Mon civet de sanglier sauvage sera un vrai civet.
Ceci à double titre.
En premier lieu, je me suis procuré une botte de cives. En second lieu, je ferai une liaison au sang.
Sur une page de son site GRETA GARBURE, on peut lire ces lignes écrites par Blandine Vié :
Ce qui caractérise avant tout le civet des autres plats en sauce à base de vin (daube par exemple), c’est sa liaison finale, faite avec le propre sang de l’animal, réservé pour l’occasion. Il est donc impératif de pouvoir en disposer.
En quoi elle a parfaitement raison.
Mais commençons par le commencement…
Mon sanglier se trouve, déjà découpé en morceaux, dans un sac sous vide. Il provient d’une bête sauvage, abattue dans les Vosges. Ça, c’est l’aspect positif. L’inconvénient de cette commande en ligne, c’est que je n’ai pas de volailler pouvant me fournir un petit bocal de sang. Alors, voyant que pas mal de ce liquide contenu dans la viande a exsudé dans le paquet, après son ouverture j'en déverse le contenu dans une passoire.
Le sang s’écoule dans un bol ; j’y ajoute un trait de vinaigre de vin de Maury et une cuillerée de genièvre de Houlle pour l’empêcher de coaguler et réserve. Je dépose les morceaux de sanglier au fond d’une plaque à débarrasser sur un papier absorbant.
Je cisèle un oignon long et trois échalotes du jardin. Je taille une carotte de même provenance en mirepoix. J’épluche trois gousses d’ail de Lautrec. Je nettoie et découpe en tronçons la botte de cives, n’enlevant que quelques centimètres à l’extrémité des feuilles. Un cube de gingembre frais finit en julienne.
Je prépare un bouquet garni : feuille de laurier, thym, origan, sommité de céleri branche et queues de persil, le tout enserré entre deux verts de poireau.
Je place ma cocotte en fonte sur un feu vif, et y mets à saisir les morceaux de sanglier que j’ai eu soin de bien éponger un à un au papier absorbant avant de les assaisonner de fleur de sel. Sage précaution, car il se produit malgré tout un petit écoulement de jus au fond de la cocotte. Mais fort heureusement Maillard ne désarme pas pour si peu…
La viande a pris couleur, je baisse la flamme, je complète d’une noix de beurre demi-sel, je verse les légumes. Oignon et échalote commencent à fondre, les segments de cive tombent doucement. Je singe avec une cuillerée de farine T65 des Moulins de Versailles.
Je débouche une bouteille de vin portugais acheté à la boutique lusitanienne des halles locales.
Pas cher, environ six euros… Je vérifie en m’octroyant le fond d’un verre qu’il correspond bien à la vocation culinaire affirmée par le vendeur ainsi qu'à la description trouvée sur Internet :
Couleur rubis. Arômes intenses de fruits sauvages, de fraises et de groseilles et d’eucalyptus. Bouche soyeuse et volumineuse avec des tanins ronds et une finale onctueuse
Bon, ce n’est pas faux…
Mon devoir de vérificateur accompli, je vois que la farine a fini de roussir et je verse les deux tiers de la bouteille dans la cocotte. J’y fais plonger mon bouquet garni, une douzaine de baies de genièvre, une petite cuillerée de poivre de Voatsoperifery. Je me prépare à prélever quelques zestes de citron ou d’orange afin de donner une note d’agrume quand me vient une autre idée. Je soulève le couvercle d’une petite boîte enfermant des baies de Szechuan vertes. Je renifle. Le parfum floral qui se dégage me semble parfait pour rehausser celui d’une sauce de civet. Je prélève une cuillerée. Dilemme… Mortier or not mortier. J’écrase une baie entre les dents. Ce n’est pas bien résistant, après une cuisson longue, leur présence ne devrait pas poser de problème. Allez, oust, dans la cocotte. Je termine par une pincée de gros sel, une autre de quatre-épices et une dernière de cannelle moulue.
Je pense que je n’ai rien oublié. Je ferme la cocotte et l’enfourne à 170 °C.
Au bout d’une heure, je retourne les morceaux de sanglier, et remets au four pour une demi-heure.
Pendant ce temps je pare et nettoie des champignons de Paris. Je les escalope et les réserve arrosés de jus de citron.
Je découenne une tranche de lard séché, portugais comme le vin. Faut bien simplifier l’itinéraire des courses ! Je la partage en petits lardons. Comme j’ai à cœur de bien accomplir mon rôle de vérificateur, aussi bien du solide que du liquide, je m’octroie l’entame. C’est bon. Quoi, je n’ai pas vérifié le sanglier. ? Ben non, pas de suidé cru pour moi. Pour le tænia, j’ai déjà donné ! Le devoir a ses limites.
Bib, bip, bip… Ah, tiens, la demi-heure est déjà passée ? Je sors la cocotte du four, la décoiffe. Je pique la viande de la pointe d’un couteau. Ça y est presque, mais pas tout à fait. Je décide de poursuivre la cuisson sur une vingtaine de minutes. Le niveau de liquide a fortement baissé, je rajoute un verre de vin rouge et, tant qu’à faire, une cuillerée de vinaigre de Maury pour conférer un peu d’acidité.
Je remets au four.
Je profite de ce délai supplémentaire pour sauter rapidement les champignons avec les lardons dans une poêle où une noix de beurre fondue sur un trait d’huile d’olive. Pas besoin de sel, celui du lard suffira.
Lard et la manière |
Je débarrasse les quelques petits oignons que j’ai pu extraire de la récolte du jardin de leurs pelures, et je les fais glacer dans une petite casserole - encore trop grande.
Roule, ma boule |
J’ai pris l’initiative d’ajouter au sel, au sucre et au beurre une petite cuillerée de vinaigre blanc dans la petite flaque d’eau de la cuisson…
C’est le moment de ressortir la cocotte du four. Mon couteau me confirme que la viande est cuite à point. J’évacue le bouquet garni. Je déverse les lardons et les champignons, donne un tour de moulin de poivre rouge de Kampot, brasse délicatement. Les petits oignons glacés atterrissent à la surface du civet.
C'est pas de la daube ! |
Hum, ça sent rudement bon ! Mais hélas ce plat, je ne vais pas le déguster tout de suite. Je préfère le réserver pour le lendemain, afin de laisser tous les arômes s’entremêler, se disputer avant un accord final où chacun trouvera sa juste place.
Ce lendemain est arrivé.
J’espère qu’il ne déchantera pas.
J’avais prévu de réaliser des spätzle maison, mais je n’en ai pas eu ni le temps (qui a bon dos…) ni le courage (qui est le fond qui me manque le plus - à part le fond de gibier). Je les ai remplacés avantageusement par des knepfle Valfleuri. Que cette honorable maison en soit ici remerciée !
Pendant les dix-huit minutes que nécessite la cuisson de cet accompagnement, je réchauffe doucement le civet en l’enfournant à 130 °C. À la sortie, je place la cocotte découverte sur une petite flamme jusqu’à un début de bloubloutage. Je retire la cocotte du feu, dissous dans la sauce trois fèves de chocolat noir Caraïbe 66 % Valrhona.
Et je m’empare de mon bol de sang. Je l’incorpore doucement petit à petit dans la sauce. Pour être franc, la transformation visuelle n’est pas manifeste. Mais cet ajout ne serait-il que symbolique, il s’agit d’un symbole fort.
J’ai concocté un VRAI civet!
Je dresse deux assiettes, ajoutant des crôutons de pain que je viens de dorer dans du beurre mousseux..
Sanglier entoué de jeunes croûtons |
Et en plus, il est délicieux !
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