On m’a gâché mon plaisir ! Il a fallu qu’une vilaine sorcière ramène sa fraise…
Tout était en place pour mon voyage gastronomique. Ma cuisine se voyait transportée en Italie. J’avais sur mon plan de travail des spaghetti alla chitarra préparés en Toscane, du pecorino romano DOP à la saveur puissante et une belle part de guanciale del Norcino.
J’ai râpé un gros morceau de pecorino au-dessus d’un
saladier
J’ai découpé de gros lardons de guanciale et je les ai posés sur une poêle à feu moyen jusqu’à ce qu’ils soient devenus translucides après
avoir dispensé moult graisse.
J’ai prélevé la moitié du sachet de pâtes.
Et zou, dans l’eau bouillante salée pour 4 minutes. J’ai transféré les spaghetti dans la poêle où ils se sont
vautrés dans la graisse le temps que je prépare ma sauce : j’ai mélangé
vigoureusement dans le saladier le pecorino noyé sous une louche d’eau de
cuisson des pâtes avec un œuf entier et deux jaunes d’œuf.
Une fois ma mixture crémeuse
obtenue, je l’ai relevée de force tours de moulin de poivre noir - noir avant d’être
écrasé, car sa vêture de carbonaro fut vite lacérée pour révéler un cœur blanchoyant.
J’ai basculé le contenu de ma poêle dans le saladier et j’ai brassé délicatement. Ne me restait plus qu’à répartir mes spaghetti alla carbonara entre les assiettes, scellant la conclusion de ma préparation par un ultime tour de moulin de poivre.
Accompagnement de chitarra |
L’assiette était vide. Je me suis écrié, après avoir essuyé
ma moustache encore luisante de graisse porcine transalpine et porteuse à son corps défendant d’une
miette fromagère caprine : « Réjouissons-nous d’avoir pu passer ces quelques
minutes durant lesquelles notre salle à manger s’est transformée en trattoria italienne
et le miracle d’une mondialisation bien pensée nous a permis de nous attabler à
Rome sans triste promiscuité touristière ni voyage épuisant. Levons un toast à
la gloire de notre époque bénie où… »
Je fus interrompu par une petite voix grinçante provenant de
la coupe où s’entassaient quelques fraises cueillies le matin même au jardin.
« Trattoria italienne, mon pédoncul ! Les œufs, tu
y as pensé ? Ben non, bien sûr… Ils sont bien franchouillards. Alors pour la téléportation, tu repasseras.
D’ailleurs t’as pas la tronche d’une nonna italienne – la moustache mise à part.
- Mais... mais… Qui es-tu ?
- Mehh.,. mehhh… Aurais-tu une remontée de pecorino ? Je
suis la strega Fragola, pour te desservir ! »
Une petite tête difforme émergea de la coupe, me toisant de
bas (oui, c’est possible) de ses yeux globuleux. La sorcière laissa échapper
des ricanements de sa bouche hideuse.
De quoi faire peur ! |
C’en était trop. Ma patience a ses limites, et je ne laisserai pas impunément une petite fraise difforme me priver de ma béatitude postprandiale. Il y avait un couteau sur la table. Oui, Messieurs les jurés, ce fut plus fort que moi !
Je ne m’étendrai pas dans la description de mon geste cruel.
Sachez seulement que la straga Fragola gisait pourfendue sur un lit de
porcelaine.
Le dilemme était désormais to eat or not to eat.
Finalement j’ai proposé à ma compagne : « On se la
partage ? »