jeudi 12 avril 2018

Sherlock Holmes et l'affaire de la cloche disparue

« Mon cher Watson, vous connaissez ma détestation du gaspillage. Or depuis quelques jours des lèches de veau et de canard semblent avoir sombré dans l’oubli.
- Lèches qui ne seraient pas là si vous ne vous étiez pas entêté à vouloir respecter le nombre d’or pour la proportion des éléments du pâté que vous avez confectionné au manoir de Boersville…
- Sachez que l’harmonie gouverne le monde, comme l’a démontré si bien Pythagore. Si ce pâté s’imposait pour résoudre l’énigme de la cloche disparue, encore fallait-il qu’il s’approche de la perfection. Au fait, mon cher Watson, il me semble que vous n’avez guère pris de note pendant notre séjour chez le baronnet, tout occupé que vous étiez à bâfrer sans vergogne.
- Vous vous trompez. D’ailleurs, les voici, ces notes ! »

Watson se lève, va vers sa chambre et revient en brandissant un papier. Il verse un bon trait de whisky dans un verre qu’il pose sur la table chippendale en acajou, s’assied confortablement dans son fauteuil en cuir à peine griffé par le chat de la logeuse, et commence sa lecture.

« Bon, il faudrait dire à Madame Hudson de ne pas être si avare de cire quand elle fait le ménage… Je vois le moment où ce sont les vers qui vont bâfrer en abîmant cette admirable table qui ne mérite pas un tel sort… Et vous, Holmes, pour ça, vous ne dîtes rien !
Bref, revenons à cette affaire de la cloche disparue et mes notes. Je lis :
La veille de Pâques, on sonna à la porte. C’était Sir Andrew Boersville, Bt, qui semblait fort déconcerté. La cloche qui lui servait à quérir la domesticité avait disparu…
Nous acceptâmes de l’accompagner pour son retour au manoir. Là vous avez insisté pour confectionner un pâté aux œufs pour le repas du lendemain. Dans l’office Holmes a discuté avec la cuisinière, manifestant une familiarité que pour ma part je trouve de mauvais aloi. Je n’étais d’ailleurs pas le seul, il suffisait de constater l’air pincé du butler qui observait le détective.

- Et encore plus pincé quand j’ai découvert la solution à l’aide de ce pâté…
- Mais en quoi… ?
- Élémentaire, mon cher Watson. Mes soupçons se sont vite tournés vers ce butler patibulaire. Mais j’avais besoin de retrouver la cloche pour le confondre. Pour cela j’ai utilisé une main-d’œuvre gratuite que j’avais à ma disposition.
J’ai mis à mariner les lèches de veau et de canard dans un de ces bons cognacs que le baronnet fait venir de France, et, au grand étonnement de tous, vous compris, je suis allé me coucher, alléguant que la nuit portait conseil.
Le lendemain, j’ai pétri, haché, assaisonné, tout en m’amusant à titiller le butler. Alors, lui disais-je, on est las d’entendre sonner la cloche qui vous appelle près de vos maîtres, et on la fait disparaître pour obtenir un peu de tranquillité… Il jura ses grands dieux que non, d’ailleurs, se permit-il de ricaner, il est bien connu qu’en cette période toutes les cloches partent à Rome. Je lui fis remarquer que ce dimanche elles devraient être de retour. Ben, j’sais pas, pt’être pas toutes, eut-il l’impudence de me déclarer en me toisant avec insolence, tous les chemins mènent à Rome, mais tous n’en reviennent pas.
Je réquisitionnais alors les enfants du baronnet : j’avais besoin d’œufs pour garnir mon pâté, et les cloches rentrant au bercail venaient précisément d’en larguer à profusion dans le parc du manoir. Qu’ils partent à la chasse, ces charmants bambins !
Un quart d’heure plus tard, nous avons entendu un cri.
- Oui, je m’en souviens, la fille aînée du baronnet a surgi en hurlant : regardez ce que j’ai trouvé caché sous le buisson de magnolias. Elle brandissait la cloche qui tintinnabulait joyeusement. Et le butler de glapir : c’est pas moi, c’est pas moi !
- Exactement, alors j’ai sorti ma loupe et j’ai scruté les flancs d’airain décorés des armes de la famille Boersville. S’y étalaient de magnifiques empreintes de pâte à nettoyer l’argenterie laissées par les grosses pattes du vilain larbin…
Il n’a pu qu’avouer devant ces preuves. Trop bonne âme, la maîtresse de maison s’est contentée de le renvoyer, mais fort heureusement sans le certificat qu’il avait quand même eu l’outrecuidance de réclamer
Nous avons pu enfin passer à table.
- Et j’ai pu bâfrer, je sais, mais l’affaire était résolue, le vin était tiré, il ne restait plus qu’à le boire. Hélas, en l’absence de pâté : il n’était pas encore cuit, il fut servi le soir, alors que nous étions déjà rentrés à Londres.
- Mon cher Watson, nous n’allions pas jouer les écornifleurs ! Et puis je ramenais quand même ces quelques lèches dont désormais je sais que faire…»

Sherlock éloigne la cornue qui surplombe le bec Bunsen, la remplace par une poêle dans laquelle il verse un filet d’huile d’olive. Il sort les lèches du récipient où elles étaient conservées, en place une brièvement sous l’objectif de son microscope au tube de laiton gainé de galuchat et déclare :
« Pas le moindre microbe en vue ! Rien d’étonnant, après avoir subi une immersion dans l’alcool… »
Il balance la viande dans l’huile désormais bien chaude. Ça crépite, ça dore… Il ajoute un peu d’échalote et d’ail hachés.
Il verse un peu de sa sauce favorite.



Ça commence à caraméliser. Il s’empare alors d’une boîte de conserve.



« Ah non, Holmes, pas encore des haricots ! Vous n’en avez pas encore ras le deerstalker ? Je vais finir par vous surnommer Mr Bean…
- Tss tss, qu’avez-vous mon pauvre ami contre cette merveilleuse invention des temps modernes et du sieur Appert réunis que sont les conserves, et contre ces dons de la découverte des Amériques que sont le haricot et la tomate ? »
Holmes ouvre la boîte, verse son contenu dans la poêle. Il laisse réduire, et montre le résultat à Watson.

haricots, beanz, veau, canard, Heinz
Mais si, c'est bon !


« Hum, c’est presque caramélisé. Nous allons nous régaler !
- Bof… »

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