mardi 8 décembre 2020

L'aile ou la cuisse

J’avais envie d’inviter à ma table une poule au blanc.

Pourquoi ? Sans doute parce que c’était elle, parce que c’était moi…

Toujours est-il que cette poule, pas encore au blanc, est désormais sur mon plan de travail. Le volailler l’a bien bridée, laissant même le long bout de ficelle lui permettant d’escalader facilement avec mon aide la paroi verticale du gouffre marmital où bouillonne le gave de pot.

L’eau est cependant encore froide quand la bête effectue sa plongée. Pour lui donner du cœur au ventre, je l’ai bourrée d’herbes du jardin : romarin, origan, thym, persil, y ajoutant des dopants divers : gousses d’ail, poivre long, piment de la Jamaïque, poivre noir, baie sansho, clou de girofle et même un rougeoyant piment martin frais cueilli qui vient se nicher entre une feuille de laurier et une branche de céleri à la verdure recroquevillée. Je n’en ai pas pour autant négligé de lui faire avaler la dose de gros sel qui lui sera bien nécessaire (à vrai dire, surtout à moi pour que notre futur tête à tête ne soit pas trop fade…).


poule au blanc
Les instruments sont tombés dans la marmite




poule au blanc
Mise au point : c'était un fake


Pendant que l’eau monte à température avant d’atteindre l’ébullition, je finis la découpe de mes légumes du jardin que j’avais épluchés et plongés dans une bassine d’eau froide auparavant.

Deux carottes longues sont tranchées en sifflets, deux petites carottes rondes sont épargnées par mon couteau. Un céleri-rave est partagé en huit, alors que je prélève une dizaine de segments à un céleri branche et les débarrasse de leurs fibres. Trois navets ronds et deux navets marteaux se voient divisés par le mitan, tout comme deux panais, un petit et un moyen qui pour sa part, subit une coupe transversale supplémentaire. Deux poireaux un peu maigrelets sont simplement privés de l’extrémité de leurs feuilles vertes, rejoints par deux avortons qui se surpasseront, j’en suis certain, pour ajouter du goût au bouillon.

L’un des deux oignons réquisitionnés est piqué de trois clous de girofle. Enfin je dépouille cinq gousses prélevées sur une tête d’ail violet.

Dans la marmite l’eau bout depuis deux ou trois minutes. J’y ajoute une petite poignée de gros sel et balance tout ce petit monde légumier au milieu des vagues où voguent déjà un brin de romarin et une branche de thym de conserve avec une feuille de laurier. Pris d’une inspiration soudaine, j’ajoute quelques grains de poivre Voatsoperifery.

poule au blanc
Poule au milieu du jardin

Je laisse bloublouter dans la marmite environ un couple d’heures, prélevant quelques louchées de bouillon une vingtaine de minutes avant la fin pour y cuire le riz qui sera l’accompagnement de cette poule au blanc.

Vérification : je joue les picadors, remplaçant le vaillant taureau entré dans l’arène par une poule épuisée sortant du bain et troquant l’épée contre le cure-dent. La cuisson est parfaite !

J’évacue les légumes sur un plat en inox que je réserve au four à 70 °C. J’immerge à nouveau la bête.

Dans une petite casserole je réalise un roux blanc avec trois cuillerées de farine et à peu près le même volume de beurre. Je mouille avec du bouillon, veillant à préserver une texture relativement épaisse.

Bip ! Le riz doit être cuit. Je vérifie, c’est bon, je l’égoutte dans une passoire et le transvase dans un saladier en verre que je place dans le four à côté des légumes pour le tenir au chaud.

Je retourne à ma casserole et incorpore à ma sauce le jus d’un demi-citron et la moitié d’un pot de crème épaisse d’Isigny. Trois tours de moulin de poivre blanc de Penja et deux de noix de muscade : la sauce est prête.

Ne reste plus qu’à dresser les assiettes.

Et là je suis confronté à un trilemme. Bien entendu, une poule entière, c’est bien trop pour deux convives. Il me faut choisir avant de découper la poule allongée sur une planche :

- une cuisse, une aile

- une cuisse, une cuisse

- une aile, une aile

Restera-t-il une volaille cul-de-jatte, manchote ou hémiplégique ?

Pour résoudre ce problème je fais appel à ma vieille culture traditionnelle : la cuisse pour les messieurs, l’aile pour les dames. Ce seront donc deux assiettes différentes qui arriveront sur la table.

Je dispose le riz, sur lequel j’appuie les légumes : carotte, céleri branche, céleri-rave, panais, navet marteau.

Sur la première des assiettes j’allonge une cuisse, sur la seconde j’étends une aile.

Il ne me faut pas oublier le poireau, ainsi qu’une gousse d’ail confite par la longue cuisson.

Je m’empare de la casserole où la sauce continue à mijoter sur une petite flamme. Et là, je dois faire mon mea culpa : je verse le liquide onctueux à la cosaque, inclinant l’ustensile au-dessus de l’assiette ailière, et l’inonde plus que de raison.

poule au blanc
Aile Madame


Enfin, si l’esthétique est en cause, le plat n’en sera que plus gourmand, me dis-je en guise de consolation… Néanmoins je m’applique plus pour l’assiette cuissière,utilisant un pochon - même si j’en serai quitte pour aller me réapprovisionner de sauce en cours de dégustation.

poule au blanc
Cuisse Monsieur


Mon envie de poule au blanc a été comblée.

J’entends Madame qui, ayant terminé de suçoter son aile d’une main souillée de sauce mais néanmoins distinguée, s’adresse timidement à moi en s’essuyant sa bouche purpurine d’un linge presque encore immaculé (la poule au blanc est moins agressive envers la serviette que les spaghettis à la bolognaise…) : « Tu sais, moi aussi j’aime bien la cuisse dans le poulet ! ».

Dont acte...

 

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