mercredi 1 juin 2022

Les carbonari et la strega Fragola

On m’a gâché mon plaisir ! Il a fallu qu’une vilaine sorcière ramène sa fraise…

Tout était en place pour mon voyage gastronomique. Ma cuisine se voyait transportée en Italie. J’avais sur mon plan de travail des spaghetti alla chitarra préparés en Toscane, du pecorino romano DOP à la saveur puissante et une belle part de guanciale del Norcino.

J’ai râpé un gros morceau de pecorino au-dessus d’un saladier

J’ai découpé de gros lardons de guanciale et je les ai posés sur une poêle à feu moyen jusqu’à ce qu’ils soient devenus translucides après avoir dispensé moult graisse.

J’ai prélevé la moitié du sachet de pâtes.



Et zou, dans l’eau bouillante salée pour 4 minutes. J’ai transféré  les spaghetti dans la poêle où ils se sont vautrés dans la graisse le temps que je prépare ma sauce : j’ai mélangé vigoureusement dans le saladier le pecorino noyé sous une louche d’eau de cuisson des pâtes avec un œuf entier et deux jaunes d’œuf.

Une fois  ma mixture crémeuse obtenue, je l’ai relevée de force tours de moulin de poivre noir - noir avant d’être écrasé, car sa vêture de carbonaro fut vite lacérée pour révéler un cœur blanchoyant.

J’ai basculé le contenu de ma poêle dans le saladier et j’ai brassé délicatement. Ne me restait plus qu’à répartir mes spaghetti alla carbonara entre les assiettes, scellant la conclusion de ma préparation par un ultime tour de moulin de poivre.

pâtes carbonara
Accompagnement de chitarra

L’assiette était vide. Je me suis écrié, après avoir essuyé ma moustache encore luisante de graisse porcine transalpine et porteuse à son corps défendant d’une miette fromagère caprine : « Réjouissons-nous d’avoir pu passer ces quelques minutes durant lesquelles notre salle à manger s’est transformée en trattoria italienne et le miracle d’une mondialisation bien pensée nous a permis de nous attabler à Rome sans triste promiscuité touristière ni voyage épuisant. Levons un toast à la gloire de notre époque bénie où… »

Je fus interrompu par une petite voix grinçante provenant de la coupe où s’entassaient quelques fraises cueillies le matin même au jardin.

« Trattoria italienne, mon pédoncul ! Les œufs, tu y as pensé ? Ben non, bien sûr… Ils sont bien franchouillards. Alors pour la téléportation, tu repasseras. D’ailleurs t’as pas la tronche d’une nonna italienne – la moustache  mise à part.

-  Mais... mais… Qui es-tu ?

-  Mehh.,. mehhh… Aurais-tu une remontée de pecorino ? Je suis la strega Fragola, pour te desservir ! » 

Une petite tête difforme émergea de la coupe, me toisant de bas (oui, c’est possible) de ses yeux globuleux. La sorcière laissa échapper des ricanements de sa bouche hideuse.

fraise
De quoi faire peur !

C’en était trop. Ma patience a ses limites, et je ne laisserai pas impunément une petite fraise difforme me priver de ma béatitude postprandiale. Il y avait un couteau sur la table. Oui, Messieurs les jurés, ce fut plus fort que moi !

Je ne m’étendrai pas dans la description de mon geste cruel. Sachez seulement que la straga Fragola gisait pourfendue sur un lit de porcelaine.

Le dilemme était désormais to eat or not to eat.

Finalement j’ai proposé à ma compagne : « On se la partage ? »

 


lundi 30 mai 2022

Bette d'hexagone

 

Elle pouvait incarner à la fois la belle et la bette. Mais c’est dans un autre rôle qu’elle m’a séduit.

«  T’as d’belles côtes, tu sais.

-  Effeuillez-moi.

-  Beta !

-  Effeuille moi encore. »

Tout ça pour finir sous une couche de sauce Mornay revisitée au fin fond d’un hexagone…

Bref, une recette toute bette bête :

Découper les côtes en tronçons de 3 cm environ et les plonger dans de l’eau bouillante salée durant 8 minutes afin de les blanchir.

Préparer un roux avec un tant pour tant beurre doux (50 g) et farine. Verser un demi-litre de lait entier et porter à ébullition.  Laisser épaissir sur une petite flamme en tournant constamment. Incorporer 150 g de cantal râpé dans la béchamel obtenue. Poivrer sans mesquinerie et parfumer d’un tour de moulin de noix de muscade. Mais surtout ne pas saler ! Beurrer un plat de faïence - ou porcelaine si l'on est rupin - et y étendre les côtes de bette – alias blette, alias poirée, alias beta vulgaris. Recouvrir de la Mornay cantalisée qui va se faufiler entre côtes jusqu’à toucher le fond. Enfourner une quinzaine de minutes à 180 °C pour finir en faisant dorer brièvement sous le gril.

Touche personnelle : la vision hexagonale m’a conduit à déposer depuis le centre de symétrie jusqu’aux sommets six lamelles rectangulaires découpées dans le morceau de cantal. Entre ces rayons j’ai alterné des pluies de tours de moulin de poivre noir de Sarawak et de poudre de piment d’Espelette.

gratin de bettes au cantal
Bette cachée


C’est-y pas beau, tout ça ?

Tout comme la viande qui accompagnait ce gratin : le canard était encore beau.

filet de canard
Filet pour accompagner les côtes

 

Fair play, l’hexagone a concédé que le volatile losangé était même plus doré que lui. Normal : ce polygone était réglo.

mercredi 25 mai 2022

Après gros thon : THE BIG CRUNCH THEORY

  

J’observe depuis quelque temps une contraction de mon univers poisson.

 

Naguère il y eut le gros thon pêché en Méditerranée.


 

Puis vint la moyenne sardine sortie de l’Atlantique.

 


Je me suis contenté de l’allonger sur une poêle badigeonnée d’huile d’olive après l’avoir assaisonnée de fleur de sel et de curry breton. 

sardine
Journal d'un curry de Bretagne

Un bref aller-retour à feu vif, et je la faisais glisser sur un plat. Un trait de citron, du persil ciselé : le régal était prêt à s’offrir sur la table.

 

sardines
Attention, chutes de persils


Enfin l’athérine apparut.




...de je ne sais où d’ailleurs - mais l’important est qu’elle était encore roide avec l’œil bien vif.

 

Un menu fretin dont je me régalerai encore plus que si j'avais cuisiné de classiques éperlans – sentiment que je partage avec Patrick Cadour, dont l’excellent blog La cuisine de la mer vient à mon grand bonheur de sortir d’une longue léthargie. C’est d’ailleurs parmi ces pages que j’ai prélevé la photo du petit filet rond appelé balance dévolu à la pêche de ce petit poisson. J’espère qu’après cette pommade étalée, d’ailleurs on ne peut plus sincère dans sa formulation, l’auteur ne m’en voudra pas pour cet emprunt…

Le traitement de cette pêche miraculeuse – il y a des mois que je scrute en vain l’étalage des poissonniers pour assouvir mon envie de petite friture – fut on ne peut plus simple. J’ai enfermé – mes petits poissons dans un sac en plastique, ajouté quatre cuillerées de farine, et j’ai secoué. Il ne me restait plus qu’à poser les enfarinés sur une passoire afin de les débarrasser de l’excédent meunier avant de les plonger dans de l’huile d’arachide bien chaude. Mais, attention, par petites quantités en plusieurs fois ! Car la poêle à frire émaillée utilisée ne contenait même pas un litre de ce bain. Pour terminer, le persil frisé offert par le poissonnier a plongé lui aussi : j’ai obtenu ainsi un plaisant accompagnement croustillant lui aussi. Quelques pincées de fleur de sel, et le tour était joué.

 

athérine, petite friture
L'athérine du chef

 

Je n’ai qu’un regret : c’est que mon univers n’ait pas poursuivi sa contraction. Le festin suprême qu'auraient pu offrir des minuscules civelles aurait été l’apothéose de ce Big Crunch.



mardi 17 mai 2022

Tour de thon

 

Les thons rouges ont un beau tour de poitrine. Beau et bon : il s’agit de la grasse ventrèche.

Un morceau de cette partie noble prélevée en Sicile sur un thon pêché au large des côtes de l'île est arrivé chez moi après un long voyage (du moins en distance, en ce qui concerne la durée la fraîcheur de la chair démontre qu’il a fait fissa) emmailloté dans un habit de vide.

Je débarrasse ce kilo de Thunnus thynnus de sa cape de voyage. Il aspire un bon bol d’air et reprend des couleurs.

 

 

Premier mi-thon

 

Je dépose ma pièce sur une planche et la partage en deux. La seconde part est remise sous-vide. Pauvre thon ! Il n’a connu que la liberté provisoire, et maintenant il retourne au frais… Mais, mon vieux, tu ne penses tout de même pas que l’on va pouvoir s’enfiler une livre de thon par personne en un repas !

Je m’occupe de la moitié restée étendue sur la planche : j’enlève la peau et une partie de l’épaisse couche de graisse. Bref, je découenne. J’obtiens deux pavés bien épais. Je réserve le temps de préparer les pickles d’oignon et la salade de puntarelle servis en accompagnement.

Je partage en deux verticalement un oignon prélevé sur une botte de cipolla rossa di Tropea venant quant à elle de Calabre. Je prélève une découpe de 5 mm d’épaisseur sur chacune des faces planes et cisèle le reste en gros éclats Dans une petite casserole je verse un petit verre d’eau, un autre de vinaigre d’alcool, un demi-verre de balsamique blanc, une petite cuillerée de sucre, une grosse pincée de sel Je porte à ébullition, éteins le feu et fait plonger mes découpes d’oignon Je laisse refroidir.

Je chauffe sans excès cinq cuillérées mon huile des Baux-de-Provence aux profonds parfums d’olives maturées, retire de la flamme et y écrase les filets extirpés d’une petite boîte de filets d’anchois à l’huile, Là encore j’attends que ce mélange retourne à température ambiante.

Pendant ce temps je prélève le cœur d’une salade de cette magnifique variété italienne baptisée puntarelle – que je n’arrive malheureusement pas à faire pousser dans mon jardin.


Je tranche les plus grosses pousses en deux, me contente de séparer les autres Je plonge le résultat de mes prélèvements dans l’eau glacée Je réserve jusqu’à…

 

Jusqu’à ce que ce soit l’heure du repas.

Je revêts la poêle qui fera fonction de mini-plancha improvisée d’un papier siliconé badigeonné au pinceau d’une fine couche d’huile d’olive. Je la fais chauffer sur un feu moyen avant de déposer les pavés côté graisse. Puis je fais pivoter afin de snacker rapidement sur trois autres faces, réservant le cœur de la chair de thon tiède mais pas cuit.

Je passe au dressage. À côté du pavé de ventrèche, les blancs pickles d’oignon rouge. Je répartis la puntarelle soigneusement essorée et l’arrose d’un filet de jus de citron (même pas de Sicile, quelle honte ! ) avant de faire couler mon huile aux anchois. Pour terminer, j’écrase au mortier quelques grains de poivre de Bahia dont je parsème le thon par-dessus une pincée de fleur de sel.

thon rouge, puntarelle, oignon de Tropea
Puntarelle menaçant un pauvre thon

 

Fin du premier mi-thon.

 

 

Deuxième mi-thon.

 

Là encore je pare le thon, le découpant cependant en portions plus petites.

thon rouge de Sicile, ventrèche
Le thon retrouvé

Et ce sont deux oignons qui passent sous la lame de mon couteau…

cipolla rossa di Tropea
Venus de Calabre

Je lave cinq pommes de terre nouvelles de taille moyenne, mais ne les épluche pas.

Dans ma cocotte je mets à fondre à feu moyen ma découpe d’oignon sur une cuillerée d’huile d’olive. J’ajoute la ventrèche dont je fais colorer les morceaux assaisonnés de sel sur toutes les faces. Puis je verse un verre d'un vieux banyuls rouge de 2014. 


Je dépose les pommes de terre, fait plonger un bouquet garni constitué de deux feuilles de poireau enserrant thym, marjolaine, sauge et persil. Je parsème la ventrèche de quelques pincées de piment d’Espelette et de lambeaux du zeste d'un citron jaune. Je complète d’eau à presque hauteur, relève d’une pincée de gros sel et coiffe la cocotte de son couvercle. Je laisse bloublouter à petit feu durant une demi-heure, retournant les pommes de terre à mi-cuisson et en profitant pour introduire une douzaine de ces énormes olives vertes que sont celles d’appellation Bella Cerignola.

ventrèche de thon rouge en cocotte, banyuls
Mon thon sur la cocotte


Je poursuis la cuisson encore cinq minutes sans couvercle afin de réduire la sauce que je vivifie du jus d'un demi citron. Je peux alors puiser dans la cocotte pour dresser les assiettes.

Je fends les pommes de terre à l'aide d'une épaisse spatule en alu afin d’obtenir une découpe grossière et un début d’écrasement propre à fournir une surface apte à retenir la sauce.



Une pincée de piment d’Espelette en pluie sur la bordure ajoute sa couleur, sa force et son parfum.

La feuille de persil n'a fournit que sa couleur. Et c’est aussi bien, le plat explose déjà de fragrances et de saveurs, alliant la tendreté de la ventrèche, l’onctuosité de la sauce imbibant les pommes de terre fondantes et l’al dente des olives. 


ventrèche de thon rouge, banyuls, oignons de Tropea
Ventrèche de thon rouge en cocotte

Un régal !


Fin de deuxième mi-thon.

mardi 10 mai 2022

Croque-pochtron

 

Afin de vivifier le classique croque-monsieur en lui ajoutant une touche d’acidité parfumée, l’idée m’est venue de remplacer dans la confection de sa sauce béchamel le lait par un sauvignon de Touraine et de derrière les fagots. Le monsieur sérieux, si sérieux qu’il en était ennuyeux, s’est ainsi métamorphosé en un pochtron plein d’exubérance.

J’ai tranché un pain de mie acheté en boulangerie, ce qui m’a permis de réaliser six tartines beurrées. Six ? Pour confectionner quatre croques, le compte n’y est pas… Certes. Mais il ne s’agit pas d’une erreur provoquée par une distraction ou, pire, par une imprégnation alcoolique dans une contagion pochtronesque m’incitant à faire cul sec avec le reste de la bouteille. Non, tout simplement la vue du reliquat rassissant d’un pain de seigle aux graines m’a incité à coiffer deux exemplaires expérimentaux de croques par cette autre production boulangère, de couleur sombre mais de forme quasiment identique, dont le haut goût me semblait apte à sortir lui aussi le monsieur de sa morne routine – inspiration dans l’art d’utiliser les restes ne me permettant pas certes d’arriver à la cheville des candidats de Top Chef, mais suffisante pour m’attirer la bienveillance des chatouilleux chevaliers servants de Dame Nature.

Nul besoin de préciser que ces noirs désirs furent aussi caressés par la lame ayant plongé dans la motte surgérienne. Puis, tout comme leurs tendres sœurs pâlichonnes, je les ai tartinés d’un mélange de sauce béchamel façon pochtron et d’emmenthal râpé parfumé de poivre rouge et de noix de muscade.

Je suis alors passé au montage. Sur les quatre socles de pain de mie barbouillés j’ai allongé les tranches de jambon de Paris, demandées épaisses au charcutier. Je les ai recouvertes d’une cuillerée généreuse de ma mixture avinée. Pour finir j’ai déposé mes quatre chapeaux – deux blancs et deux noirs, mais leur vêture ne laisse guère transparaître les différences.

Enfin j’ai transféré mes croque-pochtron dans un plat en fonte sur le fond duquel j’avais fait tomber quelques noix de beurre. Et zou, au four, à 180 °C pour un quart d’heure, en terminant par un bref coup de gril sur le dessus.

Ils sont bien serrés l’un contre l’autre quand je les sors.

croque-monsieur
Je serre les croques

Dans chaque assiette je fais glisser deux exemplaires de ces croques qui se sont détachés en toute facilité, contrairement à mes craintes quand je les ai vus accolés : un mixte et un mono pain.

 

croque-monsieur
Bi croques

Le résultat est conforme à mes attentes, apportant par le vin blanc présent une note bienvenue de fondue propre à titiller des papilles qui, sinon, se lassent vite de la rondeur de la béchamel fromagée. Et pour la variété métissée, le seigle aux graines ressuscite un pain dont on aurait bien tendance à oublier la fade présence.

Le croque-pochtron, il est des nôtres, il boit son coup comme les autres !


Que l’on se rassure, la suite du repas fut sage. Un dessert on ne plus simple. Rien de pochtron pour sa part.

Quoi que…

Quand le pochtron ramène sa fraise...


mardi 3 mai 2022

Une frisée d’hiver qui connut le printemps

Une chicorée frisée d’hiver s’inquiéta -  bien que dite de Provence - quand le printemps arriva. Elle était fort amère. M’a-t-on oubliée, vais-je végéter longuement avant de décliner par la chaleur accablée ? N’ai-je poussé pour rien, vais-je finir en compost ?

Que nenni, ma belle, lui dis-je en la cueillant avant de l’accueillir. Je te réserve des œufs extra-frais que je pocherai délicatement rien que pour toi. Je trancherai un bon lard paysan fumé, accouru d’Alsace pour te faire honneur, qui t’enchantera par ses parfums de coriandre et de genièvre. Et tiens, j’arrache aussi ces quelques petits radis que je t’offrirai en parure. Pour finir je t’arroserai du mélange exquis d’un vinaigre de cidre fruité et d’une huile extraite d’olives maturées aux arômes puissants de tapenade et aux reflets dorés. Ouais… Et que dirais-tu d’un tour de moulin de poivre blanc de…

« Pas la peine de crier, je ne suis pas dure de la feuille ! Mais merci quand même… »

J’ai tenu mes promesses.

frisée aux lardons, œuf poché
Avec ses lardons, la frisée et le crâne d'œuf

Et de son côté cette chicorée ne m’avait pas raconté des salades : elle était presque tendre.

 

jeudi 28 avril 2022

Mariage princier

 Aujourd’hui je célèbre le mariage du Prince de Biscay avec Mademoiselle Patate.

Prince de Biscay

Mademoiselle Patate

Mésalliance, me direz vous, pour ce gentilhomme gascon descendant d'une lignée anglaise : une péquenaude arrivée toute crottée de sa ferme mayennaise natale, ça la fiche mal, tout de même ! Mais voilà, cette demoiselle si timide, qui dans ses bafouillements ne me permet pas de savoir si elle s’appelle Charlotte, Agatha ou Amandine, offre l’argument de sa tendre jeunesse.


Aussi c’est bien volontiers que je vais faire de mon mieux pour que la cérémonie soit à la hauteur de cet amour printanier.

Pour cette jeune fille, nul besoin de ces vêtures fastueuses qui ne servent qu’à faire oublier les flétrissures d’une récolte trop tardive. Une simple robe des champs suffira, simplement rehaussée d’une petite dorure discrète. Quelques mignonnes échalotes auxquelles se sont mêlées deux gousses (d’ail, je tiens à le préciser) sont enrôlées comme demoiselles d’honneur.

La promise attend tranquillement l’arrivée du Prince qui a pris du retard car il a tenu à s’offrir le bronzage d’une réaction de Maillard, quand l’impensable se produit : le calice empli de sauvignon se renverse sur Mademoiselle Patate qui en perd sa charmante candeur pour proférer des injures dignes de ces palefreniers qu’elle a vraisemblablement fréquentés.

Elle continue à fulminer, me jetant un œil noir, quand le Prince vient la rejoindre. Il s’étend sur elle - et les demoiselles d’honneur, le saligaud. 

entrecôte de porc, Prince de Biscay, pommes de terre nouvelles
Laissons les en paix

Je pose discrètement un couvercle et m’éloigne sur la pointe des pieds.

Vingt minutes plus tard, on me sonne. C’est le prince qui me reçoit en maugréant.

« Tu parles d’une chaude nuit de noces ! La flamme était bien fluette…

-  Permettez moi d’offrir à Madame ces fleurs, dont le bleu ira si bien avec celui de ses yeux. Et quant à vous, Mon Prince, cette aspersion de poivre blanc de Muntok et de cubèbe, alias poivre à queue (tout un programme) devrait vous conférer la chaleur qui vous a tant manqué. »

 

entrecôte de porc, Prince de Biscay, pommes de terre nouvelles
Bonne nouvelle pour le Prince de Biscay

J’entends alors une petite voix à la fois indignée et désabusée qui monte de la chambre nuptiale.

« Continuez à m’appeler Mademoiselle. Votre poudre d’perlimpinpin, vous pouvez vous la carrer où j’pense. D’la chaleur, tu parles, Prince Charles… Rien n’y fera, le vieux cochon, il est castré ! »