère pris de note pendant notre séjour chez le baronnet, tout occupé que vous étiez à bâfrer sans vergogne.
- Vous vous trompez. D’ailleurs, les voici, ces notes ! »

Watson se lève, va vers sa chambre et revient en brandissant un papier. Il verse un bon trait de whisky dans un verre qu’il pose sur la table chippendale en acajou, s’assied confortablement dans son fauteuil en cuir à peine griffé par le chat de la logeuse, et commence sa lecture.

« Bon, il faudrait dire à Madame Hudson de ne pas être si avare de cire quand elle fait le ménage… Je vois le moment où ce sont les vers qui vont bâfrer en abîmant cette admirable table qui ne mérite pas un tel sort… Et vous, Holmes, pour ça, vous ne dîtes rien !
Bref, revenons à cette affaire de la cloche disparue et mes notes. Je lis :
La veille de Pâques, on sonna à la porte. C’était Sir Andrew Boersville, Bt, qui semblait fort déconcerté. La cloche qui lui servait à quérir la domesticité avait disparu…
Nous acceptâmes de l’accompagner pour son retour au manoir. Là vous avez insisté pour confectionner un pâté aux œufs pour le repas du lendemain. Dans l’office Holmes a discuté avec la cuisinière, manifestant une familiarité que pour ma part je trouve de mauvais aloi. Je n’étais d’ailleurs pas le seul, il suffisait de constater l’air pincé du butler qui observait le détective.

- Et encore plus pincé quand j’ai découvert la solution à l’aide de ce pâté…
- Mais en quoi… ?
- Élémentaire, mon cher Watson. Mes soupçons se sont vite tournés vers ce butler patibulaire. Mais j’avais besoin de retrouver la cloche pour le confondre. Pour cela j’ai utilisé une main-d’œuvre gratuite que j’avais à ma disposition.
J’ai mis à mariner les lèches de veau et de canard dans un de ces bons cognacs que le baronnet fait venir de France, et, au grand étonnement de tous, vous compris, je suis allé me coucher, alléguant que la nuit portait conseil.
Le lendemain, j’ai pétri, haché, assaisonné, tout en m’amusant à titiller le butler. Alors, lui disais-je, on est las d’entendre sonner la cloche qui vous appelle près de vos maîtres, et on la fait disparaître pour obtenir un peu de tranquillité… Il jura ses grands dieux que non, d’ailleurs, se permit-il de ricaner, il est bien connu qu’en cette période toutes les cloches partent à Rome. Je lui fis remarquer que ce dimanche elles devraient être de retour. Ben, j’sais pas, pt’être pas toutes, eut-il l’impudence de me déclarer en me toisant avec insolence, tous les chemins mènent à Rome, mais tous n’en reviennent pas.
Je réquisitionnais alors les enfants du baronnet : j’avais besoin d’œufs pour garnir mon pâté, et les cloches rentrant au bercail venaient précisément d’en larguer à profusion dans le parc du manoir. Qu’ils partent à la chasse, ces charmants bambins !
Un quart d’heure plus tard, nous avons entendu un cri.
- Oui, je m’en souviens, la fille aînée du baronnet a surgi en hurlant : regardez ce que j’ai trouvé caché sous le buisson de magnolias. Elle brandissait la cloche qui tintinnabulait joyeusement. Et le butler de glapir : c’est pas moi, c’est pas moi !
- Exactement, alors j’ai sorti ma loupe et j’ai scruté les flancs d’airain décorés des armes de la famille Boersville. S’y étalaient de magnifiques empreintes de pâte à nettoyer l’argenterie laissées par les grosses pattes du vilain larbin…
Il n’a pu qu’avouer devant ces preuves. Trop bonne âme, la maîtresse de maison s’est contentée de le renvoyer, mais fort heureusement sans le certificat qu’il avait quand même eu l’outrecuidance de réclamer
Nous avons pu enfin passer à table.
- Et j’ai pu bâfrer, je sais, mais l’affaire était résolue, le vin était tiré, il ne restait plus qu’à le boire. Hélas, en l’absence de pâté : il n’était pas encore cuit, il fut servi le soir, alors que nous étions déjà rentrés à Londres.
- Mon cher Watson, nous n’allions pas jouer les écornifleurs ! Et puis je ramenais quand même ces quelques lèches dont désormais je sais que faire…»

Sherlock éloigne la cornue qui surplombe le bec Bunsen, la remplace par une poêle dans laquelle il verse un filet d’huile d’olive. Il sort les lèches du récipient où elles étaient conservées, en place une brièvement sous l’objectif de son microscope au tube de laiton gainé de galuchat et déclare :
« Pas le moindre microbe en vue ! Rien d’étonnant, après avoir subi une immersion dans l’alcool… »
Il balance la viande dans l’huile désormais bien chaude. Ça crépite, ça dore… Il ajoute un peu d’échalote et d’ail hachés.
Il verse un peu de sa sauce favorite.



Ça commence à caraméliser. Il s’empare alors d’une boîte de conserve.



« Ah non, Holmes, pas encore des haricots ! Vous n’en avez pas encore ras le deerstalker ? Je vais finir par vous surnommer Mr Bean…
- Tss tss, qu’avez-vous mon pauvre ami contre cette merveilleuse invention des temps modernes et du sieur Appert réunis que sont les conserves, et contre ces dons de la découverte des Amériques que sont le haricot et la tomate ? »
Holmes ouvre la boîte, verse son contenu dans la poêle. Il laisse réduire, et montre le résultat à Watson.

haricots, beanz, veau, canard, Heinz
Mais si, c'est bon !


« Hum, c’est presque caramélisé. Nous allons nous régaler !
- Bof… »

mardi 10 avril 2018

Andouillettes de toutes les régions unissez vous !






CECI N’EST PAS UNE ANDOUILLETTE

Tout au moins au sens où je l’entends : elle n'est pas confectionnée avec des lanières tirées à la ficelle pour l’embossage.


Et pourtant ce produit provenant d’un excellent artisan de Longny au Perche
exhale d’odorants effluves qui émoustillent mes narines quand je le sors de son conditionnement.

Alors, andouillette ou pas andouillette, peu me chaut (d’un). Je ne me livrerai pas à la lamentable mascarade que fut une émission sur laquelle je suis tombé par hasard sur France 3 et devant laquelle je suis resté, fasciné par tant de stupidité : « Les grandes bouches ». On -qui, comme chacun sait, est un con- prétendait mettre en compétition, dans une atmosphère laborieusement enjouée, l’andouillette de Troyes versus l’andouillette de Lyon. Avec comme juge un de ces pénibles pseudo-humoristes qui ont envahi nos écrans depuis quelques années et naturellement se pince le nez en ricanant sottement devant tout produit tripier. Je ne l’accablerai toutefois pas, car une grande prêtresse de la gastronomie ayant posé son sac à dos sur la même chaîne se livre elle-aussi à de telles pitoyables grimaces, n’ayant même pas la politesse de les réprimer par respect envers les personnes qui l’accueillent. Personnes que d’ailleurs je ne plains pas trop – que n’accepterait-on donc pas pour passer à la télé…


Pour ma part, selon mes humeurs, je me régalerai d’une andouillette de Lyon, sachant qu’elle nécessite une bonne sauce pour s‘exprimer.

andouillette de Lyon, fraise de veau
Le roi Lyon ?


Ou d’une goûteuse andouillette de Troyes qui saura se satisfaire au besoin d’un simple passage dans une poêle ou sur un gril mais peut accueillir une sauce sans rechigner.

andouillette de Troyes
La guerre de Troyes n'aura pas lieu


Mais aussi d’une andouillette de Touraine, celle pour moi la plus chargée de souvenir et que je laisse le plus souvent à l'état brut.

andouillette de Tours
Un tour à Tours


Je ne dédaignerai pas pour autant une andouillette de Jargeau, bien que la part de viande par rapport aux abats ne la place pas parmi mes favorites. Et je serais prêt à faire des bêtises pour m'en procurer une de Cambrai...
Bref, les lettres AAAAA attirent ma convoitise, quelle que soit la région…

Et cette fois-ci ce sera cette andouillette ( mais oui, je ne serai pas un ayatollah du culte de l’andouillette… ) du Perche pleine de parfums qui se posera sur mon assiette. Avec ses fragrances de vin blanc, d’herbes, d’épices, elle me suggère de ne pas la dénaturer par une sauce inutile. Et ce seront simplement de bonnes pâtes alsaciennes aux œufs qui l’accompagneront et s’imprégneront des sucs de la poêle.
Je me contente de réchauffer mes parts d’andouillette à feu doux dans une grosse noix de beurre en compagnie de quelques tranches d’échalotes qui vont y caraméliser.

Je bats ma coulpe :

andouillette du Perche



CECI EST BIEN UNE ANDOUILLETTE

Chaudins de Porc, Gorge de Porc, Oignons, Persil, Moutarde, Échalote, Vin Blanc, Sel, Poivre.



vendredi 6 avril 2018

Pâté presque pour Pâques

Ben oui, je sais, mon pâté de Pâques sera un pâté postpascal…
Tant pis !


Jour J-2

Je découpe des lèches.
En premier lieu dans du veau. Las, le boucher, sous prétexte que la viande était destinée à un pâté, a refilé des morceaux avec plein d’aponévroses… Il me faut donc jouer du couteau non seulement pour découper, mais aussi pour parer.
En second lieu, du canard. Re las, le volailler, n’ayant pas les aiguillettes que je souhaitais utiliser a cru malin de les remplacer par une cuisse. Je n’aurais jamais pensé que l’anatomie de ce palmipède soit aussi complexe et que sa mobilité mette en œuvre autant de tendons… Que ce volailler soit maudit jusqu’à la septième génération !
Il me vient de mauvaises pensées. J’imagine ces artisans balançant tous leurs rebuts dans un cutter pour les pulvériser afin de confectionner des pâtés - leurs pâtés… - qu’ils nous vendront à prix d’or. Sachez, Messieurs, que je ne mange pas de ce pain-là, et qu’un pâté est une construction et non une destruction.
Enfin mes lèches sont prêtes. Je les mets à mariner dans du cognac avec poivre long, poivre Timiz, poivre rouge de Kampot, piment de la Jamaïque, baie de genièvre, clou de girofle, thym, laurier et échalote tranchée.

pâté, Pâques, lèches, veau, canard
Des lauriers pour la lèche



Je réserve au frais. Bonne nuit les petits !

À demain, bonne nuit. Moi je continue ma ronde. Ou plutôt je passe à la confection de la pâte. Ce sera une variante de pâte brisée comportant les proportions suivantes :
500 g de farine
250 g de beurre
2 grosses cuillerées de saindoux
1 œuf entier
1 jaune d’œuf
2 cuillerées à café de sel.

Ces ingrédients plus agglomérés que pétris sont mis en boule et viennent rejoindre les lèches au réfrigérateur. Chut, ne les réveillez pas !


Jour J-1

Je commence par la préparation de la farce à gratin. Je verse les foies de volaille dans le bol du mini-préparateur. J’y ajoute trois échalotes, un petit verre de porto blanc, un trait de cognac, une pincée de sel, un tour de moulin de poivre. Je hache finement le tout jusqu’à obtenir une sorte de crème que je verse dans une petite poêle sur du beurre fondu.

farce à gratin, foies de volaille
La crème du gratin


Je brasse sur feu moyen afin de dessécher. La consistance souhaitée obtenue, je réserve.

farce à gratin, pâté de Pâques
Mais c'est une farce ?


Je mets à gonfler une poignée de morilles séchées dans un verre de porto. La saison aurait pu impliquer des morilles fraîches, mais sur les étals il n’y a que de la morille de Turquie. Et puis je ne suis pas certain que la morille fraîche procure plus de parfum dans un pâté que la morille séchée…
Je réserve. Imbibez-vous !

Ensuite je fais cuire cinq œufs durs que j’écale et réserve.

Je sors la viande : veau et gorge de porc. Je la découpe en cubes d’environ 3 cm de côté.
J’en verse la moitié dans le bol du gros robot multifonctions muni de sa lame à trancher. Je donne quelques impulsions afin de parvenir à un hachage relativement fin. Je verse le résultat dans un saladier.
Je répète l’opération avec le reste de viande, mais en m’arrêtant au stade d’un hachage grossier.

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Veau, porc


Je pèse le contenu. Je lis sur la balance 1 360 g, donc, avec la proportion réglementaire 16 g/1 000 g il me faut ajouter 22 g de sel. Ce que je fais.

Je sors les lèches et la farce à gratin du réfrigérateur.
Les lèches parfumées me disent : « Ah, ça va être un magnifique pâté ! ». Aucun doute, ce sont bien des lèches… Je verse le jus dans lequel elles ont baigné dans le saladier où repose la viande hachée. Je complète avec la farce. J’ajoute les morilles avec leur jus. Je donne moult tours de moulin de poivre rouge, saupoudre d’une pincée de quatre-épices. Et je pétris à tout va afin de bien mélanger.
Il me faut désormais passer au montage.
Je sors la boule de pâte du réfrigérateur et la débarrasse du film qui la protège. J’en prélève le tiers que j’étale en un rectangle approximatif que je transfère sur une plaque d’alu perforée recouverte de papier siliconé. Je recouvre cette pâte d’un rectangle plus petit de viande hachée. J’y dispose les œufs durs raccourcis en leurs bouts afin de pas trop risquer de tomber sur du blanc lors de la découpe future de tranches. Puis je superpose viande hachée, lèches de veau et de canard jusqu’à épuisement en tassant bien et en resserrant les flancs avec les paumes de la main.

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S'en battre les flancs


J’étale le reste de la pâte en un rectangle plus grand susceptible de recouvrir la masse du gros gisant viandesque. Je le pose en l’ajustant. Il ne me reste plus qu’à retrousser et ourler les bords, les chiqueter, puis percer trois trous sur le toit avant de tenter une vague décoration.

pâté de Pâques
Droit dans le décor


Le pâté cru est désormais prêt à passer au four.
Je l’enfourne pour 10 minutes à 200 °C. Je le sors et le badigeonne alors de jaune d’œuf dilué dans de l’eau. Je le réintègre ayant baissé la température du four à 180 °C.
Une demi-heure plus tard je ressors le pâté. La dorure de sa surface est aboutie, je le recouvre donc d’une feuille d’aluminium pour éviter une sur coloration. La fin de la cuisson sera gérée avec la mesure de la température au centre que je mesure avec une sonde.



Les bips qui se succèdent me signalent que c’est le moment d’évacuer mon œuvre hors du four. Je m’exécute, laisse tiédir le pâté sur la plaque de cuisson avant de le transférer sur un plat que je réserve au frais jusqu’au lendemain.

pâté de Pâques
Mon pâté postpascal



Jour J

Le matin je verse à l’aide d’un petit entonnoir de la gelée dans les trous du dessus du pâté que je remets ensuite au frais.
Le moment fatidique de la dégustation est arrivé. C’est un instant toujours un peu stressant, car on n’est pas certain de ce qui apparaîtra sous la croûte, dont il n’est pas non plus certain qu’elle ne tombera pas en miettes au cours des manipulations.
Mais non, ouf, tout ce passe bien. Et ce sont des tranches présentables que je puis déposer sur les assiettes, enfin, non, les ardoises…

pâté de Pâques
L'ardoise est pour vous...


Mais quid du goût ? La pesée du sel me permet de ne pas trop avoir d’inquiétude pour l’assaisonnement. Mais les saveurs, les parfums ?
Eh bien, ce pâté postpascal est bon. Un seul regret : j’aurais dû ajouter à sa composition du lard gras afin de lui conférer plus de moelleux.

À savoir pour Pâques 2019 !