Fin avril dernier, un commentaire lié à ma recette du poulet à la verticale m’avait fait découvrir le site recette-americaine.com dont j’avais parcouru les pages - quand je pénètre un blog inconnu, j’aime bien l’arpenter en grandes enjambées, comme on erre dans les rues d’une ville inconnue où l’on se trouve pour la première fois, ne se contentant pas du monument répertorié qui prétend justifier ce voyage.
Et c’est là que je suis tombé sur cette photo :
Aussitôt des souvenirs lointains ont ressurgi dans ma tête. Je me revoyais adolescent traînant mes lattes dans le Quartier Latin où, entre deux séances de cinéma rue Champollion ou rue Cujas ponctuées par quelques parties de flipper, je me sustentais d’une saucisse enrobée de pâte frite achetée dans une petite échoppe débordant sur le trottoir du boulevard Saint-Michel.
Il me semble que ce produit dont je me régalais - eh oui, la malbouffe a aussi son charme… - avait disparu du décor après quelques mois de présence, et qu’ensuite j’avais dû me recentrer vers les beignets tunisiens farcis de thon de la rue Saint-Séverin, sans aucun doute encore meilleurs, mais aussi plus onéreux pour mes maigres finances.
Depuis, je n’avais jamais retrouvé ces saucisses embâtonnées, et j’en gardais vaguement une certaine nostalgie. Aussi, après avoir découvert la recette de corn dog qu’illustrait cette photo, je ne pouvais qu’ambitionner de la réaliser.
Rien de plus simple que de procéder à l’achat de la farine de maïs nécessaire pour la confection de la pâte. En revanche, il fut bien difficile de me procurer des saucisses à hot dog pur bœuf. Strasbourgeoises, viennoises, francforts : toujours à base de porc, même si certaines contiennent aussi du veau ou du bœuf. Du côté hallal, point de salut : merguez qui n’ont rien à voir avec la saucisse à hot dog, ou grosses saucisses de bœuf encore plus éloignées de mon cahier des charges. Je me suis orienté en dernier recours vers la charcuterie casher. Toujours sans succès : je n’étais confronté qu’à pastramis, saucissons et merguez. Jusqu’à ce que, il y a quelques jours, s’ajoute à cette liste la présence de saucisses Vienna au bœuf dont la composition me paraissait fort apte à la réalisation de mon projet.
Bœuf (66 %), eau, fécule de pomme de terre, soja, mélange d’épices (propylène glycol, fibre de pomme de terre, sel, stabilisants, épices, ail déshydraté, protéines végétales hydrolysées, arômes, huiles essentielles & oléorésines), sulfites, colorant (E124).
Un bon produit de malbouffe délectable… Je m’en lèchais les babines d’avance.
Figurait en guise de conclusion l’avertissement : peut avoir un effet néfaste sur l’activité et l’attention des enfants. Mais ça, je m’en fous, j’ai passé l’âge !
Maintenant je dispose de tous les ingrédients, aucune excuse pour ne pas passer à l’acte :
140 g de cornmeal
8 saucisses de bœuf de Francfort de Vienne
Bon comme au coin d'une rue... |
2 tours de moulin de poivre noir
40 g de sucre
4 cuil à café de levure chimique
2 œufs
120 g de farine T55
240 ml de lait
Je brasse dans un cul-de-poule les produits secs. J’introduis le lait et les œufs et je mélange énergiquement au fouet.
Toujours aussi bon empaleur, cette fois-ci je délaisse le poulet pour introduire mes piques à brochettes dans le fondement de mes viennoises qui se laissent faire sans manifester de résistance, même si à la fin je les sens se raidir.
Valse de Vienna |
J’allume ma friteuse que je règle à 180 °C.
Le voyant m’indique que désormais le Blanc de Bœuf est à bonne température. Je vais pouvoir opérer. Toutefois, afin de permettre un bon enrobage des saucisses sur toute leur longueur, je transfère le contenu du cul-de-poule dans l’étroit vase d'ordinaire préposé au mixage. Je plonge mon premier bâtonnet ensaucissé dans la pâte, le retire, c’est bien, la consistance est parfaite, la saucisse sort bien enduite et ne bave pas. Je la plonge dans la friteuse. Et là je m’aperçois de ma bévue : j’ai raccourci la pique en la coupant pour l’amener à une longueur qui me semblait raisonnable, ne voulant pas me donner l’impression d’être un sans-culotte brandissant la tête de la princesse de Lamballe ; mais voilà, ma friteuse est de celles qui sont plus en largeur qu’en profondeur, pour baigner entièrement mon corn dog il me faut l’incliner, beaucoup l’incliner, et mes doigts tenant le manche se rapprochent dangereusement de la surface du bain de friture. Je décide donc de rallonger ma main d’une pince.
Un corn dog est cuit, deux, trois… Et pour la quatrième, c’est le drame : une saucisse perverse, sans doute indignée du sort que je lui ai fait subir, s’échappe de la pince, plonge et m’éclabousse de gras de bœuf bouillant. Un peu sur la main, mais aussi, ce m’inquiète le plus, sur le visage… Je ressens une brûlure au-dessus de l’œil. J’abandonne la coupable à son triste sort. Trois minutes de cuisson, j’en profite pour m’échapper et aller me passer un gant imbibé d’eau glacée sur les parties atteintes. Je suis de retour quand le minuteur sonne. Je sors ce corn dog précautionneusement. Pour les suivants, tant pis, ils flotteront comme de vulgaires beignets. Le manche sera un tantinet barbouillé - et alors… Au moins ce gras ne sera pas bouillant !
Avant de passer à table, je me livre encore à quelques tamponnages à l’eau glacée. Je souffre un peu, mais rien d’insupportable... Faire la cuisine, c’est une activité à risque !
Les corn dogs sont entassés sur un plat. De les voir me donne la satisfaction de la réussite, mais surtout de les voir de mes deux yeux - il s’en est fallu de peu…
Retour de bätons |
Chacun dispose d’une coupelle dans laquelle j’ai versé du Country Ketchup.
C’est bon, mais je ne retrouve pas le goût de mes souvenirs. Il me semble que la pâte d’enrobage boulmichienne, quoique croustillante, était plus épaisse, plus briochée. Sans doute une revisite à la française...
Il ne faut pas attiser la petite flamme vacillante des souvenirs. Parfois on s’y brûle !