dimanche 20 décembre 2020

La raie papa

C’est décidé, le beau tronçon d’aile de raie qui vient d’atterrir sur mon plan de travail, je la traiterai façon tradi. À la grenobloise.

Pas tout à fait cependant, car sa cuisson sera plutôt moderniste : lente à 80 °C.

Je dépose au fond du réceptacle à eau de mon cuiseur vapeur Dejelin 

ma pièce de raie bien débarrassée du mucus gluant qui la tapissait.

Je la recouvre d’eau à effleurement. Le liquide dépasse le niveau maxi prescrit, mais ce n’est pas grave car il n’y aura pas d’ébullition… Je règle le thermostat et programme le minuteur sur 25 minutes. J’ajoute un demi-citron dont je presse le jus, une poignée de gros sel, deux feuilles de laurier, une branche de thym, une douzaine de baies de piment de la Jamaïque. Je place le rehausseur et le couvercle. Zou, c’est parti !

J’ai largement le temps de mettre à cuire les quatre pommes de terre de la variété Agata que je viens d’éplucher. Pendant que cette casserole vit sa vie le feu aux fesses, je m’empare d’un reste de pain fait maison, y découpe une tranche d’un centimètre d’épaisseur environ que je partage en petits carrés. Ces cubes de mie sont jetés au fond d’une petite poêle où fond une noisette de beurre Dès qu’ils sont bien imbibés et commencent à colorer, j’éteins la flamme et réserve.

Je passe à la préparation des dés de citron. Misère ! Le gros citron que j’ai choisi me laisse apparaître une peau hippopotamesque avec un zist d’une épaisseur impressionnante. Après avoir enlevé les douves du petit tonneau jaune que j’ai obtenu en tronçonnant les extrémités de cet agrume, puis séparé les suprêmes confinés entre des cloisons filandreuses et farcis de moult pépins, je récupère beaucoup moins de chair que je pouvais l’espérer vue la taille du fruit. La raison voudrait que je sacrifie un second citron, mais j’en ai ras le bol de m’évertuer à la désincarcération et à la chirurgie. Je ne suis pas le SAMU du citron, qu’on se le dise ! Alors je ferai avec…

D’autant plus que la sonnette du cuiseur vient de retentir. Je vérifie la cuisson de la pointe d’un couteau : c’est bon, je puis sortir mon tronçon de l’eau. Ma lame passe de raie en patate. Parfait, Agata est prête aussi.

Mais avant l'évacuation je repose ma poêle avec ses croûtons sur un feu moyen et y jette une grosse, une très grosse noix de beurre. Soit environ le tiers de ce paquet de beurre…

Quand ce beurre commence à colorer, je retire l’ustensile du feu et y verse la moitié d’un petit bocal de câpres. Et mes quelques misérables dés de citron 😕 .

Une araignée capture le tronçon de raie et le dépose sur une planche où je le dépouille de ses peaux.

Comme ce morceau est tout en longueur, je le partage en quatre selon une croix, obtenant deux morceaux épais et deux autres plus fins correspondant à l’extrémité de la voilure. Je les répartis équitablement entre deux assiettes, ajoute les pommes de terre et verse la sauce grenobloise sur la raie.

Le poissonnier a ajouté à son paquet un bouquet de persil frisé. Pourquoi ne pas disperser quelques feuilles arrachées aux tiges pour conférer un peu de verdure et de fraîcheur ?

Un tour de moulin de poivre rouge sur les pommes à l’anglaise, et les assiettes sont prêtes à gagner la table sacrificielle.

raie grenobloise
La raie avec des dés

Repas gourmand où cette recette traditionnelle est encore meilleure avec ce process moderniste de cuisson de la raie. En effet la chair a conservé de la tenue, n’est absolument pas délavée, filandreuse ou/et presque crue au voisinage du cartilage - comme cela se produit trop souvent avec une cuisson traditionnelle dans un rondeau posé sur une flamme si l’on a mal évalué les températures et l’inertie. Résultat d'autant plus satisfaisant qu’il ne s’agissait même pas d’une raie bouclée…

Pas de surveillance et d’angoisse… Qui dit mieux ? 

La recette de papa façon pépère… Ça me va !


jeudi 17 décembre 2020

Le plongeon de Saint Jacques

 Six coquilles Saint-Jacques sont arrivées dans ma cuisine. Pour finir dans mes assiettes…

« Alors ces assiettes, de quoi se composent-elles ? », va m’interroger un pèlerin lecteur égaré que je vais héberger quelques instants à l’abri de ce blog.

De quoi ? Ben, de moult produits, car j’ai décidé d’envoyer Saint Jacques en Extrême-Orient.

Mais avant ce voyage, il me faut parer les noix sorties de leurs coquilles, les débarrassant même de leurs coraux qui, simplement plongées dans le beurre demi-sel mousseux d’une poêle et abondamment bombardées de poivre blanc de Muntok moulu grossièrement, fourniront une petite mise en bouche.

Je réserve les six noix de Saint Jacques arrosées du jus d’un demi citron vert dans un bac.

J’équeute six champignons shiitaké frais cultivés en Bretagne et les nettoie avec un chiffon humidifié. Je les réserve. L’autre moitié du citron vert vient les préserver de l’oxydation.

Je prélève dans une carotte longue du jardin des lanières d’un demi millimètre d’épaisseur à l’aide d’une mandoline. Sur une planche je les formate en parallélogrammes allongés qui viennent rejoindre les shiitakés dans leur bac.

Ma première idée était de réaliser un bouillon en préparant un dashi et le parfumant des chutes de champignon, des parures de Saint Jacques, ainsi que des découpes d’oignon et de carotte. Mais je prends conscience que dans mes réserves se trouvent des sachets de soupe miso wakamé et champignons Ariaké qui pourrait tout aussi bien faire l’affaire. Toutefois je tiens à en vérifier la composition. Je lis :

Miso (82 %) (eau, fèves de soja, riz, sel), champignons (4,5 %), wakamé (4,5 %), bonite (poisson), extrait de levure, oignon vert, fibre de soja.

Ça me convient et m’évitera d’ouvrir mes sacs de kombu séché et de katsuobushi de bonite qui se conserveront bien mieux non entamés. J’ouvre donc l’un de ces sachets, le vide dans une casserole contenant 20 cl d’eau bouillante ; brasse bien et réserve.

Je continue ma mise en place en prélevant les grains d’un citron caviar venant du Guatemala qui se révèle d’une maturité optimale et très odoriférant - ce qui n’est pas toujours le cas, hélas… Je les réserve dans une petite coupelle.

Tant qu’à faire, je m’empare d’une seconde coupelle pour y déposer la touffe de piment cheveux d’ange que prélève du sac bien fermé où je les conserve. J’en goûte un filament. Il est très parfumé et fort juste comme il le faut pour un tel plat, réveillant les papilles, mais ne les tuant pas.

Je termine en lavant et séchant deux feuilles lancéolées de coriandre vietnamienne et deux feuilles de pimprenelle aux folioles dentelées provenant de bouquets cueillis le jour même au jardin. Je les étale sur un papier absorbant.

Passons à la cuisson des shiitakés. Je fais fondre une bonne noix de beurre doux (de baratte et de Normandie réunies) dans une cuillerée d’huile d’olive. J’y fais tomber ces champignons. Il faut bien une dizaine de minutes pour qu’ils soient cuits, tournés et retournés plusieurs fois, parsemés de sel fin en phase terminale.

Je profite de ce délai pour remettre la soupe miso à température avant de la répartir entre deux assiettes creuses chauffées préalablement.

[ Je dispose trois shiitakés sur le bord de l’assiette.

La poêle est libre. Je fais subir un aller et retour aux noix de Saint Jacques sur la graisse chaude parfumée par les champignons. Trois pièces viennent faire trempette à côté de ces derniers.

Il ne me reste plus qu’à planter lamelles de carotte, coriandre vietnamienne et pimprenelle avant de déposer une évanescente pincée de flocons de sel de Maldon et une petite cuillerée de grains de citron caviar sur la surface bronzée des noix de Saint Jacques.

Je termine en ébouriffant un petit chignon de piments cheveux d’ange qui vient coiffer l’assiette. ] X 2

Saint Jacques, shiitake, miso
Saint Jacques aux cheveux d'ange

Une symphonie de flaveurs !

Seule la Saint Jacques n’est pas contente. Car elle ne parade plus en soliste… Mais qui qui est le compositeur et chef d’orchestre ? C’est moi ! 

Alors rejoins la fosse et joue ta partition !


dimanche 13 décembre 2020

Civet ou civet pas ?

Mon civet de sanglier sauvage sera un vrai civet.

Ceci à double titre.

En premier lieu, je me suis procuré une botte de cives. En second lieu, je ferai une liaison au sang.

Sur une page de son site GRETA GARBURE, on peut lire ces lignes écrites par Blandine Vié :

Ce qui caractérise avant tout le civet des autres plats en sauce à base de vin (daube par exemple), c’est sa liaison finale, faite avec le propre sang de l’animal, réservé pour l’occasion. Il est donc impératif de pouvoir en disposer.

En quoi elle a parfaitement raison.


Mais commençons par le commencement…

Mon sanglier se trouve, déjà découpé en morceaux, dans un sac sous vide. Il provient d’une bête sauvage, abattue dans les Vosges. Ça, c’est l’aspect positif. L’inconvénient de cette commande en ligne, c’est que je n’ai pas de volailler pouvant me fournir un petit bocal de sang. Alors, voyant que pas mal de ce liquide contenu dans la viande a exsudé dans le paquet, après son ouverture j'en déverse le contenu dans une passoire.

Le sang s’écoule dans un bol ; j’y ajoute un trait de vinaigre de vin de Maury et une cuillerée de genièvre de Houlle pour l’empêcher de coaguler et réserve. Je dépose les morceaux de sanglier au fond d’une plaque à débarrasser sur un papier absorbant.

Je cisèle un oignon long et trois échalotes du jardin. Je taille une carotte de même provenance en mirepoix. J’épluche trois gousses d’ail de Lautrec. Je nettoie et découpe en tronçons la botte de cives, n’enlevant que quelques centimètres à l’extrémité des feuilles. Un cube de gingembre frais finit en julienne.

Je prépare un bouquet garni : feuille de laurier, thym, origan, sommité de céleri branche et queues de persil, le tout enserré entre deux verts de poireau.

Je place ma cocotte en fonte sur un feu vif, et y mets à saisir les morceaux de sanglier que j’ai eu soin de bien éponger un à un au papier absorbant avant de les assaisonner de fleur de sel. Sage précaution, car il se produit malgré tout un petit écoulement de jus au fond de la cocotte. Mais fort heureusement Maillard ne désarme pas pour si peu…

La viande a pris couleur, je baisse la flamme, je complète d’une noix de beurre demi-sel, je verse les légumes. Oignon et échalote commencent à fondre, les segments de cive tombent doucement. Je singe avec une cuillerée de farine T65 des Moulins de Versailles.

Je débouche une bouteille de vin portugais acheté à la boutique lusitanienne des halles locales. 

Pas cher, environ six euros… Je vérifie en m’octroyant le fond d’un verre qu’il correspond bien à la vocation culinaire affirmée par le vendeur ainsi qu'à la description trouvée sur Internet :

Couleur rubis. Arômes intenses de fruits sauvages, de fraises et de groseilles et d’eucalyptus. Bouche soyeuse et volumineuse avec des tanins ronds et une finale onctueuse

Bon, ce n’est pas faux…

Mon devoir de vérificateur accompli, je vois que la farine a fini de roussir et je verse les deux tiers de la bouteille dans la cocotte. J’y fais plonger mon bouquet garni, une douzaine de baies de genièvre, une petite cuillerée de poivre de Voatsoperifery. Je me prépare à prélever quelques zestes de citron ou d’orange afin de donner une note d’agrume quand me vient une autre idée. Je soulève le couvercle d’une petite boîte enfermant des baies de Szechuan vertes. Je renifle. Le parfum floral qui se dégage me semble parfait pour rehausser celui d’une sauce de civet. Je prélève une cuillerée. Dilemme… Mortier or not mortier. J’écrase une baie entre les dents. Ce n’est pas bien résistant, après une cuisson longue, leur présence ne devrait pas poser de problème. Allez, oust, dans la cocotte. Je termine par une pincée de gros sel, une autre de quatre-épices et une dernière de cannelle moulue.

Je pense que je n’ai rien oublié. Je ferme la cocotte et l’enfourne à 170 °C.

Au bout d’une heure, je retourne les morceaux de sanglier, et remets au four pour une demi-heure.

Pendant ce temps je pare et nettoie des champignons de Paris. Je les escalope et les réserve arrosés de jus de citron.

Je découenne une tranche de lard séché, portugais comme le vin. Faut bien simplifier l’itinéraire des courses ! Je la partage en petits lardons. Comme j’ai à cœur de bien accomplir mon rôle de vérificateur, aussi bien du solide que du liquide, je m’octroie l’entame. C’est bon. Quoi, je n’ai pas vérifié le sanglier. ? Ben non, pas de suidé cru pour moi. Pour le tænia, j’ai déjà donné ! Le devoir a ses limites.

Bib, bip, bip… Ah, tiens, la demi-heure est déjà passée ? Je sors la cocotte du four, la décoiffe. Je pique la viande de la pointe d’un couteau. Ça y est presque, mais pas tout à fait. Je décide de poursuivre la cuisson sur une vingtaine de minutes. Le niveau de liquide a fortement baissé, je rajoute un verre de vin rouge et, tant qu’à faire, une cuillerée de vinaigre de Maury pour conférer un peu d’acidité.

Je remets au four.

Je profite de ce délai supplémentaire pour sauter rapidement les champignons avec les lardons dans une poêle où une noix de beurre fondue sur un trait d’huile d’olive. Pas besoin de sel, celui du lard suffira.

champignon de Paris, lardons
Lard et la manière

Je débarrasse les quelques petits oignons que j’ai pu extraire de la récolte du jardin de leurs pelures, et je les fais glacer dans une petite casserole - encore trop grande. 

oignons glacés
Roule, ma boule

J’ai pris l’initiative d’ajouter au sel, au sucre et au beurre une petite cuillerée de vinaigre blanc dans la petite flaque d’eau de la cuisson…

C’est le moment de ressortir la cocotte du four. Mon couteau me confirme que la viande est cuite à point. J’évacue le bouquet garni. Je déverse les lardons et les champignons, donne un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, brasse délicatement. Les petits oignons glacés atterrissent à la surface du civet.

civet de sanglier
C'est pas de la daube !

Hum, ça sent rudement bon ! Mais hélas ce plat, je ne vais pas le déguster tout de suite. Je préfère le réserver pour le lendemain, afin de laisser tous les arômes s’entremêler, se disputer avant un accord final où chacun trouvera sa juste place.


Ce lendemain est arrivé. 

J’espère qu’il ne déchantera pas.

J’avais prévu de réaliser des spätzle maison, mais je n’en ai pas eu ni le temps (qui a bon dos…) ni le courage (qui est le fond qui me manque le plus - à part le fond de gibier). Je les ai remplacés avantageusement par des knepfle Valfleuri. Que cette honorable maison en soit ici remerciée !


Pendant les dix-huit minutes que nécessite la cuisson de cet accompagnement, je réchauffe doucement le civet en l’enfournant à 130 °C. À la sortie, je place la cocotte découverte sur une petite flamme jusqu’à un début de bloubloutage. Je retire la cocotte du feu, dissous dans la sauce trois fèves de chocolat noir Caraïbe 66 % Valrhona.

Et je m’empare de mon bol de sang. Je l’incorpore doucement petit à petit dans la sauce. Pour être franc, la transformation visuelle n’est pas manifeste. Mais cet ajout ne serait-il que symbolique, il s’agit d’un symbole fort. 

J’ai concocté un VRAI civet!

Je dresse deux assiettes, ajoutant des crôutons de pain que je viens de dorer dans du beurre mousseux..

civet de sanglier
Sanglier entoué de jeunes croûtons


Et en plus, il est délicieux !


vendredi 11 décembre 2020

Ah, si vous connaissiez ma poule!





De ma poule, vous connaissez déjà une cuisse.

Et une aile…


Mais l’autre cuisse ? Mais l’autre aile ? Eh bien, leur avenir fut bien froid, en quelque sorte l’hiver poule… Présentées sur un plat avec à côté un pot de sauce cocktail tequila citron.

Une sauce théoriquement prévue pour les fruits de mer mais qui a très bien fonctionné avec cette poule. Il est vrai que cette dernière avait vécu un long séjour aquatique…

 À côté trônait un saladier débordant d’une salade verte.


Deux jours étaient passés, mais la poule était toujours là.

En chair et en os, mais aussi avec son âme transférée dans un succulent bouillon. Il en restait un peu plus de trois litres. Une moitié est partie au congélateur pour un avenir qui chantera (mais non, pas cocorico, c’est une poule !) et l’autre, portée à ébullition dans une casserole a accueilli un demi-sachet de petites pâtes hongroises, les tarhonyas.

En faisant suivre les bols odoriférants d’un plateau de fromages, j’ai pu ainsi offrir un excellent repas du soir.


Trois jours étaient passés, mais la poule se rappelait à notre souvenir par les légumes de son bouillon et le reste de riz.

Les légumes furent déposés dans un plat pour le repas de midi.

poule au blanc
Sauvés des eaux

Une vinaigrette à l’huile d’arachide rehaussée d’huile de noix, au vinaigre de cidre, et légèrement moutardée leur a donné la vigueur qui leur manquait après un séjour frisquet sous vide.

Quelques tranches d’une rosette de Lyon entamée pour l’occasion ont fait bon ménage avec ce bénéfice collatéral de l’opération poule au blanc.

Le soir de ce même jour, il était temps de sortir des frimas et de sa boîte le reste de riz cuit dans le bouillon de la poule.

J’ai souhaité associer un tel ami des sauces avec des andouillettes lyonnaises à la fraise de veau, ces délicates bien plus exigeantes que leurs sœurs troyennes ou tourangelles qui se satisfont volontiers d’un simple passage sur le gril. Mitonnage donc obligatoire pour ces précieuses frisant presque le ridicule dans leur besoin d’onction…

Mais leur volonté sera faîte : je fais fondre deux échalotes ciselées dans une noix de beurre au fond d’une petite poêle et y dépose mes deux andouillettes que je fais colorer sur toutes les faces. Je verse un verre de sauvignon (je sais, un macon ou un beaujolais blanc eut été plus approprié, mais après tout la poule, bien qu’excellente, n’était pas de Bresse…), recouvre la poêle d’un couvercle et laisse mijoter à feu doux une dizaine de minutes.

Je décoiffe. Malédiction, une andouillette s’est éclatée dans la beuverie et gît, les tripes à l’air. Est-ce mon process qui est inadapté, ou bien serais-je tombé sur une andouillette tenant mal l’alcool ? Mais peu importe pour l’instant. Mécompte du soir n’arrête pas le cuisinier, et, imperturbable, je déverse dans la poêle un petit pot de crème dans laquelle je dilue la pointe d’une cuillère de fond de veau en pâte. J’y incorpore deux cuillerées de moutarde forte de Dijon et une cuillerée de moutarde douce d’Alsace. Un tour de moulin de poivre rouge de Kampot et une pincée de quatre-épices, et je laisse réduire à feu moyen.

C’est enfin prêt, et je me demande si, tout compte fait, cette andouillette n’est pas plus esthétique éventrée et étalant ses tripes que masquée derrière une peau la confinant dans un quant à soi bien lyonnais…

andouillette lyonnaise
On s'éclate chez moi


Trois jours étaient passés, mais la poule était toujours là.

En chair et en os qu’il a fallu séparer l’une des autres après la sortie du sarcophage sous vide.

Je me trouve confronté à un bac en inox qui a réceptionné le blanc de la poule en morceaux plus ou moins effilochés. J’improvise une recette : ragougnasse de poule à la créole.

Je commence par hacher pas trop finement un gros oignon paille et tailler une carotte en brunoise. J’épluche trois gousses d’ail violet et les émince.

Je jette tout ce petit monde au fond d’une sauteuse évasée dans laquelle j’ai versé une cuillerée d’huile d’olive. Je laisse suer à feu doux avec une pincée de sel fin jusqu’à ce que l’oignon devienne transparent. J’ajoute alors un demi-verre de riz blanc long d’origine italienne (mais pas amer pour autant).

Je l’inonde non pas d’une crue du Po mais plus prosaïquement de deux verres d’eau du robinet mise en ébullition dans une casserole. Je fais plonger une feuille de laurier et une feuille de ravinsara (quatre-épices) séchée, un piment long et contrefait aux belles couleurs que j’ai partagé en deux (quant à sa variété, j’ai la flemme d’effectuer des recherches pour la retrouver…), des tranches fines découpées dans un habanero joufflu et écarlate, quelques grains de piment de la Jamaïque et une branche de thym, un peu déplumée entre nous soit dit.

Je recouvre d’un couvercle et laisse sur feu moyen environ un quart d’heure.

Je décoiffe : le riz est presque cuit. Il est temps de faire apparaître mes ingrédients surprise : une sauce colombo ready-made et une boîte de haricots noirs en conserve venue d’outre-atlantique.

poule au blanc, restes
On n'arrête pas le progresso

Sur feu doux j’incorpore la sauce à mon plat en brassant doucement.

Je colore rapidement à feu vif mes morceaux de blanc de poulet sur un fond d’huile d’olive avant de les jeter dans la sauteuse.

Pour terminer je rince les grains de haricots noirs, les déverse sur le riz en sauce et le poulet. Je mélange délicatement et laisse mijoter à feu doux durant cinq minutes.

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Riz blanc et haricots noirs

Ça sent rudement bon.

À TABLE !!!


mardi 8 décembre 2020

L'aile ou la cuisse

J’avais envie d’inviter à ma table une poule au blanc.

Pourquoi ? Sans doute parce que c’était elle, parce que c’était moi…

Toujours est-il que cette poule, pas encore au blanc, est désormais sur mon plan de travail. Le volailler l’a bien bridée, laissant même le long bout de ficelle lui permettant d’escalader facilement avec mon aide la paroi verticale du gouffre marmital où bouillonne le gave de pot.

L’eau est cependant encore froide quand la bête effectue sa plongée. Pour lui donner du cœur au ventre, je l’ai bourrée d’herbes du jardin : romarin, origan, thym, persil, y ajoutant des dopants divers : gousses d’ail, poivre long, piment de la Jamaïque, poivre noir, baie sansho, clou de girofle et même un rougeoyant piment martin frais cueilli qui vient se nicher entre une feuille de laurier et une branche de céleri à la verdure recroquevillée. Je n’en ai pas pour autant négligé de lui faire avaler la dose de gros sel qui lui sera bien nécessaire (à vrai dire, surtout à moi pour que notre futur tête à tête ne soit pas trop fade…).


poule au blanc
Les instruments sont tombés dans la marmite




poule au blanc
Mise au point : c'était un fake


Pendant que l’eau monte à température avant d’atteindre l’ébullition, je finis la découpe de mes légumes du jardin que j’avais épluchés et plongés dans une bassine d’eau froide auparavant.

Deux carottes longues sont tranchées en sifflets, deux petites carottes rondes sont épargnées par mon couteau. Un céleri-rave est partagé en huit, alors que je prélève une dizaine de segments à un céleri branche et les débarrasse de leurs fibres. Trois navets ronds et deux navets marteaux se voient divisés par le mitan, tout comme deux panais, un petit et un moyen qui pour sa part, subit une coupe transversale supplémentaire. Deux poireaux un peu maigrelets sont simplement privés de l’extrémité de leurs feuilles vertes, rejoints par deux avortons qui se surpasseront, j’en suis certain, pour ajouter du goût au bouillon.

L’un des deux oignons réquisitionnés est piqué de trois clous de girofle. Enfin je dépouille cinq gousses prélevées sur une tête d’ail violet.

Dans la marmite l’eau bout depuis deux ou trois minutes. J’y ajoute une petite poignée de gros sel et balance tout ce petit monde légumier au milieu des vagues où voguent déjà un brin de romarin et une branche de thym de conserve avec une feuille de laurier. Pris d’une inspiration soudaine, j’ajoute quelques grains de poivre Voatsoperifery.

poule au blanc
Poule au milieu du jardin

Je laisse bloublouter dans la marmite environ un couple d’heures, prélevant quelques louchées de bouillon une vingtaine de minutes avant la fin pour y cuire le riz qui sera l’accompagnement de cette poule au blanc.

Vérification : je joue les picadors, remplaçant le vaillant taureau entré dans l’arène par une poule épuisée sortant du bain et troquant l’épée contre le cure-dent. La cuisson est parfaite !

J’évacue les légumes sur un plat en inox que je réserve au four à 70 °C. J’immerge à nouveau la bête.

Dans une petite casserole je réalise un roux blanc avec trois cuillerées de farine et à peu près le même volume de beurre. Je mouille avec du bouillon, veillant à préserver une texture relativement épaisse.

Bip ! Le riz doit être cuit. Je vérifie, c’est bon, je l’égoutte dans une passoire et le transvase dans un saladier en verre que je place dans le four à côté des légumes pour le tenir au chaud.

Je retourne à ma casserole et incorpore à ma sauce le jus d’un demi-citron et la moitié d’un pot de crème épaisse d’Isigny. Trois tours de moulin de poivre blanc de Penja et deux de noix de muscade : la sauce est prête.

Ne reste plus qu’à dresser les assiettes.

Et là je suis confronté à un trilemme. Bien entendu, une poule entière, c’est bien trop pour deux convives. Il me faut choisir avant de découper la poule allongée sur une planche :

- une cuisse, une aile

- une cuisse, une cuisse

- une aile, une aile

Restera-t-il une volaille cul-de-jatte, manchote ou hémiplégique ?

Pour résoudre ce problème je fais appel à ma vieille culture traditionnelle : la cuisse pour les messieurs, l’aile pour les dames. Ce seront donc deux assiettes différentes qui arriveront sur la table.

Je dispose le riz, sur lequel j’appuie les légumes : carotte, céleri branche, céleri-rave, panais, navet marteau.

Sur la première des assiettes j’allonge une cuisse, sur la seconde j’étends une aile.

Il ne me faut pas oublier le poireau, ainsi qu’une gousse d’ail confite par la longue cuisson.

Je m’empare de la casserole où la sauce continue à mijoter sur une petite flamme. Et là, je dois faire mon mea culpa : je verse le liquide onctueux à la cosaque, inclinant l’ustensile au-dessus de l’assiette ailière, et l’inonde plus que de raison.

poule au blanc
Aile Madame


Enfin, si l’esthétique est en cause, le plat n’en sera que plus gourmand, me dis-je en guise de consolation… Néanmoins je m’applique plus pour l’assiette cuissière,utilisant un pochon - même si j’en serai quitte pour aller me réapprovisionner de sauce en cours de dégustation.

poule au blanc
Cuisse Monsieur


Mon envie de poule au blanc a été comblée.

J’entends Madame qui, ayant terminé de suçoter son aile d’une main souillée de sauce mais néanmoins distinguée, s’adresse timidement à moi en s’essuyant sa bouche purpurine d’un linge presque encore immaculé (la poule au blanc est moins agressive envers la serviette que les spaghettis à la bolognaise…) : « Tu sais, moi aussi j’aime bien la cuisse dans le poulet ! ».

Dont acte...

 

vendredi 4 décembre 2020

Fromage ou des cerfs ?

 

Fromage ou des cerfs ?

Eh bien pour ce jour je choisis des cerfs. Enfin, des, peut-être pas, car il est fort probable que ces entrecôtes de cerf qui attendent d’être posées sur la poêle dans leur sachet sous-vide proviennent d’une seule bête…

Toutefois, avant de procéder à cette cuisson qui sera fort rapide afin de conserver un intérieur saignant, il me faut me lancer dans la préparation de l’accompagnement : un chou rouge qui, en revanche, nécessitera un long mijotage.

Je commence par passer le chou à la mandoline. J’obtiens de fines lanières qui viennent s’entasser dans une bassine. Je cisèle sur une planche un oignon du jardin.

Je m’empare de ma cocotte ovale en fonte. Je dépose sur son fond une noix de saindoux. Il me reste un cube de lard gras fumé de porc Mangalica.

C’est l’occasion de finir en beauté pour ce morceau venu de Hongrie. Je le partage en petits lardons que je déverse à côté du saindoux. J’allume le feu sous la cocotte. Bientôt les lardons commencent à colorer après avoir répandu une graisse abondante, parfumée à souhait. J’y fais suer la découpe d’oignon.

Quand ils blondissent, je m’empresse de vider ma bassine dans la cocotte, et, passant de feu moyen à feu vif, je fais tomber ces lanières de chou rouge en les brassant assaisonnées d’une belle pincée de gros sel.

Quand je vois que le chou a perdu sa fermeté et s’abandonne mollement au creux du récipient, je l’arrose d’une cuillerée de vinaigre de Maury et de la moitié d’une bouteille de côtes-du-rhône.

J’enfonce au creux du légume une boule à thé. De thé, point, mais la moitié d’un bâton de cannelle, un chaton de poivre long rouge de Kosla dont les arômes puissants devraient bien fonctionner avec cette recette aux notes sucrées, une dizaine de baies de genièvre, six ou sept baies de piment de la Jamaïque, une petite cuillerée de fenugrec, une autre de poivre blanc de Muntok. J’ajoute aussi un bouquet garni ficelant au sein de deux feuilles vertes de poireau une feuille de laurier, une tige de thym et une queue de persil.

Pour finir, six pruneaux d’Agen viennent compléter les ingrédients et je coiffe la cocotte de son couvercle. J’enfourne pour une heure à 150 °C.

L’heure est passée, je sors la cocotte : non, ce n’est pas encore assez confit à mon goût. Je rajoute un verre de vin, profite de cette sortie pour saupoudrer de la cuillerée de cassonade que j’avais oubliée.

Quarante-cinq minutes plus tard, le chou est cuit à point. Je le réserve en l’attente de l’heure du repas.

D’habitude des quartiers de pomme s'additionent à mon chou rouge. Là, ils sont absents car je compte dresser avec une rondelle de pomme sur chaque assiette.

J’anticipe cette préparation. Je prélève deux tranches de 7 mm d’épaisseur dans une Boskoop dont la touche d’acidité et la tenue à la cuisson devraient faire merveille. Je me hâte de les frictionner avec la tranche d’un citron afin de leur éviter de s’oxyder. Je fais fondre une noisette de beurre demi-sel dans une petite poêle, y ajoute une larme de balsamique blanc. Et zou, un aller-retour de mes tranches de pomme à feu vif… J’éteins le feu aussitôt et réserve.


L’heure de l’entrée en scène du cerf est arrivée.

J’avais bien pensé à laisser les entrecôtes déballées sur une plaque à débarrasser, à la fois pour la mise en température ambiante et pour l’oxygénation. J'étends mes pièces sur une poêle bien chaude barbouillée de beurre mousseux. Une minute trente sur chaque face préalablement parsemée de fleur de sel, et je verse sur elles un petit verre de genièvre de Houlle. J’incline la poêle à côté de la flamme. Ça flambe. J’ai économisé une allumette ! Alléluia !

Je dépose mes entrecôtes de cerf sur une planche le temps que je finisse le dressage.


Mon chou rouge vient d’être réchauffé à feu moyen. Pour une bonne note finale d’acidité, j’ai ajouté une cuillerée de balsamique blanc.

Les pruneaux ont bien gonflé, j’en mets deux de côté, le temps d’emplir un bol de ce chou rouge parfaitement tendre néanmoins encore légèrement al dente, récipient qui me sert de moule avant de renverser sur l’assiette. Je place sur l’éminence rouge un pruneau bien imbibé. Tombera, tombera pas ?


Je réserve les assiettes dans le four encore chaud pendant que je remets en température les tranches de pommes et prépare la sauce.

Le genièvre a déjà partiellement déglacé la poêle. J’y ajoute un petit verre de vin rouge, quelques gouttes de balsamique traditionnel de Modène et un soupçon de fond de veau. Je fais réduire à feu vif, et quand le liquide est devenu bien sirupeux, j’y incorpore trois tours de moulin le poivre rouge de Kampot.


Je sors mes assiettes du four. Sur chacune je dispose trois entrecôtes de cerf. Eh oui, trois, ce sauvage des forêts vosgiennes n’a pas le gabarit d’une grosse vache normande (ou charolaise, ou limousine, ou etc.)

La tranche de pomme est chaude. Elle peut rejoindre l’assiette.

Je complète avec les dernières tranches de concombre à l’aigre doux maison restant au fond du bocal.

Je termine en arrosant de la sauce nappante les entrecôtes.

Quant au persil… Honte à toi, l’envahisseur de plats ! Mais honte à moi aussi qui t’accepte sans broncher sous le prétexte d’ajouter une touche verdelette bon marché…

chou rouge, cerf, entrecôte
Cerf et chou

Nous nous régalons avec ce chou rouge débordant de flaveurs. Surtout - ce n’était pas gagné… -  j’ai réussi la cuisson du cerf : le cœur des tranches est resté saignant. Et cette viande offre un goût de gibier marqué, mais sans excès.

J’ai  fait le bon choix. Des cerfs...

Et puis, finalement, pourquoi pas un bon munster pour finir ce repas alsacien en apothéose?




mercredi 2 décembre 2020

Very hot

Fin avril dernier, un commentaire lié à ma recette du poulet à la verticale m’avait fait découvrir le site recette-americaine.com dont j’avais parcouru les pages - quand je pénètre un blog inconnu, j’aime bien l’arpenter en grandes enjambées, comme on erre dans les rues d’une ville inconnue où l’on se trouve pour la première fois, ne se contentant pas du monument répertorié qui prétend justifier ce voyage.

Et c’est là que je suis tombé sur cette photo :


Aussitôt des souvenirs lointains ont ressurgi dans ma tête. Je me revoyais adolescent traînant mes lattes dans le Quartier Latin où, entre deux séances de cinéma rue Champollion ou rue Cujas ponctuées par quelques parties de flipper, je me sustentais d’une saucisse enrobée de pâte frite achetée dans une petite échoppe débordant sur le trottoir du boulevard Saint-Michel.

Il me semble que ce produit dont je me régalais - eh oui, la malbouffe a aussi son charme… - avait disparu du décor après quelques mois de présence, et qu’ensuite j’avais dû me recentrer vers les beignets tunisiens farcis de thon de la rue Saint-Séverin, sans aucun doute encore meilleurs, mais aussi plus onéreux pour mes maigres finances.

Depuis, je n’avais jamais retrouvé ces saucisses embâtonnées, et j’en gardais vaguement une certaine nostalgie. Aussi, après avoir découvert la recette de corn dog qu’illustrait cette photo, je ne pouvais qu’ambitionner de la réaliser.

Rien de plus simple que de procéder à l’achat de la farine de maïs nécessaire pour la confection de la pâte. En revanche, il fut bien difficile de me procurer des saucisses à hot dog pur bœuf. Strasbourgeoises, viennoises, francforts : toujours à base de porc, même si certaines contiennent aussi du veau ou du bœuf. Du côté hallal, point de salut : merguez qui n’ont rien à voir avec la saucisse à hot dog, ou grosses saucisses de bœuf encore plus éloignées de mon cahier des charges. Je me suis orienté en dernier recours vers la charcuterie casher. Toujours sans succès : je n’étais confronté qu’à pastramis, saucissons et merguez. Jusqu’à ce que, il y a quelques jours, s’ajoute à cette liste la présence de saucisses Vienna au bœuf dont la composition me paraissait fort apte à la réalisation de mon projet.

Bœuf (66 %), eau, fécule de pomme de terre, soja, mélange d’épices (propylène glycol, fibre de pomme de terre, sel, stabilisants, épices, ail déshydraté, protéines végétales hydrolysées, arômes, huiles essentielles & oléorésines), sulfites, colorant (E124).

Un bon produit de malbouffe délectable… Je m’en lèchais les babines d’avance. 

Figurait en guise de conclusion l’avertissement : peut avoir un effet néfaste sur l’activité et l’attention des enfants. Mais ça, je m’en fous, j’ai passé l’âge !

Maintenant je dispose de tous les ingrédients, aucune excuse pour ne pas passer à l’acte :

140 g de cornmeal

8 saucisses de bœuf de Francfort de Vienne

cornmeal, saucisse de boeuf, corn dog
Bon comme au coin d'une rue...


1/2 de cuil à café de sel

2 tours de moulin de poivre noir

40 g de sucre

4 cuil à café de levure chimique

2 œufs

120 g de farine T55

240 ml de lait

Je brasse dans un cul-de-poule les produits secs. J’introduis le lait et les œufs et je mélange énergiquement au fouet.

Toujours aussi bon empaleur, cette fois-ci je délaisse le poulet pour introduire mes piques à brochettes dans le fondement de mes viennoises qui se laissent faire sans manifester de résistance, même si à la fin je les sens se raidir.

corn dog
Valse de Vienna

J’allume ma friteuse que je règle à 180 °C.

Le voyant m’indique que désormais le Blanc de Bœuf est à bonne température. Je vais pouvoir opérer. Toutefois, afin de permettre un bon enrobage des saucisses sur toute leur longueur, je transfère le contenu du cul-de-poule dans l’étroit vase d'ordinaire préposé au mixage. Je plonge mon premier bâtonnet ensaucissé dans la pâte, le retire, c’est bien, la consistance est parfaite, la saucisse sort bien enduite et ne bave pas. Je la plonge dans la friteuse. Et là je m’aperçois de ma bévue : j’ai raccourci la pique en la coupant pour l’amener à une longueur qui me semblait raisonnable, ne voulant pas me donner l’impression d’être un sans-culotte brandissant la tête de la princesse de Lamballe ; mais voilà, ma friteuse est de celles qui sont plus en largeur qu’en profondeur, pour baigner entièrement mon corn dog il me faut l’incliner, beaucoup l’incliner, et mes doigts tenant le manche se rapprochent dangereusement de la surface du bain de friture. Je décide donc de rallonger ma main d’une pince.

Un corn dog est cuit, deux, trois… Et pour la quatrième, c’est le drame : une saucisse perverse, sans doute indignée du sort que je lui ai fait subir, s’échappe de la pince, plonge et m’éclabousse de gras de bœuf bouillant. Un peu sur la main, mais aussi, ce m’inquiète le plus, sur le visage… Je ressens une brûlure au-dessus de l’œil. J’abandonne la coupable à son triste sort. Trois minutes de cuisson, j’en profite pour m’échapper et aller me passer un gant imbibé d’eau glacée sur les parties atteintes. Je suis de retour quand le minuteur sonne. Je sors ce corn dog précautionneusement. Pour les suivants, tant pis, ils flotteront comme de vulgaires beignets. Le manche sera un tantinet barbouillé - et alors… Au moins ce gras ne sera pas bouillant !

Avant de passer à table, je me livre encore à quelques tamponnages à l’eau glacée. Je souffre un peu, mais rien d’insupportable... Faire la cuisine, c’est une activité à risque !


Les corn dogs sont entassés sur un plat. De les voir me donne la satisfaction de la réussite, mais surtout  de les voir de mes deux yeux - il s’en est fallu de peu…

corn dogs
Retour de bätons

Chacun dispose d’une coupelle dans laquelle j’ai versé du Country Ketchup.

C’est bon, mais je ne retrouve pas le goût de mes souvenirs. Il me semble que la pâte d’enrobage boulmichienne, quoique croustillante, était plus épaisse, plus briochée. Sans doute une revisite à la française...

Il ne faut pas attiser la petite flamme vacillante des souvenirs. Parfois on s’y brûle !