J’ignorais que ces petites bestioles – des crevettes au label
aussi rouge que leurs carapaces – m’entraîneraient dans une spirale infernale. Si j'avais su, je les aurais photographiées afin de les livrer à la vindicte publique...
Pour leur dégustation j’avais sorti de mes réserves un pot d’une
sauce tartare fort savoureuse grâce au relish de concombres, poivrons rouges,
oignon et aneth qui entre dans sa composition.
Mais voilà, après ce petit plaisir de
table, il me restait la moitié du pot de Down East Tartare Sauce.
Il me fallait trouver un emploi pour ce
reste. Aussi, trois jours plus tard, retour chez un poissonnier des halles pour
l’acquisition d’anneaux de calamar. Provenant de l’Atlantique Nord-Est, que c’était
marqué. A priori frais, mais j’ai des doutes, car ils se sont révélés fort mollassons
au déballage, et ce commerçant est coutumier de l’erreur prétendue d’affichage « Oui,
vous avez raison, c’est du thon albacore et non du thon rouge, excusez-moi, j’ai
oublié de changer l’étiquette » - sans pour autant remplacer l’écriteau
mensonger qui bien droit sur sa pique a continué à afficher fièrement Thunnus
thynnus. Mea culpa, j’aurais dû me méfier…
J’ai préparé une pâte pour servir ces calamars a la romana.
En fait, j’ai des doutes sur l’authenticité de la recette trempant le mollusque
dans une pâte à beignet contenant plus ou moins d’œufs, car le calamar a la romana
ne figure dans aucun recueil de recettes italiennes en ma possession, pas même au
sein du passionnant livre LA CUISINE ROMANESCA, promenade gastronomique
dans la ville éternelle de David Soldini paru aux éditions Menu Fretin
en février 2022. Sur Internet, un Italien réfute ces préparations empâtées
qu’il qualifie à l’espagnole et affirme que pour cette recette en Italie l’on se
contente de fariner les anneaux avant de les plonger dans l’huile – ce que
semble trouver une confirmation dans le texte de David Soldini soulignant le caractère
de simplicité qui selon lui caractérise la cuisine romanesca : La
complexité n’est pas de mise, la plupart des plats se limitent à l’alliance de
deux ingrédients principaux. […] La cuisine bolognaise brille par sa
délicatesse, tout en laitage et en onctuosité, la napolitaine par sa complexité
et sa richesse, la sicilienne par sa diversité et ses parfums d’orient, à Rome,
tout est simple et puissant.
Pour ma part, je me suis décidé pour une version intermédiaire,
j’ai réalisé une mixture du style pâte à tempura. J’ai battu un mélange de 200 g
de farine T55, un sachet de levure chimique, une petite cuillerée de piment d’Espelette
et une pincée de sel avec 20 cl d’eau gazeuse (Sodastream fecit…). J’y ai trempé
mes anneaux de calamar avant de les plonger dans une casserole contenant un
litre et demi environ d’huile d’arachide à la température vérifiée par la
réaction épidermique d’un petit croûton de pain.
|
Où ça baigne dans l'huile |
J’ai déposé les anneaux mollassons enrobés de pâte
croustillants sur du papier absorbant.
|
Retour de pêche de calamars |
Il ne restait plus qu’à déguster ces calamars a la romana (?)
avec la sauce tartare sortie de sa réclusion provisoire.
|
Tartare revient |
Le pot était fini !
Mais voilà, après cette petite déception de table, il me
restait l’huile de friture au fond de la casserole.
Il me fallait trouver un emploi pour
ce reste. Aussi, trois jours plus tard, j’achetais des feuilles de pâte
afin de confectionner des bricks au thon et à l’œuf.
J’ai ouvert une boîte de thon germon au naturel, je me suis
emparé d’un cartonnage d’œufs bio extra-frais, j’ai sorti du réfrigérateur un bocal
entamé de harissa et du placard un bocal intact de câpres.
J’étais paré pour me lancer dans les pliages. J’avais retenu
la méthode consistant à sectionner le disque de pâte suivant le rayon 6 H avant
de charger les quatre secteurs.
|
On coupe à six heures |
Le disque est ensuite replié successivement en suivant les
rayons correspondant à 9 H, 12 H et 3 H.
|
Deuxième pliage |
Mes poches triangulaires étaient prêtes. Plus qu’à les
plonger dans l’huile chaude de ma casserole ex-calamars.
|
Trois heures, on ferme ! |
Une fois sortis, mes bricks furent déposés sur les assiettes
après un bref purgatoire dégraissatoir sur un papier absorbant.
|
Brick collé (et frit) |
Pour les accompagner, j’avais préparé une salade de carottes
à la marocaine - huile d’olive, jus de citron, ail écrasé, cumin en poudre. N’ayant
pas, hélas, de coriandre sous la main, je l’ai remplacée par un tout bête
persil.
|
Quand la salade voit rouge |
C’était bien bon, même si dans une future version je supprimerai
la harissa, dérangeante non pas tant par sa force, mais par sa teneur en sel
excessive révélée par la température.
L’huile était finie, saturée de débris.
Mais voilà, après ce petit plaisir de table, il me restait
la moitié du paquet des feuilles de pâte à brick.
Il me fallait trouver un emploi pour
ce reste. Aussi, le lendemain, j’extrayais deux bananes de leur main qui
caressait les mandarines, kiwis et oranges sanguines dans la corbeille de
fruit. Une fois débarrassées de leur peau tigrée, je les ai saupoudrées de
sucre cristallisé, d’une petite cuillerée de cannelle et d’une pincée de
gingembre en poudre. Un filet de jus de citron, et elles allaient s’allonger chacune
sur une feuille de pâte à brick J’ai replié ce linceul autour d’elles avant de
les allonger sur un plat légèrement barbouillé de beurre. Beurre dont j’ai
déposé quelques noisettes sur mes bananes enrobées, y ajoutant des pincées de
sucre dans l’espoir idiot d’obtenir un caramel qui bien entendu ne serait
apparu qu’accompagné de la carbonisation de la fine pâte à brick. Si tu veux du
caramel, tu le prépares à part !
j’ai enfourné pour une dizaine de minutes à 180 °C.
Pendant ce temps, j’ai réalisé un sirop parfumé à partir d'un
tant pour tant de sucre et d’eau dans lequel j’ai fait tomber une pincée de
gingembre en poudre et une douzaine de baies de Timut. Je laisse réduire jusqu’à
ce que le liquide devienne sirupeux - ce qui pour un sirop est la moindre des choses…
J'ai complété alors avec un petit verre de rhum, ce qui l'a rendu un peu plus
liquide, mais nettement plus goûteux.
Je déposai à la sortie du four chaque banane sur une assiette et l’arrosai de
sirop passé à travers un chinois. De la menthe cueillie au jardin est venue ajouter
une fragrance supplémentaire.
|
Quand on a la banane.. |
Un dessert agréable en dépit de l’absence de caramel.
Mais voilà, après ce petit plaisir de fin de repas, il me
restait une partie de mes bananes.
Il me fallait trouver un emploi pour ce nouveau reste.
Pas difficile, il s’agissait des peaux. Je les ai dirigées vers le compost…
Et le sort jeté par les crevettes maléfiques avait enfin trouvé son terme !