jeudi 24 février 2022

Ça sent le roussi !

 

Ce dimanche, j‘ai des invités. Alors dès le samedi je me mets à l’ouvrage.

 

Le menu :

Tarte aux poireaux du jardin

Cochon roussi des îles

Beigli au pavot

 

Première préparation : une pâte brisée destinée à la tarte. Elle sera boulée, mise sous film pour reposer toute une nuit au réfrigérateur.

Quant aux poireaux, une fois nettoyés, il suffit pour aujourd’hui de les émincer et de les faire tomber dans un peu de beurre. Ils rejoignent au frais leur futur support, enfermés dans une boîte (de nuit ?).

 

Bon, jusque-là, rien de bien sorcier. La réalisation du dessert devrait être plus délicate, car c’est la première fois  que je confectionne ces gâteaux roulés au pavot qui régalent traditionnellement les Hongrois pendant les fêtes de Noël - à tel point qu’ils continuent à s’en empiffrer le reste de l’année… Tout comme moi - qui me contente habituellement de les débarrasser de la cellophane sous laquelle ils me sont vendus. L’avantage, c’est que j’ai une référence pour savoir si mon beigli maison tient la route, l’inconvénient, c’est que ça me met une pression supplémentaire – d’autant plus que parmi mes invités se trouve une personne qui a séjourné plusieurs mois en Hongrie.

Je commence par la farce, qui devra refroidir avant d’être étalée. Je porte à ébullition 250 g de sucre versés dans un quart de litre d’eau et y plonge 300 g de graines de pavot. J’éteins le feu, et quand le mélange est devenu tiède, je concasse à l’aide du mixer plongeant muni de son bras à masselottes pour obtenir une sorte de crème. Je complète de 150 g de raisins secs et du zeste d’un demi-citron.

Pour la pâte, je malaxe 400 g de farine avec 135 g de beurre et 65 g de saindoux - hongrois, quelle chance ! J’ajoute 20 g de levure de boulanger délayée dans un verre de lait tiède additionné de 80 g de sucre. J’incorpore 3 jaunes d’œuf, finis de mélanger en introduisant une pincée de sel et une pointe de vanille. Je régule en lait pour obtenir une pâte maniable, mais encore ferme. Je laisse monter dans la chambre de pousse à 28 °C.

Une heure est passée, le pâton a pris du volume, je le divise en deux et laisse reposer une demi-heure. J’abaisse sous la forme de deux rectangles d’une épaisseur d’environ 2 mm que je tartine de la farce.

beigli, roulé au pavot
Quand le pavot s'étale

Je roule la pâte avec la farce. Et obtiens deux rouleaux que je laisse lever une nouvelle heure à température ambiante.

beigli
Bien roulés ?

Avant d’enfourner, afin d’obtenir la marbrure caractéristique à la sortie du four, je badigeonne d’un jaune d’œuf, laisse sécher et recouvre, toujours au pinceau, d’une couche de blanc d’œuf. Je pique mes rouleaux de la pointe d’une fourchette.

J’enfourne à 210 °C pour une demi-heure.
Quand je sors ma production, son aspect me semble plutôt réussi, même si la régularité de mes deux pièces n’est pas parfaite. Quant au goût, eh bien je le saurai demain !

 

beigli
Noël après l'heure




Je me lance parallèlement dans la préparation du cochon roussi. Le plat salé a d’ailleurs en commun avec le dessert d’être lui aussi associé aux festivités de Noël - mais en un tout autre endroit… Simple coïncidence non intentionnelle, mais ce rapprochement temporel associé à une distanciation géographique qui me donne le rôle de maître du temps et de l’espace dans ma petite cuisine francilienne ne manque pas de m’amuser.

M’amuser… Mais que quelques instants. Car quand je pars à la recherche de mon sachet de graines à roussir, je commence par constater sa disparition avant de me souvenir que je l’avais épuisé quelques semaines auparavant – pour ce qui reste, je ne vais pas le mettre de côté, allez, zou, tout dans le plat ! Et dire que tout mon projet repose sur ces graines à roussir disparues…

Ne nous laissons pas abattre : si le grain ne meurt, ressuscitons-le ! Je dispose de graines de fenugrec, de moutarde jaune et de cumin. Je verse une cuillerée de chaque dans une coupelle, je touille. Je les ai, mes graines à roussir, et je pourrai de surcroît me targuer d’utiliser un mélange maison…

Cependant avant de leur donner le baptême du feu, il me faut tout d’abord procéder à ma mise en place.

Je déshabille deux oignons jaunes de taille moyenne et les hache grossièrement. Je réserve.

Je dégerme trois gousses d’ail violet. Je réserve.

Je débarrasse une botte de cives de leurs racines, de leurs extrémités et de leur première peau flétrie. Je les tronçonne. Je réserve.

J’épluche la moitié d’un rhizome de gingembre frais et la taille en julienne. Je réserve.

Je partage en deux quatre piments végétariens et enlève leurs graines. Je réserve.

Je découpe un rôti d’échine de porc sans os, pesant environ 700 g, acheté à mon éleveur normand habituel, le partageant en parallélépipèdes de 3 à 4 cm de côtés. Je sale de fleur de sel de l’île de Ré, j’arrose du jus d’un demi-citron vert. Je réserve.

Je pose ma cocotte en fonte sur la flamme. Je verse ma coupelle de graines à roussir que je laisse torréfier quelques minutes. Je fais tomber une bonne cuillerée de sucre muscovado sur le fond brûlant. Il commence à fondre et caraméliser. J'invite à s'étaler une noisette de saindoux et dispose les morceaux d’échine côte à côte sans recouvrement afin de bien les saisir. Surtout je ne remue pas ! Quand elles ont bien croûté, même opération sur l’autre face…

J’ajoute l’oignon, une pincée de sel, je brasse et laisse le jus s’évaporer.

cochon roussi
Une bonne odeur de roussi

Puis j’introduis les cives.

cochon roussi
Jour de les cives

Elles fondront quelques minutes avant que je termine avec le gingembre, le piment végétarien, l’ail écrasé au presse-ail, une feuille de laurier, un brin de thym, tous deux du jardin, et, de provenance plus lointaine, une pléthorique feuille de bois d’Inde flanquée de quatre maigrichonnes feuilles de caloupilé. Pour donner un peu de vigueur, je rehausse d’une petite cuillerée de pâte de piment bourbon rouge.

cochon roussi
Les parfums

Je recouvre d’eau à hauteur et laisse mijoter une quarantaine de minutes.

cochon roussi
Mijotons !


Ce sera tout pour aujourd’hui. 

À demain si vous le voulez bien



 

DIMANCHE

 

Les invités vont arriver dans un couple d’heures.

Mais le plus gros est déjà fait.

Pour terminer la tarte au poireau, je confectionne une sorte de migaine comportant un petit pot de crème, un verre de lait, trois œufs et une cuillerée de maïzena. Je l’assaisonne d’une bonne pincée de sel, de plusieurs tours de moulin de poivre noir et un soupçon de noix de muscade râpée.

Je fonce le moule à tarte avec la pâte brisée, étale la compotée de poireaux, recouvre de migaine et enfourne pour une trentaine de minutes à 190 °C.

Je n’aurai plus qu’à remettre à température au moment de servir si la tarte a trop refroidi…


Comme garniture de mon cochon roussi j’ai prévu un chou portugais sauté. Ce chou offre une forte ressemblance avec les tendres pousses de choux à vaches que ma grand-mère poitevine cuisinait sous le nom de brocolis. Je prive mes choux achetés à la boutique portugaise des halles locales de l’extrémité de leurs queues, fais disparaître quelques feuilles tendance moche jaunies, lave bien avant de ciseler grossièrement, et balance ces feuillages dans une poêle où crépite une grosse noix de saindoux. 

chou portugais
Portugais coriace


Comme prévu, après quelques minutes, le contenu a bien réduit. Je goûte pour vérifier si ce légume est resté légèrement al dente comme je le souhaite. Et... Et, horreur, enfer et damnation ! Je n’ai jamais mangé quoi que ce soit d’aussi filandreux. Ça se coince entre les molaires, ça s’enroule autour des incisives, ça chatouille la glotte. Comment s’en débarrasser ? La hantise du cure-dent, l’échec d’Oral-B… Bref, impossible de servir ces cordages à des invités. Même le végan le plus acharné n’oserait prendre la défense de ce légume malfaisant, il me le cracherait au visage – enfin si sa bouche pouvait s’en dépêtrer.

Il me faut d’urgence improviser un plan B…

J’ai trouvé ! Je ne voulais pas du sempiternel riz-haricots rouges, mais pourquoi pas accompagner le cochon roussi de maïs ? Il me suffit d’ouvrir une boîte et la réchauffer. Le géant vert qui est en moi reprend du poil de la bête. Il me reste trois piments végétariens : leurs notes de couleur ajoutées au jaune éclatant du maïs, ça aura de la gueule sur le fond roussi, pas vrai ?

 

Les invités sont là.


La tarte aux poireaux 

Juste un petit retour au four pour la tarte aux poireaux qui arrive sur la table.

tarte au poireau
Quand le poireau poireaute 

Quoi ? Mais oui, je n’avais pas oublié d’enlever la grille destinée à l’empêcher de se ramollir pendant l’attente. Et même si la pâte semble un peu pâlichonne, elle est bien croustillante, presque feuilletée.

tarte aux poireaux
Poireau se cache


Le cochon roussi 

Le plat de service vient de se tiédir au four éteint mais encore chaud pendant que mon cochon roussi voit sa sauce réduire dans la cocotte découverte. 

cochon roussi
Et ça ressent le roussi...

Je conclus par un trait de citron vert et retire les feuilles aromatiques aussi inutiles désormais que gênantes pour la dégustation. 

Dans une petite casserole le maïs se réchauffe en compagnie des trois piments végétariens qui lui ajouteront leur parfum.

Y a plus qu’à dresser. À la périphérie du plat, les morceaux de cochon arrosés de leur sauce. Au centre, le maïs avec ses piments. Je parsème de coriandre ciselée.

 

cochon roussi
Noël avant l'heure

Eh bien, si ça sent le roussi pour le cochon, ce n’est pas le cas pour moi !

Moi, je rougis simplement… Et ce n’est pas sous l’effet du piment dont la force est aussi discrète que ses parfums s’exhalent sans retenue, se mêlant harmonieusement aux fragrances des épices, des herbes, dans la rondeur du muscovado caramélisé cassée par l’acidité du citron vert. Non, c’est simplement sous l’avalanche des compliments. Même la présence des grains de maïs est saluée comme l’apport d’un croquant et d’une fraîcheur offrant un parfait contrepoint à ce qu’un plat en sauce peut avoir d’endormi dans sa molle tradition.

 

Le beigli

J’ose espérer que le dessert ne me fera pas tomber de mon fragile et inespéré piédestal.

Mais non. C’est une réussite, avec sa pâte tendre mais croustillante enfermant une farce sans excès de sucre.

beigli
Quand tout se déroule bien...


Et pour ajouter au plaisir, le vin, un remarquable gewurztraminer Grand Cru Zinnkoepflé issu des caves Bestheim, a fonctionné à merveille avec l’ensemble des plats, de l’entrée au dessert.

Après le café, il faudra trouver un point final à la hauteur de ce repas réussi : quoi de mieux que la subtile amertume parfumée de cette excellente liqueur qu'est l'Unicum... Un écho au beigli, en parfaite harmonie.

Et une belle couleur rousse...

jeudi 10 février 2022

Du navet bien sur

 

Je vide mon seau dans la bassine. Il contient un kilo de süri Ruewa, c’est-à-dire du navet salé lactofermenté.


Je recouvre d’eau fraîche les filaments d’une blancheur immaculée.

navets salés
Le navet du jour

J’épluche un oignon paille et trois gousses d’ail que je dégerme. Je partage l’oignon en deux et le pique de trois clous de girofle. Je fais fondre au fond d’une cocotte en fonte une grosse noix de saindoux J’y fais revenir sans coloration les moitiés d’oignon parsemées d’une pincée de fleur de sel, puis ajoute l’ail Je complète d’une feuille de laurier, une dizaine de baies de genièvre, une petite cuillerée de graines de coriandre, une autre de poivre blanc de Muntok et d’un tour de moulin de noix de muscade J’éteins la flamme et laisse infuser le temps de bien rincer le navet salé.


navets salés
Un bon fond

Je presse les filaments afin de les essorer, et les transfère dans la cocotte. Je remets une petite flamme et je brasse. Là, mes ancêtres alsaciens vont frémir de colère en me voyant verser un grand verre de sauvignon de Touraine. Impardonnable ? Peut-être, mais je me suis aperçu que dans mes réserves, point de riesling. J’en appelle au soutien de l’autre moitié de mes aïeux qui m’ont vu sans broncher accompagner un rillon avec de la moutarde au raifort…

Bref, il ne me reste plus concernant ce légume qu’à compléter d’eau presque à hauteur et laisser mijoter tranquillement pendant une heure et demie.

navet salé
Où l'oignon perd son clou


Mais il me faut aussi m’occuper de la charcuterie.

Le lard demi-sel vient pratiquement dans la foulée plonger dans une casserole d’eau frémissante car il nécessite une heure et quart de cuisson. Une demi-heure plus tard arrive à son côté le kassler fumé cru. Pour leur part les saucisses fumées ne séjourneront qu’une vingtaine de minutes dans le bain que je surveille du coin de l’œil pour éviter son emballement. Mais point de problème, la viande ne s’effilochera pas et la saucisse n’éclatera pas. Pas plus que les knacks qui se réchaufferont simplement à feu éteint pendant que je dresse le plat.

Sur le monticule de süri Ruewa je dispose le lard partagé en huit morceaux, le kassler découpé en six tranches et les paires de saucisses fumées. Je termine par les knacks et des pommes de terre qui ont été cuites à l'anglaise dans une petite casserole. Le plat est prêt à être apporté sur la table.

navet salé, charcuterie
Comme quoi le navet peut être chou...

Il sera dégusté accompagné de moutarde douce alsacienne.


Dans les verres, une Bière de Noël un peu ambrée fleurant bon le houblon vient rafraîchir les palais.

Une part de munster à point, puis arrive le dessert maison.

tarte au myrtilles
Tarte un peu tarte

Maison ? Enfin presque… Car la pâte feuilletée et les myrtilles proviennent de chez Picard. Seule la crème pâtissière qui tapisse le fond de la tarte a été confectionnée entre nos murs. Le résultat se révèle d’ailleurs fort décevant. Si le feuilletage est bien léger et croustillant, les myrtilles sont particulièrement insipides – rien à voir avec les petites baies un peu acidulées et parfumées dont j’ai pu jadis me régaler sur les rives du lac de Gérardmer.

Consolation le lendemain en croquant les amuse-gueules réalisés avec les chutes de pâte : des bandes recouvertes généreusement d’emmenthal râpé, surfaces parsemées de poivre rouge de Kampot pour certaines ou saupoudrées de piment d’Espelette pour d’autres avant d’être repliées en spirales façon sacristain bien replié sur lui-même. Cet enfermement a permis à l’emmenthal fondu de rester moelleux sous son enveloppe croustillante dorée. 

feuilletés à l'emmenthal
Sacrés sacristains !

Michel et Augustin, tremblez ! Je puis me passer de vos services en m’enfilant mon americano bien tassé !

lundi 7 février 2022

Sous la ligne d'Émir

 

Est venue atterrir chez moi une confiserie achetée à Dubaï, des dattes farcies de pistache enrobées d’un chocolat au lait de chamelle.

chocolat au lait de chamelle
Au lieu du thé à la menthe...

Bon, le plateau en cuivre sur lequel j’ai déposé ces douceurs orientales ne provient pas des émirats, il est marocain, mais j’ai trouvé que son graphisme arabisant s’alliait parfaitement à celui décorant la boîte et son contenu… Et l’on m’en voudra d’autant moins que l’exotisme de ce CAMEL MILK CHOCOLATE est tout relatif. En effet le lait, provenant d’un troupeau de plus de 5000 chamelles, est transformé en poudre après une traite mécanique.

chamelles, Dubaï
Chamelles de traite

Puis il est envoyé en Autriche où est confectionné le chocolat – qui revient ensuite à Dubaï pour finalisation. On est donc bien loin du Bédouin tirant le pis de sa chamelle sous le soleil couchant et savourant sa bolée mousseuse au pied de la dune rougeoyante qui domine sa tente…

Ce n’est cependant pas tous les jours que je m’enfile du lait de camelle, fut-il baladeur, et je regrette de ne pouvoir marquer le coup par un plat approprié. J’aurais bien aimé, par exemple, servir ce Chamelon Rossini qu’Alain Ducasse a mis à la carte de son restaurant Idam, situé dans le Musée d'art islamique de Doha : la chair de jeune chameau confite à basse température durant six jours est recouverte d’une tranche de foie gras nappée d’une sauce à la truffe noire et décorée de quelques lamelles de ce diamant du Périgord.

chamelon Rossini
Chamelon Rossini, restaurant Idam


Hélas, je n’ai pas de viande de chameau sous la main, même si j’ai vu qu’une boucherie des Lilas en assurait la vente – alors peut-être un jour… Pas de foie gras non plus. Ne me reste sous la main que ma dernière moitié de truffe. Je me conterai donc de préparer mes Œufs brouillés à la périgourdine habituels.

 

oeufs brouillés, truffe noire
Fin de truffe

D’ailleurs je ne suis pas certain que devant ce plat un émir aurait fait la fine bouche. En effet les œufs sont bien crémeux et la truffe, ajoutée hors du feu après cuisson, ne voit son parfum s’envoler que dans nos narines. Tant pis pour les anges, pour une fois ils seront privés de part !

Pour suivre, directement un moka d’Éthiopie servi bien serré.

Je n’aurai plus qu’à franchir la mer Rouge pour retrouver mes senteurs d’Arabie…

Pendant que je savoure un de ces chocolats des Émirats, je me prends à imaginer qu’un nouveau fromage est prêt à envahir nos rayons : La Chamelle qui rit.


Décidément, il y aura de moins en moins de mystères !


mardi 1 février 2022

Confidences sur l'Oreiller

Il n’était pas question de me vautrer dans le grabat sordide du crépuscule des vieux sans avoir connu un jour le somptueux oreiller de la belle Aurore…

Il y a plusieurs années que j’ambitionnais de plonger mes canines dans cet acmé de la création charcutière. Mais c’est un pâté quasi-impossible à réaliser chez soi tant il exige de chairs différentes dans sa préparation – sans oublier la taille du four pour sa cuisson et le nombre de convives gastronomes à réunir pour partager sa dégustation. Mais ce sont des pièces qui ne sont confectionnées que par de rares artisans, et encore de façon très épisodique. Mais il faut réserver sa part, ce qui relève de l’exploit pour moi qui gère mes envies au jour le jour, pour ne pas dire à l’heure l’heure… Aussi n’est-ce qu’en cette fin de janvier 2022 que j’ai pu goûter – en tout bien tout honneur - les délices de la literie de la mère de Brillat-Savarin, née Claudine Aurore Récamier.

C’est à la maison Vérot que je me suis adressé pour me procurer ce plaisir trop longtemps différé.

Je n’étais plus à un jour près… Aussi, n’ayant pu résister au chant des sirènes porcines du catalogue vérotien, je me suis mis en jambes la veille du grand jour par la dégustation d’une autre spécialité : une terrine baptisée Cochon de la tête aux pieds. Ce produit n’est d’ailleurs pas sans rappeler par la multiplicité de ses composants ce fameux oreiller, sauf que pour lui le « c’est le retour de la chasse » se voit remplacé par un « on a tué le cochon » ! En effet on y trouve des strates de fromage de tête, jambonneau, boudin noir, saucisson à l’ail, andouille de Guéménée, pommes et confit d’échalotes.

cochon de la tête aux pieds
Voyage en Cochonie

Je craignais la déception, mais non, Vérot a su, ni basculer dans un magma genre jyfoutou et qu’on se débrouille où la papille y perdrait son latin, ni s’égarer dans une litanie charcutière discordante faisant regretter le buffet campagnard où au moins l’on peut choisir. Une Quintuple Alliance où chacun trouve son compte : un chef-d’œuvre de diplomatie !

 

Et voilà, c’est le grand jour. Je sors les tranches d'Oreiller de la belle Aurore de leurs écrins et les étends sur le plat.

Les variations de tonalités et de texture semblent confirmer que le contrat est rempli, la mosaïque est aussi impressionnante que la liste des ingrédients : pigeon, chevreuil, perdreau, faisan, canard sauvage, canard d’élevage, foie gras, ris de veau, cochon, poulet, sans oublier la farce de cochon, la farce de gibiers et l’insert de lamelles de truffe des Alpes-de-Haute-Provence.

Je laisse reposer le temps que le produit s‘ébroue hors du vide où il a été conservé et se réoxygène à plein poumons. Quand je reviens une heure et demie plus tard, la durée nécessaire pour qu’il se remette à température ambiante, de doux effluves sialogènes montent vers mes narines. Je m’éloigne pour ne pas ressembler au chien Waldi de mon grand-père maternel, boxer au regard triste qui inondait le carrelage de la cuisine de la bave poisseuse dégoulinant de ses babines froncées quand la moindre molécule aromatique se frayait un passage par ses narines simiesques.

D’ailleurs j’ai autre chose à faire que de humer l’oreiller, je dois préparer la salade qui l’accompagne - bien entendu un mesclun, la variété étant à l’ordre du jour. Dans la vinaigrette de vinaigre de cidre et huile d’arachide, j’incorpore une cuillerée d’huile de noix.

Une partie vient rejoindre le plat en tant que décor, le restant demeure confiné dans le saladier où je viens de brasser les feuilles dans leur sauce.

Oreiller de la belle Aurore
Jouer à KoiKès au bout de ma fourchette


Mes sensations sur l’oreiller ne regardent que moi. Je dirai cependant que c’est une belle expérience, et que la belle Aurore mérite sa réputation.

È Vérot, è ben trovato…

jeudi 27 janvier 2022

Mort d'une truffe voyageuse

 

Toute guindée dans son austère habit noir, mon invitée du jour n’était pas d’humeur à plaisanter. À sa décharge, le coup de canif que l’on lui avait donné pour valider son titre de transport n’avait rien dû avoir d’agréable…


Aussi elle me déclara sans ambages que mes pitreries blogueuses ne l’incitaient guère à fraterniser avec moi – de la rigueur, Monsieur, de la rigueur, rien que de la rigueur ! 

Alors point d’allusion douteuse à l’air de mandoline que je m’apprêtais à lui jouer, point de parallèle abusif entre son aspect et celui de la truffe du chien qui l’avait débusquée, mais surtout point de récit approximatif du déroulement de ses obsèques.

« Vous voyez, Monsieur, j’arbore déjà le deuil de moi-même. Mourir, soit, mais avec dignité. Si vous voulez que je consente à vous mettre au parfum dans mes derniers instants, je mets une condition : je veux que vous narriez le récit de mon trépas sous la forme d’une recette empreinte de précision aussi bien dans les pesées que dans les températures et les durées, avec un déroulement que vous voudrez bien transmettre au lecteur éventuel sans les fioritures ou les digressions abusives dont vous êtes coutumier - et dont le plaisir qu’elles vous procurent en les écrivant n’est pas partagé par le malheureux qui s’égare dans la lecture vaine de votre prose, d’où seulement effleure parfois un parfum fugace s’élevant d’un plat qu’il sera bien incapable de reproduire tant l’anecdotique l’emporte sur l’opérationnel… Puis-je vous faire confiance, Monsieur, pour respecter mes dernières volontés ? »

J’ai juré mes grands dieux que je tiendrai parole. Alors voici ma recette de

 

CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE

 

Ingrédients :

Truffe noire du Périgord : 50 g

Guanciale : 1 tranche de 60 g (épaisseur 5 mm)

Gruyère : 1 morceau de 60 g

Crozets au sarrasin : 200 g

Beurre doux d’Échiré : 40 g

Poivre : 1 tour de moulin de poivre noir de Sarawak

Sel : 20 g de gros sel et une pincée de fleur de sel

 

Mise en place :

Découper le guanciale et le gruyère en petits morceaux en préservant six grands rectangles de 1 à 2 mm d’épaisseur pour le fromage.

Illustration 1


Prélever 8 belles tranches fines sur la truffe épluchée et concasser le reste.

Illustration 2


 

Cuisson :

Allumer le four réglé thermostat 160 °C.

Jeter les crozets dans une casserole de 2 d’eau bouillante salée avec le gros sel. Les retirer au bout de 15 minutes de cuisson et les égoutter.

Pendant la cuisson des crozets, faire fondre 30 g de beurre au fond d’une poêle antiadhésive et y faire nacrer le guanciale. Ajouter une louchée d’eau de cuisson des crozets et laisser réduire doucement à petit feu.

Transférer les crozets égouttés dans la poêle. Ajouter les morceaux de gruyère, donner un tour de moulin de poivre, mélanger et laisser trois minutes sur le feu.

Compléter avec les morceaux de truffe, retirer du feu et brasser rapidement.

Illustration 3


Verser le contenu de la poêle dans le plat de service en porcelaine Disposer à la surface les tranches de gruyère et de truffe.

Faire fondre le restant de beurre dans une petite casserole avec la pincée de fleur de sel.

Remettre le thermostat du four à zéro et introduire le plat. Le sortir au bout de deux minutes et arroser les tranches de truffe avec le beurre fondu.

Apporter aussitôt sur la table et partager entre les assiettes.

CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE
CROZETS GUANCIALE, GRUYÈRE, TRUFFE NOIRE


 

Bon, mission accomplie. Enfin, presque… Car ma truffe faisant 104 g, il m’en reste encore la moitié.

Devrais-je vraiment continuer à tenir parole ? Car j’ai l’impression que finalement c’est moi qui ai été pris pour une truffe…

mardi 25 janvier 2022

La part du Lyon

 

Oui, j’étais là quand il est tombé dans l’eau. Bon, c’est vrai, je l’y ai un peu aidé, et je reconnais que je l’ai laissé barboter pendant presque une demi-heure.

Mais j’ai fait attention que l’eau ne devienne pas trop chaude, et surtout quand je l’en ai sorti, je l’ai débarrassé de sa trop mince pelisse toute trempée qui ne réussissait même pas à dissimuler les diamants noirs qu’il trimballait – et auxquels je n’ai pas touché, je tiens à le souligner.

sucisson lyonnais à cuire, cervelas
Lyonnais sauvé des eaux


Bien mieux, je l’ai emmailloté d’une moelleuse couverture. Il a même pu se plonger dans une béate somnolence durant un couple d’heures au sein d’une chambre à 28 °C.

        

cervelas en brioche
Porte maillot

Ben oui, une couverture écologique bien sûr, que des produits naturels. Plus précisément ? Alors là, c’est le secret du chef !

Ne vous fâchez pas, je plaisantais. Le secret d’un chef, mais celui du chef Ducasse – qu’il partage sur les bonnes pages de l’Académie du Goût : et que j’te balance dans la cuve du batteur mélangeur 400 g de farine, 32 g de sucre, 20 g de levure boulangère 80 g de beurre, 215 g de lait et 8 g de sel, que j’te fais tourner le crochet à petite vitesse 4 minutes, puis 9 minutes à vitesse double, sitôt pétri, sitôt étalé.

Avouez que je l’ai gâté, le lyonnais… 

Et c’est tout pimpant qu’il est sorti du four après une vingtaine de minutes passées à se dorer.

cervelas en brioche
le maillot jaune


Et tout ça pour qui ?

 

Vôtre cervelas pistaché et truffé en brioche, Madame :


Et le vôtre, Monsieur :


Accompagné d’une sauce maison. Plus précisément ? Alors là, c’est le secret du chef !

Ne vous fâchez pas, je plaisantais, je ne suis pas de ces gargotiers qui dissimulent leurs ingrédients douteux et leurs médiocres tambouillages en se nimbant de fallacieux arcanes. J’ai tout simplement fait réduire la moitié d’une bouteille de bordeaux rouge, un verre de porto et un trait de Worcestershire parfumés d’une feuille de laurier, d’un clou de girofle et de deux baies de piment de la Jamaïque. J’ai ajouté une pincée de sucre et une pincée de sel. Quand le mélange est devenu sirupeux, je l’ai tamisé et vivifié de quelques gouttes de jus de citron. J’ai aussi ajouté un trio d’oignons grelots glacés. Enfin les quelques feuilles d’une salade de mâche discrètement assaisonnée viennent conférer une note de fraîcheur.

J’ose espérer que mes assiettes sauront vous plaire, et je vous souhaite, Madame, Monsieur, une bonne dégustation.

samedi 22 janvier 2022

Un fil rouge

 

C’est du gâteau ! C’est d’autant plus du gâteau pour moi qu’il ne m’a pas donné grand mal pour le préparer. Il s’agit d’un gâteau de foie lyonnais qu’il m’a suffi d’enfourner à 180 °C pendant une vingtaine de minutes dans son petit moule d’alu. Et hop, je retourne sur la porcelaine, une petite tape et ma préparation au foie de poulet (et même un peu de foie d’oie… ) assiettit en douceur.

Mon droit à la paresse n’était cependant que partiel. Il m’a fallu parer les choux de Bruxelles achetés au marché avant de les plonger une dizaine de minutes dans l’eau bouillante salée sans modération. Maintenant ils baignent au fond d’une poêle dans du beurre fondu dont ils vont s’imprégner à petit feu. Sur une autre flamme réduit le coulis de tomates du jardin sorti d’un bocal monté de la cave où il se prélassait depuis plusieurs mois. Je me contente de le parfumer d’un tour de moulin de poivre rouge de Kampot.

Tout est désormais prêt pour passer au dressage sur une assiette chaude. Je nappe le gâteau de foie en y déversant le rutilant coulis de tomate. Je dispose les choux de Bruxelles que je parfume d'une râpure de noix de muscade.

Et une assiette flashy, une !

gâteau de foie lyon  nais
Sous une nappe rouge

Flashy à l’œil, mais pas aux papilles. Elle exprime ses saveurs avec une réserve toute lyonnaise. Ce qui n’exclue pas pour autant l’efficacité…

 

Il s’agissait de napper, pas de noyer. Aussi me reste-t-il du coulis de tomates du jardin, les deux tiers du bocal. Le lendemain je vais utiliser ce bon produit maison pour confectionner la sauce du plat de fusilli aux joues de raies que j’ai inscrit au menu.

Pour ce faire, j’ai carrément perdu mon droit à la paresse, car parer les joues de raies achetées le matin même à un poissonnier des halles locales est un travail fastidieux. Saletés de raies ! Est-ce que moi j’ai les bajoues fourrées d’osselets ? Pas plus d’ailleurs que les veaux, les cochons, ou même les morues ou les lottes pour rester dans le registre marin…

Ouf, ça y est, les joues sont débarrassées de leur malencontreux fourrage et de leur peau disgracieuse * et je peux passer à l’action culinaire.

Je verse au fond d’une poêle une cuillère d’huile d’olive dans laquelle je vais sauter à feu vif les joues de raie assaisonnées d’une pincée de fleur de sel. Quelques secondes seulement, car je ne veux pas me retrouver avec une chair en bouillie, d’autant plus que la cuisson va se poursuivre dans le reste de bocal de coulis de tomates que je viens de verser et fais réduire à frémissement. J’ajoute une pincée de sel, une cuillerée de curry Shichimi Togarashi, une feuille de laurier et des feuilles arrachées à un bouquet de persil frisé offert par le poissonnier.
Sur un feu voisin une grande casserole d’eau salée suivant la formule traditionnelle 10 100 1000 (10 g de sel pour 100 g de pâtes dans 1 000 g d’eau) je verse une moitié de sachet de fusilli, c’est-à-dire 250 grammes. Je les laisse 7 minutes, une minute de moins que le temps prescrit car la cuisson se terminera dans la sauce de la poêle.

Le minuteur sonne. Je transfère les pâtes à l’aide d’une araignée dans le coulis réduit et parfumé que j’allonge d’une cuillerée de la mousse farineuse tapissant la surface de l’eau de cuisson. Je brasse bien, même si la raie, sans doute habituée à l’immersion cachée, a bien du mal à émerger**.Avant d’apporter la poêle sur la table, je parsème d’une nouvelle pincée de curry japonais et de quelques feuilles de persil au rôle plus décoratif que gustatif.

joues de raie, fusilli
Le mur des fusilli

Je regrette de ne pas avoir pris le temps de réaliser un petit jus avec les parures des joues de raie, néanmoins les saveurs marines sont bien présentes - peut-être aussi grâce à l’algue nori figurant dans la composition du curry*** – et je retrouve le goût incomparable de tomates de jardin. Une recette basique, mais un régal !

   

*Droit de réponse de la raie : Je t’en ficherai, de la peau disgracieuse, est-ce moi qui ai la bajoue tapissée d’une barbe hirsute plus fanée que fleurie ?

**Deuxième droit de réponse : Eh, le guignol, ne tente pas de masquer ta maladresse sous des assertions abracadabrantesques, tu es infoutu d’effectuer un tourne et retourne correctement, point barre !

***Troisième droit de réponse : Mais quand est-ce que cet abruti finira de me dénigrer, la mer, c’est moi, pas de la poudre de perlimpinpin nippone – ni mauvaise, je le concède, car moi j’ai l’esprit ouvert.